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    Ma chienne sur la dune

    par Jean Calbrix

     

    La dune au loin serpente entre mer et lagune,

    Contraste de couleurs : émeraude et vert chou.

    Des nappes de bruyère ornent comme un bijou

    Les dômes d'ocre blond se dorant à la brune.

     

    Je retiens mon setter, chasseuse peu commune.

    Je la lâche, elle part comme un coup de grisou,

    Truffe au vent, tête haute, et fonce sur un trou,

    Puis court dans les oyats, semblant chercher fortune.

     

    Je siffle, elle s'arrête et reste patte en l'air.

    Une alouette fuse, elle fond tel l'éclair.

    Tout son corps se détend et se plie, élastique,

     

    Zigzaguant au gré des coups d'ailes de l'oiseau.

    Que j'aime ces instants de course fantastique

    Où mon oeil ébloui goûte un fameux tableau.


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    Il est 23h10 heure locale. Il y a une heure la place de Talaat Harb (centre ville), a été plongée dans le noir. Quand la police coupe le courant, c'est qu'elle s'apprête à tirer sur la foule. (Cris d'Egypte)


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    Restons un moment du côté des péripéties animalesques et profitons-en pour nous rassasier des frasques culinaires de l'ami Jean-Claude Touray

     

    Le POUCE-PIED qui voulait faire un repas

     

    Fixé par un tuyau très prisé des gourmets

    Sur un socle rocheux que la vague battait

    Dans la zone agitée des grands déferlements,

    Un certain Pouce-pied tenait un restaurant.

    Aimable amphitryon pour tous,

    Il prêtait son dos volontiers

    Au voyageur pressé

    Qui voulait manger sur le pouce

    Quand un autre plus familier

    Prenait son pied.

    Ce bistrotier aurait bien aimé voyager

    Mais, fixé au rocher, il ne pouvait bouger.

    Quand il faisait son du Bellay il murmurait :

    "Je donnerais trop bien

    Le voyage d’Ulysse et le mont Palatin

    La douceur angevine et tout son tralala".

    Faisant alors son Brillat

    Savarin

    Il disait, larmoyant : "je donnerais tout ça

    Simplement pour faire un repas

    Dans un grand restau parisien".

    Un bon génie qui déjeunait de bigorneaux

    Entendit ses soupirs et comprit ses sanglots.

    "Y’a pas d’souci, tu as droit à trois vœux l’ami

    Et le premier sera

    Un voyage à Paris pour y faire un repas".

    Sitôt dit, sitôt fait et par tapis volant

    Le pouce-pied

    Est transporté

    Sur les Champs-Elysées

    Aux cuisines d’un restaurant.

    Il y parle avec le gérant.

    "Faire un repas ? N’y songe pas

    Pauvre Pollicipes cornucopia.

    Tu n’es homard ni araignée

    Mais simple petit crustacé

    Il n’y a que très peu de chair en toi

    Pas d’quoi en faire un plat, moins encore un repas…

    Par amitié pour le génie

    Qui t’a fait venir à Paris,

    Demain soir je te flambe avec un gros homard

    Au calvados du père Magloire

    Et cette immolation fera ta gloire.

    MORALITE

    Ce propos dégrisa tout soudain Pouce-Pied,

    Qui s’écria : merci Monsieur n’en jetez plus

    "Faire un repas" est en français très ambigu.

    Cuisinier, gastronome ou chair à déguster,

    Sont trois rôles distincts illustrant bien le thème.

    J’avais pris "gastronome", hélas j’ai vite vu

    Que vous ne pensiez pas au même.

     

    Note du barman : le pouce-pied a une belle cuisse bien dodue et copieuse enveloppée dans un bas de soie noire... et c'est la chair de la cuisse dénudée que l'on déguste (d'après Lugar do Olhar Feliz)

     


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    Aujourd’hui, en compagnie du jingle désormais populaire au café, selon lequel "foirer, c’est bien, mais bien foirer, c’est mieux", nous nous risquons sur le terrain mensonger de la publicité, dont les bras tentaculaires s’étirent sur tous les rayons du supermarché, jusque sur les paquets de croquettes pour chat Puranimo.

     

    Comment bien foirer son excursion au pays des publicitaires

    par Ysiad

     

    L’heure est grave. Vous voici à votre table, en train de rédiger un courrier au très opulent groupe Problicis, non pour lui proposer votre candidature mais celle de votre chat de gouttière, suite à l’achat de deux paquets de croquettes proposant, à l’intérieur d’un dépliant collé à l’emballage, un jeu-concours si alléchant que ce serait péché de pas participer. A en croire votre fille, vous seriez une bien mauvaise maîtresse, si vous boycottiez l’occasion qui vous est donnée d’admirer un jour, dans les journaux, la photo couleur de Patou étalée sur une pleine page ! Il suffit d’écrire que Patou raffole de ses nouvelles croquettes, c’est tout ! Tu peux tout de même faire ce petit effort pour lui ! Oui, bien sûr, vous le pouvez. Objectivement, il est tout à fait concevable que vous rédigiez un témoignage à la con selon lequel votre grand adepte de la sieste sur un radiateur tiède a miraculeusement retrouvé son instinct de chasseur et son goût pour le jeu, grâce aux bienfaits des croquettes Puranimo sur son métabolisme. D’accord, avez-vous dit à votre fille, non sans imaginer déjà la bête de fourrure en gros plan dans la presse nationale, mais surtout pas un mot à Papa, et toi et ton frère signez cette lettre aussi, ça aura plus de poids.

    C’est ainsi que le soir même, une missive cosignée, libellée à l’adresse de Problicis Dialogue – Jeu concours Puranimo, est déposée clandestinement à la poste du Louvre, cependant que le conjoint reprend au stylo rouge, en soupirant, les sources d’un élève selon lesquelles le Cogito, ergo sum aurait été écrit par Jean-Paul Sartre, écrivain corse de la fin du dix-neuvième siècle.

    Et puis bon, ensuite, les jours passent, c’est leur boulot, entraînant les semaines les unes derrière les autres, jusqu’à ce qu’un beau jour, le téléphone sonne, c’est aussi son boulot, mais comme vous n’êtes pas là, le conjoint, qui, lui, est là et tape au clavier un extrait des Pensées de Pascal pour l’intégrer au corrigé qu’il va distribuer tout à l’heure à sa classe de littéraires, décroche.

    Allô, Monsieur B. ?

    C’est moi, fait-il, cherchant à reconnaître la voix dans le combiné. – Pépin Pipeau, de Problicis Dialogue. Vous êtes bien le maître de Patou ? – Certes, répond-il, vaguement intrigué. – Nous avons la joie de vous annoncer que votre chat a été sélectionné parmi trois mille autres candidats, et qu’il a d’ores et déjà gagné des tas de cadeaux, dont une séance exclusive de photo par un photographe animalier, qui donnera lieu à la publication de son portrait couleur dans les journaux !

    Maintenant, c’est à vous. Le conjoint attend des explications. Allez, débrouillez-vous, étayez solidement votre point de vue, défendez votre position et celle du chat, qui commence à s’impatienter devant sa gamelle. Patou a été retenu ! concluez-vous en versant au matou les croquettes de la gloire, émoustillée à l’idée de lancer sa carrière. Il y a tout de même une petite chose, fait le conjoint à demi convaincu, mais secrètement flatté que la bête ait réussi à coiffer au poteau tant de concurrents. On m’a dit que ton nom apparaîtrait à côté de la photo, à la suite du témoignage.

    Argl. Gloups. L’imprévu est de taille. Vous blêmissez. Verdissez. Virez écrevisse. La situation est cornélienne. Vous ne pouvez pas signer ce témoignage, c’est inconcevable, ce prénom d’Ysiad est si particulier qu’il vous démasquerait tout de suite! Imaginons une seconde que mon chef de service tombe là-dessus, avancez-vous. Ma carrière est brisée, je suis grillée à vie. Signe, toi, je t’en prie à genoux, suppliez-vous. Bon. On hésite un peu, mais on va voir ce qu’on peut faire. On va réfléchir, on n’est pas prof de philo pour rien.

    C’est ainsi que quelques jours plus tard, le maître et le chat s’engouffrent dans un taxi pour les studios de Levallois-Perret, munis d’un contrat stipulant que Monsieur B. signera le témoignage à côté de la photo, et que Problicis détiendra une exclusivité de cinq ans sur le droit à l’image du sujet fourré dénommé Patou, afin de dissuader la concurrence de se servir de son minois à des fins commerciales.

    Au bout d’une heure à faire le pied de grue dans une petite pièce avec le chat et vingt-cinq autres félins miaulant dans leurs boîtes, la séance de photo a démarré, au cours de laquelle Patou s’est montré stressé et nerveux, refusant d’attraper la souris qu’agitait le photographe animalier, mais mordant sauvagement sa main avant d’aller se planquer sous une table, a relaté le conjoint en vous remettant un bol doseur et deux paquets de croquettes petit format avec la photo témoin de la bête toute hérissée de peur, censée paraître dans la presse.

    Bien maigre butin. Si maigre que oui, bravo, pan dans l’objectif : c’est foiré.

    … Mais si par miracle, six mois plus tard, parmi le cahier publicitaire d’un magazine de mode féminin faisant étalage de sacs, robes, montres et parfums coûteux, vous repérez la photo de la star à moustaches réduite aux dimensions d’une vulgaire vignette, coincée entre d’autres photos de chats de gouttière très ordinaires, alors seulement, la petite excursion au pays des publicitaires aura été bien foirée.

     


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    L'homme s'en est allé. Il n'était pas de ceux qui se résignent dans l'adversité et il aura vécu comme il l'entendait jusqu'au bout. Il considérait qu'il y avait toujours une prise possible sur les peines et les maux fussent-ils enkystés à l'intérieur de son corps même. Il ne cherchait pas à empêcher l'usure du temps ni à maîtriser les incertitudes de son cours, il aimait simplement avancer sans courber l'échine, être toujours présent dans la vie et y imprimer sa singularité.

    Laurent Sauzé, qui comptait parmi ses amis, a souhaité lui rendre hommage ici même, dans ce café où il aimait exposer quelques unes de ses réflexions sur notre société et partager, le temps d'un poème ou d'une nouvelle, les plaisirs de l'écriture. Ainsi dans l'adieu, Gilbert continue à nous faire signe. Et c'est heureux.

       

    Hommage à Gilbert Marquès

    Gilbert Marquès nous a quittés le premier janvier de cette année à l’âge de soixante-deux ans. Nous tous, sa famille, ses amis et ses lecteurs ressentons un grand vide devant sa disparition.

    Artiste multidisciplinaire, Gilbert débuta sa carrière fort jeune. Il monta pour la première fois sur les planches à six ans dans le "Petit Prince" de Saint Exupery. Plus tard, il joua comme batteur dans un formation musicale. Puis il créa en 1971 une troupe d’art dramatique, "l’atelier13". Et quelques années après, il la transforma, en collaboration avec des amis artistes, en SARL aux multiples activités, telles qu’une école de théâtre, une maison d’édition, ou encore l’organisation de spectacles. En 1997, sa carrière artistique prit un tournant plus littéraire. Mais pour qui connait son oeuvre, on ne peut que remarquer combien ses nouvelles, ses poèmes et ses romans sont marqués par l’influence de la scène et la musique.

    Bien que critique vis-à-vis de ses contemporains, car il avait en horreur par-dessus tout la connerie humaine, il ne s’est jamais considéré comme un artiste reclus dans sa tour d’ivoire. Refusant toute étiquette et préservant son indépendance, il n’a cessé de s’engager durant tout sa vie : il a milité contre le régime de Franco, eut pendant des années une activité syndicale, et s’est toujours battu pour que les artistes cessent de démissionner, et reprennent la place qui était la leur et n’aurait jamais dû cesser d’être.

    Il était navré que tant d’œuvres ne marquent plus d’engagement politique, social, humain. Il ressentait une saine colère face à tous ceux qui, abdiquant leur mission première, ne défendaient plus la culture. Il fustigeait les grands producteurs, les grands éditeurs qui ne pensent qu’à engranger du fric. Et pire encore, il avait vu ces dernières années le désintérêt de plus en plus grand des autorités pour la culture.

    Oui ! Gilbert n’était pas tendre avec ses contemporains qui n’ont que trop tendance à se contenter de soupes insipides en matière d’art. Mais paradoxalement, il ne prenait pas le public pour un ramassis d’imbéciles. Il était exigeant vis-à-vis de ses lecteurs. Quand on parlait de culture "populaire", il bannissait toute forme de vulgarisation, terme qu’il détestait, préférant parler d’initiation et d’éducation. Très actif dans sa région, il souhaitait une libre accession du plus grand nombre à la culture, me citant toujours l’exemple de l’Orchestre National de Toulouse qui organisait des répétitions gratuites et publiques. Et ces dernières années, il participa aux festivals multiculturels organisés par sa commune. Il avait d’ailleurs largement contribué à la création d’une commission culturelle au sein de la mairie.

    Travailleur infatigable, il a écrit une œuvre conséquente : 14 livres publiés, 600 textes édités en revues et sur des sites Internet, dont plusieurs essais historiques. Il a été récompensé par 300 distinctions et prix. Son œuvre est lucide, ses textes sont parfois amers et désabusés, mais derrière tout ça se cache tout de même un espoir en l’homme. On y découvre une plume acerbe, acérée mais qui exprime un amour profond. A travers ses créations, Gilbert n’est pas pessimiste, mais il se veut réaliste, se plaisant à disséquer les paradoxes humains, à montrer l’extrême complexité de la nature humaine.

    Mais au-delà de ses écrits, homme de contact, il aimait par dessus tout rencontrer les gens. Ayant traversé plus de la moitié d’un siècle, il avait connu des personnages comme Jacques Brel, Guy Marchand, ou encore Brigitte Fossey. Il s’était lié d’amitié avec Claude Nougaro et avait tissé une grande complicité avec Léo Ferré. Avoir côtoyé des artistes aussi illustres ne lui avait nullement donné la grosse tête, et homme profondément humain, il parlait aussi bien avec le professeur d’université qu’avec l’ouvrier. Il aimait la vie, et grâce à son multilinguisme, il la vivait comme citoyen du monde, ayant patiemment tissé des liens dans le monde entier, développé des relations et des collaborations avec des revues, poètes et écrivains d’Afrique, du Québec, de Chine, des deux Amériques comme des pays de l’Est de l’Europe. Certaines de ces relations était devenues de véritables amis.

    J’étais de ceux-là.

    J’avais fait sa connaissance au détour d’une lettre qu’il m’envoya le 11 juin 1999. Et depuis, nous n’avions pas cessé de nous écrire, échangeant une volumineuse correspondance. J’eus aussi le plaisir de passer quelques jours chez lui en compagnie de sa sympathique épouse.

    Au fil des ans, nous avions construit une solide amitié.

    Et pourtant, tant de choses nous opposaient : notre âge d’abord. Il aurait pu être mon père. Nos origines ensuite, qu’il rappelait volontiers quand nous étions en désaccord : lui, le méridional, moi, l’homme du Nord. Nos conceptions de la littérature différaient aussi. Combien de fois me grondait-il de trop idolâtrer les classiques ! Combien de fois lui lançais-je dans le nez son satané esprit soixante-huitard !

    D’abord formels au départ, nos échanges atteignirent rapidement une certaine profondeur : au delà de la création littéraire, qui était notre ciment commun, nous nous mîmes à parler histoire, économie, philosophie, médecine, politique, musique, poésie, ethnologie et de plein d’autres sujets qui nous passionnaient. Des divergences apparaissaient quelquefois, et à cause de nos caractères de cochon, nos démêlés épistolaires se transformaient parfois en véritables pugilats. Nous ne nous ménagions pas lors de nos prises de bec. Si mes paroles sonnaient parfois comme des coups de fouet, ses phrases me frappaient comme des uppercuts. Un jour, nous faillîmes presque cesser toute relation.

    Mais notre franchise, loin de nous éloigner, nous rapprocha davantage. Au fils des années, nos lettres devinrent plus intimes. Je me souviens de l’une d’elle où il me faisait part de son ras-le-bol, m’engueulant carrément. Il avait décidé de passer du vouvoiement au tutoiement. Tel était aussi Gilbert.

    C’est ce jour-là, je crois, que nous devînmes vraiment amis. Et j’appris à la connaître. Et il apprit à me connaître. D’une patience infinie, il prenait la peine de répondre à mes multiples interrogations, alors que je peinais à débuter ma carrière littéraire. Sans jamais adopter un ton paternaliste, il me prodigua de nombreux conseils avisés sur la manière de la mener, puisant dans sa grande expérience, me faisant part de ses succès comme de ses échecs.

    Mais il serait totalement faux de réduire notre relation à celle pouvant exister entre un disciple et son maître. Quelle ironie de penser cela quand on sait combien il aimait la liberté ! Ni Dieu ! Ni Maître ! Tel était son credo. Non ! Point de cela entre nous, mais une amitié franche où l’estime se mêlait à une grande exigence, de ces amitiés parfois rudes, mais qui restent en fin de compte indéfectibles. Nous nous enrichissions mutuellement. Nous aimions échanger librement, et apprendre de l’autre.

    Gilbert, jamais tu refusas de m’accueillir dans ton cœur, écoutant avec bienveillance mes coups de blues et me remontant le moral quand j’en avais besoin, comme je le fis d’ailleurs moi-même quand il t’arrivait de douter de ce que tu avais accompli.

    Nous étions amis.

    Et tu nous as maintenant quittés. Quel drôle de coup nous as-tu fait là ! Je me sens maintenant comme orphelin, sans toi, et je ne suis pas le seul. Je n’entendrai plus tes coups de gueule. Je ne pourrai plus jamais goûter avec toi de ce fameux vin des sables de Camargue. Et qui va critiquer mes pauvres écrits, maintenant ?

    Enfin, j’espère que là où tu es, tu as enfin retrouvé tous tes amis disparus, Jean, Claude, Léo, François et les autres ?

    Mais ici, oui, ici, Gilbert, tu vas sérieusement nous manquer.

    Laurent Sauzé

     


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    Après les humeurs de chien chères à notre ami Claude Bachelier, vous apprécierez certainement de découvrir ces gaietés de cœur d'un autre compagnon de l'homme... 

    Pépère

    par Claude Romashov

     

    Elle secoue et arrange les coussins. Le ronron de l’aspirateur m’énerve. Je n’ai qu’une envie, disparaître et la faire sursauter en jaillissant brusquement de ma cachette. Quand elle s’applique au ménage, elle ramasse mes jouets en maugréant pour les mettre hors de portée. Je n’aime pas cela et dois la supplier pour qu’elle les sorte de sa boite. Mais finalement j’obtiens ce que je veux car elle trouve irrésistibles mes yeux candides et mes joues rondes qu’elle tiraille ou caresse d’un doigt replié selon les variations de son humeur.

    Oh, je ne suis pas malheureux, juste un peu contrarié. Elle est d’un naturel si gentil et si tendre. Je suis son trésor. Elle me le murmure doucement à l’oreille et d’autres secrets aussi. Toujours à s’inquiéter si j’ai assez chaud, assez mangé, si je ne m’ennuie pas. Nous vivons seuls tous les deux. L’homme est parti. Grand bien lui fasse. Je ne l’aimais pas mais de la voir si désarmée me fend le cœur. Je partage sa peine, je la console comme je peux. Je suis si petit, si impuissant face à la lâcheté humaine.

    Il a emmené tous les meubles sauf le canapé, une horrible table basse, la télé et le lit de la chambre. Alors depuis qu’il n’est plus là, elle traque la moindre poussière, la moindre trace invisible de sa présence.

    Je lui dis qu’on est bien tous les deux, que nous resterons toujours ensemble car je ne la quitterais jamais ma jolie maman. Ses beaux yeux d’azur me sourient à travers ses larmes et j’arrive même à la faire rire avec mes facéties. C’est vrai que j’en rajoute un peu.

    Mais ce matin, elle a repris le ménage. Elle marmonne "tous des salauds!", jette un coup vengeur à l’horrible table basse qui en retour lui laisse un éclat de bois dans le pied. Juron, larmes, je ne sais plus où me mettre, je ne l’ai jamais vue dans une telle rage. "Ne reste pas dans mes jambes" Elle s’énerve après moi. C’est injuste mais je préfère me faire oublier et file dans la chambre. Je n’aime pas la colère, j’ai horreur des cris. Je rumine dans mon coin. "S’il te plait, reprends-toi" Je le pense si fort que ça marche, elle vient s’accroupir et m’entoure de ses bras. Je lui pardonne, me serre contre elle car je sais que l’amour déçu fait mal et même si je suis encore un gamin, je devine cette souffrance, l’abandon de celui en qui on place tous ses espoirs, l’abandon des mains qui caressent et protègent. La chaleur et la sécurité de l’amour.

    D’ailleurs il fait froid ce matin, elle a ouvert les fenêtres et la brume hivernale emplit les pièces me faisant frissonner de la tête aux pieds. Moi qui aime tant jouer, courir et sauter dans le jardin, je n’ai pas envie de mettre le nez dehors.

    Le jardin, odorant, vert et vaste en été. Les jours heureux près de la piscine. Leurs cris joyeux, les éclaboussures d’eau, leurs embrassades. Elle, me guettant du coin de l’œil, me recommandant la prudence. Nous avons vécu tous les trois un bel été malgré la jalousie larvée de son amant. Il ne me supportait pas, voulait m’évincer, essayait de me corriger en douce si je faisais une bêtise mais une femme qui aime son petit reste vigilante. Elle déjouait tous ses plans pour m’écarter d’eux et redoublait de tendresse envers moi. Je me sentais le premier dans son cœur et l’autre avec ses simagrées ne faisait que renforcer l’attachement que j’avais pour elle.

    Il est parti. J’en ai bondi de joie. J’ai récupéré mon espace, ma quiétude et toute son attention. Dommage qu’elle le pleure autant. J’ai parfois du mal à comprendre car elle est aimée de la famille et les garçons la courtisent avec des fleurs et toujours un petit cadeau pour moi. Cet homme l’a rendue sourde et aveugle ma parole !

    Elle me dit : "Tu ne peux pas savoir, celui-là, je l’ai dans la peau".

    Moi, je pense qu’elle doit en conserver des lambeaux car malgré le ménage dans son cœur et dans la maison, elle n’arrive pas à se défaire de son odeur.

    Pouah ! Je n’aime pas son odeur musquée d’homme.

    Les coussins retrouvent leur place sur le canapé et moi celui que je préfère. Celui qui est bien usé, bien griffé par le temps. Elle se calme enfin, sors un mouchoir pour tamponner ses beaux yeux bleus, les plonge dans les miens et me dit mi amusée, mi fâchée :

    "Tu n’aurais pas dû faire cela quand même".

    Quoi ? Et pourquoi me serais-je gêné ? Il l’avait cherché, non ?

    Elle éclate de rire, enfin, en évoquant la scène de rupture.

    Ils se disputaient comme souvent mais ce soir-là, c’était plus violent. Voyant qu’il levait la main sur elle, je n’ai pas supporté. Je lui ai bondi au visage d’une seule détente et planté "mes dagues de Zorro" dans le gras des joues en lui arrachant sa vilaine peau. Un homme n’a pas le droit de menacer celle que j’aime par-dessus-tout. Ma douce, ma belle, la maman à son chat-chat : Pépère.

     


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    Aujourd’hui, tout en chantonnant le refrain selon lequel "foirer, c’est bien, mais bien foirer, c’est mieux", nous allons traîner nos guêtres le long des galeries d’art situées dans le sixième arrondissement de Paris. C’est fou comme il est agréable de flâner, durant les belles journées d’automne, dans les petites rues où se niche tout ce que la capitale compte de plus en vogue parmi le peuple des artistes. Même si vous éprouvez quelques difficultés d’ordre esthétique à adhérer à toutes les nouvelles tendances, vous aimez assez vous tenir au courant de ce qui se fait comme de ce qui s’expose, afin de ne pas avoir l’air de tomber du cocotier lorsqu’il est question, par exemple, de : Michaël Jackson and Bubbles, œuvre incontournable exposée récemment au château de Versailles - à ne surtout pas traduire par Michaël Jackson et des bulles, mais par : Michaël Jackson et Bubbles ; ce dernier ayant été le primate favori dudit chanteur. Ne prenez pas cet air ahuri s’il vous plaît, cela n’a rien de surprenant ; Georges Clooney n’a-t-il pas partagé les années les plus érotiques de sa vie avec Max, un porc vietnamien d’une séduction brûlante ? Michaël Jackson avait donc tout à fait le droit de donner à fond dans le chimpanzé, et Jeff Koons de les sculpter dans la porcelaine, tous deux vêtus du même costume or et blanc.

    Comment bien foirer à un vernissage dans Paris

    par Ysiad 

     

    Vous voici donc dans le quartier des artistes, en train d’observer derrière la vitre d’une galerie à la pointe de l’art toutes sortes d’objets tubulaires composés de matériaux recyclés, et sans doute votre esprit grossier cherche-t-il déjà l’usage que l’on peut bien faire de ces choses aux formes insolites trônant sur des colonnes de marbre blanc de hauteurs différentes, lorsqu’un être tout aussi insolite portant catogan et blouson clouté vous fait signe d’entrer. C’est vrai, ça, au lieu de rester plantée sur le trottoir comme n’importe quel quidam, poussez donc la porte de l’art, le galeriste vous y invite ; pourquoi vous faire prier ? Et regardez comme vous avez de la chance : c’est la soirée du vernissage.

    Un imposant buffet barre le fond de la salle principale, copieusement chargé de bouteilles de champagne, et pas n’importe lequel. L’artiste doit être connu ou le mécène très riche, en tout cas c’est du Roederer. Vous n’en buvez pas tous les jours, alors demandez vite une flûte bien pleine. Voilà. Parfait. Vous y avez droit comme les autres, et puis vous serez plus à l’aise, une coupe à la main, pour signer le registre que le galeriste vous indique, en vous priant de laisser vos coordonnées à côté de votre signature, pour l’envoi du catalogue. Il est tellement plus agréable de recevoir un catalogue d’art dans une belle enveloppe timbrée du sixième arrondissement qu’un message électronique du discounter du quartier prévenant sa clientèle d’habitués qu’il y a des prix fracassés sur les Mars en pack en douze entre le 7 et le 10 janvier, reconnaissez-le en vous mêlant à la foule venue admirer l’œuvre de l’artiste dénommé Eloy Rampignol.

    Rampignol ne se contente pas de créer des sculptures tubulaires à base de matériaux recyclés. Il prend toutes sortes de photos représentant des décharges publiques dans un clair-obscur étudié, où des cuvettes de toilettes sont jetées les unes sur les autres au milieu de vieux cintres et d’abat-jour éventrés. Un peu plus loin, il y a sa série des Pinces à linge à contre-jour, bouleversante de vérité. C’est de l’art, admettez-le en demandant une rasade supplémentaire de champagne au buffet, et allez admirer la salle consacrée aux dernières toiles de l’artiste. Un groupe de catogans et de queues de cheval discute face à un tableau de deux mètres sur trois mêlant des couleurs très crues autour de ce qui vous semble être une grosse tache entièrement bleue. Vous posez la coupe sur un guéridon pour fouiller dans vos poches à la recherche de vos lunettes. Point de lunettes mais des papiers de bonbons à foison, qu’il faudra jeter dès que possible. Pour l’heure, où sont passées ces satanées binocles ? Dans votre sac, peut-être. Fouillez. Encore. Ouf, les voici. Videz votre coupe et chaussez-les, afin de contempler tout à loisir le chef-d’œuvre de Rampignol intitulé : La naissance du Schtroumpf bleu.

    A première vue, la grosse tache bleue, c’est le Schtroumpf qui vient au monde, au milieu de fulgurantes éclaboussures de rouge de vert de jaune et de violet, tandis qu’au loin, le ciel persiste dans un noir absolu. C’est ainsi, et sans doute ce noir très dense signifie-t-il que cette naissance n’est pas forcément porteuse de bons présages, d’après le petit texte à droite du tableau de Mark Greenson, qui a été traduit de l’américain par Hortense Bourrin-Lepannard. Heureusement, un grand serveur passe avec du champagne frais et remplit votre coupe à ras bord, trop aimable. Tout en aspirant vos bulles, vous clignez des yeux et vous efforcez de piger face au tableau ce que l’artiste a voulu dire derrière cette "très intéressante polychromie autour de la représentation métaphorique d’une déité du troisième millénaire", comme le souligne le barbu à votre droite, pour qui les subtilités de la peinture avant-gardiste ne semblent avoir aucun secret. Vous continuez à cligner, en écoutant d’une oreille vague la logorrhée de l’initié, quand soudain, il vous semble apercevoir au milieu de la tache bleue, les traits du chef de l’Etat. Allons bon. Stupeur. Horreur. La coupe de champagne est vide, la tête vous tourne et vos poches sont bourrées à craquer de papiers de Carambar et de mouchoirs sales. Point de corbeille aux angles de la pièce, peut-être y en a-t-il une dans la première salle. Certainement. Il faut simplement s’en enquérir auprès du serveur qui passe, là-bas, tout habillé de blanc.

    Vous vous faufilez tant bien que mal parmi la foule de plus en plus dense pour alpaguer le petit homme en blanc qui glisse comme une ballerine de groupe en groupe, et c’est en lui demandant où se trouve la poubelle la plus proche que vous réalisez à son air stupéfait qu’il ne s’agit pas du serveur, mais d’Eloy Rampignol soi-même.

    Bingo. En plein dans la croûte. C’est foiré.

    Mais si par miracle, à l’instant de vous éclipser, avisant un récipient caca d’oie à l’entrée, vous sortez l’immonde petit tapon de vos poches pour enfin vous en défaire, et que le catogan clouté se précipite pour vous faire remarquer qu’il ne s’agit pas d’une poubelle mais d’une œuvre signée de l’artiste, (Le Vase de nuit – Période grise – 2002), alors seulement, la petite escapade au vernissage d’un artiste en vogue dans le sixième arrondissement de la capitale aura été bien foirée.


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  • eveil.jpg

    Il y a des jours où l'on sent poindre une sorte de jubilation au sortir de la nuit. On se dit que le rêve constitue au moins la moitié de cet instant unique qu'est le réveil et que peut-être allons-nous avancer plus vite que les nuages et mettre nos pas dans les pas de l'Histoire…

     

    Eveil

    Dans la campagne assoupie

    Sous la brume de l’aube

    La feuille inquiète frissonne

    Et frémit comme une robe de soie

    Une eau invisible murmure

    Dans un doux récital

    En notes éparpillées

    Une bête passe froissant l’herbe

    Un gland se détache d’un chêne

    Sous le tic tac régulier du bec

    Qui ausculte l’écorce

    L’horizon se teinte de rouge

    Les oiseaux commencent à chanter

    Un volet bat

    Une porte grince

    Un chien aboie

    Un rire sort d’une ruelle

    Les voix du jour s’élèvent

    Et tout renaît

    Quand s’éveille la vie

    Aux matins de lumière.

    Suzanne Alvarez


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  • Delivrance.jpg

     

    Celui qui plante les épines récolte les blessures  

    Regarde là-bas où tu as moissonné

    Les fleurs de l'espoir

    Le torrent du sang va t'arracher

    Et l'orage brûlant va te dévorer.

    Abou El Kacem Chebbi, Poète Tunisien (1909-1934)


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