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    La suite des aventures de Scipion Lafleur, le feuilleton du printemps en alternance sur Calipso et Mot compte double, par Désirée Boillot.
    (photo de Julie Boillot)

    Episode 7 



    " … Non, Roger, ce n’est pas la bonne réponse, c’est Mistinguett qui vantait les vertus du savon Cadum : " Savon Cadum, le plus agréable à employer !", il n’était pas question de télé ni de poules dans les années dix-neuf cent dix, vous et moi n’étions pas nés, le slogan que nous cherchons est beaucoup plus récent, vous avez quel âge, Roger, 45 ans, alors vous avez dû l’entendre, ce slogan, il était interprété par des poules dans les années soixante-dix, c’est un indice essentiel que j’avais déjà livré aux auditeurs la semaine dernière et qui logiquement aurait dû vous mettre sur la voie, en disant cela je vous la donne presque, la réponse, au revoir Roger, à une prochaine fois, plus que quatre minutes de jeu, pour obtenir le standard de Flippeur, la radio de tous les joueurs : 01 2345 4321, rappelons à nos chers auditeurs que nous cherchons un slogan publicitaire interprété par un chœur de poules dans les années soixante-dix, côt côt côt codak, plus que trois minutes de jeu, pour joindre notre standard composez le 01 2345 4321, allô allô ? C’est un appel qui nous parvient des côtes d’Armor, bonjour Ursule, vous avez suivi l’émission je suppose, c’est parfait, la cagnotte est pour vous si vous me donnez le slogan des poules, je vous écoute, c’est à vous !... Non pas du tout, c’est pas un slogan pour Kodak, ça aurait pu mais c’est raté, au revoir Ursule, Flippeur, la radio de tous les joueurs, 01 2345 4321, le temps file, dépêchez-vous, plus que deux minutes de jeu, il reste une dernière chance de nous joindre au 01 2345 4321 pour remporter la cagnotte… Allô oui, c’est bien moi Jean-Pierre, très bien, je vous entends très bien, bonjour Lola, vous êtes la dernière candidate aujourd’hui, vous nous appelez d’où ? De Paris et quel temps fait-il chez vous ?... Il pleut des cordes ?... Ici il fait grand soleil, bon, alors, ce slogan des années soixante-dix que nous cherchons depuis trois semaines consécutives, vous avez une idée ?

    Je crois Jean Pierre.

    Alors : à quoi s’applique t-il ?

    Aux pâtes Lustucru.

    " Aux pâtes Lustucru, excellent début Lola, maintenant vous allez me donner le slogan tout entier, il me le faut, ce slogan que tout le monde a sur le bout de la langue pour vous déclarer gagnante au Bingo Bingo, c’est à vous ! "

    Je… Vous permettez que je le chante Jean-Pierre ?

    Encore mieux !

    Les pâtes Lustucru ont quelque chose de plus : Des œufs frais ! Des œufs frais !

    " BINGO BINGO ! Bravo Lola ! Et puis quelle voix mélodieuse ! Vous ne seriez pas dans la chanson par hasard ?... Au chômage, ah, mais ça ne saurait durer, en attendant vous venez de décrocher la super cagnotte des trois dernières émissions de Flippeur, la radio de tous les joueurs, soit deux cent soixante-trois euros et soixante dix centimes, ainsi que toute la gamme des produits Lustucru, des pâtes, des sauces, des plats préparés comme s’il en pleuvait, on applaudit bien fort Lola de Paris, notre gagnante de la semaine qui remporte la cagnotte, bravo Lola et bonne chance dans votre recherche d’emploi ! Flippeur, la radio de tous les joueurs au 01 2345 4321 vous dit : à la semaine prochaine, pour un prochain Bingo Bingo ! "

     

    *

    Bien avant que Lola ne se décide à gagner son poids en pâtes Lustucru, elle avait cherché âprement du boulot. Elle avait même beaucoup espéré. Certains soirs, il lui arrivait de regarder les toits de Paris avec cette sorte de transport que l’on éprouve lorsque, dans un ciel pur d’été, passe une étoile filante.

    Ziiiiim.

    L’instant est si beau, si fugace, si grandiose sous la voûte céleste, qu’il est permis de s’émouvoir de la coïncidence d’être là, sous les étoiles, au moment exact où l’une d’elles décide d’abolir quelques milliards d’années en mourant pour celui qui, debout dans la nuit, guette ses derniers feux.

    Et il y en avait eu, des offres d’emploi, qui avaient traversé le ciel de ses recherches comme des étoiles filantes ! Les semaines, les mois avaient passé de la même manière, laissant derrière eux beaucoup d’espoirs déçus. Les petites annonces pour lesquelles Lola postulait avaient pour fâcheuse habitude de ressembler à ces comètes sur lesquelles on tire tous les plans du monde, mais qui ne brillent que pour certains candidats ayant des relations munies d’un bras suffisamment long pour les leur attraper. Il n’y avait rien de réjouissant à affronter le chômage sans relation aucune, rien de réjouissant à accepter de jouer les bouche-trous sur de courtes périodes de temps pour prouver à l’ANPE qu’on sait encore travailler. Lorsque Lola ne dispersait pas les communications dans les étages des entreprises, elle composait d’une main le 01 2345 4321 tout en feuilletant de l’autre des dictionnaires encyclopédiques pour trouver le nombre de panneaux criblés de trous de chevrotines sur les routes de l’île de beauté, dans l’espoir de décrocher le lot de pinces à attraper les saucisses, à refourguer sur le vaste Internet.

    Car après la radio, venait l’heure du troc sur la toile, et dans les bons jours ça pouvait rapporter gros : le pécule sur lequel Lola vivait provenait de la vente en ligne d’une photo couleur extrêmement rare et très recherchée par les collectionneurs, de format 21X29.7 certifiée originale, (qu’elle avait gagné pour avoir trouvé le premier sobriquet de Schwarzenegger bébé), où l’on voyait le culturiste plus du tout poupougnard mais de face, en slip léopard, en train de brandir au bout de deux tresses de muscles des haltères gros comme les roues d’un char romain, à l’époque où il pompait de l’acier les yeux rivés sur le titre de Monsieur Univers, un peu moins glamour il faut bien le dire que celui de Gouverneur de la Californie (lequel ne s’adresse pas forcément aux balèzes à gros biceps, mais enfin joignez tout de même une photo à votre candidature, ça ne peut pas nuire).

    Ce soir-là, tout en dégageant à la pince à épiler les paquets de poussière agglomérés par le temps entre les poils de la brosse aspirante de son cher serpent vert, Lola repensa à la fulgurance de joie qui l’avait traversée en apprenant trois mois auparavant qu’elle avait gagné un week-end de thalasso pour deux personnes avec à la clé des bains de toutes sortes, que chacun pourrait souhaiter lorsque la douche s’entête à ne laisser filer que quelques gouttes sur le sommet du crâne façon supplice chinois. Se levant, elle esquissa de gracieux pas de danse accrochée au cou de l’aspirateur, cherchant l’angle sous lequel elle présenterait les choses à Scipion lorsque le moment serait venu de lui parler de jets rotatifs à fort potentiel exfoliant.

    La baignoire de ses fantasmes débordait de Dom Pérignon quand des pas se précisèrent dans l’escalier. Interrompant sa danse, Lola rassembla en toute hâte les morceaux du serpent vert qu’elle fourra au fond du placard : Scipion avait toujours considéré que la poussière, c’était la vie, tout comme le fouillis, et qu’il était essentiel de les préserver.

    à suivre…


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    Juste comme ça, histoire de cogiter avec cet extrait de De la démocratie en Amérique, Livre II, publié en 1840, d’Alexis de Tocqueville 


    "Il y a un passage très périlleux dans la vie des peuples démocratiques.

    Lorsque le goût des jouissances matérielles se développe chez un de ces peuples plus rapidement que les lumières et que les habitudes de la liberté, il vient un moment où les hommes sont emportés et comme hors d’eux-mêmes, à la vue de ces biens nouveaux qu’ils sont prêts à saisir. Préoccupés du seul soin de faire fortune, ils n’aperçoivent plus le lien étroit qui unit la fortune particulière de chacun d’eux à la prospérité de tous. Il n’est pas besoin d’arracher à de tels citoyens les droits qu’ils possèdent, ils les laissent volontiers échapper eux-mêmes.

    Si, à ce moment critique, un ambitieux habile vient à s’emparer du pouvoir, il trouve que la voie à toutes les usurpations est ouverte. Qu’il veille quelque temps à ce que tous les intérêts matériels prospèrent, on le tiendra aisément quitte du reste. Qu’il garantisse surtout le bon ordre. Les hommes qui ont la passion des jouissances matérielles découvrent d’ordinaire comment les agitations de la liberté troublent le bien-être, avant que d’apercevoir comment la liberté sert à se le procurer ; et, au moindre bruit des passions politiques qui pénètrent au milieu des petites jouissances de leur vie privée, ils s’éveillent et s’inquiètent ; pendant longtemps la peur de l’anarchie les tient sans cesse en suspens et toujours prêts à se jeter hors de la liberté au premier désordre.

    Je conviendrai sans peine que la paix publique est un grand bien ; mais je ne veux pas oublier cependant que c’est à travers le bon ordre que tous les peuples sont arrivés à la tyrannie. Il ne s’ensuit pas assurément que les peuples doivent mépriser la paix publique mais il ne faut pas qu’elle leur suffise. Une nation qui ne demande à son gouvernement que le maintien de l’ordre est déjà esclave au fond du cœur ; elle est esclave de son bien-être, et l’homme qui doit l’enchaîner peut paraître.

    Il n’est pas rare de voir alors sur la vaste scène du monde, ainsi que sur nos théâtres, une multitude représentée par quelques hommes. Ceux-ci parlent seuls au nom d’une foule absente ou inattentive ; seuls ils agissent au milieu de l’immobilité universelle ; ils disposent, suivant leur caprice, de toutes choses, ils changent les lois et tyrannisent à leur gré les mœurs ; et l’on s’étonne en voyant le petit nombre de faibles et d’indignes mains dans lesquelles peut tomber un grand peuple."


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    Philippe Leroyer, nouvel invité au café nous propose un poème post Mouvement du 22 mars.

    Se présenter ? J'écris.

    Pourquoi ? Parce qu'à 17 ans j'ai découvert que le monde est plus facile à supporter quand on met des mots dessus.

    Et ça va mieux ? Le monde, non. Moi, je persiste à écrire.

    A part ça ? Ce n'est pas parce que tout a été dit qu'il ne faut pas continuer à le dire.

    Donc ? Parfois on peut me lire en revue, voire même en livre (un roman jeunesse : Plume de bison et les foies jaunes, Sedrap, 1999).




    Hasbeen hédonisme

    10.05.2007

    Il fallait que cela se produise

    Le bonheur n'est pas dans nos gènes

    L'ordre moral patrouille sur les estrades

    L'étendard de la Nation en cache-misère

    Le tricolore pour fouiller les plaies haineuses

    C'est ainsi

    La jouissance aux maîtres

    Golden partouzes sur matelas de cash-flow

    Les petits matins de labeur triste

    Aux décervelés du travailler plus pour peiner plus

    Ce ne sont plus des lendemains qui déchantent

    Mais un crépuscule mortifère de reniement charnel

    La croissance en ligne bleue des Vosges

    Je ne veux voir qu'une seule tête de gondole

    L'armée des ombres a retourné sa veste

    Ce sont désormais légionnaires du Christ vengeur

    Et adventistes de la fusion acquisition

    Dont les urnes ont vomi le règne

    Alléluia

    Philippe Leroyer


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    Revendiquée, consentie ou subie la solitude peut se conjuguer sur de multiples partitions mais elle reste avant tout une affaire de capacité à composer avec la rencontre, à supporter l’épreuve du désir, à tisser un lien vivant avec les autres et à soutenir la division. Si le désir de l’autre se joue d’abord dans la pensée, le fantasme, il prend corps dans l’absence, dans cet espace laissé vacant par la séparation, cet interstice peuplé d’images, de résonances, d’affects. C’est l’inadéquation du désir à son objet qui rend à la fois douloureux et enchanteur la relation d’amour. Le sujet pris dans la seule subjectivité connaît bien ce temps de l’amour ou tout paraît singulier et unique, où l’on entrevoit le vrai de l’autre, où l’on est mis hors de soi et où l’on éprouve dans cette sorte d’absence au monde le sentiment de sa propre disparition. Ce temps volé à la mort qu’est le temps de la jouissance résonne comme un retour aux sources, comme un lieu en deçà de la perte, un lieu qui se tait, qui n’a rien à voir avec l’autre. Alors quand ce temps extatique vient à refluer, qu’il n’est plus du côté d’une évidence aveuglante, le regard se prépare à un retour orgueilleux sur soi, à une reconquête qui ne peut se faire que sur le dos des autres. La relation à l’autre, sa présence même en vient du coup à être ressentie comme une menace, un empiètement douloureux, insupportable.

    Les personnages mis en scène par Emmanuelle Urien sont à la recherche de cette fiction idéale où l’autre, ce double de soi toujours imparfait, serait à reconstituer, à remodeler dans l’espoir de venir à bout de cette angoisse d’abandon qui les taraude. Aux prises avec cette blessure originelle, cette douleur jamais assouvie, ils vont et viennent, chargés de ces éternels fantasmes de retrouvailles avec l’objet perdu. Tous ambitionnent d’être pris dans le mouvement de l’humanité ; pendant que les uns tentent d’affronter le pire pour trouver le meilleur, les autres se contentent de résister à la détresse en multipliant les passages à l’acte ignominieux. Est-ce que vous m’aimez ? ou plutôt y a-t-il quelqu’un pour m’aimer ? hurlent tour à tour les interprètes de cette foire aux monstres. La question envahit l’espace psychique, efface les repères. Les récits sont peuplés de mendiants en quête d’affection, d’attention, de reconnaissance, de laissés-pour-compte avides de vengeance, de rédemption, d’expiation, de naufragés hélant des fantômes et happant le vide,

    Dans un style épuré et incisif, Emmanuelle Urien nous donne à sonder sa collection d’êtres à la dérive, à toucher au plus près ces gens pris par la détresse, qui ne savent plus marcher droit, les yeux perdus dans la nuit et qui pressentent que la grâce ne viendra pas.

    La collecte des monstres d’Emmanuelle Urien aux Editions Gallimard, 157 pages, 13,5 €


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    Dans la dernière livraison de Mot compte double, Françoise Guérin faisait part de son étonnement à la lecture des mots-clés par lesquels des internautes ont été conduits sur son site. A toutes fins utiles, j’ai lancé la machine espion sur Calipso. En voici un bref résumé :

    Quoi prendre quand on s’est mordu la langue et que l’on a de surcroît les doigts rouges en entier ? Voilà ce que se demande ce couple debout enlacé après avoir entrevu dans une boîte de nuit ou plutôt dans un de ces lieux occultes du monde mâle, une sorte d’animal possédé par la Dame. L’homme basané se remémore le temps où ce que les noirs étaient des esclaves et passant du coq à l’âne pense aux quatre estomacs de la vache et à leur capacité à digérer toutes sortes d’abgusht. La femme tout en muscles et avec une bonne dose de nerfs dans ses longues jambes enveloppées de vinyle, penche pour un pack de bière forte et se sent prête à sortir le couteau pour se faire la peau de la bête en attendant de se venger des banquiers qui lui ont refusé une avance et l’autorisation de poser un balustre.

     


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    On ne peut pas plaire à tout le monde mais on peut essayer de réfléchir…

    "L'opinion publique n'existe pas", disait Bourdieu, tout le monde n'a pas une opinion sur tout et ce phénomène est d'ailleurs observable dans les pourcentages importants de non-réponses dans les sondages. Il souligne que le taux de non-réponses est plus élevé d'une manière générale chez les femmes que chez les hommes, et que l'écart est d'autant plus grand que les problèmes posés sont d'ordre politique. De façon générale, la probabilité d'exprimer une opinion dépend du niveau d'instruction et du degré d'engagement du sondé par rapport au domaine sur lequel il est interrogé. Pour Bourdieu, l'enquête d'opinion traite l'opinion publique comme une simple somme d'opinions individuelles. Dans les situations réelles, la seule opinion qui compte est celle des groupes mobilisés (syndicats, groupes de pression...). Ainsi, l'opinion publique des sondages est "un artefact pur et simple dont la fonction est de dissimuler que l'état de l'opinion à un moment donné du temps est un système de forces, de tensions et qu'il n'est rien de plus inadéquat pour représenter l'état de l'opinion qu'un pourcentage". Les sondages n'ont ainsi qu'une fonction de légitimation des pouvoirs en place et "l'opinion publique n'existe pas", sous la forme en tout cas que lui prêtent ceux qui ont intérêt à affirmer son existence.(extrait myspace)


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    Ce texte de Françoise Guérin figure dans les commentaires de l’article Décentralisation paru récemment. Aujourd’hui particulièrement, il a toute sa place en pleine page parce que parfois tout commence avec un petit rien, un seul petit mot perdu dans les nuages…

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    Au début, je caressais l’espoir, d’une main rêveuse, en attendant qu’il me fasse vivre. C’était un espoir tout maigre, je l’avais adopté après que quelqu’un l’ait perdu. Vous n’imaginez pas le nombre d’espoirs qu’on a vu naître et qui ont été nourris pendant des années, avant d’être retrouvés, abandonnés, au coin d’une vie. Pathétique.

    Enfin, je caressais l’espoir et… Je ne sais pas si vous avez déjà caressé un espoir mais c’est troublant. Je ne vous parle pas de ces faux espoirs qui luisent en tête de gondole. Dans la logique libérale, tous les espoirs sont permis mais méfiez-vous : on s’accroche à une trompeuse lueur d’espoir et un jour, on se retrouve à en nourrir de faux, livrés clé en main par un paranoïaque égotique (pléonasme) qui place ses espoirs comme d’autres jouent en bourse : plus son espoir est grand, plus le nôtre est écrasé, au bord du dépôt de bilan.

    Bref ! Moi, j’avais conservé un petit espoir. Oh, il n’était pas bien épais. Pour vous donner une idée, il n’y tenait que quelques mots, de ceux qu’on lit au fronton des mairies, de ceux qui ont fondé l’histoire de ce pays et font rêver les rescapés des dictatures. Pas gros, quoi. Mais vous savez ce que c’est, on s’attache, c’est idiot ! Je le gardais bien au chaud. Parfois, je le sentais s’éteindre alors, doucement, je le ranimais. J’avais beau entendre, autour de moi, que tout cela était dépassé, je ne pouvais pas m’empêcher ! Je l’entretenais en secret. J’en remplissais ma vie. Je me disais : tant qu’il en reste un peu !

    Et puis ce matin, je le caressais, comme ça, sans y penser vraiment et j’ai vu qu’il tremblait. Il était mal en point et ça m’a fait tout drôle…

    Françoise Guérin

     

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    Les activités reprennent sur Calipso avec sans plus tarder la suite des aventures de Scipion Lafleur, le feuilleton du printemps écrit par Désirée Boillot et à suivre en alternance sur les sites Calipso et Mot compte double.

     

    Episode 5

     

    " Si ça continue, Lafleur, ça devra cesser ! " meuglait Norbert Grimbert en libérant toute la flamme de ses cordes vocales contre les murs, lesquels se renvoyaient les mots comme des projectiles de braise, d’où l’expression de propos incendiaires.

    " Surveiller ou dormir, Lafleur : vous entendez ? " meugla-t-il à nouveau.

    Scipion entendait parfaitement. Aussi loin qu’il remontait, il n’avait jamais eu les portugaises ensablées. Il se mit à fixer avec intérêt la pointe des chaussures du proviseur, en se demandant quelle sorte de truc l’autre pouvait bien employer pour qu’elles aient ce bel aspect lustré. Cirage ? Salive ? Les deux ? D’abord le cirage, ensuite la salive ? Ou l’inverse, avec un coup de chiffon entre les deux étapes, et la brosse à reluire pour conclure en apothéose ? C’était toute la question, sur laquelle il se penchait maintenant avec beaucoup d’ostentation soumise.

    "  C’est un monde ! Un scandale ! Une pure aberration !" ouaouarona l’énervé, imitant cette fois-ci le mugissement des grenouilles américaines, qui sévissent dans la région des Grands Lacs, également répertoriées sous le nom de ouaouaron.

    Connaissant les accès de colère de Grimbert, la soumission était la seule attitude à adopter. Le proviseur avait fait de la ponctualité une règle de vie au sein de l’établissement. S’il n’était pas tombé dans la bassine de potion magique quand il était petit, il avait très probablement avalé un chronomètre à la naissance. Il détestait les contrevenants qui débarquent au lycée en se fichant de tout, sans montre au poignet mais en couinant des pieds, avec leurs moches godillots à semelles de crêpe et lacets ramasse-poussière, et qui ont le toupet invraisemblable de lui manger la soupe sur le crâne. Car Scipion était grand, il n’y pouvait rien. Sa Maman avait garni jadis son bol de bons légumes qui font grandir. Norbert Grimbert, lui, était petit. Tout petit. A peine plus haut que le balai de Scipion (dont les mensurations exactes sont données dans le 3ème épisode de cette histoire) : disons à la louche un mètre cinquante-cinq d’autorité et d’idées fixes, hargneux avec le corps enseignant, hargneux avec les élèves, hargneux avec les mouches qui tournaient autour de son bureau, attirées par l’odeur sucrée que dégageait l’encrier de verre jamais rebouché. Norbert Grimbert était un bouledogue à voix ouaouaronante, aux ordres du Ministère.

    Anthropologue à ses heures, Scipion menait son enquête sur l’espèce humaine dont il avait déduit que l’homme, en venant au monde, n’était ni bon ni méchant mais simplement malléable : une sorte de pâte vierge que le tourbillon de la vie se chargeait de ballotter au vent mauvais, de-ci, de là, vous connaissez la suite. A partir d’un ensemble de critères, il était parvenu à définir cette matière première constituée de chair et de sang, et dotée de l’étincelle de l’intelligence (à quelques exceptions près, il y en a toujours.) Au fil de ses recherches, l’anthropologue amateur avait fait surgir de ce tronc commun plusieurs grandes familles d’individus, qu’il avait réparties sur des branches distinctes, comprenant des catégories et des sous catégories agrémentées de spécificités complémentaires, quand cela s’imposait. Dès qu’il en avait le goût et l’occasion, Scipion notait ses découvertes sur son Grand Arbre des Caractères, comme il l’appelait. Lui-même s’était classé, au sein de la famille des Velléitaires, sur la branche des Doux rêveurs, dans la catégorie des Indolents légers dont la spécificité consistait à se rendormir les jours de pluie : il avait toujours été très objectif.

    Les mois passant, son analyse de la personnalité complexe de Norbert Grimbert s’était affinée. Ainsi le situait-il, à l’intérieur de la famille surpeuplée des Gueulards, sur la branche des Colériques violents, plus précisément dans la catégorie des Trépignants dominateurs, capables de pondre, au pic de la crise, de mauvais alexandrins publicitaires. Sans prévenir.

    " Dormir, ou surveiller : Lafleur, il faut choisir ! " postillonna le proviseur, qui devenait violet foncé.

    A ce stade, il n’y avait pas grand-chose à faire, seulement rentrer un peu plus les épaules, reculer de deux pas, courber la tête et attendre que ça passe. Mais ce matin-là, ça ne passait pas. Ça ne passait pas du tout. Ça se corsait au point que Grimbert s’était mis à sautiller. Le petit trépignant était également doté de la faculté étonnante de décoller du sol au moindre éclat de sa voix terrible, d’où le surnom de Pop-corn que les professeurs lui avaient attribué à l’unanimité.

    " Quand c’est-ti donc, Lafleur, que vous serez à l’heure ? " tonna-t-il en décollant du parquet d’un bon centimètre et demi, et ses joues aubergine eurent des tremblements de gelée d’Albion.

    Reculant encore un peu, Scipion eut un très lent et très vague haussement d’épaules assorti d’un petit soupir très las, comme pour dire qu’il savait pas quand il serait à l’heure et que c’était pas sa faute si le réveil il avait pas sonné mais bien celle de la pluie avec ses vertus somnifères qui l’avait poussé à se rendormir et que d’abord il en avait assez qu’il pleuve tout le temps que c’était pas une vie même pour les chiens.

    Grimbert interpréta le geste de Scipion exactement comme ça, ce qui eut pour effet de jeter une goutte d’huile supplémentaire sur sa colère.

    " Ai-je donc, mon vieux, une tête à plaisanter ? "

    Non, absolument pas. Lafleur ne se rappelait pas que Norbert Grimbert eût jamais eu une tête à ça. Il ne plaisantait jamais, il ne supportait pas qu’on plaisantât dans l’enceinte du bâtiment, il détestait les plaisantins qui se permettaient de plaisanter sur sa taille en l’affublant en plaisantant de sobriquets grotesques, il était Monsieur le Proviseur jusqu’à nouvel ordre, on avait plaisamment intérêt à s’abstenir de toute plaisanterie plaisante tant qu’il serait à la tête de l’établissement, please.

    " N’oubliez pas que vous n’êtes qu’un pion, un pion minable sur l’échiquier de la vie !"

    Grimbert devenait lyrique, c’était insupportable. Il agitait ses poings comme s’il lui fallait enfoncer dans l’air cette vérité avec des clous à grosse tête.

    Acculé contre le bureau, Scipion le pion releva la tête bravement, dans un sursaut légitime d’auto-défense.

    " Monsieur Grimbert, chevrota-t-il d’une voix vaguement outragée, laissez-moi vous expliquer… 

    Il n’y a pas d’explication qui tienne mon p’tit bonhomme, renchérit le proviseur violet en se mettant sur la pointe des pieds. Prenez les sujets sur mon bureau et filez en B6. Les Troisième G vous attendent, et ils sont très en forme. "

    A ces mots, Scipion se sentit crucifié. Dans un ultime mouvement de recul, il heurta l’encrier du bras droit, qui eut le temps de verser sur le parquet une belle larme outremer avant que le maladroit ne le redresse vite fait. Puis, sans demander son reste, il s’enfuit avec le paquet de sujets en couinant autant à gauche qu’à droite, sous le regard furax de Pop-corn.

    à suivre…

     


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    Le café sera fermé du 25 avril au 3mai. Durant ces jours où vous ne pourrez venir vous abreuver de mots, d’idées et d’émotions, nous vous invitons à célébrer, à maudire, à oublier, à reprendre du poil de la bête dans l’après 22 avril 2007 en composant à partir d’une dizaine d’expressions courantes une petite histoire de campagne :

    Attraper le démon

    Boire du petit lait

    Battre le pavé

    Caresser l’espoir

    Mordre la poussière

    Oublier d’être bête

    Perdre la main

    Prendre son pied

    Rendre gorge

    Tailler des bretelles

     

     


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    Une chronique à la petite semaine de quelques judicieuses fabriques de littérature.

    à cliquer dans les Aiguillages :

     

    Sur Mot Compte Double

    Le feuilleton du printemps écrit par Désirée Boillot, "Les aventures de Scipion Lafleur " est à lire en alternance sur Mot compte double et Calipso. Le 4ème épisode " Sous la terre " est encore tout frais sur Mot compte double du 21 avril : le prochain " Popcorn " paraîtra le 4 mai 2007, sur Calipso donc !

    Sur Bonnes nouvelles

    Une fois encore Corinne Jeanson, texte, Hervé Jeanson, musique et Nicole Amann, voix, mêlent leurs talents pour composer " La nouvelle vague " . Un remarquable trio.

    Sur le site Ainsi vit-on aujourd’hui

    "Casa" un très beau récit, fluide et captivant qui dit avec cœur ce qu'il en est des richesses de l'imaginaire et du triste destin des illusions.

    Sur Histoires d’écrire

    Poèmes, récits, nouvelles de Corinne Jeanson, une bienheureuse entente entre les mots, la voix et la musique.

    Sur Mercure liquide

    Des extraits bien attrayants des premiers numéros de cette revue littéraire et graphique. A lire l’article qui leur est consacré " Mélanges fertiles " publié ici même le 12 avril 2007.

     

    La dépêche expéditive de chez Reuters

    Une compagnie d’assurances écossaise aux initiales avisées (GRIP) s’est engagée par contrat à couvrir vingt quatre femmes âgées de 21à 57 ans qui craignent de se retrouver enceintes des œuvres du Maître des Cieux. La compagnie assure également les risques de fécondation par des extraterrestres ou des esprits frappeurs, les attaques de vampires ou de loups-garous. Plus prosaïquement, elle garantie les prostitués contre le mal de dos, les adeptes de raves contre le décès par ecstasy ou encore les amateurs de bœuf contre la maladie de Creutzfeld-Jacob.

     

    Reste que seule une intelligence sensible des choses de la vie peut permettre de se préserver d’une lepénisation des esprits

     


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