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    Comme une envie de créer un répertoire sur les mots et les maux de tous les jours, histoire de prendre un peu de distance.

     

    de la psychose

    aux heures de grande écoute

    (revue de presse, radio, télévision et voisinage)

     

    l’ombre de la psychose plane sur la zone…

     

    Depuis toujours les rues bruissent de rumeurs qui fertilisent la psychose.

    La psychose est-elle une vraie menace ?

    La rumeur et la psychose enflent aussi vite, l’une se nourrissant de l’autre.

    La psychose n’épargne personne, pas même les gens bien préparés.

    Ce n’est pas la peine de faire comme si il n’y avait pas de psychose.

    Vu la proportion que prend la psychose, nous nous interrogeons sur la nécessité de procéder à une action de vaccination d’envergure.

    Existe-t-il oui ou non des raisons objectives de tomber dans la psychose ?

    Moi, je ne sais pas ce qui se passe mais il paraît qu’il va y avoir la psychose, alors je prends mes précautions.

    De toutes façons quand il y a la psychose, les gens racontent n’importe quoi.

    Le meilleur moyen de ne pas sombrer dans la psychose est de rester vigilant en permanence.

    Il faudrait dire aux gens qu’il y a des limites à la psychose.

    Au vu de la psychose actuelle, nous n’excluons aucun indice.

    Il n’y a aucun intérêt chez nous à créer des psychoses.

    Après une relative accalmie, la peur de la psychose repart de plus belle.

    Avec la psychose ambiante, la communication devient elle-même schizophrène.

    Sombrer dans la psychose ne résoudra pas les problèmes.

    Il est inutile de nous provoquer davantage, nous ne cèderons pas à la psychose.

    Il est inadmissible que certains fassent du commerce avec la psychose et en tirent profit.

    Je ne me sens pas concerné par toutes ces psychoses qui voudraient nous empêcher de vivre.

    Les mesures prises par le gouvernement relativisent le climat de psychose.

    Avec ce nouveau virus on atteint un niveau de psychose complètement irresponsable.

    La psychose est une aberration, comment a-t-on pu en arriver là ?

    Si le système venait à défaillir cela générerait automatiquement une véritable psychose.

    Les producteurs ont été heurtés de plein fouet par toutes sortes de psychoses.

    Ce n’est pas parce qu’il existe des risques qu’il faut psychoter du matin au soir.

    Si les médias en faisaient moins, il n’y aurait pas autant de cas de psychose.

    La psychose ne nous est d’aucune utilité, au contraire.

     

    aujourd’hui, plus personne n’échappe à la psychose…

    psychose : maladie mentale affectant de manière essentielle le comportement et dont le malade ne reconnaît pas le caractère morbide. (Petit Robert)

    Le mois prochain :

    de la prise d’otages aux heures de grande écoute

     

    merci de ne pas hésiter à collaborer à cette rubrique

     


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  • Qui n’a pas un jour levé les yeux de son livre avec l’idée de se retrouver soi-même la plume à la main ? Qui, ayant éprouvé le plaisir d’écrire, ne s’est pas senti rempli du désir de donner à lire ? Lecteurs et écrivains réinventent sans cesse le partage ; nos souvenirs les plus tumultueux se lisent parfois au détour d’une page et quand nous nous voyons au beau milieu d’une scène, quand nous entendons les mots d’un autre résonner à l’intérieur de notre être, quand nous revenons sur un passage déjà cent fois lu, il arrive que nous cédions à la tentation de prolonger le ravissement en explorant pour notre propre compte les mystérieux territoires de l’écriture.

    Le texte ci-dessous a été publiée par calipso dans le recueil " Portes et fenêtres "

     

     

    Marie Noëlle TOUZERY PEURIERE " Salle des Pas Perdus "

     

     

    Elle sait il faudrait pousser cette porte

    Mais le cocon du rêve

    Un pion du jeu de l’oie le doigt pointé la renvoie à la case enfance pour en sortir il faut le bon vouloir des dés alors elle piétine en réalité elle a une trouille bleue de la réalité elle se berce de désirs de regrets elle n’a jamais pu franchir le pas elle répète machinalement je n’ai pas de chance

    Dedans ça va elle avec elle et personne d’autre entre la matière et elle dehors c’est la chute dans le vide

    Dedans quand elle dit ça va ça ne va pas tellement en fait à y regarder de plus près elle peint toute la journée puis elle lacère ses toiles

    Mais vomissures vertiges du dehors qui guette derrière la porte crabes marquises pachydermes visages derrière écrans mains glacées paroles

    Dedans elle fait comme si ça allait quand ça crie trop elle ferme les yeux elle détache sa capsule et elle gicle dans l’infini du rêve

    Dehors une timidité inavouée l’étouffe elle se sent tellement démunie elle s’est mise officiellement du côté des pauvres

    Les riches construisent achètent amassent

    Elle elle amasse des rêves qui ne servent à rien qu’elle jette au bout d’un moment en disant j’étais folle du vent elle amasse du vent

    Elle regarde les étoiles les nuits d’été elle est minuscule et très vieille comme elle ses secrets gardés par la voie lactée voguent vers d’autres univers où les rêves prennent forme

    Quelquefois elle pense à ça à ses rêves pétrifiés en stalactites comme les amants d’Antinéa momifiés dans une drôle d’exposition

    Il suffirait pourtant

    Pousser la porte

    Et les rêves auraient une chance de devenir réalité mais pour cela il faudrait se vendre elle en frémit d’horreur

    Un jour un concours convocation à l’oral c’est bien tout le monde l’encourage et elle

    Promenade le long des quais de la Seine est grise les bouquinistes hésitent scrutent le ciel tombera pas l’automne les feuilles dorées rouges et les marrons qui roulent rentrée des classes cette impression d’être différente

    Nulle le mot est lâché

    Pas lu les livres pas compris la règle de trois pas aimé la prof qui plante ses yeux dans les siens exige son adhésion

    Elle ne joue pas le jeu

    Un autre jour l’amant pousser la porte scénario probable des caresses la nudité les nuages seraient apprivoisés elle rêve le creux de son épaule peut-être le cadeau de quelques mots ma chérie ma douce ma colombe ma porte au fond du jardin elle les entend comme si elle y était contre sa peau sa peau comme si elle y était et son odeur d’homme aussi qui la capture et elle

    Non il y a toujours un trottoir sale et gras quelque part et après la porte une autre chose qui ne vient pas il l’aura attendue en vain elle se sent soulagée ce bonheur-là n’aura pas lieu aucun oiseau ne s’envole plus vite qu’elle

    Et puis l’hôpital l’odeur de propre qui prend à la gorge acheter des fleurs pour se rassurer la première porte toute en verre elle manque s’y cogner et le vaste hall dans lequel elle se perd elle aime elle adore cette expression la salle des pas perdus mais c’est pour les gares les départs le soleil les vacances faire les cent pas l’idée étrange de perdre ses pas

    Cardiologie traumatologie gériatrie la porte de l’ascenseur qui s’ouvre lentement si lentement pas assez lentement elles sont là les petites vieilles tassées dans leur fauteuil elles branlent et bavent certaines suivent vaguement des yeux une ou deux sourit aux anges

    Elle est arrivée

    Les matonnes blanches bavardent l’une tricote l’autre soutient une bienheureuse qui réapprend à marcher le chef commente l’état de santé

    Et ça hurle en elle ne touchez pas aux images c’est tout ce qui me reste au temps des cerises elle s’en faisait des pendants d’oreille au retour des manifs elle avait la voix cassée à force d’avoir chanté

    La porte il n’y a pas à la pousser elle reste ouverte toute la journée

    Et toute la nuit

    Plus d’intimité

    Fini le cocon

    Ses parois de nacre veloutée sa profondeur moelleuse élastique

    Elle reste sur le seuil debout la chef arrange les fleurs ce sont des tulipes

    Quelque chose s’écroule et se fend en elle se déchire pitoyablement

    Pauvre pauvre pauvre pauvre

    Pas de larmes

    Mais un sourire un sourire de bonté un sourire avec les yeux

    Une patience et leurs mains qui se tiennent qui se nouent

    Mensonge pas mensonge songe pas songe tendresse douceur du rêve

    Tiens, dit-il, un bon whisky, ça te remettra.

     


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    C’était hier soir chez Stéphane Laurent : une rencontre avec Christian CONGIU et c’est à lire sur le site

     http://slaurent.over-blog.com/

     

     

    Introduction de Stéphane Laurent : " Christian Congiu a animé pendant de nombreuses années Nouvelle Donne, sorte de Rolls Royce des revues consacrées à la nouvelle. Il a ainsi permis la publication d'un très grand nombre de nouvellistes (dont votre serviteur) et offert à ce genre un outil de promotion très précieux, en même temps qu'un véritable laboratoire. Nouvelle Donne a aujourd'hui disparu. Christian revient ici sur la genèse de ce support sans équivalent pour tous les amoureux du texte court et évoque également ses activités d'auteur et d'animateur d'ateliers d'écriture. Comme au coin du zinc, devant un petit noir... "

     

     

     


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    21 extraits de nouvelles issues des concours calipso ont été publiées ici même. Il y en aura d’autres. Entre temps, et pour ne pas lasser le lecteur d’histoires sans fin, en voici une, courte mais intégrale, publiée par calipso dans le recueil " Portes et fenêtres ".

     

     

     

    Patrick ESSEL " Trop de beauté "

     

     

     

    Dans le taxi qui le conduit au centre, Fab ne dit pas un mot. Il pense à sa chienne qu’il a laissée dans l’appartement en feu. Ses lèvres sont boursouflées. Ses mains sont rouges de sang. Son ventre est aux quatre cent coups. Il pense à cette pauvre infirmière qui va l'accueillir avec une mine compassée. Il se dit que ses paupières violacées la mettront dans l’embarras et qu'il lui faudra la rassurer. Elle ne cherchera pas à connaître le fond de l'affaire. Elle n'est pas comme le psychologue qui boit ses paroles et qui gobe tout ce qu'il raconte. Elle, lui proposera un café et peut-être même une cigarette si elle est vraiment en soucis, puis elle attendra les premiers mots. Lui, il fumera goulûment jusqu’à en perdre la respiration. Il ne dira pas qu’il ne savait pas ce qu’il faisait, il dira seulement qu’il ne l’a pas fait. Ses lèvres trembleront à cause des tuméfactions.

    Puis ce sera la visite du docteur. Avec son sourire et ses mots tordus, elle le priera de venir à son bureau. Un bureau minable tagué de tous les côtés. Il se figure déjà la rage qui le prendra si elle s’avise de le questionner un peu trop ou si elle lui demande de préciser, de faire le tri entre ce qui est et ce qui n’est pas. Un jour, il lui avait dit que tout ce qu’elle désirait c’était de le voir crever, qu’elle n’aimait rien d'autre que les cerveaux meurtris et de faire endurer aux jeunes la mort pendant des heures et des heures. Ce jour-là, il s'était levé brusquement et avait tout renversé dans la pièce. Puis, il s'en était pris aux bacs à fleurs, arrachant les plantes une à une et les jetant par la fenêtre en hurlant qu’il y avait trop de beauté dans cet établissement. Elle était restée à se tortiller sur sa chaise branlante, sans rien savoir de ce qu’il fallait qu’elle dise ou qu’elle fasse.

    De toutes façons elle pourra bien dire tout ce qu’elle voudra que cela ne changera rien. Il ne tombera pas dans ses traquenards. Elle pourra lui faire arracher la langue qu'il ne dira rien. Rien ! Il jure à voix basse et la traite de chienne. Aussitôt, il pense à ses jambes, au galbe exquis de ses cuisses et à la chaleur qui s'en dégage quand il la traite de chienne. Elle fait tout pour proscrire les obscénités à l’intérieur du centre, sauf que tout le monde a bien vu que certaines expressions la font drôlement rougir.

    Avec elle, le meilleur moyen sera de prendre un air vaguement hébété en regardant le ciel par la fenêtre. Le ciel aura certainement été blanchi à la chaux mais il y cherchera quand même des traces de jaune et puis peut-être qu’à force de scruter, il y trouvera du rouge, un rouge capable de toutes les outrances.

    Pendant qu’il tergiversera, elle observera son visage grimé de bleus et ses mains suantes de poisse. Il ne dira rien de ce qu’il y a dessous tout ça. Il continuera de ne rien dire à personne, il n'évoquera même pas les choses les plus simples qu’il a faites pendant le week-end, il fera mine d'avoir oublié ça et ça et encore ça et ça le fera rire, rire, rire… Si cela se trouve, elle croira que l’idée lui sera enfin venue d’être un peu joyeux dans cette maison d’estropiés.

    Quand elle en aura assez de le toiser elle fera venir l’assistante sociale. Une fois de plus, il entendra dire qu’il peut, qu’il faut, qu’il doit, et puis la minute suivante qu’il ne peut pas, qu’il ne faut pas, qu’il ne doit pas, on lui dira encore qu’il y arrivera puis que non, il n’y arrivera pas. A la fin, l’envie de flamber le prendra comme jamais.

    Ils téléphoneront à droite et à gauche en faisant semblant de l’ignorer. Ensuite, un éducateur le prendra en charge et celui-là aussi tentera de lui frictionner les méninges. Il l’invitera à reprendre des forces à la cuisine où une vieille chienne zippée jusqu’à l’os lui servira des morceaux de viande noyés dans du jus et des bouts de gâteaux secs à tremper dans un pot de compote. Il déteste la cuisine. En passant la porte, il fait toujours une espèce de grimace douloureuse, peut-être à cause du mélange de javel, de pisse et de friture qui s’en dégage, peut-être aussi parce que c’est le seul lieu qu’il connaisse où l’on peut pleurer indéfiniment. De toutes façons il ne mangera rien et pendant le repas il restera muet. Les autres le traiteront de fou mais quand il se lèvera d’un bond, ils se mettront tous à gigoter et à battre des mains et des pieds dans tous les sens. Et si cela ne suffit pas, dans la poche de son pantalon, il a de quoi leur foutre la trouille à tous.

    Dans l’après-midi, une ambulance viendra le reprendre. On le conduira à l’hôpital, en chambre d’isolement. Le chauffeur jugera préférable de se la boucler. Son œil ira d’un rétroviseur à l’autre. Extérieur gauche. Intérieur. Extérieur droit. Pour donner le change, il mettra une foutue radio de vieux où l’on parlera de violence, de cette violence des jeunes de plus en plus ravagés par le désir de se brûler les ailes.


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    Comme il n'y a pas que les concours à calipso, voici une petite exploration personnelle sur quelques mots "passe-partout"

     

    On m’a refilé un tuyau percé

    Et j’en suis content 

    Oui, j’en suis content 

    Je vais vous dire

    Des fois mon sang ne fait qu’un tour

    Et j’en suis content

    Et quand on me prend avec des pincettes

    Ou que je fais la queue

    Ou que je tombe sur un os

    Ou que je passe à la casserole

    Et bien j’en suis content 

    C’est comme le fruit du hasard 

    Ou le bénéfice du doute

    J’en suis content 

    Et puis la fin des haricots 

    Le pain sur la planche

    Le cheveu sur la soupe

    J’en suis content aussi 

    Les moyens du bord 

    Le dos de la cuillère 

    La fortune du pot 

    L’épingle du jeu 

    J’en suis content  

    La bonne franquette 

    Et la belle lurette 

    Pour ça oui, j’en suis content 

    Les poignées d’amour

    La pomme d’Adam

    La cuisse de Jupiter

    La tête de linotte

    J’en suis content 

    La main dans le sac

    J’en suis content 

    La langue dans la poche

    J’en suis content 

    Le bout du nez

    La peau des fesses

    J’en suis content 

    Le tête-à-queue

    Sûr que j’en suis content 

    La poudre d’escampette 

    J’en suis content 

    C’est comme la course à l’échalote

    Et les fourmis dans les jambes

    Ou le pied à l’étrier

    J’en suis content 

    Le côté de la plaque

    Les nerfs en pelote

    L’estomac dans les talons

    Les boutons de fièvre

    Les sacs de nœuds

    Le plomb dans la tête

    J’en suis content 

    La puce à l’oreille

    J’en suis content 

    Mordre la poussière

    Noyer le poisson

    Pendre la crémaillère

    J’en suis content 

    Le pavé dans la mare

    Le doigt sur la gâchette

    L’huile sur le feu

    Les pieds dans le plat

    Ou les pieds de nez

    J’en suis content 

    Le grain de folie

    La peau de chagrin

    Le travers de la gorge

    L’eau dans le gaz

    J’en suis content 

    Le petit bonhomme de chemin

    L’état de l’âme

    L’idée derrière la tête

    Le sens du poil

    L’eau de boudin

    J’en suis content 

    Les goûts et les couleurs 

    L’air du temps

    L’amour du ciel

    Les forces majeures

    Les grandes largeurs

    Les chapeaux de roues

    J’en suis content 

    Bon, le casse pipe

    Le coupe gorge

    Le coup du lapin

    Le coup de grâce

    Je ne sais pas trop

    Ça me donne la chair de poule

    Mais bon si ça se trouve

    J’en serais content aussi

    Reste les gens

    On dit les gens exagèrent toujours

    On dit les gens perdent la tête

    On dit les gens ont la vue courte

    On dit les gens montent sur leurs grands chevaux

    On dit les gens poussent un peu loin le bouchon

    On dit les gens n’y vont pas par quatre chemins

    On dit les gens dépassent les bornes

    On dit ça des gens 

    Oui, on dit ça…

     


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    Retour aux extraits de nouvelles primées lors des dernières éditions du concours calipso. Il est toujours possible de commander les recueils auprès de l'association. ( assocalipso@free.fr ).

     

    - Extraits -

     

     

    Désirée BOILLOT " Papino "

     

    Hou hou… Vous m'entendez ? Seigneur, si vous êtes là, écoutez-moi. Je vous le demande. C'est pour un service. Matthieu est sur le devant de la scène… Il est en train de passer son bac ! Faites qu'il l'ait. Faites l’impossible. Il a bossé des mois, il le mérite. Et puis faites que la paix revienne à la maison…

    Parce que les Grandes Révisions, c'est pas de la tarte, croyez-moi. Plus jamais ça ! L'ambiance était tendue comme du fil barbelé. Ton fils par-ci, ton fils par-là… Ton fils est un cancre ! Pas du tout sur la même longueur d'onde, les parents. Papa est prof de philo. Il veut la mention, sinon il devient bouddhiste. Maman, elle s'en fiche complètement, de la mention. Si Matthieu a son bac, elle débouchera le champagne. Elle l’a promis. Même au rattrapage.

    Seigneur. Ecoutez-moi. Deux mois que mon frère dort pas. Deux mois qu'il vide du Coca jusqu'à deux heures du matin ! Pour tenir ! J'entends encore sa voix monter derrière la porte… L'autre jour, c'était la politique agricole de la Chine. On nageait dans les rizières. Du riz, du riz, et encore du riz. Notez, il en faut, pour nourrir tout ce monde. Un milliard de Chinois, et autant de bouches… Soyez cool. Il faut qu'il tombe sur la Chine. Faites ça. Un bon mouvement. Pékin et les Pékinois. Au pif. Ou alors les exportations du Japon. Il les sait sur le bout du doigt. Et puis pas trop de géométrie s'il vous plaît. Des problèmes simples, pas de théorie de la relativité. Pas de logarithmes, pas de polygones compliqués. Ni de para… paraléllé… parallélébipèdes. Quatre côtés égaux, c'est amplement suffisant.

    Question latin, allez-y mollo. Je vous le demande. Pendant les Grandes Révisions, Papa s'est fâché. Matthieu avait traduit : "Escalope est une belle rose." Au lieu de : "La rose d’Esculape est belle." Et rebelote, avec Matribus. Cette fois-ci, il a vraiment cru que c'était un prénom féminin ! Ça donnait : "Matribus dit à ses fils qu'ils sont courageux." Maman a gloussé. Elle a dit qu'il avait beaucoup d’imagination. Papa riait pas, lui. Pas du tout. Il grinçait des dents. Il est devenu mauve. Il a obligé Matthieu à recopier : "Les fils disent à leurs mères qu’ils sont courageux." Cent fois. Pas de quoi se mettre dans un état pareil.

     

     

    Dominique LE GALL " A Nancy déjà "

     

     

    La tête me serre comme un étau. J’ai mal dormi. Marcher. Plus vite, plus vite. Suis pas loin. Oui, ça devrait être bon, j’arriverai juste à l’heure… Hier, dès la sortie du cinéma, j’aurais dû rentrer directement. C’est ce que j’avais prévu d’ailleurs. Je n’y suis pour rien. Rue de France, je pensais juste à ça, au film et au travail que j’avais à faire pour le lendemain. Oui, juste à ça, et j’allais rentrer chez moi tranquillement. Je n’y suis pour rien. C’est elle ! Je la sens encore me bousculer en me dépassant. Sans s’arrêter de marcher, elle s’est retournée. Elle s’est excusée. Elle a souri. Oui, je suis sûr qu’elle m’a souri. Puis elle a poursuivi son chemin comme si de rien n’était. Elle était jolie, élancée, provocante. Aguichante même, avec son jean qui lui moulait les fesses. Je l’ai vue s’arrêter à l’arrêt du 62. Ça a été plus fort que moi. J’ai attendu, en retrait, et quand le bus est arrivé, je suis monté derrière elle. Elle a enlevé son sac à dos, elle l’a pris à la main. Il y avait du monde, beaucoup de monde, on était serré les uns contre les autres. J’ai pensé qu’il fallait que je fasse attention, que ce n’était pas bien, que ça commençait toujours comme ça et qu’après… En baissant la tête, je pouvais sentir l’odeur de ses cheveux. Ça sentait la vanille. À chaque accélération, son corps chaud et impudique se collait au mien. Son portable a sonné. Elles en ont déjà toutes à cet âge-là, c’est lamentable. Elles sortent à peine de l’enfance qu’elles se prennent déjà pour des femmes… Ce sont les parents aussi, à céder à tous leurs caprices. Je l’ai entendu rire. Elle a parlé d’un certain Thomas qui l’avait invitée au cinéma, que c’était trop cool et qu’elle avait bien vu qu’il la matait vegra depuis des semaines. Le langage… Ça m’a agacé. J’avais envie de lui dire qu’elle ne gagnait rien à parler comme ça. Dès qu’elles sont dans la rue, elles parlent comme des charretiers ! Parce que, la vérité, la voilà, elle est simple : elles ne pensent qu’aux garçons !… Elle disait qu’il la faisait craquer, c’est ça, craquer, et qu’aller voir Iznogoud, c’était trop d’la balle. Tu parles, si ça se trouve, elle ne connaissait même pas Villeret… Tout ça en s’appuyant sur moi à chaque secousse, sans s’excuser cette fois, sans regarder qui était derrière elle. Elle devait bien sentir que ça me faisait quelque chose pourtant, à treize ans, dégourdie comme elle était, elle devait bien savoir !

     

     

    Cécile PRILI " Maria Dolorès "

     

     

    Cette fois, c’est décidé. C’est en Espagne que nous partirons, mon mari et moi, pour fêter nos trente ans de vie commune. L’Espagne si proche et qui pourtant me reste encore inconnue. Des voyages, j’en ai fait pas mal, mais ma préférence est toujours allée à l’Italie ou à des destinations plus exotiques. Je feuillette distraitement le catalogue d’une agence. Images de soleil, de couleurs, modernité et tradition. Des gens qui nous ressemblent occupent le décor, une belle fille brune regarde l’objectif avec gravité devant la devanture d’un magasin…

    C’est alors que tu ressurgis de ma mémoire, Maria Dolorès. De très loin. Ton prénom seul m’est resté. Ton nom a disparu. Des Maria ou des Marie, j’en ai croisé dans ma vie, mais jamais plus de Dolorès. Ce prénom évoquait pour moi toute la passion flamboyante et sombre de l’Espagne. Et il t’allait si bien…

    Je faisais la queue au bureau de la poste centrale. C’était le début de l’été, il faisait chaud. Un peu comme aujourd’hui. Je promenais un regard flou sur le lieu et les gens en attendant mon tour. Une voix claire et forte, pimentée d’un accent prononcé m’a tirée de ma torpeur. Je n’ai vu d’abord qu’une longue chevelure brune répandue sur des épaules dorées. C’était toi, Maria Dolorès. Tu t’escrimais à te faire comprendre de l’employé avec vivacité. Un instant plus tard nos histoires allaient se croiser pour un court intermède.

    D’un élan spontané, j’ai quitté ma place et me suis avancée pour te proposer mon aide. Tu as tourné vers moi un regard étonné et aussitôt tu m’as souri sans retenue. Tu avais à peu près mon âge, une vingtaine d’années. Ton teint mat, tes grands yeux noirs, tes traits réguliers et un peu sévères faisaient de toi un spécimen de la beauté espagnole. Quelques minutes ont suffi à nouer notre sympathie réciproque. Tu achevais un stage en France et je compris que tu essayais de différer ton départ. Moi, j’étudiais ici, dans ma ville natale, et cette fin d’année universitaire me laissait assez disponible. Je ne te quittai pas sans t’avoir laissé mes coordonnées, en vue d’un moment à partager autour d’un verre, très bientôt.

    Deux jours plus tard, tu débarquais chez moi, encombrée de tes valises.


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    Je profite de cet espace pour promouvoir la lecture d’une nouvelle de Stéphane Laurent intitulée " Fin " que l’on peut découvrir sur le blog

     http://slaurent.over-blog.com/

    rubrique : " Dernière nouvelle "

    Je reprends ici la présentation de cette nouvelle par l'auteur.

    " Le texte qui suit est l'un de mes derniers textes de fiction (il date de plus de deux ans) et il a été écrit dans des circonstances bien précises. Co-organisateur d'un festival de cinéma à Strasbourg ("Il était une fois... le western italien", en novembre 2003), j'avais à cette occasion rencontré et côtoyé quelques jours Giulio Petroni, un metteur en scène retiré des plateaux depuis près de trente ans. Un vieux bonhomme à la fois bougon et attendrissant, qui m'a inspiré cette nouvelle... "

     

     

     


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  • Retour aux concours de nouvelles de Calipso avec les " Coup de cœur ", prix à part entière pour certains ou mention spéciale pour d’autres, décernés par un ou deux membres du jury pour récompenser une nouvelle méritoire mais ne faisant pas l’unanimité.

    Précision utile : les membres du jury de calipso (composés d’auteurs et de lecteurs) ne se prononcent pas sur un registre de genre – bon, mauvais, passable – mais pour une appréciation en fonction de l’intérêt suscité et du plaisir pris à la lecture de la nouvelle.

     

     

    Extraits

     

     

    Geneviève STEINLING " A la claire rivière "

     

    Elle avait peut-être mille ans. Il était impossible de donner un âge à celle qui semblait échappée d’un livre d’images. Comme un funambule, elle marchait sur un cordon tressé  dans la brillance des étoiles entre le ciel et la terre, sans filet, sans trucages, sans attaches dans les coulisses de l’imaginaire à des années lumière de l’estrade du monde, là où les hommes, acteurs involontaires, jouent la pièce de leur vie.

    Fillette à peine plus haute que trois pommes, elle avait déjà compris que si le soleil illumine le jour, il se cache la nuit. Elle aurait voulu qu’il brille sans cesse. Comme il se doit, elle grandit, se laissa guider par son destin, découvrit l’amour, se maria et elle eut des enfants. Garçon ou fille ? Un, deux, quatre, six ? Là n’est pas la question. Elle enfanta. Un point c’est tout. On ne retiendra de son passé que le fait d’avoir été une bonne mère et une épouse appréciée.

    Comme il se doit, elle vieillit et les rides patinèrent son visage sans pour autant effacer de ses yeux l’amour universel, celui dont on oublie l’existence quand on devient adulte. Et un jour au lieu d’avancer, elle recula, elle s’en alla à petits pas, les talons en arrière en visionnant le théâtre de sa vie, celui dont elle avait été l’actrice jusqu’alors. La scène était terminée, elle baissa le rideau puis le leva sur une autre scène, sur une autre vie. Elle parcourut sans relâche des kilomètres et des kilomètres avec sur son dos, une sacoche. Une simple besace en tout point ordinaire. Elle allait par monts et par vaux remplissant ce sac devenu si gros qu’elle avait grand peine à le fermer. Les gens du village où elle avait décidé de terminer son voyage, la prenaient pour une folle. Une folle ? Et pour quelle raison ? Elle levait ou tendait les bras, ouvrait ses mains, touchait, prenait, empoignait, harponnait des choses invisibles dont elle remplissait sa sacoche. Sa musette était pleine d’un tas de riens impalpables. Les villageois se posaient des questions mais elle les ignorait et continuait à bourrer son sac. Tant et si bien qu’un jour elle fut obligée d’admettre qu’elle ne pouvait plus fermer sa sacoche et la laissa ouverte. Ce qui eut l’effet suivant : du rien s’envolait, du rien tombait, du rien s’échappait et toujours avec la même patience elle rattrapait, ramassait et remplissait son sac sous les moqueries des braves gens qui, avec beaucoup d’affection, l’appelaient  la folle du village.

     

    Christian BERGZOLL " Faits d’hiver "

     

    Il l’a chassé. C’était une obsession, depuis trois mois, il attendait le prétexte.

    Chaque lundi, depuis qu’ils étaient commissionnés, - donc, cheminots à perpétuité avec garantie d’emploi inamovible jusqu’à l’usure du corps- Jonathan, Cédric et Dimitri, les recrues de la ville, arrivaient en retard. Quelques minutes, seulement. Avec des arguments : " le verglas, tu comprends (…), les bouchons (…), la batterie(…) ". C’était souvent la vieille guimbarde qui servait d’alibi au trio. Inévitablement, ils détaillaient : le free ride, dans les vallons de la Meije, l’escalade des parois des Calanques, le vol libre au-dessus du Lubéron, le ski nautique sur la Truyère. Ça prenait, d’un coup, un quart d’heure, une demi-heure. Le camion n’était pas chargé, les outils ne grimpaient pas dans la remorque. On arrivait en retard le long de la voie. Le régulateur, depuis la capitale régionale, n’autorisait plus l’intervention au milieu des rails. On attendait, le menton, appuyé sur les manches de pioches, et les anecdotes continuaient : le nombre de canettes, le bivouac à la belle étoile, et les filles, les girondes, le tableau de chasse.

    Bernard ne supportait pas.

    Il s’était résigné à l’érosion permanente de son équipe. Il s’était habitué à distribuer ses ordres aux vieux. Quinze ans, déjà, dans ce recoin de montagne à remplacer des tire-fonds rouillés, des rails fissurés, des traverses réduites en copeaux. Quinze ans de travail sans budget, les mains dans la graisse, le dos brisé quand on se penche pour mesurer le dévers, avec des hommes qui soignent du bétail, le matin, le soir, et qui, le jour, viennent en chemin de fer pour assurer une retraite.

    Il le savait, Bernard, dès le départ : cette brigade n’était pas constituée d’agents motivés, au sens que l’on donne dans les cours de management. Sur cette cinquantaine de kilomètres de voie unique, sautant d’un viaduc à un tunnel, dix autorails quotidiens, presque toujours vides, ça n’incite guère à penser aux clients.

    L’érosion, ça permet de diviser simplement : un parcours de cinquante mille mètres, pour cinq individus, un compte rond…

    On parle peu, essentiellement de football. On tait le chômage des enfants qui n’ont pas supporté l’internat. Ils ont raté leurs études, comme cela se pratique, de génération en génération, parce que la montagne vous bouche les oreilles et vous lie la langue et vous interdit de voir et d’aimer ce qui est derrière l’horizon.

    On boit, beaucoup, sous prétexte de transpirer mieux le vin que l’eau. La dépression nerveuse n’existe pas, officiellement, puisque, après chopine, on rit gras, en titubant sur les aiguillages immobilisés, dans des gares sans arrêt.

     

     

    Sandra COCHAIS " Course-poursuite "

     

     

    Le premier était un adorable chat tigré, de petite taille et assez jeune. Le second, un peu plus gros, avait un pelage gris anthracite. Ils se regardaient avec défiance, face à face. Ils se déplaçaient lentement sans cesser de s'observer quand l'un d'eux mit la patte sur un tuyau d'arrosage qui traînait là, laissé ouvert pour arroser la grande pelouse de la place. En raison de la pression exercée, le tuyau se retourna instantanément, aspergeant soudain le plus petit des deux chats…

    Cet incident agit comme un déclic. En un instant, le pelage tigré fut trempé et l'animal commença à s'agiter comme un beau diable. Comme il se débattait et se secouait, son poids ouvrit involontairement la porte située derrière lui. Son alter ego bondit vers lui à ce moment précis, et le chat tigré n'eut d'autre choix que de se faufiler par la porte désormais entrouverte…

    Ce réflexe l'avait momentanément sauvé mais le plus dur restait à venir. Le chat gris l'avait suivi dans cette arrière-cuisine, et c'est là que la course-poursuite s'engagea vraiment. Au milieu de la vaisselle, les deux félins filaient à toute allure, se mouvant avec cette grâce et cette adresse typiques aux animaux de leur espèce. Ils sautaient, couraient, se carapataient, sans jamais tomber ni se rejoindre. Ils avaient évité chacun nombre d'obstacles lorsque le plus imposant, le gris, effleura le manche d'une casserole laisser posée sur une gazinière. Il était déjà loin lorsque celle-ci finit par tomber, répandant son contenu sur le sol. Une large mare blanche se forma rapidement et les chats s'arrêtèrent brutalement. C'était du lait, leur odorat ne pouvait pas les tromper...

    Il y eut comme une hésitation, puis l'un des deux, le plus jeune cette fois, tenta de prendre l'avantage en démarrant avant son adversaire. Tant pis pour le lait... La réaction du chat gris fut immédiate. Il s'élança vers une porte ouverte au fond de la pièce, atteignant très rapidement une vitesse très élevée. L'autre accéléra également, mais il ne pénétra dans la salle voisine que quelques secondes après sa proie.

    Cette nouvelle pièce était beaucoup plus grande que la précédente et offrait un formidable terrain de jeux aux deux adorables créatures. Les plantes qui se trouvaient sur leur chemin, des ficus et autres yuccas, vacillèrent et manquèrent de se renverser à plusieurs reprises. Les chats se poursuivaient dans une course infernale, rivalisant d'acrobaties pour esquiver l’autre. La décoration qui ornait la salle en fit d'ailleurs les frais, les félins s'accrochant à tout ce qu'ils trouvaient sur leur passage. Chacun eut bientôt les pattes entremêlées de cotillons de toutes les couleurs, et essayait en vain de les enlever. La scène aurait fait sourire n'importe qui les aurait surpris à cet instant.

     

     

    Calipso (café littéraire, philosophique et sociologique)

    contact : assocalipso@free.fr

     


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    Aujourd’hui, un article que j’ai publié il y a quelques temps dans " Voix au chapitre ", petit bulletin d’information et d’expression distribué sur la commune du Fontanil Cornillon par l’association Calipso.

     

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    On dit de l'écriture qu'elle est une trace. On dit d'une trace qu'elle est une suite d'empreintes ou de marques que laisse le passage d'un être ou d'un objet.

    A la question : "Pourquoi écrivez-vous ?" J.L. Borges répondit : "Tout est dit n'est-ce pas, comme tout a déjà été vécu et oublié, exprimé et tu ". Il ne cessa pas pour autant d'œuvrer pour la littérature, considérant son rapport au monde comme une perpétuelle réécriture,

    Alors quoi ? L'écriture se nourrirait-elle de l'oubli ? Serions-nous toujours là, à vouloir déchiffrer des traces d'une mémoire disparue ou égarée dans les méandres de l'imaginaire ? Serions-nous toujours là, à chercher à évaluer ce que nous sommes pour mieux discerner ce qu'il en est de l'autre ? Serions-nous toujours là dans une existence si singulière que nous serions obligés pour en éprouver toutes les inflexions et toutes les tournures d'en passer par une multitude de lectures et de relectures, de plongées dans les livrets et les opuscules, jusqu'à ce que de cet immense flux de mots, nous puissions saisir au détour d'une imprévisible métaphore, l'opportunité d'entendre le bruit que fait en nous la vie ?

    Force est de constater qu’il n'est pas dans la nature de l'homme à vouloir être absolument vivant. C’est parce que les livres nous convient quelquefois à des expériences bien au-delà du dicible, bien plus étranges que la vie, que nous nous remémorons nos existences passées et qu'il nous est possible malgré les incertitudes et les transfigurations, de nous rappeler des connaissances anciennes.

    Parfois un roman hante une existence toute entière, tout comme parfois une vie se raconte comme un roman mais c'est toujours poussé par le désir d'en savoir un peu plus sur les êtres et les choses que nous nous saisissons d'un nouveau livre ou bien comme le proposait Henry Beyle à l'approche de la cinquantaine, que nous nous résolvons à écrire notre vie pour savoir ce qu'elle a été.

    Est-il donc besoin de dire que c'est parce que les livres sont à notre portée depuis si longtemps qu'il nous faut veiller à ne pas les oublier ?

     


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  • Les concours Calipso sont ouverts à tous, sans distinction d'âge, de nationalité ou de résidence.

    Devant le nombre croissant de textes en provenance du monde entier, le jury a décidé d’octroyer un prix spécifique pour leurs auteurs : le prix calipso étranger. Ce prix n’est en aucune manière exclusif et toutes les nouvelles reçues de l’étranger participent également au concours général.

     

     

     

     

     

     Extraits de nouvelles catégorie prix étranger

     

     

    Gabrielle DURANA (Etats Unis) " Départ en week end "

     

    "Tu vas devoir trier tes jouets." Ma grand-mère avait mis son air sérieux. "Tu veux dire que je dois ranger ma chambre ?" Je venais de rentrer de l´école. " Non, non. Choisis seulement ceux que tu veux emporter. " Je suivais les aventures de Calculin en goûtant son riz au lait. " Emporter où ? " Je le trouvais rigolo avec son livre de maths ouvert sur sa tête. Ma grand-mère me laissa regarder la fin des dessins animés. " Tu as déjà oublié ? " On sonna à la porte, j´allai me cacher. " C´était le facteur. Allez, on s´y met ensemble. " Je la regardais du haut de mes quatre ans et demi. " J´ai envie de faire de la peinture. " Elle m´embrassa. " Après. De toute manière on n´en a pas pour longtemps. " Je fis un rapide examen : " Mis à part le lapin rouge, je veux tous les emporter. " Elle me caressa la joue. " Non. Tu peux en choisir deux ou trois. " Pour une fois, je n´ai pas demandé pourquoi. J´ai pris Martin, mon chien bleu et rose, les aventures de Calculin, que ma grand-mère m´avait achetées le jour où l´ascenseur était en panne et que les Rois Mages étaient venus le réparer et un long chewing-gum de la marque " Girafe ".

     

    Ce soir là, mon père alla discuter chez le voisin. Ma mère se mit à déchirer des livres. " Je croyais que c´était interdit. " Mon père revint avec une valise de billets. " Pas celui-là, s´il te plait. Tu m´as raconté l´histoire. " Ma mère pleurait. " Ils ne doivent rien trouver. " On s´embrassa tous les trois et on continua l´équarrissage. Des livres en piles de papier et les piles de papier en sacs poubelle. J´ouvrais le vide-ordure, mon père vidait les sacs dans l´incinérateur.

    Depuis longtemps, la nuit était tombée. On frappa à la porte. De derrière le rideau, je reconnus la voix du gardien. " Pour l´amour de Dieu, ouvrez ! " Il chuchotait. Ma mère fit non avec la tête. Mon père souleva légèrement son pull et je vis une arme. Il fit tourner la clef dans le verrou. Alfonso entra, livide. "  Je suis venu vous prévenir. Vous ne pouvez pas continuer à faire ça. " Je restai dans ma cachette. " Continuer à faire quoi ? " Il murmura : " Je ne vais pas vous dénoncer mais vous devez arrêter. A cause de la pollution, il n´y a plus d´incinérateur. En bas, tout tombe dans une grande poubelle. "

    Il fallut aller tout rechercher. Mon père amoncela le papier dans la baignoire bleue où quand j´avais trop joué, l´eau devenait froide et grise. " Ça ne brûle pas bien le papier. " commenta ma mère. Je me faufilai comme un petite souris. " Toi, vas dans ta chambre. " Je contemplai les flammes qui se reflétaient sur le carrelage.

    Le lendemain, ma mère me mit ma plus belle robe et tous les trois, on alla à la police. Ma mère sortit une trousse de maquillage. Elle en vida le contenu sur la table. La dame, d´un geste du bras rangea tous les bijoux dans le tiroir. Un uniforme m´ordonna de le suivre. Je jetai vers mes parents un regard de noyée. Ma mère me dit qu´on allait me prendre en photo. Comme je détestais les flashs, je me mis à pleurer. Elle me cajola. Je retrouvai mes parents avec soulagement. La dame sortit une boite, l´ouvrit et me mit le doigt dedans. Le bout en devint tout noir. Avec, elle appuya très fort sur une page. Puis elle remit à ma mère le livre avec la photo de mon visage et de mon doigt.

     

    Maude MIHAMI (Allemagne) "Complainte d'un coeur gros"

     

    Une goutte, deux gouttes, trois gouttes... d´eau et puis un flot.

    Tombent sur le haut du crâne, le long du nez sans s´arrêter, glissent et rebondissent et soudain ra-len-ti-ssent. Atterrissent sur l´énorme ventre, n´en finissent pas de le parcourir, il n´y a pas de quoi en rire, s´écrasent plus bas, on ne le sait pas. Car on ne voit pas ses pieds à cause de lui. Embonpoint, surplus, bouchent la vue. Masse graisseuse qu´on a sur le devant qui nous précède poliment, en annonçant gentiment : „Nous voilà !".

    Car „Nous" sommes deux: On et ce gros bidon, On et cette peau en trop. De toute façon, on n´y peut rien. Pas notre faute, on est né comme ça. Gros, lard de préférence, yeux longtemps cachés car bébé à visage potelé. Puis médicaments et traitements, énumération des tares et faces hilares. „O-bé-si-té" le mot est lâché, surcharge pondérale c´est plus médical.

    On est bambin dodu, gamin joufflu, écolier grassouillet, rondouillard sur le tard. Ado n´en parlons pas, on n´existe même pas.

    Et maintenant? Maintenant on a trente ans. On se regarde sous la douche, on fait une moue avec la bouche, on essaie de suivre les gouttes, sans qu´elles ne s´en doutent, mine de rien, observant leur chemin. On se sent bêta, cela va de soi. Gros et idiot. Mais on voudrait que ça change. On voudrait perdre tout ça, jeter ce fatras. Quitter ce déguisement, grotesque vêtement. Alors, Nous avons décidé, enfin On tout seul, de bouger le tas, le tout. On s´est regardé dans le miroir. Tout nu. On a bien vu, faudrait pas croire. Obésité n´annihile pas lucidité : visage vultueux, ventre volumineux, corps adipeux.

    On se souvient de la nudité subie, de la timidité ressentie, pendant les cours de natation, une éternelle perversion. Ne sait pas nager, risquerait de se noyer. Baigneur en plastique qui coule à pic. Supporte idées malveillantes et moqueries méchantes. Graisse flottante, vision repoussante.

    Fange fleurissante qui s´étale et contamine tous les gens dans la piscine.

    Le rampant nénuphar envahit la mare, vilain petit canard au visage poupard.

    De toute façon, on déteste les maillots de bain, ça tombe très bien.

    On s´est habillé, enfin, on a essayé. Cou serré et cuisses saucissonnées. Un tantinet boudiné. Résultat ? Grossier paquet cadeau, du genre ballot.

    Et puis on est sorti. Dans un bar branché, faut forcer le déhanché. On a respiré, pour s´encourager, on a traversé la salle, on devait être pâle. On s´est assis au comptoir, on a fait mine de ne pas voir, les regards de côté, les oeillades échangées. On n´a pas pu s´empêcher d´imaginer la serveuse : dans une position lascive, du genre expressive. Sexy dans son deux pièces, posé sur ses deux fesses. C´est amusant : les fantasmes d´un gros sont toujours répugnants, ceux d´un Don Juan deviennent valorisants.

     

     

    Cédric BEAL (Suisse) " L’appel du large "

     

     

    Une voix grave posée sur une musique lancinante. Il me semble reconnaître un poème d’Hafez chanté par Shahram Nazeri. Hafez, " celui qui connaît le coran par cœur ", né et mort à Shiraz à la fin du XIVème siècle et à qui les Iraniens vouent un culte particulier. D’ailleurs, j’aperçois le mausolée du poète dressé là-bas, tout proche, au milieu d’un jardin luxuriant. Quatre colonnes en marbre entre lesquelles est posé le tombeau, sobre et par endroits poli comme un miroir. Un homme apporte une rose qu’il pose sur le gisant. Les yeux sont brillants de larmes, les bouches tremblent à moins qu’elles ne murmurent. Les femmes sont vêtues de noir. Elles portent le tchador. Le regard d’une jeune fille que je crois reconnaître.

     

    Ensuite, j’ai un léger moment d’égarement. Devant moi se dressent les ruines imposantes de Persépolis. Un groupe de touristes entoure un guide qui explique qu’il s’agit des vestiges les plus extraordinaires de l’empire Achéménide. Ils observent des guerriers taillés de profils dans le roc, des ethnies apportant des offrandes, des coiffes ornées de plumes. Je m’attarde quant à moi sur le ciel limpide et aveuglant, sur la grande plaine désolée que surplombe le site. Je rêve de batailles en entendant les noms évocateurs de Darius, Xerxès, Cyrius le Grand. Le choc des glaives en bronze contre les cnémides d’airain. Les quadriges des archers fendant l’armée qui souffre. La défaite de l’armée perse. Le premier marathonien apportant la nouvelle de la victoire à Athènes. Les morts sont entassés dans des tours circulaires et deviennent bien vite la proie des vautours. La psalmodie des prêtres, les offrandes offertes à Ahura Mazda. Puis le retour des généraux inquiets à Suze, le début d’une famine.

     

    S’ensuit un gros plan sur un pot fumant en céramique. Je suis à Tabriz, le meilleur endroit d’Iran pour déguster " l’abgusht ", un mélange de soupe et de ragoût à base de bœuf ou de mouton si tendre qu’il fond dans la bouche, accompagné d’un généreux morceau de graisse, de pois chiches, de pommes de terre, de tomate et d’oignons. Je me sers d’un pilon pour malaxer les ingrédients jusqu’à obtenir une pâte épaisse et parfumée. Le pain fait office de cuillère. J’ai à peine fini mon repas que je suis arraché de ma table par des mains invisibles et déplacé manu militari à l’intérieur d’une mosquée. L’architecte responsable des travaux de restauration entame immédiatement un long discours sur l’historique du vénérable édifice. Mes paupières sont lourdes et j’écoute d’une oreille distraite le monologue du maître d’œuvre. Je m’absorbe dans la contemplation de quatre piliers recouverts de mosaïques et surmontés d’une admirable coupole. Les carreaux de faïence bleu cobalt ainsi que les céramiques azurite du portique répètent le nom d’Allah dans les mille et une variations possibles. Je flâne quelque peu, caressant une stèle, m’attardant devant une inscription mystérieuse lorsque je suis soudainement projeté vers l’avant comme dans un travelling et me retrouve, assis sur un tapis, à boire le thé en compagnie de ravissantes étudiantes.

    Calipso (café littéraire, philosophique et sociologique)

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