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    Concert matinal

    par Jean Gualbert

     

    Dans un vrombissement sourd qui m’arrache au monde apaisant du sommeil, le réveil sonne. Ce doit être l’aube, à peine, le cocon de la nuit n’a pas encore commencé à dissiper son ombre protectrice. J’émerge de mes rêves, comme on s’arrache à la béatitude d’une douce après-midi de farniente, avec peine, en tentant désespérément de m’accrocher à la moindre parcelle d’abandon. Paresseusement, je m’étire, j’étends bras et jambes à la découverte de l’univers qui m’enveloppe. Le lit est vide, l’espace est mien, sans personne pour hâter cette reprise de conscience que je veux la plus douce, la plus progressive possible. Je baille, puis, défiant le temps qui m’exhorte à sortir de ma torpeur, je me recroqueville et somnole encore quelques minutes. Ah, cette jouissance d’être au chaud, entièrement détendue, confortablement blottie sous mes couvertures… Effacés, les soucis quotidiens, les échos des soubresauts de l’économie ou de vaines querelles électorales, les inquiétudes pour mon avenir professionnel, sentimental. Je profite de ces trop courts instants de bonheur grappillés à une nouvelle journée qui commence, promesses de quelques autres moments de plaisir qu’il me faudra arracher au quotidien, si précieux pour agrémenter une existence tranquille et routinière, si nécessaires à l’équilibre de mes sentiments, de mes émotions.

    Le soleil vient de se lever, il fera splendide aujourd’hui. Ces minutes de sommeil dérobées m’ont fait le plus grand bien. Que la vie est douce ! Je suis zen, reposée, pleine d’énergie, d’optimisme. Dehors, les oiseaux baignent le jardin de leur mélodieux concert matinal. Un réveil en musique, quoi de mieux pour démarrer la journée ? La nature est si généreuse, me comble tant par la résonance qu’elle offre avec ma paix intérieure… J’essaie de reconnaître mes préférés, les grives, les rouges-gorges. Peut-être même, si la chance me sourit, le discret rossignol qui habite les haies du fond de mon potager. Depuis toujours, je les aime, les oiseaux. L’hiver, je prends grand soin de les nourrir, je leur choisis leurs friandises préférées, graines assorties, boules de graisse, couennes de lard ; l’été, je ne me lasse pas de les admirer dans ces magnifiques réserves qui les abritent, sur les chemins de la forêt de Bondy où j’aime à passer mes dimanches. J’apprends à reconnaître leur chant, je m’amuse de leurs conflits, de leurs stratégies subtiles pour dérober au voisin le ver le plus gras, le fruit le plus sucré ! Finalement, ils ne sont pas très différents de nous, aux prises avec leurs difficultés quotidiennes, mais toujours prêts à célébrer leurs joies, à faire admirer leurs plus belles plumes.

    Mon bel enthousiasme retombe vite. Rien de cette délicate euphonie à laquelle j’aspirais. Les merles ont pris le dessus, avec leurs cris batailleurs, leurs pépiements stridents. De minables boules de plumes d’un noir sorti de l’enfer, que des yeux d’un jaune sournois et un bec querelleur à l’immonde pâleur flavescente me rendent odieux ! Les voir chasser mésanges et rouges-queues, mettre la pagaille dans l’harmonie de ma pelouse me hérisse. Leur tintamarre agressif et moqueur m’assourdit ! Quelle cacophonie, pour de si petits animaux ! Ils ne respectent rien, troublent comme par défi tant le réveil laborieux des jours de semaine que le repos dominical ou la sieste estivale des citadins épuisés. Inutiles, fainéants, malpropres, bagarreurs, ces volatiles médiocres sont la disgrâce du monde ailé.

    Naturellement, la sarabande des merles continue. Et comme par hasard, juste sous mes fenêtres, pas chez la voisine ! Cette blonde plus stupide que la plus bornée des linottes, dont je dois supporter les jérémiades à longueur d’année. Cette demeurée perverse qui guette mes moindres faits et gestes pour les rapporter aussitôt au quartier tout entier. Cette feignasse qui perd ses journées à ne rien faire de plus utile que d’enquiquiner son monde.

    Et cela piaille, cela criaille…  À croire que c’est ma maudite voisine qui me les envoie, juste pour m’embêter. On s’imaginerait dans un film de Hitchcock !

    Tchiiip ! En voilà au moins un que je n’entendrai plus…

    Je souris en pensant à mon chat, déjà en chasse de bon matin. Quel charmant compagnon, nous nous comprenons si bien ! Comme moi, il apprécie le confort d’un coussin douillet, la chaleur enveloppante d’une sieste prolongée. Il faut le voir, à l’heure du repas, inspecter le contenu de la boîte que je lui ouvre. Monsieur ne mangerait pas n’importe quoi, non, il lui faut le plus succulent. C’est un épicurien à mon image, qui adore se pelotonner dans mes bras en ronronnant de plaisir, à ses heures seulement. Mais c’est un faux pataud, malheur à qui le sous-estime ! Plus que tout, son instinct de chasseur, sa manière de se fondre dans le paysage, d’approcher ses proies sans que rien ne laisse deviner sa présence, puis de bondir et de leur briser la nuque en un seul mouvement me fascine. Quelque part, je suis d’humeur très féline, aujourd’hui.

    Allons, une douche revigorante, un café bien chaud, et c’est parti pour une journée pleine de promesses.

     


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    Petite histoire sado-maso de Miss Moody et Mister Poor

    par Ysiad

     

     

     

    Miss Moody portait bien son nom. Elle était capricieuse. Avait ses humeurs ; ses jours avec, et ses jours sans. Ses réactions étaient imprévisibles, toujours. Elle était sadique, aussi. C’était ce qui faisait son charme, disait-on dans les milieux boursiers. Quant à Mister Poor, il cachait bien son jeu. Il n’était pas pauvre du tout. A côté de lui, Crésus, c’était de la petite bière ! Au fond de ses yeux brillait le logo du dollar. Miss Moody lui trouvait un air canaille et quelque chose d’excitant dans le regard. Elle le fréquentait depuis qu’elle s’était mise en tête de dégrader à tour de bras. Je suis Miss Moody, donc je dégrade ! C’était le leitmotiv de cette ambitieuse née. Mister Poor s’en méfiait un peu, mais il aimait en secret Miss Moody. Ou pensait l’aimer. Quoi qu’il en soit, ses sautes d’humeur l’émoustillaient.  

     

    En ce jour qui nous occupe, Miss Moody était d’humeur à dégrader. Dégrader : elle n’avait que cette pensée en tête. Elle était complètement obsédée à l’idée de faire dégringoler la cote de Mr Poor. Elle avait déjà méchamment dégradé du côté des Etats-Unis. Elle prononçait Zéta Zuni, comme tout le monde, mais avec son cheveu sur la langue c’était vraiment marrant à entendre. Toute harnachée de cuir, elle était allée donner du fouet à ses fréquentations bancaires qui avaient prêté de l’argent aux pauvres. Prêter de l’argent aux pauvres ; on n’avait pas idée ! Ce qu’il fallait supporter, tout de même ! Le plus ennuyeux de l’histoire, c’était que ses amis les banquiers s’étaient fait avoir par les financiers, et que la gabegie régnait depuis que les Etats avaient abdiqué leurs prérogatives - pour dire ça avec des mots gracieux - et laissé les marchés gouverner à leur place. Bref, personne n’y comprenait plus rien. Sauf Miss Moody bien sûr, sinon cette histoire n’aurait pas de raison d’être.

     

    En ce jour qui nous occupe, donc, il était déjà plus de vingt deux heures à la grosse pendule qui trônait dans l’entrée de Mister Poor. Qui commençait à avoir une faim de loup. Miss Moody écrasa son index manucuré sur la sonnette en or de Mister Poor, et quand celui-ci ouvrit la porte, il crut défaillir. Miss Moody avait revêtu sa tenue en cuir noir avec des zip partout, celle qu’il préférait, parce qu’ainsi moulés, ses seins ressemblaient à deux gros bonus.

     

    - Qu’y a-t-il pour le dîner ?, attaqua-t-elle en se passant la langue sur ses lèvres qu’elle avait charnues.

    - De l’andouillette AAA, répondit-il d’une voix sensuelle, en traînant exagérément sur le dernier A.

    - Encore faut-il que tu gardes ton triple A, mon ami ! siffla Miss Moody, et elle passa devant lui d’un pas de mannequin défilant sur un podium financé par Dior.

     

    Mister Poor aimait les provocations castratrices de Miss Moody. La perspective de perdre son triple A lui refilait des décharges électriques dans les reins. C’était normal vu qu’il était maso. Miss Moody mit le feu aux poudres en désignant d’un œil aguicheur la table de la cuisine. En un tour de main, Mister Poor mit le couvert. Il était grand temps de passer à table !

     

    Emporté par sa fougue, Mister Poor perdit son sang-froid, et là, que le lecteur me permette cet aparté, franchement, connaissant Miss Moody et ses instincts quelque peu sournois, ce qui arrivait à Mister Poor était prévisible. Depuis le début de la soirée, cette garce faisait tout pour le déstabiliser. Elle n’arrêtait pas de susurrer d’un air  provocateur: « On va voir si ton andouillette mérite encore un triple A » ; ou : « moi, la charcuterie, je l’aime quand elle est bien ferme ! ». Elle tenait des propos si déstabilisants que Mister Poor eut une panne de liquidités, qu’il tenta de surmonter par toutes sortes de contorsions. Or tout le monde sait que les contorsions sont vaines et aussi que rien ne sert de courir, il faut partir à point ; mais bon, c’est dans la nature de l’homme que de vouloir rattraper les choses, et c’est ainsi que les contorsions engendrèrent des soubresauts boursiers, beaucoup de bas, très peu de hauts, si bien qu’à la fin du repas, la table de la cuisine tenait davantage du champ de bataille que de la morne plaine. Miss Moody fit claquer sa langue : « Ton andouillette peut toujours courir pour récupérer son triple A ! » Et elle partit en laissant sur la table un gros B.

     

    B comme Bof. Ou encore Beurk. La honte suprême !

     

    Mister Poor n’était pas au bout de ses peines. Lorsqu’il apprit que Miss Moody s’était mise à la colle avec son meilleur ami, le gros Standard, Poor crut qu’on lui enfonçait un obus dans le cœur. Tout de même. Standard. Franchement. Non. Il n’y avait pas plus nul que ce type ! Standard, c’était le mec qui ne voyait pas plus loin que le bout de son indice et qui sans arrêt avait besoin de Poor pour lui indiquer comment aller au but. Standard et Poor étaient très liés, ils avaient beaucoup d’intérêts communs. Poor alla trouver Standard pour le raisonner, mais Standard lui dit que Miss Moody avait récemment accordé à sa Morteau la note la plus haute qui fût. « Même qu’elle a fait A….. A….. A…… rien qu’en la voyant » crâna le gros Standard en faisant trembler son menton bien gras.

     

    Ecœuré par cette histoire qui se terminait en eau de boudin, Poor jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.

     


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  • N 99  

    100 choses à faire ou à défaire pendant une campagne électorale

    Mes résolutions et autres fantaisies du dimanche

    Par Franck Garot

      

    1.    mettre un bonnet blanc

    2.    rire moins fort (en gros passer du « ah ah ah » au « ah ah »)

    3.    puisqu'elle reste éteinte, remiser la télévision au grenier

    4.    expliquer à son fils que cette primaire-là n'est pas son école

    5.    se demander lequel des candidats a ses 807 signatures

    6.    prendre une lanterne

    7.    se rendre compte que c'était une vessie


     


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  • Père 100

     

    Le Père Cent 

    par Claude Bachelier

     

     

    Ce jour-là, Raymond avait acheté une bouteille de champagne et il avait invité quelques copains dans sa chambre, laquelle chambre lui piquait la moitié de sa paie d’ouvrier à temps partiel et à contrat précaire.

    Le champagne, c’était un peu plus cher que le mousseux, mais bon, ce n’était pas tous les jours que l’on fêtait le « Père Cent », c’est-à-dire les cent jours qui restaient avant le changement de boss. Ils avaient trinqué dans des gobelets en plastique et chanté un vieil air qu’ils avaient appris à l’armée : « la quille viendra, les bleus rest’ront pour laver les gamelles …

    Ils y croyaient tous au départ du boss, mais ne se faisaient pas trop d’illusions. Comme disait la grand-mère de Raymond : « il ne faut jamais compter les œufs dans le cul de la poule ! ». Parce que les votants – et ils en faisaient partie – râlaient, allaient même jusqu’à protester, mais il leur arrivait trop souvent d’avoir peur de l’avenir.

    Raymond, lui, n’avait pas eu peur de l’avenir quand, il y a quelques années, il avait décidé de choisir ce type. Il lui paraissait jeune, dynamique, ambitieux, généreux, des qualités essentielles aux yeux de Raymond pour occuper ce poste. Mais cette jeunesse ne s’est révélée que conservatrice ; le dynamisme, un autoritarisme sournois ; l’ambition, une soumission aux financiers. Quant à la générosité, elle ne s’est révélée qu’égoïsme.

     

    C’est vrai qu’il y avait cru à ce type. Pourtant, la déception est venue aussitôt : le soir où il est devenu le boss, plutôt que de venir vider un canon à la cantine de l’usine, il est allé faire un gueuleton avec ses potes, boss comme lui. Il avait promis qu’avant d’occuper son bureau, il allait réfléchir à de nouvelles stratégies pour que la boite tourne mieux. Drôle façon de réfléchir: faire la nouba sur un yacht avec sa bourgeoise et des copains !

     

    Ça, c’était le début. Et ce qui aurait pu passer pour des erreurs de jeunesse se révéla un hors d’œuvre à côté des plats de résistance qui ont suivi : il a commencé à couper dans le budget de la formation continue et viré la moitié des formateurs au prétexte qu’il ne servait à rien de savoir lire autre chose que les notes de service et les notices d’utilisation des machines. A l’infirmerie, là aussi, il a viré la moitié des soignants au prétexte que les conditions de travail étaient idéales et que personne ne pouvait être malade. Sans compter qu’il a vendu la moitié de l’infirmerie à des margoulins qui vendaient très chers des médicaments bidons à l’infirmerie.

    Il a décidé qu’il fallait bosser plus pour avoir une meilleure paie. Sauf que les quelques sous gagnés en plus ont servi à payer les augmentations des loyers, du pain ou du gaz, et même celles des médicaments, bien qu’il y avait une assurance pour ça. Assurance qui augmentait elle aussi.

    Ses sbires, eux, traitaient les malades de fainéants qui ruinaient le système. Parce que tout ce beau monde n’avait qu’une formule à la bouche : « ça coûte trop cher ». La formation, ça coûte trop cher ; les soins, ça coûte trop cher ; les congés, ça coûte trop cher. Même les paies, ça coûte trop cher. Il n’y a qu’un truc qui n’est pas trop cher, c’est la façon dont ils vivent. Là, rien n’est trop cher.

    Et puis, il y a aussi les financiers. Le boss, il dit qu’il ne les aime pas et qu’il s’en méfie. Mais, il suffit qu’ils fassent les gros yeux et hop, il se met au garde à vous. A croire qu’il en a peur. Alors, conséquences immédiates : moins de paie, moins de formation, moins de soins et le pain est plus cher, les loyers et le gaz aussi.

     

    «La quille viendra, les bleus rest’ront pour laver les gamelles… » Ce jour-là, Raymond et ses copains avaient levé le coude en l’honneur du « Père Cent ». Cent jours, c’est long et c’est court à la fois. Napoléon en savait quelque chose.

     


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    Comment le turpide roi de la Franche Barbotine

    en vint à assaillir furieusement les pauvres gens de la triste Belande

     

     

    Dans l'époque de désarroi où le peuple vivait, les écumeurs de marmites faisaient grand profit de la pénurie de gardes pour banqueter et braquemarder en toute impunité. La paille et le foin manquaient partout, plus personne ne semait l'avoine et on rabattait les tables plus souvent qu'on les dressait.

    Tout soudain arriva avec grande force l'idée de choisir un redresseur de foi et de sûreté selon le bon vouloir et franc arbitre de chacun. Ce à quoi consentirent à part égale les faiseurs de pain noir, de pâté confit et d'eau bénite.

    Nombreux étaient les escogriffes au fervent appétit prêts à fanfarer haut et fort leur faculté à revêtir les apparats de grand dompteur des âmes et consciences et à dispenser comme il convenait les papillettes d'or. Mais, n'en déplaise aux gens de bien, ce fut le plus petit, un grimacier venu des basses terres, né au forceps et grand amateur de purée, un tirelupin infortuné en femmes, ridicule en son maintien et guabelant comme un embouchoir qui ravit le titre au nez et la barbe des notaires et prêcheurs réputés mieux avisés en toutes affaires.   

    Or donc, sitôt établi en son chastelet, il s'en trouva fort mal servi. Il ordonna qu'on agrandisse le domaine, qu'on le pourvoie largement en pages et écuyers, qu'une brimbelette très douce à la main soit portée en son lit et que chaque jour soit célébrée son entrée en lumière. Las, le peuple était en grande rêverie, humant par avance les soupes grasses promises et ne trouvait point d'intérêt pour les escoublettes et les dévotions.  

    Le petit homme s'en trouva très courroucé et cria à la forfaiture au point de s'emporter furieusement jusqu'à la moelle des os. On envoya sonner le tabourin à l'entour de midi et sitôt fait près de mille caresses et mille embrassements lui furent livrés en repentir. Ce fait étant, il ordonna qu'on fasse de grandes processions partout où il se transporterait et que chacun y soit présent fidèle à son devoir, sans convoitise ni avarice sous peine d'endurer mille frayeurs. Mais par une méchante diablerie, le peuple ne se trouva point trop enclin à boteler le foin et à battre les gerbes sans que grâce lui soit rendue. Pour mieux le dire encore, il s'en trouvait fort incommodé et point sûr de consentir à ce qu'on le gourmande toujours plus, ni par devant ni par derrière.

    Ainsi qu'on lui rapporta le mécontentement, il advisa chaque jour des lois grandes et belles à merveilles, afin que chacun sache qu'il ne souffrait aucune contrariété. Les colères du sire étaient tristement célèbres. Il avait, dit-on, le cœur bien trop prêt du fondement et son esprit ne passait qu'avec peine par les canaux cérébraux. Ainsi, sous son crâne blanc et plein d'écailles, les mots allaient de nerf à nerf dans un grand gargouillement. Un quarteron de ministres dressés aux cailletaux et parfumés à la tirelitantaine s'appliquaient à lui stimuler la glotte et les cordelettes à l'aide de pommades fructifiantes et d'onguents pétris dans les meilleurs laits de mamelles. On en faisait venir de tout le royaume d'ici-bas et on dépêchait des émissaires dans les déserts d'Allouettes où étaient pressurées de divines potions pour le plaisir de la gorge. Malgré toutes ces dispositions, les mots sortaient dans une pesanteur anormale, contrefaits et de très mauvaise humeur. Pour le remettre en meilleure voix, on lui gargarisait le gosier jusqu'à ce que de belles phrases se présentent en bonne ordonnance à l'orée des lèvres.  

    Seulement, une bonne fille loyale trouvait toujours à lui chatouiller la luette tant et si bien qu'à la fin lorsqu'il s'apprêtait à dire une chose, c'était toujours une autre qui arrivait. Il s'en suivait moultes escarmouches pour décider comment accommoder autant de contraires. Ainsi, celui qui était entré en affection le matin repartait à la nuit déconfit et sans profit. Tel autre, bien loti en ministère, s'en retrouvait dépouillé et précipité dans la misère. Tel autre encore, virtuose de la gambade et s'agenouillant pour recevoir les grâces, finissait par aller frotter son lard contre un simple petit pot de chambrée. Les bons ergoteurs n'ignoraient pas que mignoter les pantoufles de sa seigneurie permettait d'amollir les reproches et de picoter moultes brioches jusqu'à s'en déboutonner le ventre.

    Le bon peuple en perdait tout entendement et, plutôt que de s'esbaudir de tant de sornettes et se réjouir dans les tavernes, il s'en allait sonner les cloches et commettre de grandes processions par toutes les rues avec force fanfreluches et doléances pour qu'adviennent enfin, par l'âme et par le corps, de belles choses merveilleuses et profitables. 

    C'est alors que le petit homme usa de son droit de guerre. Il fit acte de foi et proclama être le seul boutefeu capable d'escornifler la vache, de fricasser la rustrerie, de faucher la bourse des usuriers, de pourfendre  les avaleurs de frimars, d'écorcher tout vif les tripotées de sans-culottes et de leur faire à tous baiser ses pieds. 

    Ce après quoi le Seigneur fut bien joyeux et tira douze belles sonnettes de Sacre pour donner à l'entreprise son bon vouloir et sa bénédiction. Ces bons vœux entendus, le petit homme affuta son artillerie puis remonta d'un coup sa belle braguette, rentra sa bedondaine, enfila sa gabeline fourrée à la queue de renard, héla un porteur de rogatons et s'en fut livrer bataille cent jours durant.

     

     


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  • 807

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    Voici le numéro 807 du café. Un sacré numéro qui va, le temps d'une journée, concurrencer la série des 807 chez Franck Garot. Enfin pas tout à fait puisque Franck Garot lui-même est au menu du jour avec une chronique audio intitulée "C'était les 807", la dite chronique étant la 100e déclinaison de l'auteur dans les  807. Une 100e qui arrive la veille du lancement de la série des 100 derniers jours sur Calipso. Sensas, non ?

     

    "C'était les 807", par Franck Garot

     

    Ce n'est pas tout. Il n'y a pas de célébration sans florilège : aussi, Franck Garot s'est mis en quatre pour faire le lien entre 100 et 807... et puis on s'est dit que l'ami Jacques Brel nous ferait bien une petite valse...

     

     

    Au téléphone.
    – Mon amour, 807 secondes sans te voir, c’est l’enfer, ne me quitte pas.
    – 807 années sans t’avoir à mes basques, ça serait le paradis, casse-toi pauvre con !

    Au café.
    – Putain Momo, 100 jours avant ces putains d’élections !
    – Tu déconnes ?
    – Non, vrai de vrai, ils l’ont dit à la radio.
    – Sûr qu’ils vont nous gaver, ces 100 jours vont paraître 807.

      

    Il se réveilla en sueur d’un cauchemar. Sur le sommet d’une colline, trois hommes « crucifiés ». Mais les croix avaient été remplacées par des nombres géants. Il se tenait au centre cloué dans un ovale,  imitant vaguement l’étude de proportion de De Architectura de Vitruve , alors que ses deux compères, moins chanceux, avaient des positions moins confortables, sur un 8 et un 7. C’est en se levant qu’il remarqua, effrayé, du sang séché aux poignets et aux pieds.

      

    Entendu lors d’un meeting d’un candidat aux présidentielles en Corse devant 100 journalistes incrédules : j’ai connu le débarquement des Sarrasins, ici-même, en 807, j’étais aux côtés de Burchard, et au nom de Charlemagne, nous les avons chassés !

      

    Collectionneur devant l’éternel, cet héritier unique d’une grande famille d’industriels possédait 100 voitures. Étrangement, aucune Rolls, Porsche ou autres Ferrari, pourtant ses rentes le lui permettaient, mais le même modèle en 100 exemplaires, un modèle commun de surcroit : Peugeot 807. Quand on l’interrogeait sur la raison d’une telle manie, il éludait ou répondait par un sourire. Il dormait chaque soir dans l’une ou l’autre de ses voitures, en rêvant de l’accident qui l’avait rendu riche quand son père au volant de sa Ferrari percuta une 807 au sortir d’un virage.

      

    La gamine souffla doucement sur la vitre de la salle de permanence, puis dessina un 8 allongé avec son doigt sur la buée qui s’était formée.
    – Je t’aime à l’infini.
    Son petit ami souffla à son tour et dessina un cercle.
    – Jamais on se disputera.
    Elle lui adressa son plus tendre sourire, et sur de la buée toute fraîche elle forma un 7.
    – Nous aurons sept enfants.
    – Sans blague ?
    Ils se mirent à rire de concert.
    La voix du surveillant qui rentrait dans la salle les interrompit.
    – Dites-moi, les tourtereaux, ça vous fait rire les heures de colle ? Vous voulez du rab ?

      

    807-2-couv 

     

     

     

     

     

     

     

     

    Si les 807 m'étaient contés : entre tradition et modernité, une vision fantastique de l'arithmétique irrationnelle ou de quelques usages du nombre 807 dans l'art littéraire au 21e siècle et de ses implications dans la géométrie romanesque.

     

     

    Et pour finir :

    Le taulier jette l'éponge !

    Offre d'emploi : Propose CDI de taulier des 807 à partir d'avril 2012. Rémunération nulle, travail conséquent. Une expérience d'édition ou de correction littéraires serait un plus. On peut trouver une description plus détaillée du poste en écoutant 807 fois l'enregistrement audio ci-dessus. Notez qu'il n'est pas nécessaire d'aller à Bangkok ou Chişinău pour obtenir le poste. Adressez votre candidature au taulier lâcheur.

     


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    Au café, j'ai entendu dire que le mal à vivre de notre époque ne serait pas plus étouffant que la précédente ; la vulgarité et la bêtise, la violence et le mépris, n’auraient fait que changer de mains.

    Au restaurant, j'ai entendu dire que la plupart des gens qui n'étaient pas dans leur assiette avalaient trop de salades

    Au laboratoire, j'ai entendu dire qu'il était stupide de chercher la formule salutaire qui pourrait tout changer.

    Dans la salle d'attente de l'analyste, il me semble avoir entendu dire qu'il ne fallait pas voir ce qui manque à chacun comme quelque chose qui devrait être étalé devant tout le monde.

    A l'hôpital, j'ai entendu dire que la folie serait une déraison indépendante de notre volonté.

    Au cimetière, j'ai entendu dire que si la mort était moins durable, la vie serait certainement encore plus éphémère.

    A la caisse d'allocations, j'ai entendu dire que si la puissance d'engendrement est donnée à tout le monde, elle n'en est pas moins soumise à la réglementation en vigueur.

    A l'office hlm, j'ai entendu dire que les pauvres nés sous le signe du cancer se développeraient par prolifération de cellules.

    En faisant du jogging, j'ai entendu dire que ceux qui courraient plus vite que les autres n'en étaient pas moins rattrapé par le temps.

    De passage à Jérusalem, j'ai entendu dire que  beaucoup de voyageurs se retrouvaient au pied du mur sans avoir la moindre raison de se lamenter.

    Pendant un reportage, j'ai entendu dire que les images étaient trop vraies pour être réelles et que la parole n'était jamais lavée de tout soupçons.

    Je ne sais plus où mais j'ai entendu dire qu'écrire consistait à vouloir changer le passé.

     

    Et vous, chers visiteurs, qu'avez-vous entendu ?

     


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    Il habitait un des derniers petits immeubles de la ville, à la périphérie, là où exactement se termine la grande rue. Une pension bon marché appréciée par les gens de peu. Il en avait été le gérant jusqu’à ce que l’âge vienne. Rendu à la seule obligation d’occuper la conciergerie, il ne prenait plus la peine de s’intéresser aux petits soucis des pensionnaires. Perdu dans les pernicieuses rêveries de l’oisiveté, il en oubliait même de les saluer. Au demeurant, la solitude ne lui occasionnait que peu de peine.

    Les journées s'écoulaient sans mauvaises grâces, pareilles les unes aux autres. Il les passait allongé sur le canapé de la loge à revisiter des choses du passé. L’observation de la rue était certainement sa seule distraction. Quand ses jambes le lui permettaient, il descendait y faire quelques pas, à l’heure où rien n’est encore ouvert. Un matin, mû par une envie aussi subite que farfelue, il s’était hasardé jusqu’à son bout, jusqu’au coin comme on dit, et avait risqué un œil sur la transversale. Des deux côtés l’endroit était désert. Rien d’autre qu’une enfilade de béton brut et de verre fumé. L’affreuse banalité des villes livrées aux seules affaires l’avait conforté dans son idée que rien ne valait que l’on s’y attarde. Toute cette modernité ne le regardait en rien.

    Sauf, peut-être, une silhouette surprise à la dérobée. Il avait feint de ne pas y prêter attention mais il savait que même du côté des ombres rien n’était jamais fortuit. Il s'était surpris à laisser courir ses pensées bien au-delà de ce qu’il s’était fixé comme limite. Ce matin-là, l’atmosphère était lourde et, sur le retour, son cœur l’avait malmené bien plus fort qu’il n’aurait dû. Il était rentré éreinté et trempé de sueur. Malgré la fatigue, il avait délaissé le canapé pour la chaise près de la fenêtre. Un vieux monsieur en complet blanc s'était arrêté devant la loge et l'avait fixé un moment avant de le saluer et continuer son chemin. Il avait souri et s'était laissé aller à partir dans la lune.; la rue réveillait tellement de souvenirs pour le foutu rêveur qu'il était. A la fin du jour, il s'était endormi sur la vision d'un couple uni dans un même souffle clandestin.

    Le temps ne dévore pas tout. Les blessures fermentent dans l’oubli. Au matin, les yeux fiévreux, il avait été pris d’une pressante envie d’y retourner. L’idée de surprendre quelque chose qui l’aurait sorti du silence, quelque chose venu d'ailleurs, de très loin peut-être, l’incitait à défier la raison et à franchir le pas. Il se sentait ragaillardi, saisi d'un brin d'euphorie, comme si sa jeunesse lui revenait et qu’il entreprenait à rebours d’aller à la rencontre d’une femme secrètement aimée. Pour la première fois depuis longtemps, sa mémoire le taquinait joyeusement. Il avait tant aimé faire l’imbécile, avant.

    Et voilà qu'il riait, frappait du pied, saluait les pensionnaires matinaux en fredonnant un air en vogue.

    Il avait fini par se mettre en retard. Le soleil imposait déjà sa dureté. Le travail s'amorçait de toutes parts. Des milliers de pas claquaient sur le bitume. Les gens allaient de l'avant, pressées de gagner leur bout de rue. Aux aguets sous un porche, il sentait bien que c'était idiot. Des bouffées de chaleur lui emplissait la poitrine. Il murmurait quelque chose comme petitite femme, ma jolie petite femme, je suis là, je suis là...

    Elle était réapparue sous le coup d'une bienveillance du ciel. Grande et légère, détachée de la foule des inconnus. Noire d'ébène. Il n'avait pas pu résister à l'envie de s'engouffrer dans la foule, de jouer des coudes en criant : Lucienne ! Hé ! Lucienne ! Dans le tumulte environnant, aucune voix gracieuse ne lui avait répondu. Rien qu'un "Pauvre vieux fou" sorti d'une bouche compatissante. Il avait encore appelé, plus faiblement et puis, elle s'en était allée, doucement, dans l'abri de l'anonymat.

    Au retour, son pas était plus lent que la veille et il lui avait fallu plusieurs pauses avant d'arriver à la loge. La chaise l'attendait. Le ciel s'était assombri. Penché vers la nuit, il avait croisé le regard frissonnant d'une passante. Le sommeil tardait à venir. L'ivresse du matin était encore vive et son esprit en profitait pour hanter les couloirs de l'enfance et fouiller avidement quelques unes des chambres de la maturité. C'est dans sa propre pension qu'elle avait élu domicile. C'est là qu'un soir, après une mauvaise boisson, elle l'avait invité pour la première fois dans la chambre jaune. C'est dans cette chambre qu'il avait retrouvé un aspect décent. Presque trente ans avaient passé mais au fond de lui il avait encore l'âge de ce temps-là. Les images se bousculaient dans sa tête, les mots se mélangeaient et son coeur battait bien trop vite, mais de cela, il s'en fichait. Il savait comment son coeur flancherait si elle apparaissait brusquement, là, devant la fenêtre de sa loge. Et il en était heureux.

     


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    Nous avons reçu au café une lettre qui ne nous est pas destinée. Mais, comme elle était accompagnée d'un petit mot nous priant de faire suivre et qu'elle a le mérite d'etre claire, pertinente et humaine, la voici :

     

    Lettre à Monsieur le ministre de l'Intérieur, de l'Outre-Mer, des Collectivités Territoriales et de l'Immigration

     

    Monsieur le ministre,

    La sous-direction de l'accès à la nationalité française du ministère que vous dirigez vient de signifier à madame S. Boujrada, ma mère, le classement  de son dossier et un refus d'attribution de nationalité. «Vous ne répondez pas aux critères», est-il écrit dans un courrier sans âme que l'on croirait tout droit sorti de l'étude d'un huissier ou d'un notaire.

    Ma mère est arrivée en France en 1984. Il y a donc vingt-huit ans, monsieur le ministre, vingt-huit ans ! Arrivée de Casablanca, elle maîtrisait parfaitement le français depuis son plus jeune âge, son père ayant fait le choix de scolariser ses enfants dans des établissements français de la capitale économique marocaine.

    Elle connaissait la France et son histoire, avait lu Sartre et Molière, fredonnait Piaf et Jacques Brel, situait Verdun, Valmy et les plages de Normandie, et faisait, elle, la différence entre Zadig et Voltaire ! Son attachement à notre pays n'a cessé de croître. Elle criait aux buts de Zidane le 12 juillet 1998, pleurait la mort de l'abbé Pierre.

    Tout en elle vibrait la France. Tout en elle sentait la France, sans que jamais la flamme de son pays d'origine ne s'éteigne vraiment. Vous ne trouverez trace d'elle dans aucun commissariat, pas plus que dans un tribunal. La seule administration qui pourra vous parler d'elle est le Trésor public qui vous confirmera qu'elle s'acquitte de ses impôts chaque année. Je sais, nous savons, qu'il n'en est pas de même pour les nombreux fraudeurs et autres exilés fiscaux qui, effrayés à l'idée de participer à la  solidarité nationale, ont contribué à installer en 2007 le pouvoir que vous incarnez.

    La France de ma mère est une France tolérante, quand la vôtre se construit jour après jour sur le rejet de l'autre. Sa France à elle est celle de ces banlieues, dont je suis issu et que votre héros sans allure ni carrure, promettait de passer au Kärcher, puis de redresser grâce à un plan Marshall qui n'aura vu le jour que dans vos intentions. Sa France à elle est celle de l'article 4 de la Constitution du 24 juin 1793 qui précise que «tout homme -  j'y ajoute toute femme - né(e) et domicilié(e) en France, âgé(e) de 21 ans accomplis, tout(e) étranger(e) âgé(e) de 21 ans accomplis, qui, domicilié(e)  en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété,  ou épouse un(e) Français(e), ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard, tout(e) étranger(e) enfin, qui sera jugé(e) par le corps législatif avoir bien mérité de l'humanité, est admis(e) à l'exercice des droits de citoyen français». La vôtre est celle de ces étudiants étrangers et de ces femmes et  hommes que l'on balance dans des avions à destination de pays parfois en guerre.

    Vous comprendrez, monsieur le ministre, que nous ayons du mal à accepter cette décision. Sa brutalité est insupportable. Sa légitimité évidemment contestable. Son fondement, de fait, introuvable. Elle n'est pas seulement un crachat envoyé à la figure de ma mère. Elle est une insulte pour des millions d'individus qui, guidés par un sentiment que vous ne pouvez comprendre, ont traversé mers et océans, parfois au péril de leur vie, pour rejoindre notre pays. Ce sentiment se nomme le rêve français. Vous l'avez transformé en cauchemar.

    Malgré tout, monsieur le ministre, nous ne formulerons aucun recours contre la décision de votre administration. Nous vous laissons la responsabilité de  l'assumer. Nous vous laissons à vos critères, à votre haine et au déshonneur dans lequel vous plongez toute une nation depuis cinq ans. Nous vous laissons face à votre conscience.

    Quand le souffle de la gifle électorale qui se prépare aura balayé vos certitudes, votre arrogance et le système que vous dirigez, ma mère déposera  un nouveau dossier.

    Je ne vous salue pas, monsieur le ministre

    Amine EL KHATMI, 23 ans, étudiant en droit (master 2), Français

     


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    Pour lire cette chronique, merci de laisser un message au barman ; il le transmettra à l'auteur.

     


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