• Estrades et coulisses (2)

     

    Retour aux extraits de nouvelles primées lors des dernières éditions du concours calipso. Il est toujours possible de commander les recueils auprès de l'association. ( assocalipso@free.fr ).

     

    - Extraits -

     

     

    Désirée BOILLOT " Papino "

     

    Hou hou… Vous m'entendez ? Seigneur, si vous êtes là, écoutez-moi. Je vous le demande. C'est pour un service. Matthieu est sur le devant de la scène… Il est en train de passer son bac ! Faites qu'il l'ait. Faites l’impossible. Il a bossé des mois, il le mérite. Et puis faites que la paix revienne à la maison…

    Parce que les Grandes Révisions, c'est pas de la tarte, croyez-moi. Plus jamais ça ! L'ambiance était tendue comme du fil barbelé. Ton fils par-ci, ton fils par-là… Ton fils est un cancre ! Pas du tout sur la même longueur d'onde, les parents. Papa est prof de philo. Il veut la mention, sinon il devient bouddhiste. Maman, elle s'en fiche complètement, de la mention. Si Matthieu a son bac, elle débouchera le champagne. Elle l’a promis. Même au rattrapage.

    Seigneur. Ecoutez-moi. Deux mois que mon frère dort pas. Deux mois qu'il vide du Coca jusqu'à deux heures du matin ! Pour tenir ! J'entends encore sa voix monter derrière la porte… L'autre jour, c'était la politique agricole de la Chine. On nageait dans les rizières. Du riz, du riz, et encore du riz. Notez, il en faut, pour nourrir tout ce monde. Un milliard de Chinois, et autant de bouches… Soyez cool. Il faut qu'il tombe sur la Chine. Faites ça. Un bon mouvement. Pékin et les Pékinois. Au pif. Ou alors les exportations du Japon. Il les sait sur le bout du doigt. Et puis pas trop de géométrie s'il vous plaît. Des problèmes simples, pas de théorie de la relativité. Pas de logarithmes, pas de polygones compliqués. Ni de para… paraléllé… parallélébipèdes. Quatre côtés égaux, c'est amplement suffisant.

    Question latin, allez-y mollo. Je vous le demande. Pendant les Grandes Révisions, Papa s'est fâché. Matthieu avait traduit : "Escalope est une belle rose." Au lieu de : "La rose d’Esculape est belle." Et rebelote, avec Matribus. Cette fois-ci, il a vraiment cru que c'était un prénom féminin ! Ça donnait : "Matribus dit à ses fils qu'ils sont courageux." Maman a gloussé. Elle a dit qu'il avait beaucoup d’imagination. Papa riait pas, lui. Pas du tout. Il grinçait des dents. Il est devenu mauve. Il a obligé Matthieu à recopier : "Les fils disent à leurs mères qu’ils sont courageux." Cent fois. Pas de quoi se mettre dans un état pareil.

     

     

    Dominique LE GALL " A Nancy déjà "

     

     

    La tête me serre comme un étau. J’ai mal dormi. Marcher. Plus vite, plus vite. Suis pas loin. Oui, ça devrait être bon, j’arriverai juste à l’heure… Hier, dès la sortie du cinéma, j’aurais dû rentrer directement. C’est ce que j’avais prévu d’ailleurs. Je n’y suis pour rien. Rue de France, je pensais juste à ça, au film et au travail que j’avais à faire pour le lendemain. Oui, juste à ça, et j’allais rentrer chez moi tranquillement. Je n’y suis pour rien. C’est elle ! Je la sens encore me bousculer en me dépassant. Sans s’arrêter de marcher, elle s’est retournée. Elle s’est excusée. Elle a souri. Oui, je suis sûr qu’elle m’a souri. Puis elle a poursuivi son chemin comme si de rien n’était. Elle était jolie, élancée, provocante. Aguichante même, avec son jean qui lui moulait les fesses. Je l’ai vue s’arrêter à l’arrêt du 62. Ça a été plus fort que moi. J’ai attendu, en retrait, et quand le bus est arrivé, je suis monté derrière elle. Elle a enlevé son sac à dos, elle l’a pris à la main. Il y avait du monde, beaucoup de monde, on était serré les uns contre les autres. J’ai pensé qu’il fallait que je fasse attention, que ce n’était pas bien, que ça commençait toujours comme ça et qu’après… En baissant la tête, je pouvais sentir l’odeur de ses cheveux. Ça sentait la vanille. À chaque accélération, son corps chaud et impudique se collait au mien. Son portable a sonné. Elles en ont déjà toutes à cet âge-là, c’est lamentable. Elles sortent à peine de l’enfance qu’elles se prennent déjà pour des femmes… Ce sont les parents aussi, à céder à tous leurs caprices. Je l’ai entendu rire. Elle a parlé d’un certain Thomas qui l’avait invitée au cinéma, que c’était trop cool et qu’elle avait bien vu qu’il la matait vegra depuis des semaines. Le langage… Ça m’a agacé. J’avais envie de lui dire qu’elle ne gagnait rien à parler comme ça. Dès qu’elles sont dans la rue, elles parlent comme des charretiers ! Parce que, la vérité, la voilà, elle est simple : elles ne pensent qu’aux garçons !… Elle disait qu’il la faisait craquer, c’est ça, craquer, et qu’aller voir Iznogoud, c’était trop d’la balle. Tu parles, si ça se trouve, elle ne connaissait même pas Villeret… Tout ça en s’appuyant sur moi à chaque secousse, sans s’excuser cette fois, sans regarder qui était derrière elle. Elle devait bien sentir que ça me faisait quelque chose pourtant, à treize ans, dégourdie comme elle était, elle devait bien savoir !

     

     

    Cécile PRILI " Maria Dolorès "

     

     

    Cette fois, c’est décidé. C’est en Espagne que nous partirons, mon mari et moi, pour fêter nos trente ans de vie commune. L’Espagne si proche et qui pourtant me reste encore inconnue. Des voyages, j’en ai fait pas mal, mais ma préférence est toujours allée à l’Italie ou à des destinations plus exotiques. Je feuillette distraitement le catalogue d’une agence. Images de soleil, de couleurs, modernité et tradition. Des gens qui nous ressemblent occupent le décor, une belle fille brune regarde l’objectif avec gravité devant la devanture d’un magasin…

    C’est alors que tu ressurgis de ma mémoire, Maria Dolorès. De très loin. Ton prénom seul m’est resté. Ton nom a disparu. Des Maria ou des Marie, j’en ai croisé dans ma vie, mais jamais plus de Dolorès. Ce prénom évoquait pour moi toute la passion flamboyante et sombre de l’Espagne. Et il t’allait si bien…

    Je faisais la queue au bureau de la poste centrale. C’était le début de l’été, il faisait chaud. Un peu comme aujourd’hui. Je promenais un regard flou sur le lieu et les gens en attendant mon tour. Une voix claire et forte, pimentée d’un accent prononcé m’a tirée de ma torpeur. Je n’ai vu d’abord qu’une longue chevelure brune répandue sur des épaules dorées. C’était toi, Maria Dolorès. Tu t’escrimais à te faire comprendre de l’employé avec vivacité. Un instant plus tard nos histoires allaient se croiser pour un court intermède.

    D’un élan spontané, j’ai quitté ma place et me suis avancée pour te proposer mon aide. Tu as tourné vers moi un regard étonné et aussitôt tu m’as souri sans retenue. Tu avais à peu près mon âge, une vingtaine d’années. Ton teint mat, tes grands yeux noirs, tes traits réguliers et un peu sévères faisaient de toi un spécimen de la beauté espagnole. Quelques minutes ont suffi à nouer notre sympathie réciproque. Tu achevais un stage en France et je compris que tu essayais de différer ton départ. Moi, j’étudiais ici, dans ma ville natale, et cette fin d’année universitaire me laissait assez disponible. Je ne te quittai pas sans t’avoir laissé mes coordonnées, en vue d’un moment à partager autour d’un verre, très bientôt.

    Deux jours plus tard, tu débarquais chez moi, encombrée de tes valises.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :