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    Ce numéro 20 de la série " A propos de… " sera peut-être le dernier. Son auteur Gilbert Marquès souhaiterait en effet marquer une pause, changer de formule ou tout simplement partir en voyage… à moins que vous amis lecteurs l’incitiez à poursuivre l’aventure…

     

     

     

    Pour paraphraser OBELIX, je pourrai dire être tombé dans la marmite théâtrale tout petit. Dès l'âge de six ans en effet, j'ai tenu mon premier rôle dans "Le Petit Prince" d'Antoine de SAINT-EXUPÉRY mais bien plus qu'au travail de comédien, je me suis très tôt intéressé à la mise en scène.

    J'ai commencé à l'apprendre sur le tas auprès de différents metteurs en scène plus ou moins prestigieux jusqu'à créer avec deux compères, notre propre troupe.

     

    Mon propos n'est pas toutefois de vous raconter ma vie mais plutôt d'essayer d'établir un parallèle entre le théâtre et le cinéma en expliquant pourquoi j'ai choisi la voie de la mise en scène théâtrale plutôt que la réalisation cinématographique.

     

    Alors donc que la troupe fonctionnait depuis déjà plusieurs années, un des associés s'est vu offrir l'opportunité de tenter l'expérience de la réalisation au cinéma. Avec lui, j'aurais pu prendre ce virage mais après l'avoir parfois assisté, j'en suis resté à la mise en scène théâtrale.

     

    Pourquoi, alors qu'à peu de chose près la direction d'acteur paraît semblable ?

    Pour moi qui suis aussi musicien, la différence fondamentale existant entre le cinéma et le théâtre m'est apparue comme étant celle qu'il y a entre un concert en public et un enregistrement de disque en studio. L'un se fait en quelque sorte au grand jour alors que l'autre se passe dans un monde en vase clos.

    Je ne suis pas claustrophobe mais poursuivre au cinéma m'aurait frustré de plusieurs choses considérées comme primordiales à mes yeux. Puis, comme en studio, m'a toujours énormément gêné l'omniprésence de la technique à laquelle je n'ai jamais pu m'habituer alors qu'au théâtre, elle est beaucoup plus légère.

     

    Tourner prise par prise, recommencer parfois la même des dizaines de fois, être entouré d'une équipe de techniciens à laquelle l'œuvre se trouve assujettie ne me convenait pas. Devoir filmer des kilomètres de pellicule puis construire le film au montage me donnait l'impression de ne pas maîtriser le scénario à cause de ce que je définissais être une absence de continuité. Toutes ces phases indispensables se pratiquant dans une sorte de laboratoire, j'avais la désagréable sensation de passer à côté de l'essentiel et d'être privé de ma liberté d'action.

    A tort ou à raison, je ne sentais pas s'établir le lien qui me semble indispensable, entre l'auteur et moi tout au long des lectures nécessaires pour monter le canevas d'une mise en scène. Je n'éprouvais pas non plus la complicité qui s'établit entre les comédiens et moi au fil des répétitions mais aussi entre eux afin que chacun trouve sa place. Il me semblait que la mise en scène cinématographique me privait des relations humaines que m'offrait le théâtre.

    Selon la conception que j'avais alors du cinéma, il y avait trop de contraintes extérieures qui pouvaient aller jusqu'à dénaturer l'œuvre au service de laquelle je me mettais tout en essayant d'y ajouter mon empreinte et celle des comédiens que j'impliquais.

    Il y avait enfin dans ce processus, une part incontournable pouvant faire capoter tout projet, le financement. Le budget nécessaire pour réaliser un film m'est toujours apparu être sans commune mesure avec celui qu'exige le théâtre même si ce dernier n'est souvent pas négligeable. J'ai pu monter des pièces avec des sommes dérisoires ne nuisant en rien à la qualité du spectacle alors que secondant mon associé dans la réalisation, j'ai pu constater qu'il lui fallait parfois beaucoup de temps pour réunir tout ce qui lui était nécessaire afin de mener son projet à bien et notamment les fonds. Il dut même, quelquefois, en reporter certains et en abandonner d'autres. Ce fut probablement le motif qui m'apparut le plus rédhibitoire et me motiva à renoncer au cinéma simplement parce que j'ai pensé qu'il me détournait de mon véritable travail en m'obligeant à m'éparpiller dans des démarches annexes complètement étrangères à la création.

     

    Mais surtout, la réalisation cinématographique ne m'apportait pas le contact presque charnel avec le public dont j'avais besoin. Certes, le metteur en scène de théâtre ne l'éprouve pas aussi directement que le comédien sur scène mais installé dans un fauteuil de la salle comme un spectateur, il en sent les pulsations à chaque geste, à chaque réplique.

    Une pièce, même jouée des centaines de fois, n'est jamais complètement identique d'une représentation à l'autre. Il y a la fébrilité de la première avec le trac qui noue les entrailles. Il y a le jeu des acteurs qui s'affirme au fil des soirs au point qu'ils finissent par s'identifier complètement au personnage dont ils deviennent plus que des interprètes en s'appropriant totalement le texte de l'auteur et les détails de la mise en scène. Ils ne jouent plus à les vivre. Ils les vivent. Il y a enfin la tristesse des soirs de dernière qui se transforme à la fois en fête et en rupture puisqu'il s'agit de la fin d'une aventure.

    Durant cette osmose qui dure plus ou moins longtemps, le metteur en scène vibre à chaque scène à laquelle il découvre toujours quelque chose à ajouter, à améliorer, à inventer. Le destin de la pièce ne lui appartient plus complètement à partir du moment où il lâche les comédiens sur scène face au public mais au travers de leur travail, il se remet en question jour après jour.

    C'est à la fois cette peur, cette hantise mais aussi cette immense satisfaction vécue dans l'immédiateté de l'instant qui me manquait au cinéma. Le théâtre est un spectacle périssable avec une prise de risque quotidienne alors que le cinéma, une fois le film achevé et figé sur une pellicule, devient une sorte d'archive impérissable.

    Le théâtre joue avec le temps. Le cinéma le détourne. L'un est précaire et mortel, l'autre immuable et immortel. L'un se nourrit de contacts avec les spectateurs, l'autre de distance mais… tous deux entretiennent le rêve.

     

    Pourtant, ces deux arts dont le premier est réputé élitiste et le second plus populaire au sens noble du terme, ne sont pas antinomiques comme pourrait le laisser supposer mon propos mais plutôt complémentaires. Si l'un donne la part belle au verbe et au spectacle vivant, l'autre a su utiliser la technique pour leur donner une autre dimension en permettant toutes les excentricités possibles ou presque. Le cinéma va au-delà du rêve, il le suscite.

     

    Je l'ai compris bien plus tard et je me suis alors rendu à l'évidence que la mise en scène théâtrale et la réalisation cinématographique sont deux métiers tellement différents que si j'ai exercé le premier avec délectation, je n'aurais certainement jamais pu m'adapter au second.

    Peut-être aurais-je dû me contenter de rester comédien, ce qui m'aurait permis d'aller de l'un à l'autre pour varier les plaisirs mais je ne regrette pas mon choix et si je suis toujours un fervent partisan du théâtre, je demeure aussi un spectateur attentif de ce qu'offre le grand écran de sorte que dans mon esprit, je suis parvenu à les réconcilier.

    Aussonne, le 20 décembre 2009


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    Après quelques mois d’absence Gilbert Marquès est de retour au café. Il nous questionne aujourd’hui sur un sujet tout à fait attrayant et qui ne manque jamais de provoquer une multitude de commentaires, parfois radicalement opposés, selon la façon dont on appréhende le calendrier.

     

     


    Une expression populaire prétend que l’âge offre des privilèges parmi lesquels la sagesse ne serait pas la moindre. Jadis en effet, les jeunes générations écoutaient les aînés qui pondéraient leur fougue par des leçons nées le plus souvent davantage de l’expérience que du savoir.

    Ces temps sont révolus depuis l’éclatement des familles qui formaient autrefois une sorte de clan où chacun était solidaire de l’autre parce qu’il avait son rôle au sein d’une forme de microcosme sociétaire. Les profonds bouleversements intervenus au moment de l’industrialisation, des guerres de 14/18 et 39/45 et de la désertification des campagnes en faveur des zones urbaines ont concouru à la propagation de ce phénomène. Il en a résulté l’indépendance des générations les unes par rapport aux autres sous l’effet de l’exode pour des raisons alimentaires essentiellement, des jeunes vers des zones plus propices à trouver du travail. De la sorte, l’ancêtre qui jouait le rôle du patriarche, a perdu de son autorité et de son prestige. Il n’est plus le tronc d’arbre aux multiples ramifications mais ressemble plutôt aujourd’hui à un rameau sec. Les siens éprouvent envers lui plus de compassion que d’admiration même si le respect demeure encore. A une époque où le progrès dépasse à la fois l’entendement et l’imagination, on est tenté de croire qu’il vit dans un autre monde déconnecté de la réalité présente.

    Voilà bien le paradoxe de ce début du 21° siècle !

    Les… " vieux " comme les plus jeunes nous appellent le plus souvent avec une connotation péjorative, parfois seulement apitoyée, quelquefois avec tendresse tout de même, ne sont a priori plus bons à grand-chose dès l’heure de la retraite sonnées et souvent, même avant pour les employeurs malgré le gouvernement qui voudrait voir les séniors travailler bien au-delà de 60 ans. Les anecdotes contées par Danielle AKAKPO l’illustrent avec humour :

    - Vous avez soixante ans, votre avis ne nous intéresse pas !

    Cette réflexion, pas aussi brutale mais chuchotée avec à peine plus de diplomatie, je l’entends moi aussi de plus en plus. Elle a quelque chose de vexant dans le sens où elle sous-entend que les sexagénaires ne seraient plus utile à la société à laquelle ils ne comprendraient plus rien.

    Cela signifierait-il que parvenu à cet âge, nous n’avons plus de projet, que nous avons perdu toute curiosité, que nous n’avons plus le pouvoir de rêver et d’apprendre, que nous n’éprouvons plus désir ni passion ?

    Répondre par l’affirmative serait oublier que grâce notamment aux progrès de la médecine et à une meilleure hygiène de vie, nous vivons plus longtemps en bonne santé. Ce serait également occulter toutes les avancées sociales et matérielles permettant au… 3° âge de vivre dans de bonnes conditions tout en sachant s’adapter aux progrès techniques. Combien d’entre nous utilisent ces outils devenus presque indispensables que sont les ordinateurs, les téléphones portables et autres appareils du même type qui équipent notre quotidien ?

    J’ignore, pour n’avoir pas effectué de recherches dans ce sens, si nous sommes majoritaires ou non mais je pense que bien peu d’entre nous ont résisté à la facilité que nous procurent ces instruments, preuve que nous ne vivons pas dans un ghetto, coupés du monde et de ses préoccupations.

    Les publicitaires l’ont bien compris. Depuis plusieurs années, ils savent que ce sont les retraités qui ont actuellement le meilleur pouvoir d’achat. Leur population croissante pose certes des problèmes sociaux mais pour quelques temps encore et tant que le système actuel n’est pas fondamentalement remis en cause, c’est elle qui détient le plus fort potentiel d’investissement aussi lui fait-on les yeux doux. Une assurance par-ci pour l’assistance à domicile, une autre par-là pour préparer les obsèques. Les banquiers ne sont pas en reste qui proposent des placements pour aider non plus les enfants mais les petits-enfants à s’établir. Les laboratoires cosmétiques tentent de nous fourguer crèmes et onguents afin que nous ne paraissions plus notre âge, comme si nous devions en avoir honte… Puis il y a les couches pour éviter les désagréments des petites fuites urinaires ou encore les escaliers automatiques pour soulager nos jambes percluses de rhumatismes. Puis il y a aussi les agences de voyages et jusqu’aux maisons de retraite qui font de la publicité en notre direction pour leurs établissements sans compter les promoteurs nous ventant les avantages des résidences sécurisées où il fait bon vieillir ensemble à l’abri des fauteurs de troubles que sont les enfants par exemple. Il y a enfin ces jeunes gens pris par leurs activités débordantes qui, ne pouvant plus assurer correctement l’éducation de leur progéniture, se souviennent avoir des parents.

    - Vous avez le temps, vous êtes à la retraite…

    Et le non-dit :

    - Ça vous occupera

    Comme si nous n’avions plus rien à faire alors que nos emplois du temps sont le plus souvent surbookés. Dame, faut rattraper le temps perdu à travailler pour satisfaire enfin nos envies en toute liberté, si possible !

    Non contente donc de nous solliciter et d’en appeler aussi à notre porte-monnaie, la société nous impose une nouvelle charge qui n’est rien d’autre qu’un retour à un temps que nous croyions révolu. En caricaturant, la situation se résumerait presque à :

    - Sexagénaires et plus, vous avez des devoirs mais presque plus de droits sinon celui de vous taire sinon de subir et surtout, de consommer !

    Et nous voilà dans une position inversée où tout est calculé pour nous infantiliser tout en faisant en sorte de nous empêcher de vieillir et corollaire inévitable, de mourir. Vieillir est pressenti comme une pathologie aussi le jeunisme est-il prêché sentencieusement. De la même manière, mourir est abordé comme une anomalie quand ce n’est pas une maladie ou une punition méritée pour avoir vécu le plaisir sous toutes ses formes.

    Devons-nous nous en offusquer ? Notre rôle évolue avec le temps et si les mentalités ne suivent pas toujours à la vitesse des progrès techniques, je reste persuadé que nous devons conserver un certain recul pour prendre les choses avec humour même si parfois la moutarde nous monte au nez.

    Vieillir n’est pas une fatalité pas plus que mourir et quoique que nous fassions pour nous voiler éventuellement la face, nous n’y pouvons rien parce que ce sont des réalités intangibles inscrites dans notre destin dès notre naissant. Que nous vivions pleinement ou que nous écoutions les préceptes de tous les gourous bien intentionnés, nous mourrons inéluctablement. Plus tôt plus tard, quelle importance ? L’essentiel est pour moi de vivre bien dans ma peau en me faisant plaisir au risque parfois, d’écourter mon séjour ici-bas.

    Se lamenter sur l’âge ne sert à rien pas plus qu’essayer de rester ce que nous avons été et que nous ne redeviendrons jamais. Personne n’a encore trouvé l’élixir de jouvence éternelle et je suis presque tenté de dire tant mieux. Chaque période de la vie apporte ses enseignements, ses plaisirs, ses déboires et ses emmerdes. C’est la règle du jeu et que nous le voulions ou non, quoique nous fassions, nous ne pouvons ni la changer ni la transgresser. Il nous est juste permis quelquefois de tricher mais le subterfuge ne trompe personne bien longtemps.

    Vieillir, au fond, n’est pas très important pas plus que l’opinion des autres sur les vieux mais par contre vivre l’est et c’est peut-être là que se situe le véritable privilège que nous confère notre âge : en prendre conscience.


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  • La maladie serait-elle toujours malvenue ? Quelle part de nous-même entame-t-elle parfois au point de n’en vouloir rien savoir ? Est-il possible d’en parler autrement que de l’intérieur ? De quoi la maladie nous instruit-elle ? Comment en arrive-t-on à laisser faire, à s’installer tranquillement dans ce monde à part ? Que se passe-t-il avec l’autre ? Avec ses cris, ses pleurs, ses attentes, ses conseils, son absence ? Gilbert Marquès évoque aujourd’hui cette question du rapport de l’humain à la maladie. Gageons que la discussion sera passionnante.

     

     

     

    En ces premiers jours d'été synonymes de vacances sinon d'insouciance, j'avais pensé aborder un sujet plus léger que d'ordinaire. L'euphorie consécutive à la Fête des Pères et à celle de la Musique y était-elle sans doute pour beaucoup mais l'idée souvent vagabonde à son gré pour imposer autre chose.

    La projection du film d'Amanda STHERS, "Je vais te manquer", à laquelle j'ai assisté, en me renvoyant à ma condition de… malade, m'a inspiré ce propos. Non que le thème du scénario traite particulièrement de cette question mais il l'effleure parmi d'autres.

    Au travers de vies qui se croisent dans un aéroport, lieu de tous les possibles, des destins se font et se défont au gré des rencontres de hasard, jalonnant les parcours de points d'interrogation qui sont aussi les nôtres mais dont nous finissons par perdre conscience parce qu'ensevelis sous l'ordinaire du quotidien. Dans ce film, pas de héros, seulement des personnages qui nous ressemblent. Comme nous, ils échangent avec humour, tendresse, colère. Ils s'éloignent ou s'unissent presque comme par accident, sans prétention à vouloir délivrer des leçons. Ainsi le spectateur peut-il retenir ce qui le séduit, l'interpelle ou l'agace.

    Pour ma part, je suis sorti de l'obscurité à la fois songeur et avec des souvenirs plein la tête à cause de la situation de la femme incarnée par Carole BOUQUET. Elle campe une malade du cancer qui décide d'effectuer un ultime voyage afin de mourir loin des siens. Ainsi peut-on supposer qu'elle s'éloigne afin de ne pas imposer à ses filles notamment, la déchéance physique dont elle sait devoir être atteinte au stade final. Peut-être recherche-t-elle aussi une sorte de paix afin de partir en toute sérénité. Peu importe au fond les raisons qui la poussent puisque l'important, pour moi, réside dans le fait qu'elle m'a en quelque sorte rafraîchi la mémoire en me rappelant ce que j'ai vécu et ce qui a changé depuis dans mon existence.

    Au-delà de ce constat, les deux filles du personnage vont se lancer dans des interrogations qui, à un moment donné, ont aussi été les miennes. La plus jeune, célibataire, ne discute pas la décision de la mère dont elle sait qu'elle va mourir. Elle regrette seulement de ne pas l'accompagner. Sa sœur, son aînée, mariée et déjà mère elle aussi, est en colère après cette femme qui a pris sa destinée en main. Elle prétend que c'est pure lâcheté de fuir et de refuser de se soigner. La jeune femme estime, sans doute égoïstement, que cette vie qui va disparaître, n'appartient pas entièrement à cette mère qui s'en va. Elle a la sensation d'être abandonnée.

    Ces deux points de vue opposés des deux sœurs, ne se confrontent pas. Ils sont seulement dressés comme un constat qui m'a entraîné à me demander :

    - Que penserions-nous à leur place, quelles seraient nos impressions et si nous étions à la place de leur mère, que leur répondrions-nous ?

    Dans le film, les réponses apportées me semblent trop empreintes de manichéisme et incomplètes. La réalité est rarement aussi tranchée et s'avère bien plus complexe.

    Demandons-nous simplement si nous devons respecter la décision d'un malade de ne pas se soigner ou bien si nous devons l'obliger, malgré lui, à suivre une thérapie. Ce cas de figure s'entend lorsque la personne concernée est consciente de ses actes et agit en toute connaissance de cause, en dehors même de toute considération médicale relevant du serment d'Hippocrate.

    En premier lieu, il y a la réponse possible des gens bien portants ne sachant rien de la maladie parce qu'ils ne l'ont jamais éprouvée dans leur corps. Ils n'en ont, le plus souvent, qu'une connaissance théorique au travers d'informations qu'ils reçoivent ou une approche par procuration au travers de ce qu'ils observent chez des proches. Je ne suis donc pas du tout convaincu que quoique ces personnes prétendent, elles puissent comprendre la décision d'un malade de se soigner ou pas. N'étant pas physiquement concernées par la maladie, elles ne peuvent apporter que des réponses toutes faites qu'un malade s'entend répéter à longueur de temps sans que soient pour autant résolus les problèmes qu'il rencontre. Selon les patients, cette aide peut être bénéfique. Pour d'autres, elle devient insupportable même si elle part de bons sentiments.

    En second lieu, le malade peut, dans certains cas, apporter ses propres réponses aux questions qu'il se pose afin de prendre sa décision. Cette démarche nécessite d'une part d'assumer la maladie et d'autre part, de requérir des avis que je qualifie de techniques. Pour décider de son avenir, le malade prend alors en considération que c'est sa vie qui est en jeu et il se coupe ainsi, d'une certaine manière, de tout environnement émotionnel parce qu'il est le seul concerné d'un point de vue vital et que la décision finale lui appartient. Peu importe ce que pensent les autres au fond. Le malade ne vit plus dans le même monde qu'eux et le sien devient une nécessaire bulle d'égoïsme.

    Alors, refuser de se soigner est-ce ou non lâcheté ? A cette question, je répondrai par une autre : n'est-il pas tout aussi lâche d'accepter de se soigner simplement par peur de la mort plutôt que par réelle envie de vivre ?

    Refuser des soins susceptibles de prolonger la vie n'est pas nécessairement courir au suicide par inconscience ou vouloir passer pour un martyre surtout s'il s'agit d'une récidive. Le malade sait pour l'avoir déjà vécu, le parcours du combattant qu'il va devoir accomplir. Lui seul et en fonction de l'état qui est le sien, peut décider ce qui lui semble le meilleur pour lui. A mon avis, la décision prise est dès lors respectable, pas discutable même si elle est émotionnellement inacceptable de la part des proches, qu'ils aient ou non été consultés.

    Savoir par expérience implique une réalité bien différente de celle que le malade suppose lorsqu'il s'entend dire pour la première fois être atteint d'un cancer. Je me demande ainsi souvent si j'accepterais de revivre ce que j'ai déjà vécu dans ce cadre-là de sorte que l'hypothèse du refus de me soigner reste plausible. Le dilemme, à ce stade, ne se pose plus en terme de courage ou de lâcheté. Le malade sait par où il est passé mais il sait aussi ce qu'a subi son entourage et il ne veut pas nécessairement s'infliger et lui imposer les mêmes contraintes.

    Toutefois, entre ces deux extrêmes du pour et du contre, du courage et de l'éventuelle lâcheté, il peut s'ouvrir une troisième voie. Je ne prétendrai pas qu'elle est la seule issue, ni qu'elle est la meilleure et infaillible. Je l'évoque seulement parce que je l'ai empruntée.

    Lorsque j'ai décidé de la prendre, j'ignorai totalement si elle serait bonne ou mauvaise. J'ai seulement tenté ce qui m'a semblé le mieux me convenir. Compromis entre le tout soin et le refus de me soigner, j'ai choisi de me soigner seulement partiellement à la fois pour des questions de risques médicaux inconsidérés par rapport à mon état et pour des considérations d'ordre personnel dont je n'ai jamais laissé au corps médical le loisir de débattre.

    Entrer en maladie ressemble à s'y méprendre, à toute autre intronisation sauf que l'impétrant ne choisit pas mais se voit imposé une situation lui donnant un autre statut social. Néanmoins, ce monde comme tous les autres, a ses règles du jeu. Le néophyte les accepte, les refuse ou choisit d'obéir à certaines, pas à d'autres et essaie, parfois en trichant, d'en imposer de nouvelles. Dès lors, il s'ouvre entre le patient et le corps médical, à condition que ce dernier accepte de jouer le jeu de la franchise et de la transparence, une négociation au cours de laquelle chaque parti pose ses conditions et qui débouche sur un compromis de soins. Ainsi ai-je accepté d'en subir certains et refusé d'autres.

     

    A côté de moi, j'ai vu des patients soumis acceptant tout sans discuter et allant même jusqu'à nier leur maladie. Ils la considéraient comme une injustice. D'autres y voyaient une fatalité, une punition. Personnellement, je n'y ai jamais vu que la maladie en tant que telle et comme une sorte de défi à relever pour tromper la mort tout en étant conscient que si je gagnais cette bataille, je finirai tout de même vaincu. Je n'ai accusé personne ni rien de ce qu'il m'arrivait. Peu importait si j'étais responsable de mon état ! Peu importait les causes ou le pourquoi du comment ! J'étais placé face à une situation qu'il me fallait en grande partie résoudre seul. Le corps médical représentait une partie des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir, les autres m'appartenaient et tous mis ensembles, nous pouvions déboucher sur ma survie. Les médecins m'expliquaient ce qu'ils prévoyaient, m'avertissaient des risques potentiels des traitements et me détaillaient les avantages que je pouvais en retirer. C'est leur rôle. De mon côté, après parfois des questions pour préciser certains détails, je prenais en considération mes propres exigences puis nous décidions en commun de la marche à suivre pour la suite des événements.

    Cette troisième voie consiste seulement dans le refus de la passivité non seulement face à la maladie mais aussi face au corps médical. Ce sont des techniciens dont le rôle ne consiste pas à prendre en mains psychologiquement le patient mais à l'aider à assumer physiquement la maladie pour tenter de le conduire vers la guérison, à en être conscient et à l'impliquer dans le protocole des soins afin qu'il puisse se prendre en charge sur tous les autres points ne concernant pas la thérapeutique. Lutter contre la maladie est un travail d'équipe dans lequel le rôle du patient n'est pas seulement de subir mais de savoir pourquoi il subit et s'il l'accepte. Et surtout, surtout, ne jamais oublier qu'au final, c'est lui qui détient le pouvoir de décision, s'il le veut ! C'est lui seul qui décide s'il veut vivre ou mourir même si, malheureusement, il est parfois trop tard et que rien ne lui permette de poursuivre sa route. Sa volonté est respectable et doit, dans tous les cas, être respectée.

    Aussonne, le 22 Juin 2009


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  • C’est un " A propos " un peu particulier que nous soumet aujourd’hui Gilbert Marquès. Il revient sur sa conception de l’écriture et sur la manière de s’éclaircir les idées dès lors où sur quelques questions - philosophiques ou sociétales - on s’essaie à y comprendre quelque chose. Au passage il commente quelques propos tenus récemment ici même et interpelle leurs auteurs. Et puisqu’il est question de Jacques L. dans ce texte, j’en profite pour informer les lecteurs de ma décision de l’exclure du café tant il était devenu impossible de dialoguer avec lui. Reste qu’il nous a offert quelques belles pages et qu’en retour nous lui dédions cette réflexion de Marcel Proust : " On n’est que par ce qu’on possède, on ne possède que ce qui est réellement présent, et tant de souvenirs, de nos humeurs, de nos idées partent faire des voyages loin de nous-même, où nous les perdons de vue ! Alors nous ne pouvons plus les faire entrer en ligne de compte de ce total qui est notre être. Mais ils ont des chemins secrets pour rentrer en nous. "

    1er juin.  Après réflexion et échanges avec l'auteur et quelques lecteurs, il m'a semblé plus intelligent et plus courtois de ne citer que les prénoms et l'initiale du nom des personnes interpellées dans cet "A propos".  




    Nous sommes réputés vivre dans un pays démocratique, libre et laïque, où chacun peut émettre son opinion et où chacun peut la discuter dans le respect de l’autre. Postulat né de l’idéal révolutionnaire.

    La réalité se révèle bien différente si j’en crois les commentaires suscités d’une part par ma précédente intervention sous le titre A propos de la crise et d’autre part par le thème lancé autour du " dire non " illustré par le texte de Claude B, " L’homme qui dit non "

    Dans l’un et l’autre cas, les réactions sont assez similaires et proviennent presque essentiellement toujours des mêmes, Jacques L. en tête qui, à son habitude, illustre probablement sans le vouloir, le thème du non autour duquel nous avons à débattre. Il réfute en effet tout ce qui touche de près ou de loin à l’ordre établi.

    Dans un premier temps, j’ai lu d’un œil plutôt amusé, l’avalanche de commentaires provoquée par les deux textes précités et comme il semble que je sois l’empêcheur de tourner en rond, je me suis tu. Puis, au fil de ce que j’ai découvert, je me suis dit qu’il était judicieux de faire une sorte de point.

    Au sujet de ce blog d’abord sur lequel nous accueille Patrick. Comme il l’a clairement énoncé dans l’intitulé, il s’agit d’un " café littéraire, philosophique et sociologique ". Ceci implique, selon ce que je comprends, qu’il doit être alimenté par des textes littéraires, certes, mais aussi par des débats philosophiques ou des faits de société. Cette seconde partie semble déplaire à certains au point de critiquer sans fondement le modérateur de ce blog. Il s’est expliqué sur sa position également défendue par Ysiad. Il me semble inutile de rajouter mon grain de sel.

    " Je réclame surtout de la musique des mots et ne trouve ici trop souvent que des vitupérations, engagées c’est vrai, mais des vitupérations tout de même "

    " Sans aucune rancune, GM, mais en me citant en exemple une majorité de gens qui allaient et vont encore sur les bancs des facultés pour passer le temps avec l’argent de poche que leur donnent leurs Papas, vous m’avais fait… bondir ! "

    Je relève un peu plus loin dans la discussion, sous la plume du même auteur et en majuscules s’il vous plaît, un bel hymne à la tolérance : " J’AI LA HAINE DE TOUS CES ETUDIANTS NANTIS QUI SE FLATTENT DE REVOLUTION POUR PASSER LE TEMPS PLUTÔT QUE DE SE RENDRE UTILES A LA SOCIETE EN OPTANT POUR LES DISCIPLINES, CERTES PLUS DIFFICILES, MAIS PERMETTANT AUX PEUPLE (?) DE SE SORTIR DE L’AGE DE PIERRE (le caillou, pas le prénom !) (Merci pour l’humour… douteux)

    Comme si l’univers appartenait seulement aux scientifiques ! Ils participent indéniablement au progrès mais aussi à la destruction à l’instar du père de la bombe atomique, VON BRAUN.

    Notre ami L. n’hésite pas à s’ériger en donneur de leçons mais il oublie au passage plusieurs choses. Nous ne sommes plus dans les années 1950 auxquelles il se réfère pour raconter sa vie de pauvre petit garçon malheureux qui en a bavé pour arriver à être, comme je le supposais dans une précédente réponse que je lui faisais, un gentil retraité reconverti en littérature dans les années 1990, si j’en crois le 4° de couverture de son recueil de nouvelles. Probablement occupe-t-il ainsi ses loisirs, ce que je ne lui conteste pas. Ceci ne l’empêche cependant pas de vouloir apprendre aux artistes le métier dont ils vivent depuis des décennies sans que ce Monsieur comprenne pour autant les problèmes qui sont les leurs. A-t-il jamais eu un statut d’intermittent du spectacle l’obligeant à pointer aux ASSEDIC ? A-t-il jamais dirigé une troupe de théâtre ou d’autre chose ? A-t-il seulement jamais été chef d’une petite entreprise quelconque avec charge de personnel pour se permettre de disserter sur la profession ? Mystère puisqu’il reste muet sur ces sujets…

    En outre, je doute que la plupart d’entre nous ait attendu après le Messie pour vivre en nous bouchant les yeux et les oreilles et en fermant pudiquement notre bouche pour croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le progrès d’une société ne se mesure pas seulement aux avancées scientifiques mais aussi à l’évolution des idées, je crois. Enfin, s’adresser aux invités ou aux intervenants avec condescendance souvent comme s’ils étaient des demeurés, relève d’une certaine paranoïa.

    Jacques L. pense-t-il s’adresser à des gamins ? Parmi nous, certains sont probablement jeunes, d’autres moins et une dernière catégorie, comme moi, a sensiblement son âge ou même plus. Jacques Lamy croit-il que nous ne sachions pas ce qu’est la vie et que nous soyons incapables, pour les plus anciens, de comparer ce que nous avons vécu avec ce que nous vivons ? Chacun a son histoire et ma jeunesse n’est si différente de la sienne mais ça n’intéresse pas les gens. Si d’aventure ça le devait, j’estime pour ma part que ça ne les regarde pas.

    Pour conclure ce chapitre, je regrette de devoir mettre sur la sellette de façon publique mes réponses personnelles à Jacques L. auquel j’ai proposé, plusieurs fois, de débattre de nos différends en privé mais… sans aucune suite. Il a l’art d’éluder les questions qui le gênent et de refuser la confrontation. Un proverbe dit que la critique est aisée mais que l’art est difficile. Si Jacques L. tient tant à la littérature, qu’il aille donc sévir les sites dont il parle puisque, a priori, il n’a rien à faire sur celui-ci qui ne lui convient pas. Et s’il tient vraiment à continuer à nous abreuver de sa prose fielleuse, je lui propose de prendre ma place et de tenir mensuellement une chronique. Nous pourrons ainsi, à notre tour, critiquer à notre aise.

     

    " Tel est pris qui croyait prendre "… Si j’ai été pris au jeu de ces chroniques sur ce blog lorsque j’ai accepté la proposition de Patrick d’intervenir régulièrement, je m’attendais à la critique mais à la critique constructive, y compris d’un point de vue négatif ou opposé. Il entre dans ma nature d’être volontiers provocateur et j’utilise parfois pour ce faire comme le relève opportunément Claude B., " une longue suite de poncifs ". Je n’aurais toutefois pas à le faire si les choses avaient véritablement évolué depuis les années 70 dans le sens d’un mieux être pour les peuples mais au lieu de s’améliorer, elles ont empiré à un point tel que les libertés fondamentales sont menacées. Nombreux sont ceux qui ne vivent plus mais se contentent de survivre au jour le jour. Il est notoire que chacun voit midi à sa porte et que les soucis des uns ne concernent pas les autres… Bel exemple de civisme  et de solidarité même s’il est parfaitement humain de se préoccuper de ses propres intérêts avant ceux des autres !(Merci pour l’orthographe et la conjugaison)écrit Jacques L. qui n’hésite pas à s’ériger en exemple de vertu.

    Claude B. me reproche de ne pas proposer de solutions mais je ne vois, dans sa réponse, rien de plus concret. Pour tout dire, dans la première mouture de l’A propos concerné, j’ai apporté des solutions possibles mais vu leur radicalité, Patrick m’a suggéré de les présenter de façon moins… violente et j’ai donc décidé de supprimer le passage. C’est le rôle du modérateur que d’essayer de calmer les esprits. On l’accepte ou on le refuse. J’ai accepté. Peut-être ai-je eu tort…

    Cependant, Claude B. se voit pris au même piège que moi puisque en répondant au thème par son texte " L’homme qui dit non ", il soulève à son tour la polémique et sans le vouloir, illustre mon A propos de la crise, ne lui en déplaise. Juste retour de bâton puisque en acceptant de se livrer aux lecteurs, il s’expose à des critiques dont certaines ne l’épargnent pas. Savoir qui a tort ou raison n’a pas d’importance. Probablement tout le monde et personne mais l’essentiel réside dans la discussion constructive ouverte par ce texte.

     

    C’est la règle du jeu : l’auteur propose et les lecteurs disposent. Dès que rendu public, un texte n’appartient plus à son auteur mais à ceux qui le lisent. Ils en font alors ce que bon leur semble. Ils se l’approprient, le comprennent comme ils l’entendent, l’interprètent à leur guise selon ce qu’ils sont, l’éducation reçue, les expériences vécues, leurs connaissances, tout ce qui, en un mot, leur permet d’être et de rester un individu unique.

    Le texte donné à lire n’est pas, selon ma conception, une fin en soi mais une ouverture vers l’autre, un moyen d’échanger et de s’enrichir mutuellement, de progresser aussi individuellement et collectivement. Peu importe qu’il s’agisse d’un poème, d’une nouvelle, d’un roman, d’un essai ou d’autre chose ! Peu importe aussi la notoriété dont un auteur peut se prévaloir. L’important ne réside pas dans ce qu’il est mais dans ce qu’il écrit et transmet. L’auteur doit accepter le fait de ne pas plaire à tout le monde.

    A mes yeux, chaque œuvre doit être une remise en question perpétuelle de soi pour créer en avançant, pas pour se glorifier même si être reconnu fait plaisir tout en flattant l’ego. Qui des succès ou des échecs sont les plus formateurs ? Devons-nous nous satisfaire de tout sans jamais rien contester ou, comme l’homme de Claude B., dire systématiquement NON ? Devons-nous vivre de certitudes sans en démordre ou de doutes à s’en pourrir la vie ? La réponse se situe probablement au milieu, dans un équilibre précaire et fragile à maintenir mais qui devrait, à mon avis, garder en ligne de mire la tolérance… Qui peut en effet prétendre détenir la vérité ?

     

    Pour clore cet A propos, je reproduis une réflexion de Patricia LARANCO cueillie sur le blog de PATRIMAGES :

    " Le problème avec les idées, c’est que les gens se les approprient. Se les appropriant, ils les interprètent à leur façon.

    Il suffit d’avoir un tant soit peu une conversation avec quelqu’un pour s’apercevoir que nous n’écoutons que ce que nous VOULONS écouter (surtout en société hyper nombriliste où chacun ramène tout à lui et reste volontiers, par amour propre mal placé, fermé aux arguments des autres)

    Dans une idée, les gens n’hésitent pas à tronquer, sélectionner. Un bel exemple (ou plutôt, un exemple particulièrement hideux) : ce que les nazis ont fait de la pensée de NIETZCHE. Un autre : ce que les Soviets, MAO et POL POT ont fait des théories de Karl MARX.

    Celui qui pense, qui a des idées, devrait se dire aussitôt qu’il lui en vient une (en frémissant) : " que va-t-on en faire ? "

                                                                                                             Ricaud, le 24 mai 2009


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  • Il paraît que la crise rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Je ne vois pas en quoi c’est une crise. Depuis que je suis petit, c’est comme ça, disait Coluche.

    Il ne se passe pas un jour, voire peut-être une heure sans que quelqu’un vienne nous interpeller - avec compassion ou violence - au sujet de cette " Crise ". Que ce soient la famille, les voisins, les collègues, les élus, la presse, la radio, la télévision… chacun porte une attention de plus en plus marquée à cet Autre qui serait soudainement devenu insupportable. Gilbert Marquès nous invite aujourd’hui à réfléchir sur cette crise - cette usine à ressentiment - et à voir comment nous pouvons essayer d’entendre autrement ce qui s’y joue.

     

     


    Contrairement à beaucoup en ce temps de crise financière, politique et sociale, je ne crois pas qu'il puisse être fait totalement table rase du passé pour la résoudre et donc de l'acquit mis à disposition des générations suivantes. L'étude de l'histoire m'a malheureusement permis de m'apercevoir que c'est moins lui qu'il faut remettre en cause que les interprétations qui en sont faites au travers d'exemples souvent déformés parce que sortis de leur contexte. A ce niveau-là, je fais en sorte de conserver une rigueur que certains qualifient de scientifique. Je me nourris à l'école du scepticisme et n'émets d'hypothèse qu'à partir du décryptage des objets que les fouilles mettent à jour, des écrits découverts au fond de vieilles caisses entassées dans les réserves de bibliothèques, mais toujours en gardant à l'esprit le contexte de l'époque. L'erreur commise par nombre d'historiens des temps antérieurs consiste simplement dans le fait qu'ils oubliaient de faire cette démarche et interprétaient à partir du présent, ce qui a faussé bien des études qui continuent néanmoins à faire autorité notamment dans les milieux scolaires et universitaires. Je reste ainsi persuadé qu'il faut donc connaître et comprendre le passé qui est le nôtre pour apprendre à connaître et comprendre le présent afin de pouvoir prétendre bâtir un futur meilleur.

     

    Je ne me lancerai pas dans une analyse détaillée de tout ce qui a entraîné la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Elle découle d'une certaine logique parvenue à son point culminant de sorte que nous allons devoir descendre la pente jusqu'à retrouver une plaine que j'assimile à une période de calme social. Ces sommets, tout au long de l'histoire, marquent des points de rupture avec des changements profonds de société dans tous les domaines ; sociaux, politiques, économiques, religieux. L'histoire m'a également largement démontré que jamais ces changements ne sont intervenus sans violence. Ils se sont toujours produits sous forme de guerres ou de révolutions fondamentales.

     

    Peut-on ainsi interpréter les affrontements qui ont eu lieu à Strasbourg comme les prémices d'une telle révolution ? L'Etat Français actuel poursuit sa logique répressive notamment en réintégrant l'OTAN. J'y vois pour ma part les signes d'une coalition entre les états riches sinon puissants militairement pour enrayer le processus des changements sociaux nécessaires au niveau planétaire et ainsi conserver une illusion de pouvoir. Ces états se sentent menacés et le G 20 élargi l'a démontré parfaitement en continuant à vouloir conserver son hégémonie sur l'économie mondiale au détriment des pays pauvres ou en voie de développement, auxquels des promesses ont été faites mais sous forme de miettes. Il ne saurait être question de les laisser devenir des partenaires égaux en droit mais de continuer à les exploiter et ceci rejoint cela.

     

    Comment ? Pourquoi ? D'abord en renforçant les pouvoirs de l'OTAN qui, a priori, n'a plus de raison d'être puisque créée après la guerre de 40 pour barrer la route au communisme qui, tel qu'il existait, n'est plus. Alors, pourquoi ? Simplement pour empêcher ces pays de devenir de potentielles puissances à tous les niveaux et pour ce faire, se doter d'une force multinationale indépendante de l'ONU pouvant s'ériger en gendarme de la planète, rôle que ne veulent plus assumer seuls les Etats-Unis qui n'en ont plus par ailleurs les moyens. En ce sens, l'Afrique en particulier n'a rien à attendre de OBAMA qui bien que se refusant à le reconnaître, est obligé de pratiquer une politique protectionniste.

     

    En face, se trouvent ceux qui refusent cet ordre mondial. Ils sont à l'œuvre lors de tous les sommets politiques et économiques et à chaque fois, ça se passe mal comme à Gênes. Certains s'interprètent comme pacifistes mais agissent comme des terroristes dans le sens où ils s'en prennent aux mauvaises cibles. A quoi sert-il de détruire des magasins, des voitures, les outils appartenant à des gens du peuple comme eux ? Pour abattre des symboles ? Je veux bien mais encore une fois, ils ne visent pas les vrais puisqu'ils se cantonnent aux quartiers pauvres sinon défavorisés, plongeant ainsi plus encore les populations touchées dans la précarité. Pourquoi n'envahissent-ils pas les beaux quartiers et mieux encore, pourquoi ne s'attaquent-ils pas véritablement aux responsables ? Parce que matériellement ce n'est pas possible ? Trop de flics qui protègent… C'est vrai et nous avons pu voir qu'à Strasbourg, les seuls habitants qui ont pu approcher les chefs d'état ont été triés sur le volet. Je suppose qu'une grande majorité devait être favorable à la politique actuelle et que ne pouvait être toléré le moindre dissident, si tiède fut-il.

     

    Dès lors, comment procéder ? Personnellement, je préfère favoriser avant toute chose la concertation et la discussion pour essayer de résoudre les problèmes. L'erreur est humaine mais même si l'on se trompe, il vaut toujours mieux tenter de mettre en œuvre des solutions plutôt que de s'arc-bouter sur des théories irréalisables comme nous en pondent à foison nos énarques n'ayant de la réalité de terrain qu'une très vague idée. Ils vivent dans un autre monde qui n'est pas le nôtre et idéalisent la société selon un schéma statistique le plus souvent. Les chiffres certes, peuvent parler mais souvent pas suffisamment pour concrétiser ce qu'il se passe dans la vraie vie. Ainsi ne résolvent-ils rien surtout parce qu'ils pensent avoir la science infuse et n'acceptent de conseils de personne et surtout pas des spécialistes traitant les problèmes au quotidien. Ils les pensent trop impliqués pour avoir une vue exhaustive et croient que le recul est nécessaire pour envisager les solutions avec objectivité. Ils n'ont pas entièrement tort mais pas non plus complètement raison. Cependant, outre le fait que la démocratie a ses limites, nous nous trouvons actuellement face à un mur. Il est moins d'incompréhension que de refus d'entendre et d'écouter. Toutes les décisions sont unilatérales, sans discussion possible et prises au mépris des votes du parlement. Il faut se plier ou rompre. Pas d'autre alternative ! Et puisque le mur est sourd par définition, que faire ? Il reste l'action pour obliger l'autre à entendre ce qu'il se refuse à écouter puisque les belles déclarations d'intention dont le fond peut séduire, restent sans effet puisque non traduites dans les actes qui tendent à prouver le contraire de ce qui est promis. Les discours se tiennent devant un parterre de convaincus et les salles ne sont pas ouvertes aux contradicteurs, ce qui rend facile les constats d'approbation. Ils n'ont par conséquent aucune valeur et restent de la pure rhétorique.

     

    L'action donc oui mais… laquelle ? Les grèves ? Les défilés unitaires et protestataires ? S'ils sont initiés par les syndicats qui sont partie prenante dans le système économique actuel qu'ils participent à maintenir, ils sont de moins en moins crédibles. Nous avons récemment vu que les décisionnaires des entreprises se moquent du tiers comme du quart de ces manifestations pour deux raisons. D'abord, la plupart ne résident pas en France et il s'agit le plus souvent de groupes internationaux aux têtes multiples qui se fichent pas mal des décisions nationales internes et bafouent allègrement le droit français ou européen. Ensuite, l'état est quasiment impuissant à pouvoir agir sur les décisions prises parce que ce sont des entreprises privées sur lesquelles il n'a aucune autorité. Pour prendre un exemple simple afin d'illustrer ce propos, je citerai celui d'Arsilor Métal, racheté par le magnat indien de l'acier, qui ferme aujourd'hui des usines françaises alors que SARKOSY s'était engagé à les maintenir ouvertes et à sauvegarder les emplois. SARKO ne peut rien faire, quoiqu'il dise, à moins de nationaliser, ce qui serait pour le moins contradictoire avec sa politique de libéralisme sauvage. Sous sa houlette, le gouvernement prend par ailleurs des décisions pour maintenir les emplois en France et éviter les délocalisations mais il est désavoué par Bruxelles qui y voit une mesure protectionniste notamment envers les nouveaux pays membre de l'Union Européenne d'où recul et promulgation d'une loi édulcorée qui n'a plus de sens.

     

    Alors, qui peut quoi et comment ? Seul maintenant le peuple tient son destin entre ses mains et c'est à lui qu'il appartient d'agir. Agir certes mais de façon plus radicale et plus seulement par des grèves corporatistes ou des manifestations de colère s'en prenant à des symboles qui n'en sont pas vraiment plutôt que de se fixer sur les véritables objectifs. Quels sont-ils ? Renverser l'ordre établi ? Peut-être mais surtout inverser la tendance libérale qui en est arrivée à ses limites pour parvenir à trouver une autre forme d'économie, sinon de société ou encore de civilisation, plus humaniste qu'humanitaire. Et pour y arriver, il va falloir non seulement s'armer de patience pour déboulonner les vieilles traditions mais aussi déraciner les anciennes idéologies. Il va falloir en créer de nouvelles non plus basées sur la seule économie de marché mais tenant compte majoritairement du facteur humain. L'accouchement se fera probablement dans la douleur, la plupart des individus ne sachant pas maîtriser leurs émotions qu'ils expriment par la violence lorsqu'ils sont acculés au désespoir. Ils ont toujours agi ainsi depuis les temps les plus reculés et rien ne laisse présager qu'ils pourraient fonctionner autrement parce qu'ayant tout perdu, ils estiment n'avoir plus rien à perdre et que c'est par conséquent en détruisant qu'ils sont susceptibles de pouvoir reconstruire, sans considération des conséquences et de ceux qu'ils entraînent dans leur chute. Le raisonnement est simpliste mais l'histoire, encore elle, le démontre amplement. Notre époque n'échappe pas à cette caractéristique qui, en outre, met en exergue que si le monde a fait d'énormes progrès techniques, l'esprit de l'homme n'a pas évolué dans les mêmes proportions.

     

    Agir donc mais pour répondre à la répression, s'organiser et s'attaquer véritablement aux décideurs, aux têtes pensantes et dirigeantes pour changer la donne mais en apportant des solutions concrètes. Casser du matériel urbain ne sert à rien sinon à exacerber encore plus le fatalisme de la majorité des gens et à les enfermer davantage dans leur désespérance. Faut-il dès lors s'inspirer de groupes qualifiés de terroristes pour faire avancer les choses ? Revenir au temps des Brigades Rouges ou d'Action Directe, qui s'en prenaient à des dirigeants despotes de certaines entreprises, à des hommes politiques, aux représentants des autorités, ne semble évidemment pas souhaitable. La lutte armée n'a jamais rien résolu et devient souvent la complice de l'enlisement des conflits en établissant des rapports de forces inégaux. Mais redevenons éventuellement des résistants pacifiques sur notre propre sol en proposant d'autres solutions que celles qui nous sont imposées. Si je demeure opposé humainement à toute forme de violence, ça reste néanmoins une éventualité qu'il faut envisager pour l'éviter. Elle n'est pas raisonnable mais nous nous y dirigeons tout droit vers. Ne nous voilons pas la face, certains y songent peut-être déjà et ne manqueront pas d'y avoir recours en manipulant les foules désorientées, en se saisissant idéologiquement du mécontentement ambiant, en opérant comme des agitateurs.

     

    Les prémices, encore hésitants, d'actions plus extrêmes commencent à apparaître. Ainsi les séquestrations de dirigeants d'entreprises contre lesquelles SARKO vient de protester. Comment toutefois les gens qui voient disparaître leurs emplois, peuvent-ils réagir lorsque la négociation ne peut plus a priori aboutir ? Les entreprises MORLEIX et CONTINENTAL, ces jours derniers, sont des exemples supplémentaires de cette nouvelle forme de revendication qui s'étend. Nous allons vers des actions plus déterminantes, c'est une évidence. Elles commencent relativement gentiment mais qu'en sera-t-il dans un proche avenir ? Le sang appelle le sang et un peuple déchaîné devient vite aveugle et sourd pour laisser libre cours à son désir de vengeance. C'est son seul moyen d'exprimer sa frustration face aux injustices flagrantes que, dans une sorte d'inconscience, les médias attisent en faisant les gros titres sur les parachutes dorés, les salaires pharamineux de certains sportifs ou encore les sommes colossales débloquées pour combler l'impéritie des groupes financiers. Et l'appareil judiciaire en remet une couche en intervenant pour condamner des élus du personnel qui prennent des mesures coercitives pour tenter d'obliger leur hiérarchie à la discussion. Peut-on véritablement le leur reprocher dans ce climat délétère même s'ils contreviennent à la loi et même si les personnes qu'ils retiennent ne sont que les interprètes d'une volonté qui leur est supérieure ?

     

    Qu'on ne vienne pas me dire que le risque de réactions révolutionnaire est aujourd'hui complètement écarté dans des pays réputés civilisés comme les nôtres ! Nous vivons assis sur une cocotte minute dans laquelle trop de problèmes cruciaux s'entrechoquent et se mélangent au point que nous en arrivons à une sorte d'état d'urgence. Le peuple ne comprend plus maintenant que puisse lui être refusé le minimum vital alors que par son travail, il participe à la richesse nationale dont il est écarté pour des raisons lui apparaissant fallacieuses. A tort ou à raison, il pense et constate qu'il y a deux poids et deux mesures en fonction du monde auquel chaque individu appartient. On exige de lui des sacrifices dont il ne saisit ni le sens ni l'aboutissement qui ne lui sont pas clairement expliqués. Il faudrait de la pédagogie là où il y a, selon son optique, seulement répression. Dès lors, l'exaspération grandit sans autre issue apparente qu'une explosion sociale. Autre signe pouvant être interprété comme inquiétant à la lumière de ce qu'il s'est produit en Mai 1968 même si la conjoncture est bien différente, les conjonctions contestataires des milieux ouvriers et étudiants qui s'opèrent pour le moment parallèlement mais qui peuvent potentiellement se rejoindre à tout moment pour déboucher sur un mouvement commun et uni.

     

    Si nous ne voulons pas que ces changements aussi nécessaires qu'inéluctables se fassent dans l'anarchie la plus complète pouvant se terminer par un bain de sang, il va falloir accepter de se remettre en question et de canaliser les énergies pour les empêcher non seulement de se disperser inutilement mais surtout pour les engager à s'attaquer, elles aussi, aux vrais problèmes. Cela me semble pouvoir se faire comme au Portugal, lors de "la révolution des œillets". Je le souhaite ardemment même si je reste sceptique.

    Aussonne, le 22 Avril 2009

    Gilbert MARQUÈS


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  •                                                            Photo Monique Marquès

    Gilbert Marquès nous emmène ce soir en voyage du côté de Venise, sur la scène du carnaval bien sûr mais aussi dans les coulisses d’un imaginaire qui a su résister autant à l’obscurantisme qu’à sa mise en spectacle…

     

     

     

    La morosité ambiante nécessite, pour y faire face, de l'oublier parfois en se laissant entraîner par la magie et le rêve. La période des carnavals offre cette parenthèse bienfaitrice d'évasion indispensable. Ainsi me suis-je laissé envoûter par le dépaysement procuré par l'un des plus célèbres, le Carnaval de Venise.

     "Voir Venise et mourir" affirme une expression populaire détournée et aux origines controversées. Charles AZNAVOUR prétend pour sa part que "Venise est triste au temps des amours mortes".

    Venise, la ville des amours au superlatif…

     Qui ne connaît pas des noms de lieux ou de monuments qui l'ont immortalisée ? Le Palais des Doges, la place et la basilique San Marco, les ponts du Rialto ou des Soupirs… Venise et sa riche histoire illustré par de somptueux palais ! Venise à l'image d'Epinal des gondoles légendaires ! Venise et sa lagune ! Venise…

     

    Venise certes mais y séjourner ne m'enchantait guère. Architecture trop surchargée inspirée de l'école byzantine et symbole majeur de l'époque baroque que je n'apprécie pas spécialement. Venise où la religion, omniprésente avec ses quatre vingt églises, semble trop pesante au mécréant que je suis. Venise et sa magnificence héritée d'un passé chargé dont elle ne semble toujours pas sortie. Venise sentimentale et nostalgique ! Venise, cité bateau au brouillard nauséeux et aux odeurs fétides ! Venise, colosse aux pieds rongés la maintenant dans un équilibre instable !

     

    Venise, pour être franc, ne m'attirait donc pas vraiment mais… Il a fallu le rêve entêté et la passion obstinée pour la peinture d'une femme, pour me convaincre de tenter l'aventure du Carnaval de Venise en ce mois de février 2009. La Dame avait deux objectifs majeurs à ce voyage qu'elle projetait depuis longtemps. D'abord, visiter églises, palais et musées et, en particulier, la prestigieuse Galerie dell'Academia qui abrite les œuvres des grands maîtres vénitiens classiques parmi lesquels BELLINI, LE TINTORET ou encore VERONESE, dont elle voulait découvrir les tableaux physiquement. Si les thèmes religieux couvrant la période du Moyen Age à la Renaissance dont se sont inspirés ces peintres ne m'émurent pas beaucoup, je dus sacrifier au pèlerinage pour servir d'interprète et j'eus droit, en prime, à une leçon de technique sur la peinture de cette époque. Je pus ainsi mieux comprendre de nombreux détails qui m'avaient échappé jusqu'ici.

     

    Et toutes ces ballades ad pedibus, évidemment, puisque aucun véhicule ne circule dans les étroites venelles sauf, bien sûr, des bateaux sur les canaux, se déroulèrent dans l'étrange atmosphère du carnaval, seconde raison de notre venue. Elle trouvait sa justification majeure dans la nécessité de tirer des centaines de clichés des personnages plus apprêtés que déguisés, ces photos devant servir au retour, à la création d'une nouvelle série de tableaux.

     

    Moins professionnel que Madame, j'étais seulement spectateur mais peu à peu, l'événement qui me parut presque banal sinon empreint d'un certain snobisme au début, transforma ma vision de Venise. Non pas que j'aie changé d'avis sur la ville elle-même, carte postale au décor trop clinquant cachant mal une certaine décrépitude, mais elle prenait néanmoins à mes yeux un autre aspect, à la fois plus mystérieux et étrange, dépaysant, au cœur duquel je dus pénétrer presque malgré moi.

     

    Madame m'y contraint. Ignorant la langue de DANTE, elle m'utilisait comme intermédiaire pour demander aux personnes costumées de poser. J'eus ainsi la surprise de constater que la plupart des participants n'étaient pas Vénitiens ni même Italiens mais Allemands ou Français en majorité. Approchant donc les… comédiens de tout près, je pus admirer à loisir la beauté des costumes aux raffinements extrêmes tant au niveau des tissus souvent précieux que des broderies fines faisant immanquablement penser au patient travail des brodeuses de l'île de Burano toute proche. Sous un soleil complice malgré la froidure, les couleurs chatoyaient au point effectivement de pouvoir inspirer un peintre, même profane, par la palette des nuances variant selon la lumière. Il y avait matière à aiguillonner l'imagination pour transposer l'illusion sur une toile.

     

    Plus encore que cette débauche de luxe suranné évoquant un glorieux passé d'or et de lumière, je suis resté totalement fasciné par les regards sous les masques, ceux des femmes plus particulièrement. Nombre de ces personnes, vêtues comme au Grand Siècle, restaient muettes lorsque je m'adressais à elles, acquiesçant à mes exigences de metteur en scène d'un geste gracieux ou d'un hochement de tête poli. Nous échangions cependant, dialoguions presque uniquement au moyen d'attitudes et plus encore, par nos yeux. Je découvris ainsi, sous les traits figés des masques dissimulant les visages, le seul moyen d'expression vivant : les yeux et ce qu'ils exprimaient. Je pus y lire, je crois, toutes les expressions possibles allant de la lassitude au rire, de la morgue hautaine à la complicité amusée. Je vis des yeux de toutes les couleurs imaginables et tous possédaient, magnifiés sous le fard à la teinte assortie au costume, ce petit détail qui change tout : ils étaient empreints… d'humanité. Certes, ces personnages déambulaient pour être vus, admirés, photographiés, immortalisés pour une gloire aussi éphémère qu'anonyme et peut-être entrait-il une part d'hypocrisie dans leur représentation mais dans aucun je n'ai constaté l'indifférence.

     

    Je comprends mieux maintenant pourquoi Venise, au-delà de tous les clichés qui lui sont attachés, a acquis cette célébrité voulant que tout visiteur succombe à son charme. Par les mystères historiques d'une volonté acharnée à créer une ville sur l'eau, par une géographie complexe compliquant l'existence dans les gestes ordinaires, l'être humain atteint sa vraie dimension. Il a su s'adapter à cette configuration lacustre qui l'oblige à prendre le temps de vivre, le plaçant ainsi hors du temps. Cette tradition millénaire rend Venise unique en son genre dans le monde occidental, plus humaine peut-être pour les populations qui y vivent quotidiennement et qui n'ont pas d'autre choix sinon celui d'en partir. Pour ma part, j'ai seulement l'envie d'y retourner parce que comme beaucoup d'autres, j'en suis bêtement tombé… amoureux.

    Aussonne, le 13 Mars 2009

     

    Notons au passage que le dernier ouvrage de Gilbert Marquès, " La trilogie du pouvoir " recueil d'essais et de nouvelles de S-F traitant des sujets d'actualités que sont la mondialisation, la pensée unique et le sauvetage de la planète, paru en novembre 2008 aux éditions Du Masque d'Or vient d'être couronné d'un premier prix attribué conjointement par l'association culturelle L'Île des Poètes et la revue "Rencontres".


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  • Avec ce numéro 14 de la série " A propos de… " Gilbert Marquès nous présente le dernier volet de ses réflexions sur la poésie. Le dernier ? Gageons qu’il y reviendra un de ces quatre et que les échanges perdureront…

     

    Je présente à vos commentaires le second volet relatif à la poésie qui fait suite à ceux présentés ces trois derniers mois. Je traite cette fois du poème et j'espère que ce Propos suscitera autant de réflexions de votre part qu'en ont provoqué les précédents.

    Je les ai tous relus avec attention et même si nous ne sommes pas toujours d'accord sur des points de détail, nous semblons dans l'ensemble nous accorder sur le fond au point que contrairement à ce qu'écrivait Monsieur Jacques LAMY, je ne pense pas que ce soit une discussion d'arrière garde et vos réactions le prouvent. Nous ne sommes pas seulement deux à nous y intéresser.

    Même si la culture et la poésie en particulier, ne sont pas les préoccupations majeures en cette période difficile que nous traversons tous avec plus ou moins de… chance, je ne crois pas qu'il faille les délaisser pour se consacrer uniquement à l'urgence. Elles font en effet partie de l'avenir comme elles contribuent à la connaissance du passé ou du présent de sorte qu'il nous appartient à tous d'œuvrer pour qu'elles perdurent dans les meilleures conditions possibles même si cela ne semble pas très sérieux eu égard aux événements actuels.

    Le monde change et comme à chaque époque charnière, la culture a non seulement sa place mais se doit aussi d'être actrice de ce changement au travers de nos travaux. Toutes les œuvres produites aujourd'hui seront des témoignages pour le futur et c'est en cela qu'elles sont a priori bien plus importantes que nous le croyions et ceci, même si nous prétendons maintenant créer avant tout pour nous faire plaisir. Peu ou prou, certaines d'entre elles laisseront des traces.

    La poésie, de tous temps, a apporté sa pierre à l'édifice de la connaissance et du savoir au même titre que toutes les autres formes de création. Gageons par conséquent que même si elle paraît aujourd'hui dévaluée, quelques poèmes si ce n'est leurs auteurs, resteront dans la mémoire collective pour marquer leur temps.

     

    Comment définir le poème ?

     

    En préambule, j'emprunterai partiellement les termes d'une critique parue dans le numéro 69 de la revue "La braise et l'étincelle" de mai 2007 à propos de mon dernier recueil de poèmes édité, Des-Rives :

    " L'auteur possède une plume acérée, parfois violente mais toujours trempée dans l'encre de l'amitié… Derrière la crudité d'une désespérance apparente, s'étouffe à chaque page un cri d'espoir. L'écriture est belle, forte, agressive, parfois violente et toujours dérangeante mais la poésie, c'est aussi cela"

    Ainsi pourrait se résumer ma définition de ce que devrait être le poème mais ce serait trop réducteur. L'important, dans cette citation, se trouve à la fin : "… mais c'est aussi cela la poésie" Cette réflexion, anodine a priori, implique que le poème n'est pas seulement cela mais bien d'autres choses encore. Pour certains, il s'agit d'un cri, pour d'autres d'une plainte ou de l'expression d'un espoir, parfois d'un constat, d'un moment de bonheur à immortaliser. Pour moi, le poème reste le reflet de l'état d'âme du moment, de l'instant parfois, d'une idée, d'une réflexion, d'une vision.

     

    Pour l'auteur, un poème se révèle parfois difficile et long à écrire. Pour le lecteur, il peut s'avérer un révélateur ou bien un catalyseur. Pour l'un et l'autre, la perception du poème demeure fonction d'une foule de facteurs extérieurs et intérieurs liés à l'humeur, à l'environnement, à la culture, en résumé à tout ce qui constitue un individu pour lui permettre l'ouverture par différentes interprétations.

     

    Si je me place du côté du lecteur, le poème, comme toute œuvre d'art de quelque nature qu'elle soit, doit susciter des émotions, des pensées, des réminiscences, des souvenirs, en un mot des réactions qu'elles soient d'adhésion ou de rejet. Cette liste n'est pas exhaustive et que le lecteur m'excuse de généraliser mais si poète je suis, je ne prétendrai pas comme certains de mes confrères que la poésie est art majeur ne serait-ce que parce que j'en ai pratiqué d'autres, théâtre et musique notamment mais aussi parce que dans le domaine de l'écriture y compris, je ne me cantonne pas à la poésie mais je l'étends aussi à la prose. Selon ma conception, tous les arts sont complémentaires et il ne peut donc en exister un de supérieur aux autres.

     

    Si j'endosse ma peau d'auteur, il est vrai que j'utilise souvent le poème comme un coup de poing tel que le suggère la critique à laquelle j'ai emprunté cette réflexion. Pas seulement toutefois ! En ce sens, le poème a pour moi une valeur militante, politique, sociale et je l'emploie en tant que tel, dégagé de toute morale castratrice et de tous les tabous sociétaires menant au politiquement correct selon l'expression consacrée. Le poème ne doit pas s'embarrasser de bienséance mais garder son esprit critique, engagé, ironique, contradicteur ou approbateur et évidemment, violent parfois. Il ne doit pas craindre d'appeler un chat un chat de sorte qu'employer le mot cul dans un texte plutôt que postérieur n'a rien de choquant, tout résidant dans la manière de le faire.

    Le poème ne doit pas se limiter à un exercice de style pour amuser élites et esthètes. Il doit rester un espace de liberté totale et absolue. Voilà qui constitue sa préciosité et son infinie variété allant du rêve à la réalité.

     

    Le poème a pour moi les apparences d'un bijou ne connaissant ni licence ni censure. C'est sans doute et enfin ce qui explique sa longévité au travers des siècles malgré les avatars imposés par une civilisation matérialiste prônant une certaine culture où le paraître supplante l'être pour l'abaisser à une triste médiocrité autant économique qu'idéologique.

     

    Le poème est aujourd'hui trop confondu avec la chanson au point que la société qualifie de poète n'importe qui et de poème n'importe quoi mais au fond, tant mieux parce que si les vrais poètes et la poésie véritable sont noyés dans cet amalgame confusionnel, leur subsistance est assurée au moyen d'une certaine forme de publicité dont le poème émergera grandi et renforcé.

    En ceci, le SLAM pourrait devenir le véhicule de cette renaissance populaire dans cette époque faisant la part belle au son et à la vidéo plutôt qu'à l'écrit.


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  • Pour ce numéro 13 de "A propos de...", Gilbert Marquès revient sur une question fort débattue ces derniers mois au café et que je résumerai par cette interrogation : quelle lecture de la poésie aujourd’hui ?

     

     


    Ce propos reprend les grandes lignes d'une interview réalisée à la suite de la sortie de mon dernier recueil de poèmes paru en 2006, Des - Rives. Je l'ai choisie en réponse à la tournée traditionnelle de vœux effectuée par la présidence et plus particulièrement ceux adressés aux acteurs de la culture. Emis le 9 janvier dernier, ils comportent comme à l'ordinaire, des effets d'annonce dont on se demande ce qu'ils peuvent bien signifier. Ils tournent autour de trois grands axes.

    - La sauvegarde du patrimoine avec une enveloppe conséquente qui serait issue du plan de relance. Le projet est louable mais les sommes promises seront-elles véritablement débloquées compte tenu de la crise ? D'autant que pour céder aux sirènes de l'immortalité à l'instar d'un MITTERAND par exemple, l'actuel président compte marquer son mandat par un monument. Le budget alloué sera-t-il englouti dans ce projet ? Feuilleton à suivre…

    - L'entrée gratuite pour les jeunes dans les musées nationaux afin qu'il y ait une ouverture vers la culture. Je ne prendrai pas le risque d'écrire qu'il s'agit d'un coup d'épée dans l'eau car je ne sais pas comment les différentes grandes municipalités procèdent. Par contre, pour ma région de résidence, je ne pense pas que cette décision aura un impact très important puisque de telles mesures sont déjà en vigueur depuis fort longtemps, accompagnées d'animation en direction de tous les âges ou de stages de formation à différentes techniques de peintures, de mosaïque ou autres en fonction de la spécialisation du musée. De plus, je rejoins les doutes de certains observateurs pensant que cette mesure n'amènera pas un nouveau public mais profitera plutôt aux habitués. L'expérience vaut néanmoins d'être tentée pour les lieux plus figés s'il en existe.

    - Plus inquiétante me paraît la troisième annonce consistant en la mise en place d'un comité d'excellence de la culture dont, bien évidemment, Monsieur le Président veut être le grand patron. Pour l'instant, nul ne sait rien des tenants et aboutissants de ce comité si ce n'est la nomination de quelques personnalités qui y siègeront. Quel sera le contenu de la charte ? Quel sera le rôle de ce comité ? Mystère et loin de moi l'idée de condamner avant de connaître le contenu de ce projet. J'appelle néanmoins à la vigilance afin nous conservions notre indépendance d'artiste et que ce comité ne devienne pas une nouvelle arme coercitive envers la liberté d'expression pour instituer une culture étatique. Il y a déjà tellement d'autres secteurs qui subissent déjà les diktats gouvernementaux qui veut tout régenter en tout que je suis circonspect pour ne pas dire… méfiant.

     

    Au travers de ce qui suit, je veux simplement expliquer ma conception de la culture, un espace de liberté où tout doit rester possible.

     

    Comment définir la poésie ?

     

    "Poète, je le suis devenu par convention, non parce que j'ai décidé de l'être mais parce que le public et mes pairs m'ont qualifié ainsi"

    J'ai emprunté cette entrée en matière à l'AVANT-LYRE d'un de mes précédents recueils, 20 ans… déjà ?, édité par la revue "Poétic 7" il y a maintenant plus de vingt ans. J'y écrivais également ceci en guise de définition de la poésie :

    " … je pourrai tenter de définir la poésie mais bien d'autres s'y sont essayés avant moi sans y parvenir de façon satisfaisante. Je devrais alors expliciter ma propre poésie et mon rôle de poète… Je ne m'y aventurerai pas. Dans le premier cas, ce serait vouloir définir le sexe des anges. Dans le second, cela relèverait simplement de la pathologie…"

    Cette réflexion reste d'actualité et je n'ai pas changé d'idée. Malgré les écoles, les chapelles, les courants, les partisans de telle ou telle forme technique de prosodie, la poésie, pour moi, échappe à toute définition sinon à toutes règles ou, au choix, elle en a autant qu'il existe de poètes.

     

    A mon humble avis, pour retomber dans les pathos, la poésie, l'écriture et plus largement toute œuvre d'art sont en vérité le fruit d'un travail artisanal nécessitant patience et persévérance. Le talent ne suffit pas, il se cultive en recherchant la qualité pour le public auquel nous devons tous d'être ce que nous sommes sans pour autant nous prostituer.

    Je ne considère donc pas l'œuvre théoriquement achevée comme une fin en soi mais comme une porte ouverte sur l'échange, la communication avec cependant un écueil à éviter : se prendre au sérieux.

     

    La poésie m'apparaît par conséquent comme un moyen de participer à l'évolution d'une société, d'une civilisation dont elle doit être témoin et reflet mais pas uniquement dans la nostalgie ou l'intemporalité. Elle doit encore et toujours continuer à évoluer dans ses pensées, dans ses techniques et ne pas rester figée sur son passé, aussi glorieux soit-il, qui doit cependant continuer à servir de socle.

     

    Dès lors, la définition de la poésie n'est pas immuable et doit s'affranchir des raccourcis contenus dans les dictionnaires. Elle doit continuer à changer selon les lieux, les époques et les poètes eux-mêmes.

     

    Contrairement à ce que voudraient faire croire certains esprits chagrins et malgré les difficultés de diffusion qu'elle rencontre, la poésie n'est ni le symbole d'un passé révolu ni morte. Qu'elle soit qualifiée de ringarde est une hérésie à laquelle participe l'éducation d'aujourd'hui en ignorant superbement les poètes contemporains ! Il est dommage qu'au travers de cette ignorance du public parfaitement orchestrée par les différents pouvoirs notamment médiatiques, les poètes en soient réduits à survivre plutôt qu'à vivre. Il ne faut pas pour autant les enterrer vivants. Ils existent toujours contre vents et marées, au travers de nombreuses revues et de leurs ouvrages, de leurs récitals parfois.

     

    D'aucun leur reprochent pourtant de vivre en cercle fermé en se regardant le nombril. Comment pourrait-il en être autrement quand une société axée sur le consumérisme se coupe de ses bases intellectuelles et populaires pour favoriser l'humanitaire au détriment de l'humanisme ? Comment pourrait-il en être autrement lorsque la culture et au travers d'elle l'éducation ou la recherche en sont réduites à un nivellement pas le bas ramenant l'humain à une sorte de clone programmée universellement vers la conformité, la pensée unique et une mondialisation essentiellement économique ? Pour un certain nombre d'industriels de la culture prédigérée, l'art même devrait être limité à l'état de marchandise sauf peut-être justement la poésie puisqu'elle est décrétée non rentable. Elle acquiert ainsi le statut de résistance à une forme d'oppression et devient, par la force de l'inertie, le symbole d'une liberté de créer qu'il faut non seulement sauvegarder mais tenter d'étendre pour que l'homme puisse garder intact son libre arbitre et son indépendance idéologique.


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  • En cette fin d’année, Gilbert Marquès revient sur la question de l’engagement et de toutes ces choses qui font qu’au-delà des circonstances propres à chacun, l’on se décide ou non à sortir de l’isolement, à assumer les enjeux vitaux de notre époque et à y aller de notre propre parole.

     




    Pour cette dernière chronique mensuelle de l'année, j'entends poursuivre le débat sur la Poésie "engagée" en réponse notamment au commentaire de Jacques LAMY auquel je souhaite apporter quelques précisions.

    Cette expression a repris tout son sens politique et social lors des événements de Mai 1968. Elle signifiait alors que les idées devaient se concrétiser non seulement par l'expression, artistique ou autre, mais également par l'action.

    Chacun a ses raisons pour s'engager éventuellement dans la défense de multiples causes et si je suis d'accord sur le fait que créer représente un réel engagement, je me pose la question de savoir si c'est suffisant. Il est facile, toute proportion gardée, de torcher un beau poème bien ficelé pour faire pleurer dans les chaumières mais le créateur, le poète en l'occurrence, doit-il se cantonner à ce rôle ou bien payer de sa personne en montrant en quelque sorte l'exemple ? Plus explicitement, doit-il se borner à griffonner ses vers bien au chaud le cul dans son fauteuil en envoyant comme jadis ses disciples au casse-pipe ou bien doit-il aussi participer à la mise en pratique en montrant la voie à suivre ? Pour moi, la réponse ne fait aucun doute sachant qu'un poème ne résout rien s'il n'est pas suivi d'effet, s'il ne déclenche rien.

    Ainsi me revient en mémoire une réflexion de François MAURIAC qui, répondant à une interview paru dans la fin des années 60 dans "Le Magazine Littéraire" au cours de laquelle le journaliste lui demandait pourquoi il parlait toujours dans ses romans de la bourgeoisie bordelaise, a dit ;

    "Je parle seulement de ce que je connais"

    Je ne garantis pas l'exactitude intégrale de la formule que je cite de mémoire mais elle implique clairement selon moi, qu'il faut savoir de quoi on parle. Et je remarque à ce propos qu'aucune réponse n'a été apportée aux différentes questions formulées précédemment sur le possible rôle du poète. En serait-il donc seulement réduit à se faire plaisir en écrivant et subsidiairement à le partager avec des initiés ? Ne peut-il être aussi parfois et en même temps, le témoin et l'acteur de son époque et par-là même de sa vie sans pour autant "axer systématiquement ses rimes pour défiler entre la Bastille et la Nation" ? Le poète n'est-il pas aussi membre d'une société ? Doit-il se contenter d'en subir les outrances sans les dénoncer par l'écriture et les combattre par l'action ? Ne peut-il outrepasser les conventions morales et religieuses, quitte à se mettre hors la loi, pour participer à l'évolution de la civilisation ? Doit-il enfin laisser à d'autres le soin d'assumer ses propres responsabilités ?

    Personnellement, mon choix a toujours été à la fois simple et clair en tant qu'homme tout autant qu'au titre d'artiste. Je me suis battu pour certaines idées qui m'ont valu d'être jugé et emprisonné. Je n'en tire aucune gloire mais n'éprouve pas non plus de repentir. Au-delà de ces simples péripéties, j'estime que si l'homme s'assume, l'artiste y compris le poète, le doit aussi. Ceci signifie qu'il ne doit pas se limiter à créer en faisant attention à ne pas faire de vague mais aussi à poursuivre son travail en s'impliquant dans l'exploitation de son œuvre, de l'édition à la distribution en allant jusqu'à la rencontre avec les gens, et ne pas laisser cette seule charge à ceux dont c'est le métier, les éditeurs et les libraires. Se défausser de cette part de responsabilité revient à accepter nécessairement de se laisser tondre la laine sur le dos et de limiter l'impact de sa propre création.

    Ceci soulève depuis longtemps un problème constitué de la différence de conception de l'art entre ceux réputés professionnels et les autres. Les premiers vivent au sens matériel du terme, de leurs activités artistiques. Ils en subissent les charges sociales et fiscales. Par contre, les seconds ont souvent un autre métier leur permettant de ne pas se poser de questions existentielles sur leur présent et leur futur. Ils perçoivent salaire ou retraite et abordent l'art avec une éthique bien particulière. Pour nombre d'entre eux, toute question financière mais aussi politique ou sociale doit être exclue. L'art pour l'art en somme… Demandez donc aux intermittents ce qu'il en est de leur situation et ce qu'ils pensent de cette conception. Les mécènes ont disparu et les sponsors, lorsqu'il y en a, ne sont pas des misanthropes. Ils veulent des retours sur investissements et d'un autre côté, l'artiste dont le poète, doit subvenir à ses besoins essentiels. Comment fait-il lorsqu'il essaie de survivre de son travail artistique ou qu'il veut publier un livre même à compte d'éditeur ou monter un spectacle ? Utiliser le système ne signifie pas l'approuver. S'en servir pour gagner sa vie est en même temps essayer de faire entendre sa voix donc la possibilité de toucher un public potentiel et le sensibiliser également à d'éventuels changements sans pour autant cesser de le divertir.

    Il serait peut-être temps d'arrêter de se voiler la face quand il question d'art et d'argent. L'art n'est pas neutre et bien que ce soit regrettable, il a été transformé peu à peu en produit de consommation quand ce n'est pas de spéculation même si de la part de l'artiste, il demeure avant tout un geste vers l'autre. Certes, la poésie échappe encore à ce phénomène quoique si nous voulons une culture étatique, il suffit de laisser faire les autorités sans réagir ou mieux encore, de poursuivre sur la voie empruntée par certains de ne froisser personne. Ne nous préparent-elles pas une télévision publique qui pourrait devenir une télévision soumise à l'état puisque comme au bon vieux temps des dictatures, le directeur en sera nommé par les ministres ? De là à recréer une censure omnipotente interdisant la liberté d'opinion et de pensée, il n'y a qu'un petit pas à franchir. Il peut vite mener au musellement de tous les contradicteurs et donc d'une potentielle opposition politique et par voie de conséquence culturelle, si nous laissons faire. Il existe déjà tant d'atteintes à nos libertés fondamentales que nous devrions accepter en sus de nous taire et de ne pas agir ?

    Si tel est le cas, préparez-vous, bonnes gens, à pleurer toutes les larmes de votre corps, vous n'avez pas fini d'être torturés ! La politique de l'autruche n'a jamais sauvé personne et celle du mou pas davantage. La res publica (la chose publique) n'appartient pas au seuls politiciens mais au peuple avant tout, donc aux poètes aussi.

    Aussonne, le 18 décembre 2008

     

    PS  Bonnes fêtes à tous ! Joyeux Noël d'abord et Bonne Année 2009 ensuite avec beaucoup d'amour, de bonheur, de paix, de liberté et surtout la santé parce que pour ce qui est de la crise, si nous l'avons, nous en sortirons !


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  • Au comptoir comme en salle, ce soir on débat ! Gilbert Marquès a préparé le menu. Reste au lecteur à l’apprécier, l’accommoder ou le contredire à s’en émouvoir ou s’en contrefoutre… après tout, il y est seulement question de littérature, de poésie et d’engagement…

     

     

    En ce mois de novembre automnal, un peu tristounet, nous avons fêté tous les saints, les morts et l'Armistice de 14-18 sans oublier évidemment, l'élection de Barak OBAMA à la tête des Etats-Unis. Autant de sujets sur lesquels je pourrai m'attarder parce qu'ils m'inspirent quelques réflexions mais je préfère pour cette fois, délaisser la partie sociologique pour revenir à la culture par la poésie en m'inspirant d'un manifeste, véritable coup de gueule poussé par Stéphen BLANCHARD, poète émérite mais trop rare. Permettez-moi de reproduire ici in extenso sa diatribe intitulée "Le monde va mal"

    " A l’image de la crise actuelle, le monde de la poésie va mal et ce n’est pas si étonnant que cela dans la mesure où les poètes sont si étrangement absents de l’actualité. Sont-ils là pour étaler leurs "vers" à repasser ou sont-ils là pour "échanger" la face du monde ? Enlisés dans leurs rêves, ils s’évertuent à malaxer sempiternellement le soit disant bon grain de l’ivraie, issu sans issue de leur "moulin à maux dire" que l’on appelle avec condescendance : la conscience. Ces poètes là sont-ils vraiment capables de transmettre le "témoin" ou sont-ils présents sur le haut du pavé pour s’auto-complimenter sur le devenir de leur nombrilisme ? Sans acte, la poésie n’a plus aucun sens pour vivre et espérer un monde meilleur. La priorité est dans l’urgence et non dans l’indifférence car le poète peut-il s’extasier uniquement devant un coucher de soleil alors qu’autour de lui des enfants crèvent de faim et des femmes se font violer et voiler au nom d’une religion qui laisse faire ! La rose n’a pas besoin du poète pour rendre heureux le jardinier. Alors, me direz vous, on peut écrire aussi par ennui, par plaisir, pour se mettre en valeur ou pour satisfaire l’ambition d’imiter les copains. Mais où sont donc passées vos convictions et vos certitudes ? Seriez vous devenus au fil du temps les "Thénardier" de la rime… riche ? Mais, il y a mille façons de se rendre utile au sein d’un collectif en veillant à ne pas prêcher dans le vide. Ecrire pour être connu reste légitime mais cela relève de la cour des miracles surtout lorsque le poète nie toutes les atrocités d’une société agonisante. L’ami Victor HUGO combattait contre la peine de mort et l’esclavage et nous ? Où sont nos valeurs citoyennes à l’aube du 21éme siècle ? … ou encore notre combat sur la barricade des mots afin de porter courageusement l’étendard de notre si belle devise : "liberté, égalité, fraternité" Malheureusement, le poète est victime de son hyper individualisme, toujours en quête de flatteries, de hochets de vanité et de reconnaissance. Un poète qui ne s’engage pas est condamné d’avance, un poète qui reste neutre favorisera son oubli. Certains poètes ont tout sacrifié pour leur art, même leur vie ; aujourd’hui, leur poésie végète sur de poussiéreuses étagères en contrepartie d’un semblant de gloire… c’est toujours un semblant de quelque chose mais cela ne suffit pas, c’est le Verbe qui compte, pas Vous. Si le "slam" a tant de succès (pour le moment), c’est qu’il est plus perceptible par le public, plus en phase avec le langage moderne car il apporte des images -chocs -, sans complaisance, nées de la souffrance des hommes. Croyez-moi, la poésie n’est plus réservée a une élite mais si vous pouviez témoigner, les uns et les autres, d’une nouvelle quintessence poétique à la hauteur de vos rêves, nous pourrions aller beaucoup plus loin tous ensembles même si tout le monde n’a pas la rage de Rimbaud ou l’amour passionné d’un Chateaubriand.

    Continuez de rêver certes… mais nous n’aurons pas toute l’éternité pour offrir un sens à notre Ecriture et toutes nos litanies n’y changeront rien. Notre art est en péril si nous n’arrivons pas à sortir des sentiers "battus". A chacun de se remettre en question avec un cap sur le futur et avec l’intime conviction de poétiser au-delà de son miroir. Nous avons des cris à faire entendre et peut-être prouver que la poésie peut servir l’intérêt collectif par le biais d’œuvres humanitaires et sociales. Il est temps que le poète se laisse gagner par le souffle de la révolte, avec une mission paradoxale qui consiste à préserver un idéal esthétique tout en s'ouvrant à la création de nouvelles valeurs pour demain. La tâche est doublement difficile, transmettre le témoin et continuer d’avancer, c’est un défi à relever… pour celui qui se veut LIBRE !"

     

    Qu'ajouter à cela ? Je dresse ce même constat et c'est pourquoi il m'est apparu important de vous le faire partager. Au-delà, j'ajouterai que comme dans la chanson, les poètes engagés existent sûrement même si nous n'avons plus de porte-parole de l'envergure d'un Léo FERRÉ.

    Alors, où sont-ils et que font-ils ? Ils écrivent, c'est leur sacerdoce en même temps que leur torture, mais ils ne sont pas publiés par les revuistes souvent trop frileux pour se départir d'une attitude politiquement correcte. Peut-être et sans doute même craignent-ils de perdre leurs subventions et leur lectorat neutre se cantonnant à l'art pour l'art. Néanmoins, pour se donner parfois bonne conscience, consentent-ils à éditer un poème polémique mais allons, pas plus d'un par numéro sinon ce serait prendre des risques inutiles sinon inconsidérés ! Parmi mes correspondants réguliers, le poète Gérard LEMAIRE en sait quelque chose…

     

    Phénomène nouveau, cette frilosité atteint maintenant aussi Internet qui restait jusqu'alors un espace de libertés et de paroles ouvertes. Certains modérateurs de sites n'hésitent pas en effet avant de publier un auteur, à lui demander de signer une "charte de bonne conduite" (sic).

     

    Où va la poésie ainsi ? Jadis, "je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître" pour citer Charles AZNAVOUR, il existait en France des revues qualifiées d'engagées aux tendances libertaires et pouvant aller pour les extrêmes, jusqu'à un anarchisme non violent. Je pense notamment à la revue pacifiste de Louis LIPPENS, "Élan" ou encore à "Poétic 7" de Georges PIOU. Ces publications ont disparu avec leurs initiateurs décédés à plus de quatre vingt ans après avoir parfois, connu la prison à cause de leurs idées. À ma connaissance, il ne reste plus guère que la revue belge "La cigogne" de Bernard GODEFROID mais jusqu'à quand puisque lui non plus n'est plus très jeune ?

     

    Alors, questions :

    Où se situe la relève ? Les poètes ont-ils peur de s'engager ou bien ceux qui l'osent sont-ils marginalisés, subissant ainsi une sorte de censure leur interdisant de versifier sur le sexe, la morale, les religions, la politique et tous les faits sociétaires marquants de leur époque ? Doivent-ils seulement rester des observateurs ne prenant jamais partie et se bâillonnant pour ne pas faire de commentaires ? Doivent-ils se cantonner à décrire le décor sans jamais en critiquer les acteurs et seulement louer leurs bons sentiments ? Sont-ils réduits au rôle passif de témoins neutres de bon aloi qui ne blessent ni ne heurtent personne ? Sont-ils à ce point sourds, muets et aveugles comme les singes du proverbe ?

    Je n'y crois pas ! Le temps des poètes maudits est révolu même si beaucoup d'entre eux se plaignent encore du sort qui leur est réservé. J'espère un sursaut de leur part, sursaut d'orgueil et de conscience de leur rôle au sein d'une société malade. Il leur appartient de descendre dans l'arène et de prendre le taureau de la révolte par les cornes comme nous y incite Stéphen.

    Puisse-t-il ce propos les réveiller… mais aussi nous réveiller tous !

                                                                                                 Aussonne, le 16 novembre 2008

    Annonce :

    Un lecteur qui apprécie particulièrement les " Histoires d’eau " demandait récemment si l'administrateur de ce forum donnait des cartes de fidélité auquel cas il lui serait agréable d'en bénéficier.

    Une chose est sûre : on peut passer prendre un verre au café et discuter sans qu’il soit nécessaire d’être encarté. Par contre, le simple fait d’évoquer le site Calipso permet de se faire offrir les frais de port par Gilbert Marquès pour la commande directement auprès de lui de son dernier livre " La Trilogie du pouvoir " (parution novembre 2008) soit 16€ au lieu de 18,50€.

    Gilbert Marquès Cidex 3651Chemin du Brana d’en Haut 31840 Aussonne


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