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    Une série proposée par Corinne Jeanson 

     

    Hacer la luna

     

    Cette nuit j'irai braconner
    à la dure en douce
    je dégrafe ma chemise
    je traverse la rivière
    Sur le sable de la berge
    les grillons entament leur chant d'appel
    dans la clairière je me tapis
    les buissons me harcèlent
    les ombres lunaires me cachent à demi
    à demi seulement
    la vieille lune souffle un nuage furtif
    Je fais la lune
    J'attends mon maître

     

    Je le sens
    son piétinement résonne à ma poitrine
    son souffle embrume la trouée
    ses flancs de cuir se campent
    soudain son œil se profile
    il a saisi ma présence
    à demi seulement
    je quitte mes buissons
    je me dresse à demi-nu
    pour le défier
    à demi-bête, à demi-dieu

     

    La tête basse,
    il me brave
    le combat sera rude
    il est de caste
    j'attends sa charge
    je l'appelle
    il piétine
    je déploie ma cape
    je vise son point de croix
    mais pas trop vite
    je serai insolent
    il sera instinctif
    j'éviterai son coup de corne
    il n'évitera pas la bataille
    première passe
    je me déhanche à son passage

     

    Il charge de nouveau
    j'emprunte à Rodolfo sa passe de cape
    passe élégante
    de la main gauche, passe naturelle
    je ploie et tournoie
    il frotte sa gueule en salive
    à mon torse en sueur
    il râle,
    olé

     

    Il rue en un tour de piste
    il enrage à l'autre bout
    et s'élance
    je suis face à lui, immobile,
    je garde les pieds joints,
    j'écarte les bras
    je rythme mon geste à sa charge
    pour l'estocade
    je dresse mon aiguillon
    mon corps se courbe à son passage
    de son oeil piqué jaillit un jet de sang
    en prière, comme au temple,
    je m'agenouille,
    il m'a jeté un sort.

    Au dernier acte le taureau joue avec mon ardeur
    pour apprivoiser nos terreurs.

     


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  • complainte-image.jpg

      Une série proposée par Corinne Jeanson

     

    La complainte

    Entends, ma fille, la complainte
    s'élever de la plaine
    jusqu'aux nuages accrochés
    à la ligne grise des monts

    ils ont sonné les trompettes
    ils ont résonné les tambours
    dans les clairières
    poussent des pieds rouges

    Entends, ma fille, la complainte
    s'élever des hameaux
    jusqu'aux cheminées tordues
    sur les toits livides

    la liberté est la mort
    elle accroche aux falaises
    tous ses fils en jupettes
    partis pour la guerre

    Entends, ma fille, la complainte
    s'élever de la plaine
    les peupliers s'agitent
    au vent de la mort

     


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  • Exode.jpg

    Une série proposée par Corinne Jeanson

     

    Exode

    As-tu bien refermé la porte
    Ne laisse pas la petite prendre froid
    Il y a tant de monde sur les routes
    Nous devons partir nous aussi
    Pour quel pays, pour quelle contrée ?
    J'ai peur, donne la main à la petite.
    L'exode dans mon coeur
    Est plus lourd que les routes
    A parcourir
    Plus lourd que les ponts
    A franchir
    Toutes ces collines, tous ces fleuves
    Qui nous séparent de nous
    A l'infini de nos vies.


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  • Guerre-et-paix-09.jpg

    Une série proposée par Corinne Jeanson

     

    La marche

     

    Je marche sous le haut soleil sur la terre craquelée. Jusqu'à la montagne bleue, je marche. Je ne sais pas pourquoi je marche.

    Ils ont tiré sur mes enfants, sous mon regard, c'est après qu'ils ont pointé du doigt la ligne invisible jusqu'à la montagne bleue et leur geste disait que je devais marcher jusqu'à la montagne bleue, ceinturée par le serpent épais des corps humains morts.

    Je marche jusqu'à la montagne bleue. Je ne sais pas pourquoi je marche. A un certain point de la ligne, mon pied a dessiné un pas à l'écart. Un deuxième pas a confirmé cet écart.

    Je ne sais pas pourquoi je gis contre la terre craquelée, une balle a frappé ma nuque.


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  • Soldats-copie-1.jpg

    Une série proposée par Corinne Jeanson

     

    Les soldats

     

    Ils prennent des lignes blanches
    celles qui conduisent derrière les miroirs
    leurs yeux se sont brisés aux brèches du temps
    y a des raptus qui explosent
    dans le camp adverse
    ils marchent à l'envers des paysages
    ça les repose
    les chèvrefeuilles et leur parfum
    les étoiles et leur scintillement
    ont le goût de pourrissement et de faux serments
    à quoi ça sert le néant des grands espaces
    ils s'essoufflent dans l'air impur des cimes
    les abimes au-dessous flottent à leurs jambes
    dans la poussière ils remontent
    le lit des rivières asséchées
    à la vue de leur file soldatesque
    les poissons y poussent des rires acérés
    le croassement rauque des corbeaux
    emplit le ciel blanc d'ozone
    et retombe en écho sur les granits violets
    bientôt les balles siffleront
    bientôt les bombes claqueront
    et leurs dents crisseront
    leurs mains trembleront
    leur ventre s'étouffera
    leur coeur cessera de cogner
    la mort prochaine étendra
    ses voiles gris sur la plaine
    rouge de la vie perdue

     


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  • Guerre-et-paix-07.jpg

      Une série proposée par Corinne Jeanson

     

    Moïra

     

    A l'encre de vos veines, elle trempe sa plume
    Elle s'abreuve à vos fatals destins
    De demi-dieux démembrés
    Elle entrouvre vos lèvres de pandore
    Au fond de vos chairs ouvertes, elle fouille
    l'espoir ténu de vos jours premiers
    De vos fils d'inconscient, elle tend ses toiles arachnéennes
    Au coeur de vos labyrinthes, les yeux fermés, elle respire
    Le souffle du monstre né des amours transgressées

     

    Guerriers,
    Ne déposez pas vos armures étincelantes
    Elle vous emporterait aux enfers transfigurés
    Astre lunaire
    Elle s'enroule pour enfanter
    Vos nuits insensées
    Pour le temps de l'éphémère éternité
    Elle couperait vos lignes de vie
    Guerriers, fuyez la Moïra.



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  • Guerre-et-paix-6.jpg

    Une série proposée par Corinne Jeanson

     

    Les trois cents

    Ils étaient trois cents dans le défilé
    leurs armes étincelaient
    Ils étaient trois cents
    pas un de plus pas un de moins
    La liberté aux seins nus les appellait à l'infini
    Ils ont coiffé leur longue chevelure noire
    Qu'avaient-ils à redouter dix mille flèches
    tous ont tenu leur promesse
    retenir les flots, résister
    L'idée de sacrifice n'était pas dans leur coeur
    Juste mourir et pourrir là dans le défilé
    Pour que les peuples ne plient pas à genoux.

     


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  • Blessure-copie-1.jpg

    Une série proposée par Corinne Jeanson  

     

    Blessé plusieurs fois

     

    Le soldat - Blessé plusieurs fois, H* lui demanda le coup de grâce.
    L'auteur - C'est un peu triste ta fin, non ?
    Le soldat - Attends, c'est pas fini. Il ne parvint jamais à laisser mourir H*.

    L'auteur - Je préfère, et ensuite ?
    Le soldat - Eh bien, je ne sais pas. Tu es l'auteur.
    Le soldat - Oui mais je manque d'imagination.  Reprenons, on est sur un champ de bataille...
    Le soldat - Sur le front d'Orient
    L'auteur - Ah bon je croyais que c'était dans les Ardennes. Peu importe. Que se passe-t-il pour un soldat blessé ?
    Le soldat - On le porte à l'hôpital militaire.  A* traîne H* jusqu'à l'hôpital de Verria.

    L'auteur - Verria ?
    Le soldat - Oui ça sonne bien.
    L'auteur - Quelles sont les blessures de H* ?
    Le soldat - H* a perdu deux doigts, main gauche, par éclats d'obus. Coup de baïonnette à l'aine.
    L'auteur - Et le coeur ?
    Le soldat - Ça il l'a déjà perdu, plusieurs fois. Aux bordels de la vie.

     


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  • Cotes-Ivoire-copie-1.jpg

    Une série proposée par Corinne Jeanson

     


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  • Tobrouk-image.jpg

    Troisième épisode de la série proposée par Corinne Jeanson 

     

    Tobrouk

     

    He, réveillez-vous
    Le taxi est à sec
    Les snippers visent juste
    Découvrez-vous

    Doigt dressé
    Votre honneur
    Au bout de leurs tirs
    Les héros se dressent

    Passe-moi ta blonde
    Que je la fume
    Jusqu'au bout
    Cercles de bataille

    Tous les guerriers
    Des temps modernes
    Ont la même gueule
    Cassée de la grande guerre

    La liberté et la mort
    Enrage guerrier
    Le colonel est grillé
    Alors, que son monde tombe

    L'Histoire est à tes côtés
    Putain de garce, mon gars
    Elle nous a bien oubliés
    On revient morts-vivants.

     


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