• Calipso "Coup de coeur"

    Retour aux concours de nouvelles de Calipso avec les " Coup de cœur ", prix à part entière pour certains ou mention spéciale pour d’autres, décernés par un ou deux membres du jury pour récompenser une nouvelle méritoire mais ne faisant pas l’unanimité.

    Précision utile : les membres du jury de calipso (composés d’auteurs et de lecteurs) ne se prononcent pas sur un registre de genre – bon, mauvais, passable – mais pour une appréciation en fonction de l’intérêt suscité et du plaisir pris à la lecture de la nouvelle.

     

     

    Extraits

     

     

    Geneviève STEINLING " A la claire rivière "

     

    Elle avait peut-être mille ans. Il était impossible de donner un âge à celle qui semblait échappée d’un livre d’images. Comme un funambule, elle marchait sur un cordon tressé  dans la brillance des étoiles entre le ciel et la terre, sans filet, sans trucages, sans attaches dans les coulisses de l’imaginaire à des années lumière de l’estrade du monde, là où les hommes, acteurs involontaires, jouent la pièce de leur vie.

    Fillette à peine plus haute que trois pommes, elle avait déjà compris que si le soleil illumine le jour, il se cache la nuit. Elle aurait voulu qu’il brille sans cesse. Comme il se doit, elle grandit, se laissa guider par son destin, découvrit l’amour, se maria et elle eut des enfants. Garçon ou fille ? Un, deux, quatre, six ? Là n’est pas la question. Elle enfanta. Un point c’est tout. On ne retiendra de son passé que le fait d’avoir été une bonne mère et une épouse appréciée.

    Comme il se doit, elle vieillit et les rides patinèrent son visage sans pour autant effacer de ses yeux l’amour universel, celui dont on oublie l’existence quand on devient adulte. Et un jour au lieu d’avancer, elle recula, elle s’en alla à petits pas, les talons en arrière en visionnant le théâtre de sa vie, celui dont elle avait été l’actrice jusqu’alors. La scène était terminée, elle baissa le rideau puis le leva sur une autre scène, sur une autre vie. Elle parcourut sans relâche des kilomètres et des kilomètres avec sur son dos, une sacoche. Une simple besace en tout point ordinaire. Elle allait par monts et par vaux remplissant ce sac devenu si gros qu’elle avait grand peine à le fermer. Les gens du village où elle avait décidé de terminer son voyage, la prenaient pour une folle. Une folle ? Et pour quelle raison ? Elle levait ou tendait les bras, ouvrait ses mains, touchait, prenait, empoignait, harponnait des choses invisibles dont elle remplissait sa sacoche. Sa musette était pleine d’un tas de riens impalpables. Les villageois se posaient des questions mais elle les ignorait et continuait à bourrer son sac. Tant et si bien qu’un jour elle fut obligée d’admettre qu’elle ne pouvait plus fermer sa sacoche et la laissa ouverte. Ce qui eut l’effet suivant : du rien s’envolait, du rien tombait, du rien s’échappait et toujours avec la même patience elle rattrapait, ramassait et remplissait son sac sous les moqueries des braves gens qui, avec beaucoup d’affection, l’appelaient  la folle du village.

     

    Christian BERGZOLL " Faits d’hiver "

     

    Il l’a chassé. C’était une obsession, depuis trois mois, il attendait le prétexte.

    Chaque lundi, depuis qu’ils étaient commissionnés, - donc, cheminots à perpétuité avec garantie d’emploi inamovible jusqu’à l’usure du corps- Jonathan, Cédric et Dimitri, les recrues de la ville, arrivaient en retard. Quelques minutes, seulement. Avec des arguments : " le verglas, tu comprends (…), les bouchons (…), la batterie(…) ". C’était souvent la vieille guimbarde qui servait d’alibi au trio. Inévitablement, ils détaillaient : le free ride, dans les vallons de la Meije, l’escalade des parois des Calanques, le vol libre au-dessus du Lubéron, le ski nautique sur la Truyère. Ça prenait, d’un coup, un quart d’heure, une demi-heure. Le camion n’était pas chargé, les outils ne grimpaient pas dans la remorque. On arrivait en retard le long de la voie. Le régulateur, depuis la capitale régionale, n’autorisait plus l’intervention au milieu des rails. On attendait, le menton, appuyé sur les manches de pioches, et les anecdotes continuaient : le nombre de canettes, le bivouac à la belle étoile, et les filles, les girondes, le tableau de chasse.

    Bernard ne supportait pas.

    Il s’était résigné à l’érosion permanente de son équipe. Il s’était habitué à distribuer ses ordres aux vieux. Quinze ans, déjà, dans ce recoin de montagne à remplacer des tire-fonds rouillés, des rails fissurés, des traverses réduites en copeaux. Quinze ans de travail sans budget, les mains dans la graisse, le dos brisé quand on se penche pour mesurer le dévers, avec des hommes qui soignent du bétail, le matin, le soir, et qui, le jour, viennent en chemin de fer pour assurer une retraite.

    Il le savait, Bernard, dès le départ : cette brigade n’était pas constituée d’agents motivés, au sens que l’on donne dans les cours de management. Sur cette cinquantaine de kilomètres de voie unique, sautant d’un viaduc à un tunnel, dix autorails quotidiens, presque toujours vides, ça n’incite guère à penser aux clients.

    L’érosion, ça permet de diviser simplement : un parcours de cinquante mille mètres, pour cinq individus, un compte rond…

    On parle peu, essentiellement de football. On tait le chômage des enfants qui n’ont pas supporté l’internat. Ils ont raté leurs études, comme cela se pratique, de génération en génération, parce que la montagne vous bouche les oreilles et vous lie la langue et vous interdit de voir et d’aimer ce qui est derrière l’horizon.

    On boit, beaucoup, sous prétexte de transpirer mieux le vin que l’eau. La dépression nerveuse n’existe pas, officiellement, puisque, après chopine, on rit gras, en titubant sur les aiguillages immobilisés, dans des gares sans arrêt.

     

     

    Sandra COCHAIS " Course-poursuite "

     

     

    Le premier était un adorable chat tigré, de petite taille et assez jeune. Le second, un peu plus gros, avait un pelage gris anthracite. Ils se regardaient avec défiance, face à face. Ils se déplaçaient lentement sans cesser de s'observer quand l'un d'eux mit la patte sur un tuyau d'arrosage qui traînait là, laissé ouvert pour arroser la grande pelouse de la place. En raison de la pression exercée, le tuyau se retourna instantanément, aspergeant soudain le plus petit des deux chats…

    Cet incident agit comme un déclic. En un instant, le pelage tigré fut trempé et l'animal commença à s'agiter comme un beau diable. Comme il se débattait et se secouait, son poids ouvrit involontairement la porte située derrière lui. Son alter ego bondit vers lui à ce moment précis, et le chat tigré n'eut d'autre choix que de se faufiler par la porte désormais entrouverte…

    Ce réflexe l'avait momentanément sauvé mais le plus dur restait à venir. Le chat gris l'avait suivi dans cette arrière-cuisine, et c'est là que la course-poursuite s'engagea vraiment. Au milieu de la vaisselle, les deux félins filaient à toute allure, se mouvant avec cette grâce et cette adresse typiques aux animaux de leur espèce. Ils sautaient, couraient, se carapataient, sans jamais tomber ni se rejoindre. Ils avaient évité chacun nombre d'obstacles lorsque le plus imposant, le gris, effleura le manche d'une casserole laisser posée sur une gazinière. Il était déjà loin lorsque celle-ci finit par tomber, répandant son contenu sur le sol. Une large mare blanche se forma rapidement et les chats s'arrêtèrent brutalement. C'était du lait, leur odorat ne pouvait pas les tromper...

    Il y eut comme une hésitation, puis l'un des deux, le plus jeune cette fois, tenta de prendre l'avantage en démarrant avant son adversaire. Tant pis pour le lait... La réaction du chat gris fut immédiate. Il s'élança vers une porte ouverte au fond de la pièce, atteignant très rapidement une vitesse très élevée. L'autre accéléra également, mais il ne pénétra dans la salle voisine que quelques secondes après sa proie.

    Cette nouvelle pièce était beaucoup plus grande que la précédente et offrait un formidable terrain de jeux aux deux adorables créatures. Les plantes qui se trouvaient sur leur chemin, des ficus et autres yuccas, vacillèrent et manquèrent de se renverser à plusieurs reprises. Les chats se poursuivaient dans une course infernale, rivalisant d'acrobaties pour esquiver l’autre. La décoration qui ornait la salle en fit d'ailleurs les frais, les félins s'accrochant à tout ce qu'ils trouvaient sur leur passage. Chacun eut bientôt les pattes entremêlées de cotillons de toutes les couleurs, et essayait en vain de les enlever. La scène aurait fait sourire n'importe qui les aurait surpris à cet instant.

     

     

    Calipso (café littéraire, philosophique et sociologique)

    contact : assocalipso@free.fr

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :