• A propos de poésie en général (2)


    Avec ce numéro 14 de la série " A propos de… " Gilbert Marquès nous présente le dernier volet de ses réflexions sur la poésie. Le dernier ? Gageons qu’il y reviendra un de ces quatre et que les échanges perdureront…

     

    Je présente à vos commentaires le second volet relatif à la poésie qui fait suite à ceux présentés ces trois derniers mois. Je traite cette fois du poème et j'espère que ce Propos suscitera autant de réflexions de votre part qu'en ont provoqué les précédents.

    Je les ai tous relus avec attention et même si nous ne sommes pas toujours d'accord sur des points de détail, nous semblons dans l'ensemble nous accorder sur le fond au point que contrairement à ce qu'écrivait Monsieur Jacques LAMY, je ne pense pas que ce soit une discussion d'arrière garde et vos réactions le prouvent. Nous ne sommes pas seulement deux à nous y intéresser.

    Même si la culture et la poésie en particulier, ne sont pas les préoccupations majeures en cette période difficile que nous traversons tous avec plus ou moins de… chance, je ne crois pas qu'il faille les délaisser pour se consacrer uniquement à l'urgence. Elles font en effet partie de l'avenir comme elles contribuent à la connaissance du passé ou du présent de sorte qu'il nous appartient à tous d'œuvrer pour qu'elles perdurent dans les meilleures conditions possibles même si cela ne semble pas très sérieux eu égard aux événements actuels.

    Le monde change et comme à chaque époque charnière, la culture a non seulement sa place mais se doit aussi d'être actrice de ce changement au travers de nos travaux. Toutes les œuvres produites aujourd'hui seront des témoignages pour le futur et c'est en cela qu'elles sont a priori bien plus importantes que nous le croyions et ceci, même si nous prétendons maintenant créer avant tout pour nous faire plaisir. Peu ou prou, certaines d'entre elles laisseront des traces.

    La poésie, de tous temps, a apporté sa pierre à l'édifice de la connaissance et du savoir au même titre que toutes les autres formes de création. Gageons par conséquent que même si elle paraît aujourd'hui dévaluée, quelques poèmes si ce n'est leurs auteurs, resteront dans la mémoire collective pour marquer leur temps.

     

    Comment définir le poème ?

     

    En préambule, j'emprunterai partiellement les termes d'une critique parue dans le numéro 69 de la revue "La braise et l'étincelle" de mai 2007 à propos de mon dernier recueil de poèmes édité, Des-Rives :

    " L'auteur possède une plume acérée, parfois violente mais toujours trempée dans l'encre de l'amitié… Derrière la crudité d'une désespérance apparente, s'étouffe à chaque page un cri d'espoir. L'écriture est belle, forte, agressive, parfois violente et toujours dérangeante mais la poésie, c'est aussi cela"

    Ainsi pourrait se résumer ma définition de ce que devrait être le poème mais ce serait trop réducteur. L'important, dans cette citation, se trouve à la fin : "… mais c'est aussi cela la poésie" Cette réflexion, anodine a priori, implique que le poème n'est pas seulement cela mais bien d'autres choses encore. Pour certains, il s'agit d'un cri, pour d'autres d'une plainte ou de l'expression d'un espoir, parfois d'un constat, d'un moment de bonheur à immortaliser. Pour moi, le poème reste le reflet de l'état d'âme du moment, de l'instant parfois, d'une idée, d'une réflexion, d'une vision.

     

    Pour l'auteur, un poème se révèle parfois difficile et long à écrire. Pour le lecteur, il peut s'avérer un révélateur ou bien un catalyseur. Pour l'un et l'autre, la perception du poème demeure fonction d'une foule de facteurs extérieurs et intérieurs liés à l'humeur, à l'environnement, à la culture, en résumé à tout ce qui constitue un individu pour lui permettre l'ouverture par différentes interprétations.

     

    Si je me place du côté du lecteur, le poème, comme toute œuvre d'art de quelque nature qu'elle soit, doit susciter des émotions, des pensées, des réminiscences, des souvenirs, en un mot des réactions qu'elles soient d'adhésion ou de rejet. Cette liste n'est pas exhaustive et que le lecteur m'excuse de généraliser mais si poète je suis, je ne prétendrai pas comme certains de mes confrères que la poésie est art majeur ne serait-ce que parce que j'en ai pratiqué d'autres, théâtre et musique notamment mais aussi parce que dans le domaine de l'écriture y compris, je ne me cantonne pas à la poésie mais je l'étends aussi à la prose. Selon ma conception, tous les arts sont complémentaires et il ne peut donc en exister un de supérieur aux autres.

     

    Si j'endosse ma peau d'auteur, il est vrai que j'utilise souvent le poème comme un coup de poing tel que le suggère la critique à laquelle j'ai emprunté cette réflexion. Pas seulement toutefois ! En ce sens, le poème a pour moi une valeur militante, politique, sociale et je l'emploie en tant que tel, dégagé de toute morale castratrice et de tous les tabous sociétaires menant au politiquement correct selon l'expression consacrée. Le poème ne doit pas s'embarrasser de bienséance mais garder son esprit critique, engagé, ironique, contradicteur ou approbateur et évidemment, violent parfois. Il ne doit pas craindre d'appeler un chat un chat de sorte qu'employer le mot cul dans un texte plutôt que postérieur n'a rien de choquant, tout résidant dans la manière de le faire.

    Le poème ne doit pas se limiter à un exercice de style pour amuser élites et esthètes. Il doit rester un espace de liberté totale et absolue. Voilà qui constitue sa préciosité et son infinie variété allant du rêve à la réalité.

     

    Le poème a pour moi les apparences d'un bijou ne connaissant ni licence ni censure. C'est sans doute et enfin ce qui explique sa longévité au travers des siècles malgré les avatars imposés par une civilisation matérialiste prônant une certaine culture où le paraître supplante l'être pour l'abaisser à une triste médiocrité autant économique qu'idéologique.

     

    Le poème est aujourd'hui trop confondu avec la chanson au point que la société qualifie de poète n'importe qui et de poème n'importe quoi mais au fond, tant mieux parce que si les vrais poètes et la poésie véritable sont noyés dans cet amalgame confusionnel, leur subsistance est assurée au moyen d'une certaine forme de publicité dont le poème émergera grandi et renforcé.

    En ceci, le SLAM pourrait devenir le véhicule de cette renaissance populaire dans cette époque faisant la part belle au son et à la vidéo plutôt qu'à l'écrit.


  • Commentaires

    1
    Surret
    Samedi 23 Août 2014 à 18:31
    Je suis d'accord sur le fond, même si moi je ne sais pas exprimer la violence dans mes poèmes, peut-être par timidité. Et pour confirmer que je m'inscris dans ce chemin de la poésie, voici mon dernier écrit, sans titre :

    Il est par ailleurs<o:p></o:p>

    Sous le clair de terre<o:p></o:p>

    Génome du malheur

    Compatible d’enfer

    <o:p> </o:p>

    Attrape le capteur<o:p></o:p>

    D’un clic tu vas faire

    Naître le vengeur

    Sauveur de la terre

    <o:p> </o:p>

    Né dans ta vision<o:p></o:p>

    Déjà transformé

    Conduit vite l’action

    Que tu as désirée

    <o:p> </o:p>

    Ce n’est pas un songe

    Pas plus qu’un mensonge

    C’est plutôt pérenne

    Un cadeau d’étrenne

    <o:p> </o:p>

    Ana Surret

    2
    yvonne lmr
    Samedi 23 Août 2014 à 18:31
    A Gilbert Marquès: j'approuve lorsque vous dites que "le poème ne doit pas s'embarrasser de bienséance" Il faut en effet oser employer des mots qui  choquent parfois,  et traiter de thèmes qui peuvent sembler indécents à certains, tels l'addiction à l'alcool, la folie ou la mort...  
    A tous: un poème impudique...
    Frère
    Il avait brûlé ses chandelles,
    Perdu sa femme et ses amis;
    Tant d'alcool, et tant de querelles,
    L'avaient meurtri, cassé,banni. 

    Il précipitait le naufrage,
    Eperdu, lancé vers l'écueil.
    Peut-être bien que dans sa rage,
    Il noyait son enfance en deuil.

    Il ne voguait plus sur ses rêves,
    Fleuves d'ivoire et d'okoumé...
    Ses nuits de brumes sur les grèves
    Aux pontons l'avaient enchaîné.

    Mât disloqué, pauvre navire,
    Il a sombré dans le brouillard.
    Jamais tu n'avais su lui dire
    Que tu l'aimais. Il est trop tard.

    Ton petit frère est mort hier.        Yvonne Le Meur-Rollet
    3
    Jean-Pierre
    Samedi 23 Août 2014 à 18:31
    Ce poème est magnifique. Il coule merveilleusement bien. Pourtant, je ne jure que par l'alexandrin. Mais là, il me faut m'incliner. C'est la classe!
    Il me serait agréable, si vous le désirez, d'en faire la lecture dans notre association. Il va de soi que votre nom sera mentionné. D'avance, je vous en remercie.
    4
    yvonne lmr
    Samedi 23 Août 2014 à 18:31
    Je suis heureuse que vous aimiez ce poème, Jean-Pierre. Et, bien évidemment, vous pouvez le lire dans votre association: cela me touche que vous ayez envie de le faire connaître.
    5
    marques gilbert
    Samedi 23 Août 2014 à 18:31
    Et voilà que réapparaît Jean-Pierre... qui a raison, ce texte d'Yvonne est superbe même si ce ne sont pas des alexandrins. Voilà au moins un A Propos de... qui aura permis à des personnes d'entrer en contact.
    Je trouve cela plutôt sympathique !
    6
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:31
    J'ai honte : TORQUATO TASSO est du merveilleux VERLAINE. Ce poème fait partie d'un recueil de ses premiers vers.
    7
    Gérald
    Samedi 23 Août 2014 à 18:31
    Sully Prudhomme avait les pieds sur terre. Il était concient que sa poésie pouvait disparaître avec sa personne. Heureusement pour nous, il en a été autrement. Mais combien d'autres sont passés à la trappe après avoir connu une grande notoriété du temps de leur vivant.
    Il faut retenir à la lecture de ce poème cette belle leçon d'humilité. 
    Merci, Suzanne, de nous rappeler cette réalité
    8
    Gérald
    Samedi 23 Août 2014 à 18:31
    Excusez-moi, le S de conscient était lui aussi passé à la trappe.Le voilà réhabilité par mes bons soins.Il le vaut bien...
    9
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:31
    Quelqu'un connaît-il l'auteur de ce sonnet ?


    TORQUATO TASSO

    Le poète est un fou perdu dans l'aventure,
    Qui rêve sans repos de combats anciens,
    De fabuleux exploits sans nombre qu'il fait siens,
    Puis chante pour soi-même et la race future.

    Plus tard, indifférent aux soucis qu'il endure,
    Pauvreté, gloire lente, ennuis élyséens,
    Il se prend en les lacs d'amours patriciens,
    Et son prénom est comme une arrhe de torture.

    Mais son nom, c'est bonheur ! Ah ! qu'il souffre et jouit,
    Extasié le jour, halluciné la nuit
    Ou réciproquement, jusqu'à ce qu'il en meure !

    Armide, Éléonore, ô songe, ô vérité !
    Et voici qu'il est fou pour en mourir sur l'heure
    Et pour ressusciter dans l'immortalité !


    10
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:31
    Voici ce que pensait, en son temps, le poète Sully-Prudhomme, à propos de la poésie et des jeunes poètes :

    Aux poètes futurs


    Poètes à venir, qui saurez tant de choses,
    Et les direz sans doute en un verbe plus beau,
    Portant plus loin que nous un plus large flambeau
    Sur les suprêmes fins et les premières causes ;

    Quand vos vers sacreront des pensées grandioses,
    Depuis longtemps déjà nous serons au tombeau ;
    Rien ne vivra de nous qu'un terne et froid lambeau
    De notre oeuvre enfouie avec nos lèvres closes.

    Songez que nous chantions les fleurs et les amours
    Dans un âge plein d'ombre, au mortel bruit des armes,
    Pour des coeurs anxieux que ce bruit rendait sourds ;

    Lors plaignez nos chansons, où tremblaient tant d'alarmes,
    Vous qui, mieux écoutés, ferez en d'heureux jours
    Sur de plus hauts objets des poèmes sans larmes.


    René-François SULLY PRUDHOMME

    11
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:31

    AVOIR ET ȆTRE<o:p></o:p>

    Loin des vieux livres de grammaire,
    Écoutez comment un beau soir,
     <o:p></o:p>

    Ma mère m’enseigna  les mystères
    Du verbe être et du verbe avoir.
    <o:p></o:p>

    Parmi mes meilleurs auxiliaires,
    Il est deux verbes originaux.
    Avoir et Être étaient deux frères
    Que j 'ai connus dès le berceau.
    <o:p></o:p>

    Bien qu 'opposés de caractère,
    On pouvait les croire jumeaux,
    Tant leur histoire est singulière.
    Mais ces deux frères étaient rivaux.
    <o:p></o:p>

    Ce qu 'Avoir aurait voulu être
    Être voulait toujours l 'avoir.
    À ne vouloir ni dieu ni maître,
    Le verbe Être s’est fait avoir.
    <o:p></o:p>

    Son frère Avoir était en banque
    Et faisait un grand numéro,
    Alors qu’Être, toujours en manque
    Souffrait beaucoup dans son ego.
    <o:p></o:p>

    Pendant qu 'Être apprenait à lire
    Et faisait ses humanités,
    De son côté sans rien lui dire
    Avoir apprenait à compter.
    <o:p></o:p>

    Et il amassait des fortunes
    En avoirs, en liquidités,
    Pendant qu 'Être, un peu dans la lune
    S 'était laissé déposséder !
    <o:p></o:p>

    Yves Duteil<o:p></o:p>

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