• La petite phrase qui marque ...

    La petite phrase qui marque ...

    Danielle Akakpo

     

       Il se passe des choses curieuses dans mon bureau depuis quelque temps. Il y a une dizaine de jours, j’ai trouvé près de mon téléphone un paquet de biscuits accompagné d’un petit mot : « Pour accompagner votre café, il sera bien meilleur avec un sablé. » J’ai tout de suite pensé à une délicate attention, disons plutôt une blague de Sylvie, ma secrétaire avec qui j’entretiens des relations...très intimes. Elle a éclaté de rire et m’a juré qu’elle n’y était pour rien.  Deux jours plus tard, c’est un bouquet de fleurs des champs qui a remplacé les biscuits et depuis, régulièrement le matin, je découvre un nouveau modeste bouquet champêtre sur mon bureau. Sylvie commence à prendre un air pincé. Elle me soupçonné d’avoir une aventure avec une autre employée de la maison. Pire, elle va jusqu’à insinuer que je suis en train de virer de bord : une femme qui offre des fleurs à un homme, ça ne se fait pas, prétend-elle, alors...

       Et puis, il y a cette bonne femme grassouillette, engoncée dans une robe à carreaux que j’ai croisée à plusieurs reprises. La première fois, un matin dans un couloir, elle m’a salué avec componction d’un « Bonjour monsieur, je vous souhaite une très bonne journée ! » Puis le lendemain, dans le hall d’entrée alors que j’arrivais et qu’elle s’en allait, un cabas de marché à la main, j’ai eu droit à : « Bonjour monsieur, j’espère que vous allez bien, votre famille aussi. » C’est tout juste si elle ne se cassait pas en deux devant moi. J’ai passé un coup de fil à Granger, mon DRH, pour me renseigner sur cette employée aux horaires et habitudes bizarres. D’après ma description sommaire, il ne pouvait s’agir que de la femme de ménage : « Alice Maréchal, quarante ans, mère célibataire, trois enfants, engagée deux ans plus tôt après une longue période de RSA, rien à dire sur son travail. » Je n’en demandais pas tant.

       Ce matin, après une prise de bec avec ma femme à propos d’un dîner chez ses parents ce soir – j’ai avancé l’argument d’une réunion de travail exceptionnelle avec mes chefs de projet – comprenez une partie de jambes en l’air pour recoller les morceaux avec Sylvie – j’ai fui sans prendre mon petit déjeuner et suis arrivé à mon bureau avec une heure d’avance. La porte était grande ouverte, l’aspirateur trônait au milieu de la pièce et une femme en blouse bleu ciel était en train de disposer des marguerites dans le vase. Elle a à peine sursauté en m’apercevant et m’a décoché un : « Bonjour monsieur le PDG, comment allez-vous ce matin ? » qui m’a fait sursauter. Annie ? Arlette... Machin.. Truc... bref la femme de ménage ! Je ne l’avais pas reconnue dans sa blouse. J’ai tenté de lui faire la morale : « Voyons, ma brave dame, ce n’est pas raisonnable, vous faites un travail parfait, je n’ai nul besoin de ces petites attentions... » Elle m’a presque coupé la parole :

       « Mais j’y tiens, monsieur. J’ai entendu le discours de M. Valls à la télévision (faut pas croire, je m’intéresse à l’actualité), et je pense tout comme lui. J’aime l’entreprise qui me permet de nourrir mes petits et d’avoir un toit sur la tête et comme je ne sais pas faire de grands discours, je le montre... à ma façon.

    Brève, 27 août 2014

    « J’aime l’entreprise » M.V.


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  •  On the rocks

    On the rocks

    Vieufou

     

       Dans l’ascenseur qui monte au cinquantième étage, je repense à ces dernières soixante-douze heures. Et au paquet de fric qui m’attend au sommet de la tour.

       Le molosse qui m’escorte n’a rien d’un liftier, engoncé dans son costume d’espion tout droit sorti d’un mauvais remake de 007. Il paraît taillé dans un bloc de glace. Je distingue sous son épaule le renflement d’un holster. Il ressemble aux types qui m’escortaient pendant le voyage. Eux, malgré la température, encore 20° à seulement 500 km de notre but, étaient équipés d’armes lourdes et de gilets pare-balles.

       Après avoir pris bateau, hydravion et hélicoptère, nous finîmes le trajet en jeep blindée, escortés par plusieurs véhicules d’Omnicorp remplis de mercenaires armés jusqu’aux dents. Il fallut éviter la zone des volcans, au nord du continent, de nouveau actifs après des millénaires de sommeil sous les glaces.

       Nous longeâmes des bidonvilles mal famés, des champs pétrolifères bordés de haies de barbelés.

       Mon chauffeur s’avéra très habile pour graisser la patte aux mercenaires qui tenaient les nombreux barrages que nous rencontrâmes, en une bonne dizaine de langues dont plusieurs m’étaient inconnues.

       Le réchauffement climatique s’est accéléré. Les pôles ont entièrement fondu en quatre décennies, quand les scientifiques avaient prédit quatre siècles. Rien ne freine jamais la folie des hommes, rien n’arrête le profit. Ni les prédictions alarmistes, ni  les épidémies, ni les cancers foudroyants, ni les sautes d’humeur des éléments déchaînés, de la nature furieuse de ne pas être entendue : tsunamis, éruptions, tremblements de terre, pollution, guerres, famines. Rien.

       Avec l’émergence des terres du pôle sud, toute une population de migrants débarqua dans ce nouvel Eldorado. Les bases scientifiques devinrent des micro-états insoumis, gouvernés par des despotes au moyen de milices lourdement armées, vendant au plus offrant les richesses du sous-sol, les dernières de la planète.

       Notre destination atteinte, je constatai l’étendue du désastre. Là où je m’attendais encore à voir une colline glacée, comme le montraient les dernières données satellitaires, trônait désormais un vaste hangar bardé de groupes électrogènes et de climatiseurs et entouré de cerbères en armes. Un homme enturbanné me tendit un portable et une épaisse combinaison. J’approvisionnai son compte offshore et m’équipai.

       À l’intérieur de la chambre froide régnait une vraie température polaire. J’avais devant les yeux un cube translucide d’à peine dix mètres sur vingt. Les dernières glaces du pôle sud. Les dernières réserves d’eau potable de la planète. L’homme déposa un petit bloc luisant dans une glacière de camping. Il me la tendit et me poussa vers la sortie. Déjà un autre client prenait ma place.

       Pendant le trajet du retour, le convoi fut attaqué par les mercenaires d’une multinationale concurrente. Je pus ainsi constater les talents de combattant de mon chauffeur mais mon escorte perdit une dizaine d’hommes lors de l’assaut.

     

       L’ascenseur nous recrache. Je savoure les 20° dispensés par la clim, sans commune mesure avec l’écrasante température ressentie hier. Je souris au molosse sans arriver à dégeler l’atmosphère.

       Assis dans un fauteuil derrière son large bureau, le PDG d’Omnicorp me tourne le dos. J’aperçois juste le haut de son crâne. Il contemple la ville à travers une vaste baie vitrée. Je distingue les fumées noires qui s’élèvent au-dessus des quartiers populaires noyés sous les eaux et je peux presque entendre gronder la misère, malgré les dix centimètres de verre blindé.

       - Vous l’avez ?

       Le ton interrogatif est lourd de menace.

       Sans attendre ma réponse, le garde du corps saisit la glacière et la pose sur une table à roulettes garnie d’instruments chirurgicaux. Du récipient réfrigéré il sort l’objet de ma quête et se met à le débiter en petits cubes réguliers à l’aide d’une scie à os.

       - L’argent est sur votre compte.

       L’argent… Assez pour vivre quelques mois à l’abri dans les étages inférieurs de cette tour d’ivoire. Sans doute plus de temps qu’il ne reste à la planète.

       Le bras du PDG jaillit hors du fauteuil. Aussitôt, le sbire place un verre empli d’une boisson ambrée dans la main parfaitement manucurée. Il y ajoute deux des glaçons qu’il vient de découper, qui tintent sinistrement contre les parois. C’est ce qui s’appelle jeter un froid.

       - Whisky ? C’est un pur malt.

       Le molosse, de glace, me tend un verre. Vu le prix qu’ils ont coûté à son boss, il ne me propose pas de glaçon.

       De toute façon, je prends toujours mon whisky sec.

       Juste mouillé de quelques larmes.

     

       Mon employeur, le dos toujours tourné, me congédie d’un geste brusque. Je lui lance un dernier coup d’œil. Dans sa main, un Havane a remplacé le verre.

       Dans l’ascenseur, le néanderthalien qui me raccompagne me tend sans un mot un tube de pommade anti-moustiques et une boite d’allumettes vide.

       Je laisse échapper un soupir. Je sais ce qu’il me reste à faire.

       Demain, je m’envole pour l’Amazonie.

     

    Brève, 12 mai 2014

    Antarctique : on sait maintenant que la fonte des glaces est bien irréversible.

    Deux études montrent que la fonte des glaciers de l'ouest du continent austral va provoquer une montée du niveau des mers de 4 mètres dans les prochains siècles.


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  •    Tête de turc

    Tête de turc

    Emmanuelle Cart-Tanneur

                                                                                                     Dijon, le 10 mai 1984

       Monsieur le Directeur,

       Nous avons longtemps hésité avant de vous adresser la présente, mais les choses sont allées trop loin pour que nous ne réagissions pas.

       Il semble en effet que l'ensemble du personnel de l'école Michel-Debré ait pris notre fils pour tête de turc, au point que cet enfant, déjà victime de phobies de l'endormissement, se dise incapable de retourner en classe si rien n'est changé dans les attitudes de chacun.

       Ses professeurs, tout d'abord, ont semblé depuis le début de l'année, et bien que nous les en ayons préalablement avertis, ignorer totalement la pathologie de phobie des devoirs présentée par Thomas et attestée par un psychologue de nos amis. Ils s'obstinent à lui demander des leçons qu'il serait bien incapable de réciter, sa phobie mémorielle pourtant connue lui interdisant tout apprentissage de la sorte. Quant aux devoirs écrits, il est bien évident que la phobie graphique dont il souffre le rend incapable de s'en acquitter. Sa phobie aquatique lui interdit la piscine, et son agoraphobie les sports collectifs : de quel droit le professeur de gymnastique l'a-t-il sermonné l'autre jour ? Quant aux interrogations, orales ou écrites, nous pensions vous avoir demandé d'en dispenser Thomas au point d'aggraver sa phobie de la réponse.

       Ses camarades auraient bien besoin, par ailleurs, de se voir mis en garde contre leur attitude envers notre fils : un certain Nicolas se serait plaint que Thomas ne lui ait pas rendu quatre des cinq billes qu'il lui avait prêtés. Aurait-il donc oublié le fait que son camarade est phobique du remboursement, et qu'il aurait été incapable, même s'il l'avait voulu, de les lui restituer ? À chacun de prendre ses responsabilités ! Ce Nicolas a agi en connaissance de cause et il serait injuste d'en accuser Thomas. De même, la jeune Aurélie, qui lui reprocherait d'avoir triché en contrôle de math en copiant sur elle, ferait mieux de se souvenir au plus vite que notre fils est phobique du travail en solitaire, si elle ne veut pas que nous portions plainte contre elle pour diffamation.

       Les problèmes avec votre école s'étendent au-delà même des salles de classe, puisque les surveillants s'obstinent à punir Thomas lorsqu'il refuse de se mettre en rang, alors qu'ils savent très bien qu'il est phobique de l'alignement, et à la cantine, on l'oblige à finir son assiette malgré sa phobie du vide. N'y a-t-il pas là maltraitance ?

       Nous terminerons par l'ironie cruelle dont a fait preuve le Conseiller d'Orientation, en riant au nez de notre fils lorsqu'il lui a annoncé son projet d'être Ministre un jour. Que cela ne se reproduise pas, sous peine de plainte généralisée contre toute votre école.

       Nous ne vous saluons pas, mais comptons sur votre autorité, indispensable dans toute société au maintien de l'égalité, de l'honnêteté et de la justice.

                                                                                             Mr et Mme Tesvenudou.

     Brève, septembre 2014

    Un membre du gouvernement justifie ses démêlés avec les impôts par une « phobie administrative ».


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    Tête à claques

    Tête à claques

    Benoit Camus

     

       Je les regarde. Je ressens que dalle. J’ai plus la haine.

       Avant, rien que traverser ces quartiers boursouflés me gonflait d’adrénaline. Une décharge qui me convulsait le cerveau reptilien. Des relents de fureur tels que ça me tordait le bide. Spasmes. L’écume aux lèvres. Des envies de tout péter, de dégobiller sur leurs trottoirs boudinés ma hargne, de cracher sur leurs murs bedonnants ma rage. Je me voyais barbare. J’arpentais leurs rues, des rêves de bombes et de cocktails Molotov plein la tête. Je semais la désolation. Les résidences ventrues explosaient les unes après les autres dans mon sillage. Déflagration en chaîne. Pas à pas, le champ de ruines. Rasé, le ghetto de riches. Massacrés, les nantis bunkerisés. Baisées les bourgeoises matelassées. Labourées, lacérées par ma lame de justice. Oui, dès que je frayais dans ces zones grasses, je me sentais galvanisé, animé d’une énergie pure et destructrice, qui me rendait plus vivant que mon quotidien de rase-mottes ne me prédisposait à l’être. Je sortais de là avec les crocs. Un appétit d’affamé. Prêt à bouffer le monde. Rien ne s’était passé, pourtant. Ni éraflures sur les rutilants immeubles blindés aux digicodes et leurs façades arrogantes, ni cris, ni larmes. Personne m’avait remarqué. Silhouette grise et floue sur l’asphalte qui brillait davantage que moi. Rien n’avait changé, sauf que j’étais remonté à bloc et que ça durerait jusqu’au soir. Et que j’avais dix-sept ans. Et que j’y croyais…

      Et maintenant, je suis là. Assis sur ce banc, dans ce square adipeux d’un secteur huppé. Et zéro… Même pas envie de hurler. Même pas voulu fracasser les vitres sur le chemin, dévaster les halls cadenassés à la vidéosurveillance… Le vide… Pas le moindre élancement dans les tripes. Aucune vibration. Où s’est terrée ma haine ? J’ai perdu ma haine. Au fil de ma petite vie à vau-l’eau, dont je colmate les brèches à coups de compromissions. Juste survivre et s’échiner pour rester sur le radeau. S’accrocher et suivre le courant. J’ai plus ma haine. Pffuittt, envolée la haine. Remplacée par un poids de misère à ras du ventre. Le corps lesté par la résignation. L’indifférence. À quoi bon ! Je suis venu ici. Voir si ça palpitait encore. Sous sédatif, j’ai la cervelle engluée. Les espoirs enlisés dans la fange d’une routine carcérale. M’ont anesthésié. À force de. La même litanie depuis des lustres. Encaisser pleine poire. Pas moufter. Digérer. Et le pas empesé, traîner sa médiocrité à travers des jours et des nuits sans relief. Et rien y trouver à redire. J’ai plus la haine. Devenu vieux con comme le mien, du temps où je le méprisais. Parce qu’il bronchait pas. Parce qu’il rampait. Du moment que nul ne l’emmerdait, n’entravait sa route entre la télé et son bureau… « À quoi bon ? Le monde est tordu ; tu le redresseras pas ! » me disait-il. J’ai rejoint la multitude. La colonie des morts-vivants. Claquemuré, recroquevillé. Chacun sa graisse et d’abord sa pomme.

       Je les regarde. Leurs mouflets qui braillent et cavalent, avec leurs vêtements plus chers que mon loyer. À celui qui s’imposera, poussé par l’exhortation parentale, l’empreinte génétique, qui grattera ses congénères et s’appropriera la balançoire. Déjà conditionné : piétine mon enfant, piétine. Dès le berceau au taquet pour rafler la mise devant les yeux éblouis des mères. C’est bien, mon enfant, c’est bien ! Je les regarde, les mères. Clones de top model. Simili des gravures de mode. Sûr, elles sont armées ! Les wonder women affûtées et surbookées, entretenues par des heures de ravalement particulier. Pas de souci pour conserver la ligne. Suffit d’y mettre le prix. La chasse aux bourrelets et aux rides. Pimpantes et sucrées. Des filles papier glacé, sur lesquelles j’avais l’éjaculation précoce, du temps où elles me titillaient le zob. Parce qu’aujourd’hui, malgré leur petit cul et leurs gambettes aussi longues que la tour Eiffel, plus envie de me répandre. Non, plus envie… Je les regarde. À peine si je bande. Bite en berne. Y’a rien qui se trame. Et c’est pas leurs mères, les grands-mères, tirées à quatre épingle et de partout, avec leurs cheveux violets et leur peau ravaudée, qui y changeront quoi que ce soit. Z’ont beau afficher leur taille mannequin, je vois que les échafaudages. Je les passe en revue. Je cherche. Rien susceptible de ranimer ma haine. Même pas du côté des pères, des maris, des amants. Tenue dernier cri et mèche impeccable. Technologie de pointe au creux de la paume. Tout ce que je déteste. Oui, tout… Et pourtant, leurs gueules sanctuarisées de thunés, il me vient pas l’humeur de les ravager. Je suis là, je les mate et je me sens mort.

       Où s’est planquée ma haine ? Comateux, engoncé dans mon quotidien étroit, je bouge pas. Me contente de les regarder, de remarquer cet adolescent, que fait-il ici ? qui me scrute. Un grand frère, sans doute. Bien sage et propret, chargé de la surveillance rapprochée de sa fratrie. Il me reluque, façon j’t’ai dans le collimateur. Que me veut-il ? Il a reconnu l’intrus. La tâche dans le décor. L’anomalie dans le paysage. Il se dirige vers moi. Presse le pas.

       Clac, j’en reviens pas. La main sur ma joue tannée, j’encaisse le choc. M’a pas raté, le con ! Le gamin m’a matraqué d’une claque et à toutes jambes, devant les yeux indignés des passants, s’enfuit. Il s’enfuit. Il est pas des leurs. Et je comprends qu’il m’a confondu avec eux. À un bobo habillé clodo, il m’a assimilé. Gonflé de ressentiment, m’a aligné direct. Et tandis qu’il disparaît derrière les grilles du square, les mamans outrées se précipitent vers moi, à mon chevet me collent leurs nichons vitaminés sous le nez, compatissantes s’enquièrent de mon état. J’en profite pour les renifler mais si, au fond du bide, ça se réchauffe, je sais que ce n’est pas à elles que je le dois. Putain, il y a encore des mômes qui ont la hargne ! Tout n’est pas perdu !

    Brève : 25 février 2014

    Climat social : 61% des jeunes prêts à se révolter


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  • Petite histoire d’un été pourri

    Petite histoire d’un été pourri

    Ysiad

     

    L’été s’ra chaud, l’été s’ra beau…

    Tu parles ! Toute cette pluie, c’était cafard. Il pleuvait, pleuvait, pleuvait. Et les températures baissaient aussi vite le chômage grimpait. On s’ennuyait ferme. On avait pris très peu de vacances, sauf le flamboyant Zizi Rider qui s’en était octroyé une bonne tranche du côté de l’océan indien, laissant Manu réparer les fuites dues à la pluie.

    –  Et ne me fais pas sauter les plombs de la maison durant mon absence, recommanda-t-il à Manu.

    – Oui, chef. Comptez sur moi, chef. Rien ne valsera, avait garanti le chargé de plomberie. Tout est en ordre, même les déficits budgétaires ! ajouta-t-il d’une voix heureuse.

    Le casque sur la tête, l’énergique Zizi Rider retroussa son pantalon sur ses chaussettes pour enfourcher sa mobylette.

    – Et garde un œil sur Nono ! avait-il lâché dans un nuage d’essence. 

    – Comptez sur moi, ricana Manu et sa voix fut aussitôt couverte par la pétarade du moteur. Nono était le chargé de dynamite. Manu pouvait pas l’encadrer ! Le grand chef ayant dégagé, il allait lui régler son compte, à ce roquet.

    Le lendemain Nono débarqua avec l’envie de coller une bonne beigne à Manu dans la cour de la maison dorée.

    – Il pleut dans mon bureau ! fit Nono. T’es nul, Manu ! T’as réparé comme un manche !

    – Casse-toi, petit. Tu me les gonfles, répondit le plombier d’une voix très calme.

    – C’est toi qui m’ les brises, Manu, rétorqua Nono, façon tonton flingueur.

    – Va jouer ailleurs, Chipster, balança Manu d’une voix polaire.

    Furieux de s’être fait appeler Chipster, Nono partit rassembler ses amis dont la grande Lili et le petit Benoît. Il leur distribua de gros fagots de dynamite.

    – Chouette, fit Lili. On adore jouer avec le feu.

    – Et mettez la dose dans le bureau de Fafa. Il le mérite, fit Nono.

    – Ce traître ! Compte sur nous, répondirent-ils en chœur.

    Le lendemain, Manu vit une colonne de fumée noire monter au bout de la rue. La maison dorée avait entièrement brûlé. C’était pas de chance : l’incendie avait triomphé de la pluie torrentielle.

    – Il va me le payer ! lança Manu furieux.

    Quelques heures plus tard, Zizi Rider rappliquait de l’océan indien sur sa planche de surf.

    – Y a eu l’ feu, chef, fit Manu d’une voix penaude.

    – Je vois ça, fit Zizi Rider. Ben t’as plus qu’à trouver une solution.

    – Je m’en occupe, ajouta Manu.

    – Et qu’ça valse ! appuya  le chef de sa voix de flan au caramel.

    Pour ça, on pouvait compter sur Manu. Lili, Benoît, Nono : du balai !

    Le gouvernement valse ! lança une gazette. Le gouvernement implose ! enchérit une autre. Le gouvernement met tout à plat avec un macron ! compléta une autre.

    – Je te confie les cordons de la bourse pour tout rebâtir, fit Zizi Rider au macron. Aide-toi de Manu, c’est un plombier pas doué mais dévoué.

    – Comptez sur moi, chef. Avec mon savoir-faire, c’est moi qui vais vous inverser la courbe du chômage, promit-il.

    Malheureusement, la courbe du chômage ne baissa pas. Ce furent les températures qui remontèrent.

    Quant à la pluie, elle s’arrêta tout à fait le jour de la rentrée.

     

    Brève, le Monde,  31 août, lundi 1er septembre

    Cette folle semaine qui a fait imploser le gouvernement…


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    Business oblige !

    Danielle Akakpo

     

    Mais pourquoi tous ces journaux me traînent-ils dans la boue ? Moi, quand je me regarde dans mon miroir le matin, je me félicite d’avoir pris la bonne décision l’autre jour. Ils y pensent à ma carrière tous ceux qui me jettent la pierre ?

    Poser pour des photos, apparaître dans des séries télé, tout ça exige que je prenne grand soin de ma forme physique, et de mon moral, ça va sans dire. Précisément, c’était pour mon moral que j’avais entrepris cette foutue démarche qui me vaut tant de critiques.

    Un gros coup de vague à l’âme, un soir, un immense besoin de compagnie. J’avais déjà tout essayé. Un chien d’abord. Tout le monde se retournait sur nous quand, vêtue de noir de la tête aux pieds, lunettes fumées sur le nez, je promenais Zaza, un superbe bichon blanc comme neige.   Seulement, au bout de quelques jours, il m’a pompé l’air Zaza : je détestais qu’il me lèche les doigts de pied ou me colle sa truffe dans le cou. Et le sortir régulièrement, ça ne m’a amusée qu’un temps. J’ai pris ma bagnole et je suis allée l’abandonner sur une aire d’autoroute.

    Je me suis rabattue sur Minouche, une petite chatte tigrée. Pas embêtante du tout. Il suffisait que je lui laisse du lait à volonté, elle se débrouillait toute seule. Et j’aimais bien qu’elle vienne s’installer le soir sur mon lit. Jusqu’à ce qu’elle dépose sa crotte sur mon oreiller, la dégoutante ! Une fois endormie avec un de mes somnifères, une petite marche arrière dans mon garage, et hop, à la poubelle Minouche la cochonne !

    Quant au canari, cui cui cui quand on rentre à la maison, ça va une fois, deux fois, mais à la longue, ça use et puis faut nettoyer la cage. Sinon, ce que ça pue ces petites bêtes ! J’ai ouvert la cage et surtout la fenêtre en grand. Envolé le canari, sans doute boulotté par un chat du quartier.

    Un homme ? Oui, je vous entends : « Pourquoi pas un homme ? » J’ai fait l’expérience, plus d’une fois, croyez-moi. J’ai vite compris. Soit ils s’attachaient trop, commençaient à parler vie de couple, mariage : pas de ça, pour moi. Y a qu’à voir mes copines Sarah et Gwendo : depuis la robe blanche, c’est popote, cellulite et bourrelets. Mais surtout y a les autres, les pires, ceux qui ne sont attirés que par ma beauté parce ça en jette de coucher avec une star. D’ailleurs, Léo, le dernier en date s’est vendu : chaque fois qu’on avait fait l’amour et que je tentais d’avoir une conversation avec lui, il me mettait un doigt sur la bouche en murmurant : « Sois belle et tais-toi ! »Limpide, non ?

    C’est alors que j’ai repensé à mes visites à l’orphelinat de la ville : j’ai bon cœur et dans mon job, ça compte aussi. J’ai donc repensé à Juju, un ange blond de trois ans qui me rappelait mon petit frère et avec qui j’avais bien sympathisé. Un enfant tout prêt, qui ne m’aurait pas déformée pendant neuf mois et qui gazouillerait à la maison. Les religieuses ont bien voulu me le confier pour un week-end, pour qu’on fasse plus ample connaissance. Quelle belle soirée ! Un vrai petit dîner d’amoureux, plein de guili-guili et dodo après une berceuse. Seulement à partir de minuit, Juju s’est mis à hurler comme un perdu, je n’ai pas pu fermer l’œil. Le lendemain matin, vous auriez vu ma tête : teint vert, cernes noirs qui me descendaient jusqu’aux pommettes. Vous n’auriez pas fait comme moi, vous ? Vous n’auriez pas ramené ce sale braillard chez les nonnes ?

     

    Brève : 17 juillet 2014

    Après avoir adopté un enfant, elle le rapporte à l'orphelinat. Monica C., une starlette roumaine, avait pourtant annoncé son intention d'adopter l'enfant dans les médias.

     


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    Douce mort

    Elisabeth Le Tutour

     

    Nous étions soulagés d'apprendre qu'il serait enfin exécuté, après tant d’années, il serait enfin puni, il le méritait bien ! Nous sommes venus nombreux assister à cet événement tant attendu !

    Il a mis presque deux heures à succomber à une injection soi-disant létale. Nous l'avons vu se tordre, étouffer, nous avons entendu ses râles et je crois que ce sera un cauchemar qui me reviendra souvent !

    Maintenant, je comprends que commettre un nouveau crime n'efface pas le précédent. Ce sont les abolitionnistes qui ont raison quand ils disent qu'imiter les criminels, c'est les justifier.

     

    Brève, 23 juillet 2014

    Exécution aux U.S.A : le condamné met deux heures à décéder.

     


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    La guerre, la vraie

    Jacqueline Dewerdt

     

    Un chien pleure dans la rue, juste sous sa fenêtre. L’homme frappe du poing sur la table.

    - Nom de dieu, les salauds !

    Il fixe sur l’écran de télévision les restes d’un avion calciné quelque part en Ukraine. Sa main va et vient sur la table, s’ouvre et se ferme comme pour broyer tout ce qui s’y trouverait.

    - Bande de lâches!

    Un moulinet du bras renverse le bol de café à moitié bu. Le bol roule, hésite au bord de la table, retenu par un pli de la toile. Il se fracasse sur le carrelage au moment où, sur l’écran de télévision, des habitants de Gaza fuient en hurlant. Nuages de poussière, maisons en ruine, voitures calcinées, trêve violée. Images de la foule. On enterre des morts. Gros plan sur un linceul. Le visage ravagé d’un enfant.

    - Mais c’est pas de la guerre honnête, ça.

    Dehors, le chien aboie, pleure, gémit. L’homme a bondi. Il se frotte les yeux, le visage, comme pour chasser les images dans sa tête. Du sang, de la terre, la chaleur, la poussière. Il tourne autour de la table. Il cogne. Il cogne des pieds, des poings, les chaises, le buffet, le mur. Il grogne. La guerre, c’est des soldats qui se battent. Des hommes, des corps d’hommes qui se voient, qui se sentent, s’affrontent, se cognent. Des soldats. La guerre. Champ de bataille. La guerre.

    Mais bon dieu, va-t-il se taire se clebs ? Suffit pas que leurs poules viennent gratter dans mon jardin, que leurs pigeons mangent mes petits pois ? Suffit pas qu’ils laissent grainer les chardons et pousser le liseron ? Suffit pas qu’on soit au tribunal depuis des dizaines d’années parce que leur grand-père avait grugé le mien en déplaçant la borne du champ? Suffit pas qu’il fasse courir des rumeurs sur mes enfants ? Ah ! Ils veulent la guerre ? Ils l’auront ! La guerre, la vraie.

    A la télévision, Stéphane Bern présente son émission « Les plus beaux villages de France ».

     

    Brève, 22 juillet 2014

    Un conflit de voisinage dégénère : un homme tué avec une fourche. 


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    Dans la jungle

    Claude Romashov

     

     

     

    Le temps a changé et vire à l’orage. Déjà les nuages s’amoncellent et de larges gouttes s’écrasent sur les feuilles vernissées. Je n’aime pas le vent qui décoiffe et transporte les relents nauséeux de la ville. Les copains se fichent de moi, me traitent de fillette, de poule mouillée. J’en rigole dans un premier temps, mais bon, il ne faut pas trop me chercher ! Ils le savent. Nous sommes bien équipés avec nos machettes dans leurs fourreaux de cuir, nos couteaux finement aiguisés sans oublier les cannettes de bière pour étancher notre soif de fauves en maraude.

    La rue est agitée de soubresauts furieux. Les volets claquent et les vieux gémissent derrière leurs rideaux de dentelle. L’anaconda de bitume avale sa proie de poussière et de papiers sales. Les singes hurleurs se réfugient au sommet des arbres. Nous marchons d’un pas élastique, heureux de sentir se contracter nos muscles. Nous sommes invincibles, nous faisons la loi.  

    Nous avons pisté leurs traces. Ceux-là nous ne les aimons pas. Ils sont adulés pour leur force, leur tactique de jeu et de plus ils sont riches sans la moindre parcelle de gras qui dépasse. Frimeurs, grandes gueules. Des brutes sans cervelle qui tombent toutes les filles, y compris nos cousines et nos sœurs…

    Nous arrivons dans le carré réservé de la jungle. La lumière tournoie et les cris jaillissent des poitrines. Nous sortons les machettes et tailladons les jarrets de ces abrutis qui ont osé envahir notre territoire. J’en attrape un. Il se protège la tête de ses bras. Hum, j’aimerais bien me découper une crinière. Un super trophée de chasse ! Ça ferait joli, encadré de mes sabres japonais sur le mur du salon de ma mère.

    Et les deux autres, poursuivis par les copains braillant d’une joie sauvage, ils s’enfuient en pleurnichant. Mes amis, quelle belle tranche de rigolade !

     

    Brève, 20 juillet 2014

    Millau : trois rugbymen de Clermont attaqués à la machette…

     


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    La montagne, ça refroidit

    Sarah-Lou Mc Neal

     

    Pourquoi Diable, tout le monde s'offusque de la réapparition de Patrice Hyvert ? C'est vrai, il est parti sans faire de bruit un matin d'été, et il n'est jamais revenu. La police est venue interroger la famille, les voisins sans trouver d'explication, ni de pistes à explorer. C'est un solitaire le Patrice ! Toujours à crapahuter dans la montagne. Pas du genre à beaucoup causer, sauf avec Marie, qui à force de ténacité a réussi à gagner une petite place dans sa vie, et s'est mis en tête de l'épouser. C'est sûr, c'est un beau parti et la vie en montagne est rude. Elle a pensé à tout pour qu'ils ne manquent de rien. Elle le presse. Il hésite. Elle sait s'y prendre la cajoleuse ! Ils se sont mariés la veille de son départ en expédition. Elle a préparé elle-même son matériel. Et puis, plus rien, pendant des mois, des années même. Oublié le Patrice, envolée la Marie... Lui, qui n'était pas pressé de s'engager, il ne s'est pas pressé pour revenir. Voilà qu'aujourd'hui, 32 ans après, le glacier se décide à nous le rendre : il n'a pas pris une ride.

    Hibernatus n'a qu'à bien se tenir !

     

    Brève, 9 juillet 2014

    Le corps d’un alpiniste retrouvé 32 ans après sa disparition dans le massif du Mont-Blanc


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