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    Il pleut, il fait froid, les crapauds sifflent et les dindons sont perchés, bref il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors…

     

    La promenade du soir sur la 17ème rue.

    par Claude Bachelier

     

    Tous les soirs, Miss Casswell et moi, nous nous promenons sur la 17ème rue. Avec nos maîtres, cela va sans dire. Autant pour nos petits besoins naturels que pour prendre l’air. Et aussi pour faire faire un peu d’exercice aux dits maîtres que nous trouvons trop sédentaires et pas assez sportifs.

    Et, quelque soit le temps, nous sortons. Même si ces messieurs rechignent à mettre le nez dehors, au fallacieux prétexte qu’il pleut à verse, qu’il neige à gros flocons ou qu’il gèle à pierre fendre. De toutes façons, ils n’ont pas vraiment le choix. Ou alors, il leur faudra nettoyer la moquette, et ça, c’est vraiment pénible. Très pénible.

    Miss Casswell et moi, Oberon, sommes deux petites chiennes, deux cockers adorables. Je le dis sans fausse modestie : nous sommes deux petites chiennes très belles, très distinguées. Même si un français, amis très proche de nos maîtres, ose nous appeler "sac à puces" ! Nous, des "sacs à puces" ? Nous qui sommes lavées, baignées, shampouinées, coiffées plusieurs fois par mois ! Nous qui sommes la propreté même, la distinction même ! Bien sûr, comme nous sommes bien élevées et civilisées, nous ne daignons même pas mordre les mollets poilus de ce maudit français. Pourtant un jour, nous lui avons quelque peu mâché ses mocassins qu’il avait laissé traîner au lieu de les ranger. Si vous aviez vu sa tête quand il a découvert ce qui lui restait de ses chaussures ! Nous avons failli nous rouler par terre de contentement. Mais nous sommes restées impassibles et avons superbement ignoré son regard courroucé.

    Hier soir, comme tous les 19 mai, devant l’entrée de notre immeuble, des policiers avaient déposé quelques bougies sur le sol. C’était l’anniversaire de la mort de l’un de leur collègue, Anthony Sanchez, tué à cet endroit par des cambrioleurs. Un des policiers a même fait un petit discours où il a rappelé que le policier tué avait alors 31 ans, qu’il avait une femme, Elisabeth et un fils de 7 ans, John. Il a même parlé de son père, Antonio et de sa mère, Loretta. Il a dit que c’était quelqu’un de très courageux, qu’il avait été décoré de trois médailles du Devoir et de douze comme excellent policier de service. Puis, les policiers sont partis après avoir discuté quelques instants avec les passants. Mon maître, lui, a même commencé à se disputer avec quelqu’un qui affirmait que ce genre de cérémonie ne servait à rien et, qu’après tout, mourir en service faisait partie des risques du métier de policier. Quand il se met en colère, mon maître devient tout pale, il sert les mâchoires à se casser les dents et a les yeux qui lui sortent de la tête. Quand il a vu tout cela, le passant a préféré passer son chemin.

    Je ne sais pas ce qui pousse les hommes à passer le plus clair de leur temps à s’entre-tuer. Quand nos maîtres écoutent la radio ou regardent la télévision, il n’est question que de meurtres, de massacres, de guerres ! A croire que les hommes ne savent pas faire autre chose que de s’assassiner. Pourtant, quand je vois tout ce qu’il y a de beau dans l’appartement de nos maîtres, des peintures, des dessins, des sculptures, des livres, de la musique, je me dis que ce serait tellement mieux si ces humains s’occupaient à créer de belles choses plutôt qu’à s’égorger un peu partout dans le monde.

    Nous autres, chiens, en tout cas pour Miss Casswell et moi, nous aimons la tranquillité, le calme, la paix. Quand nous croisons nos semblables dans la rue, il ne nous viendrait jamais à l’esprit de les agresser ou de leur chercher querelle. Il est vrai que nous n’avons guère de fréquentations canines, et si, par hasard, un autre chien voulait se montrer par trop familier, nous aurions tôt fait de lui montrer les crocs ; et si cela ne suffisait pas, nos maîtres sauraient vite remettre chacun à sa place.

    Pourtant, il arrive que certains chiens se comportent de façon bizarre : en plein milieu du trottoir, parfois même sur la rue malgré les voitures, il y en a un qui monte sur l’autre, puis s’agite frénétiquement. Ça ne dure jamais très longtemps, ils repartent un peu plus loin et recommencent le même manège. Souvent, des passants les chassent à coups de pied, mais sans vraiment les séparer. C’est quand même bizarre, d’autant qu’à la télé, j’ai vu des humains faire la même chose, sauf que ce n’était pas dans la rue. Pour ma part, je trouve ce genre d’occupation à la limite de la familiarité et pour tout dire, d’une vulgarité sans nom.

    Mais heureusement, lors de nos promenades du soir, nous voyons rarement ce genre de spectacles. Les gens félicitent nos maîtres d’avoir de si belles et de si agréables petites créatures. Il arrive régulièrement de croiser les mêmes personnes avec leur chien. Alors, les maîtres parlent entre eux, de la pluie ou du beau temps ; des impôts trop hauts ou des salaires trop bas ; du dernier film de Woody Allen ou du dernier vainqueur de la Star Académy. Et nous, attendons patiemment la fin de ces bavardages sans fin.

    Puis, nous rentrons. Nous retrouvons notre calme et notre tranquillité. Miss Casswell et moi disputons une dernière partie de balles, puis nous allons nous coucher après que nos maîtres nous aient longuement et tendrement câlinées. Demain matin, l’un d’entre eux se lèvera aux aurores, bruyamment, pour aller travailler. A peine aura t’il fermé la porte que nous nous précipiterons dans le lit de notre autre maître qui dort profondément. Très profondément.


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    Aujourd’hui, tout en fredonnant la ritournelle selon laquelle "foirer, c’est bien, mais bien foirer, c’est mieux", nous déplions gaiement la carte routière dans l’intention d’emprunter de jolies départementales menant forcément à un éden verdoyant. En tout cas, y a bigrement intérêt qu’elles vous y mènent. Après l’hiver que vous avez passé, enfermé dans les murs gris de la ville, vous n’avez envie que de prairies à perte de vue, de forêts et d’étangs, pour courir, gambader, vous rouler dans l’herbe si le cœur vous en dit, rire, relire des églogues ou chanter des comptines au milieu des ruminants.

     

    Comment bien foirer son petit week-end tant attendu à la campagne

    par Ysiad

     

    Il faut en convenir : au seuil du printemps, tout citadin qui se respecte voit se dessiner un matin à la lisière de ses paupières un petit coin de paradis, quelque part, qui l’attend. Ce citadin, c’est vous, vous et encore vous qui rêvez de vous refaire une santé, cabrioler dans l’herbe haute et respirer à pleins poumons le bon air de la campagne. Il est vrai que depuis le mois de septembre, vous poussez vos bottes sur les trottoirs trempés de pluie et parfois verglacés de la grande ville, dans le vacarme des klaxons et la pollution des embouteillages, en espérant des jours meilleurs. Du calme. Ils arrivent, ils sont là. La météo a annoncé un temps éblouissant sur la vallée de la Loire, en vous rendant au Salon des loisirs et du temps libre, vous avez déniché une petite adresse de derrière les fagots, le pitchoun trépigne devant la porte en tenant à la main son canard à roulettes, alors qu’attendez-vous pour lever le camp ?

    Fait inouï, le soleil brille déjà en quittant la ville. A l’arrière de la voiture le petit gazouille une chansonnette, il n’y a pas d’embouteillages, la route défile, toute bordée d’arbres bourgeonnants et de promesses de renouveau, c’est merveilleux, quel chouette week-end vous allez passer tous les trois à courir autour des étangs, et quelle joie à l’instant où l’hôtelier vous remet les clés de la chambre ! Vous êtes au premier étage, avec vue sur le parc et l’étang vous dit-il en vous laissant entendre que l’on vous a gâtés. Simplement, soyez discrets en montant, nous avons un groupe qui vient d’arriver, vous précise-t-il en louchant vers le petit.

    La vue est très belle en effet et le pitchoun pousse des cris d’excitation en voyant les cygnes et les canards qui se croisent sur l’eau comme des bateaux indifférents. Il faut aller les voir et leur jeter du pain, avez-vous du pain ? Non, mais des Choco BN en miettes, oui, plein les poches, alors chaussez vos bottes, et courez rejoindre les volatiles qui vous attendent !

    Les cygnes et les canards ont levé la tête. Coin-coin, faites-vous d’une voix engageante en leur jetant des miettes de BN, coin-coin fait l’enfant en écho, et voici les oiseaux qui rappliquent tous ensemble, cols verts, aigrettes, canettes, cygnes hautains, petits petits petits, venez venez venez ! Un concert nasillard s’élève à chaque volée de miettes, c’est un attroupement de plumes et de becs voraces, ça joue de l’aile pour gagner une place et malheureusement, même à la campagne, rien ne va comme on voudrait. Les cygnes n’ont qu’à tendre le cou pour attraper le butin avant les autres, c’est énervant, les canards sont lésés et l’enfant se met à trépigner, des hurlements de colère s’élèvent à l’encontre de ces oiseaux aussi blancs qu’égoïstes, pendant que les pauvres canards cancanent de dépit, et cela fait un si grand tintamarre qu’à la fin, l’hôtelier s’engage sur l’allée à grands pas et vous supplie de bien vouloir baisser d’un ton. A cause du groupe, précise-t-il. Ah oui, bien sûr, faites-vous en guise d’excuse, le groupe. Alors qu’il s’éloigne, vous vous demandez de quel groupe il peut bien s’agir, car enfin, pour l’instant, en dehors du groupe des palmipèdes qui se disputent les dernières miettes de gâteaux, il n’y a point de groupe à l’horizon, seulement des prairies et des étangs, et au loin peut-être quelques vaches tranquilles, et encore plus loin des lacs, et ainsi de suite quand soudain, surgissant du bois comme des esprits de la forêt, des silhouettes évanescentes vêtues de tuniques blanches passent au bout de l’allée l’une derrière l’autre, dans le plus grand silence. Le temps de les entrevoir, elles ont déjà disparu.

    Qu’est ce que c’est que ces zombies, fait le conjoint. Des fantômes, répondez-vous. Enfin. Fantômes ou zombies, on n’en sait rien, on ne va pas rester plantés là, on va se bouger un petit peu, le paquet de gâteau est vide, les cygnes sont repartis, c’est le moment d’aller marcher dans la forêt, en avant. On respire à fond le bon air pur et l’odeur de la terre mouillée, on surveille les rainettes cachées dans les roseaux, on admire l’envol d’une buse, on se grise de tout ce qui manque en ville, on s’en met plein les yeux et on pousse jusqu’à Romorantin qui n’est pas bien loin. Au retour, le soleil jette ses derniers rayons sur le miroir de l’étang, la campagne se replie sur elle-même. C’est l’heure pour une bonne petite douche avant d’aller dîner. Chuuuut, fait l’hôtelier en collant son index sur la bouche dès qu’il vous voit arriver, le groupe est rentré. Allons bon. Le bonhomme commence à vous gonfler avec son groupe, mais enfin, il faut rester stoïque. Nous dînons à 19 heures ce soir, ajoute-t-il en chuchotant très bas.

    L’enfant s’est endormi dans vos bras mais à peine a-t-il entendu le bruit de l’eau que le voilà ressuscité. Il est gai, il pousse des petits cris de joie en courant dans la chambre, il escalade le grand lit et se vautre sur les oreillers en riant si fort qu’au bout de cinq minutes, on toque à la porte. Chhhhuuuut, fait la voix hôtelière. Doucement. Le groupe a besoin de calme. Les pas s’éloignent. Silence dans la chambre. Il commence à m’emmerder sévère, avec son groupe de mes deux, fait le conjoint. A ces mots rigolos, le petit se déchaîne, il fait des cabrioles sur le lit, des grimaces devant la glace, il est grand temps d’aller dîner et heureusement, la salle est vide. Pas l’ombre d’un fantôme à l’horizon, c’est parfait, le serveur accourt et vous indique votre table située à l’écart, tout au fond de la salle. Nous avons un groupe, s’excuse-t-il en vous installant. – Je l’aurais parié, répond le conjoint. Et peut-on savoir ce qu’il fabrique, ce fameux groupe ?Il se ressource, Monsieur. Vous êtes dans un relais du silence, ici.

    Ah. Première nouvelle. Le conjoint vous regarde. Il est consterné. Tout de même. Réserver dans un relais du silence avec un enfant d’à peine deux ans, faut le faire. Mais bon. On règlera ça plus tard. Pour l’heure, passons commande, sans oublier le jambon-purée pour le pauvre petit qui gesticule sur sa chaise. Chuuuuut, fait le serveur en déposant la corbeille de pain et l’apéritif offert par la maison. A peine a-t-il tourné les talons que vous tendez au pitchoun un morceau de baguette pour l’occuper. L’entrée arrive, des carottes râpées, le petit s’amuse à s’en mettre sur la tête, ça se gâte un peu, vous essayez de le calmer lorsque la porte s’ouvre sur l’armée des fantômes. Sur le coup, l’enfant ne dit rien, il regarde cette colonie d’hommes et de femmes tout de blanc vêtus marchant tête baissée et se répartissant sans un mot autour des tables. Une secte, pariez-vous en les observant qui s’assoient et fixent le disque de leur assiette comme s’ils contemplaient au centre le trésor d’Agamemnon. Le conjoint étouffe un toussotement dans son poing, le petit s’amuse à tirer la langue, vous vous mordez les lèvres. Si vous riez c’est fichu, l’enfant va partir en vrille, voilà le jambon-purée qui arrive. Vous avez beau l’encourager avec des : "chut, chut", le petit frappe la table avec le dos de sa cuillère, de plus en plus fort, et cela fait "bom, bom" dans le silence parfait de la salle. Vous prenez la cuillère, la garnissez de purée et la dirigez vers sa bouche en faisant "aaah", mais voilà que l’enfant hilare attrape la cuillère au vol et la fait tourner au bout de son bras. La purée gicle partout sur la table, le conjoint crispe la mâchoire, ça déconne complètement mais vous n’allez pas vous fâcher, personne n’a rien vu, excepté le serveur, qui s’est éclipsé. Bon. On recommence. Aaaaah, le petit pousse des cris de joie, ignorant les "chut" impérieux que vous lui adressez, et le voilà qui s’échappe vers le grand escalier situé au milieu de la salle. Stupeur en le voyant escalader les marches, consternation lorsqu’il glisse sur les fesses en riant aux éclats, juste au moment où l’hôtelier débarque.

    Bingo. Dans le mille. C’est foiré.

    Mais si par miracle, un premier fantôme éclate de rire, entraînant un deuxième fantôme, et un troisième, et que bientôt, l’hilarité se propageant de table en table, toute la salle soit prise d’un fou-rire tel que l’hôtelier vous enjoigne de bien vouloir aller passer la nuit ailleurs afin que le groupe puisse reprendre ses exercices dans le calme, le week-end tant attendu dans un petit coin de paradis aura été bien foiré.


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    Un retour en poésie en ce jour de repos dominical. Installez-vous confortablement en compagnie de Jean Calbrix.

     

    Le fauteuil 

     

    C'est un large fauteuil - Louis quinze peut-être -

    Il est là dans un coin avec des airs de veuf

    Son beau reps jaunissant n'est plus tout à fait neuf,

    Et son bois très ancien fleure encor bon le hêtre.

     

    Que fait-il esseulé, ce vénérable ancêtre

    Qu'éclaire la lueur sourdant d'un œil de bœuf ?

    Son dossier disparaît dessous un drap d'Elbeuf

    Et ses bras sont tendus, semblant chercher un maître.

     

    Il se souvient, c'est sûr, des grands postérieurs,

    Des bandes de gamins sautant sur lui, rieurs,

    Des fessiers de marquis, des croupes de duchesses.

     

    Ah ! fauteuil du bon temps, tu connais les dessous

    Et tu nous contes là les subtiles caresses

    Quand tes ressorts usés chantent des amours fous.

     

     


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    Aujourd’hui, nous nous lançons avec la fougue du fils des âges farouches sur le chemin d’une remise de prix à Bruxelles, cent pour cent authentique. Au fait : pourquoi Bruxelles, et pas Tahiti ? C’est vrai. C’est une question qu’il est tout à fait permis de se poser, mais bon, pour l’instant, on va pas faire les difficiles, on va prendre ce qui se présente, la gloire se trouve de l’autre côté de la frontière, pas aux antipodes, c’est parti.

     

    Comment bien foirer sa remise de prix à Bruxelles

    par Ysiad

     

    La bonne nouvelle est tombée ce matin dans votre messagerie, en faisant un dzoiiing sublime. Ahhhh que c’est bon, mon Dieu, que c’est doux, que c’est exaltant ! Jubilez. Allez, lâchez-vous dans les grandes largeurs, sautez, riez, dansez, courez partout. Vous avez décroché un prix ! Enfin, une mention, pour être précis, dans le cadre de la Fureur de Lire, un événement littéraire qui a lieu au mois d’octobre en Belgique. Vous ne vous y attendiez pas. Et il y a une publication à la clé, dans un recueil collectif édité par les Editions Puce Clampin. Génial. Hip, hip, hip ! En un tour de main, vous avez trouvé à vous loger tous les quatre du premier coup, dans un petit hôtel pas cher du tout, à deux pas de la Grand-Place et du Manneken Pis. Euréka ! Merci, Internet ! Allez, en voiture !

    La route est belle, merveilleusement dégagée, les enfants sont ravis, ils vont pouvoir manger des frites et des gaufres, tout va très bien en dépit des températures qui dégringolent à la frontière, quelle importance, c’est la fête ! Et regardez comme tout commence à merveille à votre arrivée dans la ville : une place s’est dégagée presque instantanément dans une petite rue, à cinq minutes à pied de Grote Markt. Incroyable, mais vrai ! Ah ! Vive la Belgique !

    C’est en pénétrant dans l’hôtel que vous commencez à déchanter un peu. Peut-être est-ce à cause de la fontaine en stuc ornée d’insolites cariatides reproduisant des poses du Kama Sutra, ou de la température plutôt frisquette, ou encore de l’odeur de kebab qui envahit le petit hall tendu de velours rouge grenat. Bizarre. Il fait vraiment très froid, et puis les tableaux qui vous entourent sont plutôt ambigus. Y a des meufs à poil sur les murs ! s’exclame votre fils d’une voix enthousiaste, cependant que l’hôtesse d’accueil vous remet les clés de la chambre agrémentées d’une breloque équivoque en vous demandant de la suivre à travers un dédale d’escaliers et de couloirs étroits.

    Tiens, c’est curieux, il flotte dans la chambre. Le toit doit être refait l’année prochaine, vous précise l’hôtesse. En attendant, on a mis une bassine. Videz-la quand elle sera pleine. Bon. Enfin, les enfants s’amusent bien, c’est toujours ça, ils s’envoient à la tête des coussins parfumés et chamarrés de perlouzes. Plutôt étranges, ces coussins. M’est avis que t’as réservé dans un bobinard, vous glisse le conjoint après avoir longuement étudié la gravure accrochée avec des nœuds au-dessus du lit et représentant Adam en rut lorgnant d’un œil salace une jeune Eve avec beaucoup de monde au balcon. Bon. Tant qu’y a pas de miroir au plafond, ça va, et c’est juste pour une nuit, alors qu’attendez-vous pour fuir ce claque et découvrir Bruxelles qui vous attend ?

    Egayez-vous dans les rues, visitez le musée de la Bande Dessinée, les passages, les vieilles maisons, les galeries royales, photographiez-vous à tour de rôle devant le Manneken Pis, arpentez à la nuit tombée la Grand-Place illuminée et ses merveilles d’architecture, mangez des frites arrosées de bière dans un bistrot, et dodo.

    Pensez tout de même à vider la bassine, on ne sait jamais.

    Le lendemain, temps de gloire sur la ville. La remise des prix s’annonce sous de très riants auspices, jusqu’à ce que les choses se gâtent à l’endroit même où vous avez laissé votre véhicule la veille. Etonnant ? Allons. Absolument pas ! Tout à fait normal ! Si ça se gâtait pas au moment où vous partez assister à la remise des prix, ce serait un conte de fées, pas une foirade. La rue est vide. La bagnole ? Envolée. Vous voilà lancés tous les quatre vers le commissariat le plus proche, qui est loin d’être tout près. Deux grands costauds à képi vous attendent à l’entrée, les poings sur les hanches. Votre voiture ? Elle est à la fourrière, une fois, vous disent-ils. Y avait des travaux dans la rue. C’était écrit en néerlandais sur les panneaux. Ben si. Vous les avez pas vus ? Jaune fluo. Visibles. Ben voui. Un conseil, deux fois : si vous allez chercher le véhicule aujourd’hui, ce sera moins cher que demain. Et ainsi d’ suite, vous comprenez. Ahhh. Division des équipes. Les gars, direction la fourrière en tram au fin fond de la banlieue de Bruxelles ; les filles, cap sur la maison de la radio. Hep, taxi ! On est en retard !

    Tellement en retard que vous déboulez dans l’auditorium à l’instant où on vous appelle sur l’estrade. Vous n’avez que le temps de courir rejoindre le jury qui vous regarde d’un air perplexe. La lecture de votre texte vient de s’achever. Vous l’avez loupée. Fort bien joué. Allons, vous aurez tout loisir d’entendre les textes des sept autres primés. A la fin de la cérémonie, une dame vient vous voir. Votre nouvelle a été ad-mi-ra-ble-ment lue, Madame ! Quelle chance vous avez ! Souriez, et réchauffez-vous avec la soupe au potiron qu’on vous sert au buffet, à côté de Puce Clampin, l’éditrice en chair et en os, à qui vous refilez quelques textes dans un sac en plastique, accompagnés de tous vos espoirs d’être enfin publiée. Tiens, vos gars arrivent. Ils ont l’air frigorifiés. Ils ont récupéré l’auto, et franchement, vous avez mis dans le mille : le montant de l’amende correspond exactement à celui de votre prix !

    Bravo ! C’est foiré !

    Mais si par miracle, six mois d’attente à jouer à pile ou face plus tard, vous recevez un courriel sommaire de Puce Clampin vous apprenant que vos situations sont aussi banales que votre style et que la maison préfère défendre d'autres textes à forte personnalité, alors seulement, votre petite virée au pays de la frite aura été bien foirée.

     


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    C'est à une balade dans la Sérénissime Cité des Doges que nous vous convions aujourd'hui. Mais attention,  prenez soin de tempérer votre enthousiasme, la belle Venise est un miroir à deux faces.

     

    Place San Marco

    par Claude Bachelier

     

    C’est dingue, il est onze heures du soir et je suis assis sur une chaise au milieu de la place San Marco ! Je l’ai empruntée, entre guillemets, à la terrasse du Florian. J’y ai vidé pas mal de verres avec quelques fêtards. Il paraît que l’alcool, ça donne de la force et du courage. Conneries que tout ça ! L’alcool, ça rend malade, ça rend idiot, ça fait dégueuler, c’est tout ! De toutes façons, moi ce soir, du courage, j’en ai à revendre ! C’est bien d’ailleurs la première fois que j’en ai autant ! Alors, l’alcool, c’était juste pour la frime. Juste pour claquer quelques billets, pour avoir l’air d’être quelqu’un. Ca fait chic de sortir de sa poche une liasse de billets, ça impressionne. Et à chaque fois que je prenais le fric dans la poche de mon manteau, je touchais le revolver, comme pour me rappeler ce pourquoi j’étais là.

    Il fait frisquet et malgré cela, il y a encore des gens qui se baladent. Y’a pas mal de couples, des amoureux, peut être des jeunes mariés. C’est beau l’amour quand ça débute… J’ai l’impression que l’alcool me chauffe un peu la peau et si je ne me retenais pas, j’enlèverai mon manteau et ma chemise. C’est signe que je dois avoir un petit coup dans le nez. Mais je me les garde, mes fringues, j’ai pas envie d’attraper la crève. Je veux mourir en bonne santé !

    Je dois avoir l’air couillon, assis au milieu de la place. Là-bas, sous les arcades, j’entends des rires de filles chatouillées. Vous avez raison, jeunes gens, amusez vous !

    Dans ma poche, je caresse le revolver. Caresser n’est pas vraiment le mot. Non, je l’effleure plus que je ne le touche. C’était le revolver d’ordonnance de mon grand-père. Quand il me l’a donné, il m’a dit qu’il n’avait jamais servi à autre chose qu’à des tirs d’entraînement. En tout cas, jamais pour tuer ou pour blesser.

    Qu’est ce que t’en penses, toi, Pépé, toi qui détestais les armes et tous ceux qui les portent, tous les traîneurs de sabre et autres jean-foutre? Qu’est ce que t’en penses de me voir là ? Sûr que tu me dirais " j’vas t’dire ", que tu me raconterais ta vie qui n’a pas toujours été drôle. Que tu me parlerais de la mienne qui n’a pas été si mauvaise, et que tu connais bien puisque c’est toi qui m’as élevé… Je vais t’dire… Je vais t’dire… Tu me dirais quoi, Pépé ? Hein, tu m’dirais quoi ? Que la vie est belle, que j’ai du fric, des femmes, que je peux tout avoir ? Des conneries, Pépé, des conneries ! Et puis non, tu m’dirais pas ça, c’est pas ton genre !

    Remarque, c’est vrai, je n’ai pas vraiment été malheureux dans ma vie. Sauf quand tu es parti, que cette saloperie de cancer te bouffait de l’intérieur et que tu as préféré te balancer sous un train. C’est vrai aussi que tu les as toujours aimé les trains, surtout ceux qui partaient de Montparnasse et qui nous emmenaient tous les deux vers l’océan. Qu’est ce que tu l’aimais l’océan, Pépé ! Et les bateaux donc ! T’as jamais compris pourquoi ces cons de l’armée t’avaient collé comme ordonnance d’un général alors que tu aurais été aussi bien comme loufiat d’un amiral ! Va savoir, Pépé, va savoir ! Et puis, si tu avais été dans la marine plutôt que dans l’infanterie, tu n’aurais pas connu ta femme, et je ne serai pas là….

    C’est vrai que j’ai été malheureux quand tu es mort, mais pour être honnête avec toi, Pépé, je crois que j’ai encore été plus malheureux quand elle m’a quitté.

    Tu te rends compte, ça faisant plus de vingt ans qu’on était ensemble ! On avait deux gamins qui se débrouillaient bien dans leurs études. On avait plein d’argent qu’on venait de gagner au loto, et puis tout d’un coup, hop, elle m’annonce qu’elle s’en va avec un autre type. D’accord, on n’était pas vraiment pareils, elle était plutôt ronde et je suis maigre comme un clou ; c’était une intello et suis du genre manuel ; elle était de gauche et moi, je n’ai jamais été nulle part !... Mais quand même !

    Il y a des gens qui passent à côté de moi. Je les entends chuchoter et ricaner. Je leur demande rien, à ces cons ! Passez votre chemin et foutez moi la paix !

    Dans une demi heure, je prendrai mon pistolet, et pan !…A minuit tapant. Ça aura de la gueule, non ? Ça va les bluffer mes gamins, ça va surprendre leurs petits conformismes. Est ce qu’ils regretteront seulement de m’avoir laissé tomber comme une vieille chaussette ? J’en suis même pas sûr.

    Pourtant, ils ont toujours eu un père et une mère, eux ! Alors que moi, je n’ai jamais connu ça : mon père, un marin de passage et ma mère qui s’est tuée dans un accident ! J’avais deux mois ! Mes grands parents m’ont recueilli et élevé. Mais je ne sais pas ce que c’est de dire papa ou maman. Maintenant que je sais que je vais tourner la page, je sais aussi que je ne me suis jamais fait à l’idée de ne pas avoir de parents, de ne pas être comme les autres. Ceux qui en ont eu, qui ont été aimés par eux ne savent pas ce que c’est que la solitude.

    Avec elle, avec mon ex, je n’étais pas seul, c’est sûr. Mais cette femme que j’aimais – ah oui, bon dieu, je l’aimais !- ne pouvait combler le vide. Personne ne pouvait.

    Je croyais qu’on s’entendait plutôt bien : des conneries tout ça ! Quand elle est partie, elle m’a dit que cela faisait plus de dix ans qu’elle le connaissait, le gus en question !

    En tout cas, il y a vingt six ans tout juste, nous étions ici, à Venise, tous les deux, en voyage de noces. C’était encore l’époque où Venise était encore à la mode pour les jeunes mariés. Aujourd’hui, ils filent aux Maldives ou à Tahiti et divorcent juste en rentrant.

    Qu’est ce qu’on était heureux ! On avait trouvé un petit hôtel, juste en plein centre. On n’arrêtait pas de faire l’amour, même que parfois des voisins tapaient contre les murs et nous regardaient le lendemain matin d’un air entendu. Une fois, on l’a fait dans une ruelle, sous la pluie. La tête hilare du carabinier, le doigt sur la bouche, mais qui nous a laissé faire !…

    Je me suis baladé toute la journée dans la ville, essayant de retrouver un passé lointain. La basilique, les musées, les gondoles n’ont pas bougé, mais je n’ai rien revu de ce que je cherchais.

    On n’avait pas beaucoup d’argent à cette époque, et pourtant, je crois qu’on était bien ensemble. Depuis qu’on a gagné tout ce fric au loto, tout est parti de travers. Comme si ce loto avait été comme un détonateur. Parce qu’elle est partie à cause de ça, à cause de tout cet argent, ça, c’est sûr. Putain, que c’est dur de vivre seul, même avec plein d’argent. C’est vrai que j’ai pu m’acheter plein de trucs, un appart, des bagnoles, des voyages. Et même des femmes ! Je n’étais pas tout à fait idiot, elles couchaient avec moi pour mon compte en banque, pas pour autre chose : jamais aucune d’elle ne parlait d’avenir. Même avec un minimum d’amour, on parle forcément d’avenir un jour ou l’autre.

    Il n’est pas encore tout à fait minuit, encore quelques minutes. Je commence à avoir froid. Ou peur, je sais pas trop. Les deux sans doute. Je dois avoir l’air con, planté au milieu de la place San Marco. Mais de toutes façons, il n’y a pratiquement plus personne, comme si le brouillard qui descend avait chassé les derniers fêtards. Ah si, je vois encore un petit groupe, assis sur les marches. Ça discute fort, mais je ne comprends rien à ce qu’ils disent. De toutes façons, je m’en fous !

    Ca me rappelle, Pépé, que tu ne voulais pas que je dise " j’m’en fou ". Pour toi, avoir rien à foutre de quoi que ce soit était une saloperie, une façon comme une autre de ne pas se mouiller. Si tu revenais, tu verrais que le " j’m’en fous " a remplacé tout le reste, et comme le reste c’était déjà pas grand chose….

    Je suis lucide. Je vais mourir et je n’ai plus peur. Ou si peu. Si ça se trouve, je vais retrouver des gens que je connais, des gens que j’ai aimés, toi Pépé, par exemple. Oh, ça, ce serait super. Te retrouver, et repartir tous les deux vers l’océan. Le regarder de nouveau le soir, assis sur la grève. Putain, Pépé, ce serait bien, tu me raconterais toutes ces histoires de marins, de pirates, de trésors à découvrir, de filles à enlever ! Toutes ces histoires que tu inventais au fur et à mesure que tu me les racontais ! Oh Pépé, attends moi, attends moi le temps que je prenne ton pétard, que je monte sur cette chaise et que je fasse le grand saut.

    Je n’ai pas peur, un peu froid tout au plus. Et le goût de l’acier, c’est vraiment dégueulasse….

     


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    Vous êtes certainement nombreux à vous poser la question et la fréquentation régulière du café vous encourage à penser qu'il serait grand temps de vous y mettre. Conscient de notre part de responsabilité, nous avons décidé, avant que vous ne mettiez le pied à l'encrier et vous tordiez le doigt dans l'engrenage, de vous faire profiter de l'expérience d'Ysiad notre éminente spécialiste en revers de médaille.

     

    Aujourd’hui, dans la série : "foirer, c’est bien, mais bien foirer, c’est mieux", nous nous avançons à pas précautionneux sur le terrain dynamité de l’œuvre écrite, celle que nous pensons avoir suffisamment mûri en nous pour la faire naître sur le papier. C’est un terrain très sensible, nous en savons quelque chose. Enfin, surtout vous, n’est-ce pas.

     

    Comment bien foirer son petit texte tragique

    par Ysiad

     

    Depuis que vous écrivez, les génies littéraires n’ont cessé de vous fasciner. Vous avez lu dans une biographie documentée que Victor Hugo grattait ses dix feuillets d’une traite, debout à son pupitre, sans la moindre rature, sans un seul lever de plume, tenu par sa seule inspiration, et qu’après avoir jeté un peu de poudre d’or sur son encre encore fraîche, Monsieur s’en allait cueillir des pâquerettes, ou conter fleurette aux soubrettes. Victor s’y prenait ainsi, avec insouciance et désinvolture, et il excellait dans tous les genres. Vous, c’est pas encore tout à fait ça, et s’il ne fallait citer qu’un exemple, le tragique vous échappe complètement, alors même qu’il exerce sur vous un immense pouvoir d’attraction. Ce genre-là vous soulève l’âme, tout en vous laissant entrevoir ce bref instant où l’homme, soumis à son fatum, réalise que sa vie bascule vers l’irrémédiable. C’est ainsi qu’un dimanche, soucieuse de cerner cet instant-là et de vous mettre pleinement en condition d’écrire une histoire puissamment tragique, vous avez décroché les rideaux dans le tissu desquels vous vous êtes drapée, pour déclamer les vers les plus connus du répertoire tragique. Vous étiez tantôt Jules César, Tu quoque, mi fili ! tantôt Chimène, Va, je ne te hais point ! tantôt Clytemnestre préparant avec son complice le meurtre d’Agamemnon. Lorsque votre conjoint vous a surprise en toge au-dessus de la baignoire, en train d’éventrer, sous le regard du chat, un ballot de vieux torchons avec une fourchette à huitres, devant son air ahuri, vous avez dû lui expliquer que vous revisitiez les desseins des grandes figures de la mythologie pour vous imprégner de tout le tragique possible. Que c’était une affaire de quelques jours. Que ça allait passer. Que les grandes œuvres ne se faisaient pas en claquant des doigts. Que quoi. M’enfin.

    Ce n’est qu’au bout de plusieurs séances au cœur de la guerre de Troie que vous avez consenti à quitter votre accoutrement pour attraper le stylo et vous mettre à rédiger. L’idée était là, sublime, presque palpable sous la plume qui courait entre des ruisseaux de larmes. Vous aviez en tête de composer un texte puissant autour de deux personnages éperdus d’amour, qui vont se déclarer leur flamme au cours d’un dîner aux chandelles, en même temps que chacun va révéler à l’autre un secret assez terrible pour les précipiter dans un gouffre si profond, que même avec une corde à nœuds, on peut pas remonter la pente.

    L’accouchement a été long. Très laborieux. L’encre n’a pas coulé à gros bouillons, hélas. La sueur, si. Vous avez souffert comme un veau et le papier aussi, que vous froissiez d’un geste impatient avant de le jeter dans un geste de colère à la corbeille. Et puis vous couriez reprendre la toge, dès que vous vous sentiez flancher. Ah ! Qui dira assez ces heures durant lesquelles vous vous êtes bagarrée avec ce maudit texte qui vous filait entre les doigts, ce vide qui ouvrait une gueule béante à la fin de chaque phrase, cet épuisement à donner à la situation une tournure tragique, cet entêtement ô combien dérisoire à trouver une fin qui fût digne de vos ambitions littéraires ?

    Personne, heureusement. Il n’y a guère que le chat qui sache combien vous en avez sué. Jamais il ne s’est autant éclaté à pousser sous le bureau ces boulettes (de papier) que vous serriez rageusement dans votre poing. Il vous en remercie. Il a beaucoup apprécié votre période tragique. Il aimerait bien que ça recommence.

    Après des heures de relecture à faire résonner vos phrases face au mur, vous avez estimé que vous pouviez donner votre œuvre à lire à autrui. Mais attention. Pas à n’importe qui. Il vous fallait quelqu’un à la hauteur de la situation. En qui vous aviez pleine confiance. C’est pourquoi vous l’avez envoyée à un auteur de vos amis qui a du métier, et du tact. Vous avez attendu, impatiente de connaître le verdict de ce camarade d’écriture. Lequel, ne voulant pas se brouiller avec vous, a déclaré au bout de deux jours que c’était pas mal, oui. Et même intéressant. Voire audacieux, à condition de se placer dans une perspective avant-gardiste, car enfin, personne n’avait encore osé aller jusque-là, mais que toutefois, certains passages méritaient sans doute d’être retravaillés. Un petit peu. Surtout la fin. Et au milieu aussi, lorsque l’héroïne perd son œil dans la soupe. Enfin, tu vois ce que je veux dire, a-t-il conclu dans un courriel ménageant la chèvre autant que le chou. Encore aujourd’hui, vous lui savez gré de sa délicatesse. A l’époque, si cet ami avait décrété d’emblée que c’était nul à chier, et qu’il fallait urgemment passer à autre chose, vous auriez alors coulé à pic au fond du Styx. Seuls, ceux qui écrivent peuvent savoir ces choses-là. C’est pourquoi vous avez rapidement déchanté lorsque vous avez donné à lire le texte retravaillé à votre fils, sans lui dire que l’œuvre était de vous. C’est quoi, c’te daube? a-t-il dit haut et fort, en prenant soudain les traits d’Oreste. Grotesque ! a-t-il repris en appuyant bien fort sur " gro ", afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. Cette fois-ci, c’était bon, vous touchiez le fond, et sans oser lui avouer la vérité, vous avez froissé votre copie et l’avez jetée entre les pattes du chat.

    Bravo. Cœur de cible. C’est foiré.

    Mais si par miracle, quelques jours plus tard, après avoir récupéré la boule de papier glissée sous un meuble, votre fille déclare en rentrant de l’école qu’elle l’a donné à lire à Bourdin, son prof de français, et que celui-ci a dit en se frappant les cuisses qu’il n’avait jamais rien lu d’aussi involontairement comique, alors seulement, l’aventure du grand texte tragique sera bien foirée.


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    On ne saurait commencer la nouvelle année sans saluer celles et ceux qui, par la diversité de leurs talents, ont contribué à faire vivre gaillardement le café durant 2010. Par ordre d'entrée en scène :

    Jean Calbrix, Marie Bouchet, Geneviève Steinling, Françoise Bouchet, Yvonne Oter, Gilbert Marquès, Claude Romashov, Suzanne Alvarez, Ysiad, Jean-Claude Touray, Danielle Akakpo, Catherine Wrobel, Jean-Pierre Michel, Patrick Denys, Claude Bachelier, Noémie, Jordy Grosborne, Andrée Pons-Jacquet, Annick Demouzon, Laurence Magaud, Elodie Fonteneau, Christelle, Johanne Hauber-Bieth, Roger-André Halique, Joël Hamm, François Fournet, Madeleine, Yvette Bonaric, Louis Delorme, Paul Athanase, Louise Debrakel, René Lallement, Olivier Furon-Bazan, Colette Rigoulot…  

    Un dernier petit pas derrière soi pour entamer le premier jour avec un poème de Corinne Romanzini posté quelques heures avant que l'année se termine. Avec "Inolvidable" de Bebo & Cigala pour l'accompagner...

    Le courant l'emporte

    Je ne me suis jamais posé
    Tourbillon
    Comme pavillon
    Trop facilement aimé
    Mal épris

    J'accrocherai des peaux
    Au rocher
    Eternelle ignorance
    Jusqu'à ce que je te reconnaisse
    Dans ma mémoire

    Tes voiles m'attachent
    Je me suis détaché jadis
    Moi l'insatisfait
    Au dernier jour
    Je reviens vers toi
    Trop tard

    Le tourbillon de la vie
    T'emporte au loin
    Pas trop loin
    La vie n'est pas une tragédie
    Sinon je vogue

    Ne cherche pas le désespoir
    Dans mon regard
    Je suis trop vieux
    Pour cette inélégance

    La jeunesse ne compose pas
    La vieillesse a accepté
    Depuis longtemps
    La vie et sa mélancolie

    La vieillesse depuis longtemps
    Guette avec lucidité
    La passion du désir
    Comme un mystique
    En prière.

    Corinne Romanzini

     


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