• Patte de velours

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    Après les humeurs de chien chères à notre ami Claude Bachelier, vous apprécierez certainement de découvrir ces gaietés de cœur d'un autre compagnon de l'homme... 

    Pépère

    par Claude Romashov

     

    Elle secoue et arrange les coussins. Le ronron de l’aspirateur m’énerve. Je n’ai qu’une envie, disparaître et la faire sursauter en jaillissant brusquement de ma cachette. Quand elle s’applique au ménage, elle ramasse mes jouets en maugréant pour les mettre hors de portée. Je n’aime pas cela et dois la supplier pour qu’elle les sorte de sa boite. Mais finalement j’obtiens ce que je veux car elle trouve irrésistibles mes yeux candides et mes joues rondes qu’elle tiraille ou caresse d’un doigt replié selon les variations de son humeur.

    Oh, je ne suis pas malheureux, juste un peu contrarié. Elle est d’un naturel si gentil et si tendre. Je suis son trésor. Elle me le murmure doucement à l’oreille et d’autres secrets aussi. Toujours à s’inquiéter si j’ai assez chaud, assez mangé, si je ne m’ennuie pas. Nous vivons seuls tous les deux. L’homme est parti. Grand bien lui fasse. Je ne l’aimais pas mais de la voir si désarmée me fend le cœur. Je partage sa peine, je la console comme je peux. Je suis si petit, si impuissant face à la lâcheté humaine.

    Il a emmené tous les meubles sauf le canapé, une horrible table basse, la télé et le lit de la chambre. Alors depuis qu’il n’est plus là, elle traque la moindre poussière, la moindre trace invisible de sa présence.

    Je lui dis qu’on est bien tous les deux, que nous resterons toujours ensemble car je ne la quitterais jamais ma jolie maman. Ses beaux yeux d’azur me sourient à travers ses larmes et j’arrive même à la faire rire avec mes facéties. C’est vrai que j’en rajoute un peu.

    Mais ce matin, elle a repris le ménage. Elle marmonne "tous des salauds!", jette un coup vengeur à l’horrible table basse qui en retour lui laisse un éclat de bois dans le pied. Juron, larmes, je ne sais plus où me mettre, je ne l’ai jamais vue dans une telle rage. "Ne reste pas dans mes jambes" Elle s’énerve après moi. C’est injuste mais je préfère me faire oublier et file dans la chambre. Je n’aime pas la colère, j’ai horreur des cris. Je rumine dans mon coin. "S’il te plait, reprends-toi" Je le pense si fort que ça marche, elle vient s’accroupir et m’entoure de ses bras. Je lui pardonne, me serre contre elle car je sais que l’amour déçu fait mal et même si je suis encore un gamin, je devine cette souffrance, l’abandon de celui en qui on place tous ses espoirs, l’abandon des mains qui caressent et protègent. La chaleur et la sécurité de l’amour.

    D’ailleurs il fait froid ce matin, elle a ouvert les fenêtres et la brume hivernale emplit les pièces me faisant frissonner de la tête aux pieds. Moi qui aime tant jouer, courir et sauter dans le jardin, je n’ai pas envie de mettre le nez dehors.

    Le jardin, odorant, vert et vaste en été. Les jours heureux près de la piscine. Leurs cris joyeux, les éclaboussures d’eau, leurs embrassades. Elle, me guettant du coin de l’œil, me recommandant la prudence. Nous avons vécu tous les trois un bel été malgré la jalousie larvée de son amant. Il ne me supportait pas, voulait m’évincer, essayait de me corriger en douce si je faisais une bêtise mais une femme qui aime son petit reste vigilante. Elle déjouait tous ses plans pour m’écarter d’eux et redoublait de tendresse envers moi. Je me sentais le premier dans son cœur et l’autre avec ses simagrées ne faisait que renforcer l’attachement que j’avais pour elle.

    Il est parti. J’en ai bondi de joie. J’ai récupéré mon espace, ma quiétude et toute son attention. Dommage qu’elle le pleure autant. J’ai parfois du mal à comprendre car elle est aimée de la famille et les garçons la courtisent avec des fleurs et toujours un petit cadeau pour moi. Cet homme l’a rendue sourde et aveugle ma parole !

    Elle me dit : "Tu ne peux pas savoir, celui-là, je l’ai dans la peau".

    Moi, je pense qu’elle doit en conserver des lambeaux car malgré le ménage dans son cœur et dans la maison, elle n’arrive pas à se défaire de son odeur.

    Pouah ! Je n’aime pas son odeur musquée d’homme.

    Les coussins retrouvent leur place sur le canapé et moi celui que je préfère. Celui qui est bien usé, bien griffé par le temps. Elle se calme enfin, sors un mouchoir pour tamponner ses beaux yeux bleus, les plonge dans les miens et me dit mi amusée, mi fâchée :

    "Tu n’aurais pas dû faire cela quand même".

    Quoi ? Et pourquoi me serais-je gêné ? Il l’avait cherché, non ?

    Elle éclate de rire, enfin, en évoquant la scène de rupture.

    Ils se disputaient comme souvent mais ce soir-là, c’était plus violent. Voyant qu’il levait la main sur elle, je n’ai pas supporté. Je lui ai bondi au visage d’une seule détente et planté "mes dagues de Zorro" dans le gras des joues en lui arrachant sa vilaine peau. Un homme n’a pas le droit de menacer celle que j’aime par-dessus-tout. Ma douce, ma belle, la maman à son chat-chat : Pépère.

     


  • Commentaires

    1
    Mercredi 19 Janvier 2011 à 18:51

    C'est un chouette texte contre les maris qui battent leur femme, si je comprends bien. Ils n'ont qu'à bien se tenir, maintenant. Merci Claude, je vais commencer par foutre notre Minou dehors ! 

    2
    ysiad
    Samedi 23 Août 2014 à 18:19

    Ah, quel beau texte. Quel beau et vaillant chat de garde. Beaucoup plus féroce qu'un chien de garde et beaucoup plus vigilant. C'est bien, bon chat, bravo. Bravo Claude, aussi, pour ces splendides griffes de Zorro. Dans la même gamme d'idée, nous avons, trouvé par ma fille, les cuisses de Brigitte Bardot, pour qualifier celles de notre matou.

    3
    claude
    Samedi 23 Août 2014 à 18:19

    Merci Ysiad. Il a la cuisse fine et musclée le matou de la petite !

    4
    dominique guérin
    Samedi 23 Août 2014 à 18:19

    On s'est plusieurs fois croisées sur le blog de l'Antre-Lire en appréciant nos nouvelles réciproques. J'étais plus habituée à ta "veine" fantastique mais tu t'en tires bien dans l'antropomorphisme : ton Pépère a des réations fort humaines -lol- ! Très chouette texte.

    Carton jaune (on va pas aller jusqu'au rouge, il est maître en sa demeure !) à Patrick. C'est quoi cette façon de jouer les spoilers en intro ???? Je ne sais pas quand j'aurais deviné qu'il s'agissait d'un chat mais au départ, je crois que je n'y aurais pas pensé. Tu plombes l'intrigue...

    5
    ysiad
    Samedi 23 Août 2014 à 18:19

    C'et ça Claude, Patou a la cuisse fine et musclée et bien galbée aussi! Et ton texte m'évoque en contrepoint les deux très grands visages de Gabin et Signoret autour d'un matou qui les divise, mais dans le film, c'est la femme qui passe à l'acte.

    6
    claude
    Samedi 23 Août 2014 à 18:19

    Dominique, je suis ravie que tu te souviennes de mes textes postés sur Antre lire, un très bon site qui hélas ne fonctionne plus.

    Ysiad, merci de faire un parallèle entre ce beau film et ma modeste prose.

    Jean, surtout pas votre Minou dehors par les temps qui courrent.

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