• L'ivresse du désespoir

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    Revendiquée, consentie ou subie la solitude peut se conjuguer sur de multiples partitions mais elle reste avant tout une affaire de capacité à composer avec la rencontre, à supporter l’épreuve du désir, à tisser un lien vivant avec les autres et à soutenir la division. Si le désir de l’autre se joue d’abord dans la pensée, le fantasme, il prend corps dans l’absence, dans cet espace laissé vacant par la séparation, cet interstice peuplé d’images, de résonances, d’affects. C’est l’inadéquation du désir à son objet qui rend à la fois douloureux et enchanteur la relation d’amour. Le sujet pris dans la seule subjectivité connaît bien ce temps de l’amour ou tout paraît singulier et unique, où l’on entrevoit le vrai de l’autre, où l’on est mis hors de soi et où l’on éprouve dans cette sorte d’absence au monde le sentiment de sa propre disparition. Ce temps volé à la mort qu’est le temps de la jouissance résonne comme un retour aux sources, comme un lieu en deçà de la perte, un lieu qui se tait, qui n’a rien à voir avec l’autre. Alors quand ce temps extatique vient à refluer, qu’il n’est plus du côté d’une évidence aveuglante, le regard se prépare à un retour orgueilleux sur soi, à une reconquête qui ne peut se faire que sur le dos des autres. La relation à l’autre, sa présence même en vient du coup à être ressentie comme une menace, un empiètement douloureux, insupportable.

    Les personnages mis en scène par Emmanuelle Urien sont à la recherche de cette fiction idéale où l’autre, ce double de soi toujours imparfait, serait à reconstituer, à remodeler dans l’espoir de venir à bout de cette angoisse d’abandon qui les taraude. Aux prises avec cette blessure originelle, cette douleur jamais assouvie, ils vont et viennent, chargés de ces éternels fantasmes de retrouvailles avec l’objet perdu. Tous ambitionnent d’être pris dans le mouvement de l’humanité ; pendant que les uns tentent d’affronter le pire pour trouver le meilleur, les autres se contentent de résister à la détresse en multipliant les passages à l’acte ignominieux. Est-ce que vous m’aimez ? ou plutôt y a-t-il quelqu’un pour m’aimer ? hurlent tour à tour les interprètes de cette foire aux monstres. La question envahit l’espace psychique, efface les repères. Les récits sont peuplés de mendiants en quête d’affection, d’attention, de reconnaissance, de laissés-pour-compte avides de vengeance, de rédemption, d’expiation, de naufragés hélant des fantômes et happant le vide,

    Dans un style épuré et incisif, Emmanuelle Urien nous donne à sonder sa collection d’êtres à la dérive, à toucher au plus près ces gens pris par la détresse, qui ne savent plus marcher droit, les yeux perdus dans la nuit et qui pressentent que la grâce ne viendra pas.

    La collecte des monstres d’Emmanuelle Urien aux Editions Gallimard, 157 pages, 13,5 €


  • Commentaires

    1
    Lundi 14 Mai 2007 à 15:38

    Bonjour Patrick, contente de lire à propos d'Emmanuelle Urien, j'ai eu le grand plaisir de la publier dans la revue Nouveaux délits, et elle méritait bien déjà la reconnaissance qu'elle a aujourd'hui.

    merci aussi pour votre commentaire sur mon blog suite à l'édito et la présentation du n°23 de la revue, et qui vous a valu un commentaire d'une grande érudition d'un certain Georges, dont le courage est tel qui n'a pas laissé son mail, (il semblerait que "connard" soit le mot à la mode depuis quelques temps... allez savoir pourquoi !)

    bravo pour votre blog

    amicalement

    Cathy

     

    2
    Mercredi 29 Août 2007 à 19:31
    J'interviens de façon bien tardive dans une discussion que je ne connaissais pas, tenue sur un blog où je n'étais jamais allé (désolé, Cathy, il faut bien commencer un jour à aller sur un blog).
    On me demande si le "un certain Georges", c''est moi. Comme si j'étais le seul Georges à pouvoir tenir des propos désagréables (je ne les ai d'ailleurs pas trouvéd sur le blog, lesdits propos).
    Je réponds donc très simplement : NON, CE N'EST PAS MOI. Tous ceux, toutes celles, qui me connaissent vous le diront : quand  je suis désagréable, je signe et je laisse mon adresse. Quand je suis agréable aussi, comme ce soir.
    Bonne soirée, Cathy que je connais désormais un peu.
    3
    Magali
    Samedi 23 Août 2014 à 18:40

    Oui.

    Et comme ils sont à la fois proches, profondément humains et singuliers dans leurs obessions (ah! cet homme qui ne peut se retourner sans mitrailler les autres du regard et devient photographe! ah, ce couple en voiture qui constate l'échec, depuis toujours,  de tout dialogue entre eux...) .

    Et comme tout cela, si subtil, est aussi immédiatement accessible, par la grâce d'un style merveilleux de clarté...

    Merci de ce beau commentaire, Patrick,  qui invite à aller au-delà de cette apparence, à retourner à ces nouvelles, à s'adonner au plaisir d'une seconde lecture...

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