• Quelques doigts affairés sur le clavier, un œil bercé par l’écran, l’autre égaré derrière le miroir des mots… Comment terminer l’année sans saluer toutes celles et ceux qui l’ont faite, qui l’on racontée, éclairée, commentée, poétisée et  accompagnée au gré de leurs humeurs chez le voisin ou la voisine… Merci à vous tous et particulièrement à :

    Danielle Akakpo, Suzanne Alvarez, Ernest J. Brooms, Jean Calbrix, Nicole Cavazza, Stéphanie Cornu, Olivier Delau, Alain Emery, Régine Garcia, Dominique Guérin, Sylvette Heurtel, Corinne Jeanson, Jacques Lamy, Jean-Paul Lamy, Yvonne Le Meur-Rollet, Gilbert Marquès, Dominique Mitton, Annie Mullenbach-Nigay, Cédric Studer, Marielle Taillandier, Jean-Claude Touray, Ysiad et Julie.


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  • Au café, on l’a réclamée à maintes reprises sous l’appellation " Putain de carton ". La nouvelle de Jean Calbrix est aujourd’hui au menu et ce jusqu’à la fin de l’année. Nous vous souhaitons une agréable dégustation.

      

     

    Qu'est-ce que je me caille les meules dans ce putain de carton ! Le vent par rafales me renvoie le couvercle dans le nez et je suis obligé de sortir le pied dehors pour le maintenir ouvert. Mon orteil, comme un gros radis violacé, dépasse de ma chaussure trouée, et le froid croque dedans à belles dents. Dans mon champ de vision limité par le bord rectangulaire de mon habitation, je peux voir les pavés poisseux du quai, la Seine un peu plus loin, pleine à ras bord, charriant des eaux croupies, les immeubles en face, petits et gris, avec de l'or aux fenêtres et au-dessus, un morceau de ciel traversé par des nuages s'étirant comme des serpillières sales. Ma hantise, c'est qu'il se mette à pleuvoir. A la moindre goutte, mon abri ne ferait pas long feu.

     

    J'avais bien essayé, en débarquant ici, de trouver une place sous le pont cent mètres plus loin. Il y avait plein d'espace libre mais les occupants, en cercle autour d'un brûlot dans lequel ils se faisaient chauffer leurs gamelles, m'avaient regardé de travers. Une espèce de brute, le chef de meute sûrement, les bras nus constellés de tatouages, m'avait aboyé : "Dégage !". Les autres avaient bien ri, un concert de gloussements rocailleux dans des bouches chicottées. Une femme aux mèches de filasse pendouillantes, le visage vieilli par la crasse et l'alcool, m'avait même jeté une tomate pourrie en gueulant d'une voix cassée : "Barre-toi, qu'on'dit !". Deux bergers allemands allongés auprès d'elle s'étaient levés et commençaient à me montrer les crocs. Je n'avais pas demandé mon reste. J'étais partis plus loin, escargotant derrière moi ma maison de carton.

    Dans la file des logements de fortune, j'avais trouvé une place assez spacieuse et apparemment libre car le carton qu'il y avait là était tout ratatiné et impropre à loger âme qui vive. Il avait fallu que je nettoie l'emplacement car il était couvert de vieilles nippes solidifiées dans la boue, de boîtes de conserve rouillées et de résidus peu ragoûtants. Un gars qui passait m'avait dit que l'ancien locataire avait été embarqué à moitié mourant par le service de l'hygiène. Sûr, on ne le reverrait pas de sitôt.

    Le lendemain, j'eus la surprise de voir que deux autres quidams s'étaient installés de part et d'autre de mon emplacement. Quand mon homme de droite mit son museau dehors, il se présenta à moi d'une manière tout à fait civile. Il n'avait rien à voir avec la sorte d'engeance qui logeait sous le pont. Il m'affirma qu'il s'appelait Antoine Gallimard et qu'on le surnommait Titoine. Comme je lui demandai comment il se pouvait qu'une maison d'édition d'un tel renom ait pu tomber en faillite, il s'était mis à rire. Il m'expliqua qu'il n'avait rien à voir avec les éditions Gallimard, qu'il avait été cadre dans une boîte d'informatique, que cette boîte avait été contrainte de dégraisser le personnel et qu'il avait fait partie de la charrette des mis à pied. Il prit un air navré pour me dire qu'il était en fin de droit, que les huissiers lui avaient bouffé ses économies et que l'heureuse fortune lui avait donné les quais pour refuge. Cela durait depuis deux ans, d'abord les quais chics du côté de Neuilly, puis la lente remontée vers les bas-fonds pour atterrir ici. Il a ajouté : "Tu vas rire, le gars de gauche s'appelle Charles-Henri Flammarion, Riton qu'on l'appelle, mais lui aussi n'a rien à voir avec l'édition. C'est un ancien cadre au chômedu, comme moi. Il était dans une banque à ce qu'il m'a dit. Et toi mon père, t'es aussi au chômedu ?" Je lui ai répondu oui, pour lui faire plaisir, car à la vérité, je n'avais jamais travaillé de ma vie et j'avais bien raison car ces types-là, après avoir turbiné comme des malades, se retrouvaient dans la même situation que la mienne. Titoine me proposa de faire équipe avec Riton et lui. J'acceptais car la mouise se supporte mieux à plusieurs.

     

    Une putain de démangeaison me dévore le dos. L'endroit est bourré de puces ; il faut dire qu'on représente un sacré garde-manger pour cette vermine. Je n'ai pas envie de retrousser mes trois pulls pour aller me gratter, il fait trop froid. Je m'allonge sur ma couverture et je me gratte comme je peux en me frottant dessus. Mon carton enregistre les secousses, et je crains un moment de défoncer le fond. J'arrête de me tortiller comme un lombric sorti de terre et je me rassois. Ma démangeaison s'est un peu calmée mais je sais que dans cinq minutes, ça va recommencer. Bordel, qu'est-ce que j'ai froid ! Je sors la tête et je jette un coup d'oeil sur mes voisins. Titoine a rabattu son couvercle, il a disparu complètement dans son logement. De l'autre côté, je vois les jambes de Riton qui dépassent. Son logement est solide mais petit, trop petit pour sa taille.

    Je me rappelle une discussion que l'on avait eue sur nos cartons.

    - Je préfère Laden, avait dit Titoine. C'est spacieux et assez costaud.

    - T'as un grenier aménageable, avait fait Riton, en rigolant.

    Puis, il avait ajouté :

    - En tout cas, je vais vous dire, rien ne vaut Philips. D'accord c'est un peu petit, mais ça résiste à la flotte.

    - Moi, j'ai pris ce que j'ai trouvé, leur ai-je dit. Je crois que c'est du Brandt.

    - Ah ! c'est de la merde, m'avaient-ils répondu en choeur. A la prochaine averse, tu seras couvert de bouillie de carton.

    Et voilà pourquoi je la redoute cette prochaine averse. Ces gars-là savent de quoi ils parlent. Deux ans de quais, ça vous forge une sacrée expérience. J'ai faim tout à coup. Je plonge la main dans ma musette derrière moi. Elle rencontre un quignon de pain rassis, un opinel et un saucisson tout neuf carotté ce matin chez Monoprix. Je voulais garder mes victuailles pour ce soir, mais j'ai trop la dalle. Je me taille des rondelles mais j'ai quelques difficultés à enlever la peau. La prochaine fois, je choisirai Cochonou, parce qu'avec Olida on a toujours du mal à enlever la peau. Je m'enfile le pain et le saucisson. C'est agréable, mais j'attrape la pépie. Je me retourne. Merde ! mon kil de rouquin est vide. J'étais persuadé qu'il m'en restait. Maintenant je crève de soif ! Il me faut boire. J'attrape une bouteille de plastique et comme un bernard-l'ermite, je m'extirpe de ma coquille. Le vent glacial se jette sur moi, comme un tueur. Plié en huit, je me dirige vers la Seine. Elle est presque à ras du quai ; je n'ai aucun mal à remplir ma bouteille au milieu des détritus et des poissons morts que je repousse délicatement de la main. Je repars aussi sec vers mon carton et je m'engouffre dans mon appartement. Je suis transi jusqu'à l'os, mais quand je me mets à boire, un pain de glace me tombe sur l'estomac et je suis saisi d'un tremblement à me décrocher les mâchoires. Je me ratatine en chien de fusil, et enrobé dans ma couverture, je sens la chaleur revenir peu à peu. Je m'endors.

     

    "Eh ! Bébert !" Je me réveille en sursaut. La silhouette de Titoine me masque le paysage. Dans le contre-jour j'ai du mal à discerner ses traits, sa bonne bouille ronde rasée de frais, ses cheveux impeccablement coiffés. Comment pouvait-il, vu les conditions déplorables dans lesquelles on pataugeait, entretenir cette tête de bien nourri ? Avait-il aménagé une salle de bain au fond de son emballage ? C'est tout juste s'il n'avait pas gardé une cravate, oripeau de la fonction sociale de laquelle il était déchu. Mais là, il savait qu'il n'avait pas intérêt à en mettre une. Cela aurait été interprété comme une faute de goût, et la population des quais n'aurait pas manqué de le foutre à la baille.

    - Passe-moi le saucifflard, me dit-il.

    - Excuse-moi, Titoine, j'ai tout bouffé.

    - Ah bah ! mon salaud ! t'es gonflé. On l'a tiré à trois, y avait pas de raison pour que tu te le farcisses à toi tout seul.

    - Eh ! dis, celui qu'on a tiré avant hier, j'en ai pas vu la couleur.

    - T'avais qu'à en réclamer. T'as rien à becter ?

    Je fouille dans ma musette et je sors un machin mou, certainement du fromage, mais on n'arrive pas à discerner quel genre de fromage tellement il est enrobé de moisissures. Je le lui tends et il fait une grimace de dégoût.

    - Garde tes saloperies pour toi, me fait-il.

    - Monsieur Gallimard n'aime pas le fromage. Pourtant monsieur Gallimard est au milieu du fromage, dis-je en remettant précieusement le petit en-cas dans ma musette.

    - Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ?

    - Rien Titoine, je ne parle pas de toi.

    Il repart en grognant et plonge à quatre pattes dans sa niche.

    Je suis furibard, il m'a réveillé en plein rêve, un merveilleux rêve érotique. J'étais replongé dix ans en arrière et je me prélassais sur le plumard de Philomène, ma douce amie du moment qui par amour m'offrait de partager sa petite chambre de bonne au huitième. Elle arrivait tout essoufflée avec deux lettres dans les mains, l'une des éditions Gallimard et l'autre des éditions Flammarion. Toutes deux acceptaient avec enthousiasme de publier le recueil de poèmes que je leur avais envoyé par la poste une semaine avant. Je m'imaginais en train de faire monter les enchères entre ces deux géants. Philomène était folle de joie. C'est au moment où nous défoncions le sommier que Titoine a rompu le charme.

     

    Bon Dieu ! qu'est-ce que je me les pèle. Dehors, la fumée des cheminées ajoute sa note de gris à la grisaille ambiante. Il doit faire bon dans ces immeubles où les intégrés en sursis coulent des heures d'indolence. Il y a un gus à sa fenêtre qui nous regarde à la jumelle. Putain, c'que la misère est un spectacle bandant ! Je me retourne et je plonge la main dans ma musette. Tout au fond, je le sens, il est là tout poisseux, maculé de toutes sortes de taches graisseuses, mon manuscrit, mon cher manuscrit, mes tripes, l'enfant qui m'aide à survivre. Je l'extirpe et je le feuillette. Je m'emmêle les doigts dans les cornes. C'est tout foutu ! Mais où il est ce quatrain que Philomène adorait ? Il fait sombre et les taches de doigts ont à moitié effacé le texte. Ah ! le voilà :

    Quand mon sexe pénètre en ton sexe, ô Madone !

    Que tu cries, que tu geins dans mon cou, que tu donnes

    Tout le meilleur de toi dans nos corps qui se nouent,

    Que tu es belle, amour, belle à me rendre fou !

    Et ce connard de Titoine qui m'a arraché à mon rêve, tout ça pour un saucisson ! Je serre mon manuscrit sur ma poitrine. Les souvenirs me transpercent, pires que les lames de couteaux du vent glacé : la réponse de Gallimard au bout de deux mois, sèche, impersonnelle, cavalière, aux confins du mépris ; celle de Flammarion quinze jours plus tard dans le même style ; puis, Philomène qui me fout dehors en me traitant de taré, de raté, de propre à rien, de résidu. Elle venait de se faire draguer par un gomineux, un engoncé du col, un débiteur de stéréotypes, un marchand de vent.

    Je vais chercher le dernier poème de mon manuscrit, celui que j'avais rajouté après le renvoi et que j'avais envoyé aux éditeurs en réponse à leurs refus. Je le lis les yeux fermés :

    Tu auras le choix

    Naître ou n'être pas

    Et imbu de toi-même

    Tu choisiras de devenir

    Tu t'activeras

    Tu te presseras le citron

    Tu t'éclateras la cervelle

    Tu te sentiras pousser des ailes

    Tu n'en dormiras plus

    Et

    Quand au bout de l'infinitude de tes errances

    Tu auras déterré le joyau qui te crève les yeux

    Tu les verras

    Ceux qui tiennent le haut du pavé

    Dardant leurs yeux de hyènes

    Crevant de jalousie

    Bouffis d'insuffisance

    Bavant la médisance

    Et ils te toiseront avec condescendance

    Et ils te réduiront à trois fois moins que rien

    Car au bout du compte

    Tu t'apercevras

    Que rien n'est essentiel

    Hormis leur superflu

    Alors

    Tu t'allongeras dans les sables de la lassitude

    Fatigué

    Usé jusqu'à l'os

    Meurtri bien au-delà de toute souffrance

    Et tu n'aspireras plus qu'à une chose

    Dormir.

    Riton vient d'allumer son transistor. C'est l'heure des cours de la Bourse. Tous les jours, il allume sa radio à la même heure et il écoute les cours de la Bourse. C'est son ballon d'oxygène quotidien ; ça le replonge dans l'univers d'où il a été expulsé. Il y a une semaine, son poste est tombé en panne de piles ; il a failli piquer une crise d'épilepsie. Titoine et moi, nous avons dû nous précipiter chez Monoprix pour aller en acheter. Nous avons zoné un moment du côté des saucissons et le vigile ne nous a pas lâchés d'une semelle. Quand nous nous sommes éloignés des saucissons pour nous diriger vers le présentoir des piles, son attention s'est relâchée et nous avons pu en tirer quelques unes.

    Jean-Pierre Gaillard serine, monocorde, les scores des multinationales, une mélopée comme une messe en latin. Puis, vient le cours de l'or. Je ne sais pas pourquoi, mais si ça monte je suis content, si ça descend ça me rend triste. Gaillard annonce que ça descend ; j'ai un long frisson qui me rappelle que j'ai bigrement froid. A la fin de la messe boursière, Riton laisse son transistor allumé. Le flot sonore augmente d'un cran et on a le droit à une série de pubs. Renault et Peugeot se chamaillent pour s'arracher notre clientèle. Je me dis que c'est Peugeot qui va gagner car avec la nouvelle 906, le confort et la tenue de route ont atteint des niveaux jamais égalés. Mais quand même, Renault vient d'inventer le triple air-bag ; on peut maintenant faire des tonneaux sans danger. Puis, on passe à Lancôme. Ah ! là je ris ; ce ne sont pas les parfums qui manquent ici, et de plus, ils sont à la portée de toutes les bourses. Puis j'entends : "N'est pas président qui veut". Ils veulent rire ; Saint Moret c'est autre chose, ça a un petit goût frais pas dégueulasse, sauf que quand Riton l'a mis dans son slip pour passer les caisses, il a chauffé un peu. Tiens, la SNCF propose des voyages à mi-tarif dans les périodes bleues. Je m'interroge : dans quelle période est-on ? Bleue, rouge, verte ? Difficile à dire dans tout ce gris. Le speaker conclut : " Le progrès ne vaut que s'il est partagé par tous ! " Oh ! ça s'est bien vrai ; Brandt a pensé à moi. S'il avait consigné son carton, j'aurais été dans la merde.

    - Riton, tu ne pourrais pas éteindre ça, gueule Titoine.

    Riton tord le cou aux nouvelles de l'au-delà et le quai se replonge tout à coup dans son silence glacé.

     

    - Bébert, tu peux me prêter ton manuscrit ?

    Je lève les yeux et je vois Riton avec sa barbe de quinze jours et ses cheveux hirsutes. Après avoir éteint sa radio, Riton s'emmerde dans ses murs. Les locataires du pont sont passés tout à l'heure. Ils ont ramassé toutes les feuilles de journaux qui pouvaient traîner, sans doute pour allumer leurs brûlots, et de ce fait, il n'y a plus rien à lire. Or, Riton est un dévoreur d'articles, surtout les articles du Monde économique et de Capital. Il prétend même que Capital est mieux que le Monde économique, mais à mon avis, pour allumer le feu, il est préférable d'avoir le Monde économique.

    J'hésite. Je l'avais déjà prêté à Titoine qui s'était fait tirer l'oreille pour me le rendre. Je lui tends quand même mon manuscrit en lui demandant de me le rendre dans une heure.

    Une heure plus tard, il me le ramène. Il me dit que ce n'est pas mal mais ajoute, finaud, que ça ne vaut pas les cours de la Bourse. Je remarque qu'il manque la page de garde. Je lui demande ce qu'il en a fait. Il est là tout penaud, puis il passe aux aveux. Il a eu un besoin légitime à satisfaire, la page de garde de mon manuscrit a servi à la toilette de son postérieur souillé. Effectivement, il a chié derrière son carton, et ça empeste. Je reprends mon manuscrit en me promettant bien de ne plus jamais m'en séparer.

     

    Voilà que mon dos me redémange. Je me couche et je me frotte avec frénésie. J'entends un craquement derrière moi. Je me retourne et je vois que le scotch qui maintient le couvercle du fond hermétiquement fermé vient de craquer. Mes compagnons ont raison ; Brandt, c'est vraiment de la saloperie. La nuit tombe et le froid s'amplifie. Bon Dieu, c'est intenable. En plus, par la craquelure du fond, je sens maintenant un petit filet d'air.

    Les réverbères se sont allumés et leurs lumières crèvent la surface de l'eau de dents d'argent gigantesques et froides qui n'en finissent pas d'onduler. En face, l'or des fenêtres trouent les murailles noires comme des symboles de richesse posés sur le vide. Pourvu que la Seine ne déborde pas ! La radio de Riton avait parlé de pluies diluviennes en Champagne, et toute la semaine, le niveau de l'eau était monté inexorablement jusqu'au ras des quais. Depuis la veille, ce niveau avait paru se stabiliser mais la météo avait annoncé de nouvelles chutes de pluie. Je grelotte. J'ai bien envie de fermer mon couvercle, mais la Seine à ras du quai m'obsède et me fait peur. Il faut que je surveille. Je résiste, je résiste encore, puis je ferme. La température monte légèrement. Je m'engourdis et je m'endors.

    Je me réveille en sursaut. Il y a eu des petits coups de frappés sur mon toit. Mon oreille se tend. Est-ce l'un de mes voisins qui me veut quelque chose ? Non, ce n'était qu'une illusion, tout est parfaitement calme. Je n'ai pas le courage d'ouvrir pour regarder dehors. Je me sens un peu fiévreux. Je me roule en boule et je me rendors.

    Je me réveille de nouveau en sursaut. Il y a eu encore des petits coups de frappés sur mon toit. Je reste assis deux ou trois minutes. Ma fièvre a salement augmenté. Je perçois des cris et des chants d'ivrognes amplifiés par la nuit. Là-bas sous le pont, on s'amuse comme tous les soirs. Et tout à coup, ça se met à tambouriner sur mon toit. Je réalise : la pluie tombe à verse. Je me recroqueville et j'attends, espérant que cela va cesser. Je tremble de tous mes membres de peur, de froid, de fièvre. Un moment, j'ai l'impression qu'il y a une accalmie, mais je réalise vite que le carton trempé amortit le bruit des gouttes.

    Maintenant, j'entends un clapotis au-dessus de ma tête. J'allume mon briquet et je constate que le toit est complètement incurvé. Une goutte sourd à travers le carton. Elle se positionne au centre et me tombe dans l'oeil. Et puis, une deuxième suit, une troisième, et bientôt un filet d'eau glacée me tombe dessus. Je repousse avec ma main le toit vers le haut ; elle passe au travers du carton et en même temps cinq litres d'eau me coulent dans la manche. Je me ratatine sous la morsure et je me colle sur les bords en ramenant sous moi ma précieuse musette. Quelque temps plus tard, les bords se gondolent et m'enrobent, m'engluant dans un bloc de glace. Je veux me lever et fuir, mais la fièvre me cloue sur place...

     

    Dans une demi-léthargie, j'ouvre un oeil. Les employés du service de l'hygiène m'ont mis dans un brancard et m'emportent dans leur véhicule qui éclabousse les quais de lumière bleue. Il fait à peine jour. La portière reste un instant ouverte et, à travers les brumes de mon cerveau, j'aperçois Gallimard et Flammarion qui se disputent mon manuscrit. Ils se battent comme des chiffonniers, ils tirent chacun de leur côté, et tout à coup, les feuillets s'envolent, planent et plongent vers la Seine comme un vol de mouettes tanguant d'une aile à l'autre pour aller se poser sur l'eau.


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  • Dans un commentaire posté hier sur Histoire d’eau 8, un certain Rodolphe nous contait en vers un terrible Noël d’avant. nous vous invitons à aller le découvrir et à y ajouter peut-être un petit mot…

    Aujourd’hui, c’est à Jacques Lamy de revenir sur un Noël d’avant…

     

     

    Sur une base militaire en Algérie... il y a quarante sept ans.

    Un officier de permanence, un "Appelé", surveille le réfectoire aux "jeunes recrues". Sa mission : animer la soirée en évitant le spleen d'un réveillon passé dans un camp, sans famille. : c'est leur premier Noël d'adolescents tardifs loin des proches aimants. Un faux Noël "sans neige", assez rare à l'époque sur une partie du territoire français.

    Les années précédentes, beuveries, disputes avaient annihilé la veillée fraternelle. Ils noyaient dans l'alcool cette désolation.

    Aussi, le sous-lieutenant improvisa-t-il un spectacle tenu par les jeunes recrues. Le repas avait été retardé d'une heure : il en restait quatre "à tenir"...

    Cette base célèbre pour la qualité des plats servis et de la propreté des lieux, plus que pour la délicatesse des propos tenus et des ordres donnés par le commandement, avait bien fait les choses : deux entrées, un entremets, un rôti de dinde, fromages et desserts le tout en abondance et servis par les "Chefs de Tables".

    Il y eut, tout d'abord, le menu en sabir, lu par "un pied-noir", à l'accent irrésistible, repris ensuite par un picard tout aussi drôle.

    Des scènes spontanées égayaient ce repas. : les sketches improvisés par des amateurs "dans le civil", des chansons dont "Old man river" par une basse de grande ampleur (un "fils de chanteur d'opéras"), des jeux aux gains utopiques et surprenants : "la reconnaissance ineffable de l'Armée – la permission aléatoire au "foyer" – la bénédiction du sous-lieutenant de veille", etc.

    Et, la "douce France" un instant oubliée, les recrues célébraient Noël, joyeusement. L'officier se félicitait de ce succès.

    C'est alors que la "Chorale des Supermacs" (des "quillards" à un mois d'être "dans le civil"), déguisés en anges, fraternellement vinrent se produire pour embellir encore cette veillée. On entendit les chants de Noël bien connus : "Mon beau sapin", "Douce nuit", "Guillot prend ton tambourin", etc.

    Au fur et à mesure que resplendissaient les chants traditionnels, s'attendrissaient les hommes : au final, les trois-quarts étaient désespérés, et les autres pleuraient sans retenue...

    "Pas de spleen à Noël !" avait dit le colon.

    "Quel gâchis" songea l'officier de permanence et il sortit "respirer", les larmes aux yeux. Il en était au second Noël loin des siens... Un troisième viendrait, il ne le savait pas...

     


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  • En cette fin d’année, Gilbert Marquès revient sur la question de l’engagement et de toutes ces choses qui font qu’au-delà des circonstances propres à chacun, l’on se décide ou non à sortir de l’isolement, à assumer les enjeux vitaux de notre époque et à y aller de notre propre parole.

     




    Pour cette dernière chronique mensuelle de l'année, j'entends poursuivre le débat sur la Poésie "engagée" en réponse notamment au commentaire de Jacques LAMY auquel je souhaite apporter quelques précisions.

    Cette expression a repris tout son sens politique et social lors des événements de Mai 1968. Elle signifiait alors que les idées devaient se concrétiser non seulement par l'expression, artistique ou autre, mais également par l'action.

    Chacun a ses raisons pour s'engager éventuellement dans la défense de multiples causes et si je suis d'accord sur le fait que créer représente un réel engagement, je me pose la question de savoir si c'est suffisant. Il est facile, toute proportion gardée, de torcher un beau poème bien ficelé pour faire pleurer dans les chaumières mais le créateur, le poète en l'occurrence, doit-il se cantonner à ce rôle ou bien payer de sa personne en montrant en quelque sorte l'exemple ? Plus explicitement, doit-il se borner à griffonner ses vers bien au chaud le cul dans son fauteuil en envoyant comme jadis ses disciples au casse-pipe ou bien doit-il aussi participer à la mise en pratique en montrant la voie à suivre ? Pour moi, la réponse ne fait aucun doute sachant qu'un poème ne résout rien s'il n'est pas suivi d'effet, s'il ne déclenche rien.

    Ainsi me revient en mémoire une réflexion de François MAURIAC qui, répondant à une interview paru dans la fin des années 60 dans "Le Magazine Littéraire" au cours de laquelle le journaliste lui demandait pourquoi il parlait toujours dans ses romans de la bourgeoisie bordelaise, a dit ;

    "Je parle seulement de ce que je connais"

    Je ne garantis pas l'exactitude intégrale de la formule que je cite de mémoire mais elle implique clairement selon moi, qu'il faut savoir de quoi on parle. Et je remarque à ce propos qu'aucune réponse n'a été apportée aux différentes questions formulées précédemment sur le possible rôle du poète. En serait-il donc seulement réduit à se faire plaisir en écrivant et subsidiairement à le partager avec des initiés ? Ne peut-il être aussi parfois et en même temps, le témoin et l'acteur de son époque et par-là même de sa vie sans pour autant "axer systématiquement ses rimes pour défiler entre la Bastille et la Nation" ? Le poète n'est-il pas aussi membre d'une société ? Doit-il se contenter d'en subir les outrances sans les dénoncer par l'écriture et les combattre par l'action ? Ne peut-il outrepasser les conventions morales et religieuses, quitte à se mettre hors la loi, pour participer à l'évolution de la civilisation ? Doit-il enfin laisser à d'autres le soin d'assumer ses propres responsabilités ?

    Personnellement, mon choix a toujours été à la fois simple et clair en tant qu'homme tout autant qu'au titre d'artiste. Je me suis battu pour certaines idées qui m'ont valu d'être jugé et emprisonné. Je n'en tire aucune gloire mais n'éprouve pas non plus de repentir. Au-delà de ces simples péripéties, j'estime que si l'homme s'assume, l'artiste y compris le poète, le doit aussi. Ceci signifie qu'il ne doit pas se limiter à créer en faisant attention à ne pas faire de vague mais aussi à poursuivre son travail en s'impliquant dans l'exploitation de son œuvre, de l'édition à la distribution en allant jusqu'à la rencontre avec les gens, et ne pas laisser cette seule charge à ceux dont c'est le métier, les éditeurs et les libraires. Se défausser de cette part de responsabilité revient à accepter nécessairement de se laisser tondre la laine sur le dos et de limiter l'impact de sa propre création.

    Ceci soulève depuis longtemps un problème constitué de la différence de conception de l'art entre ceux réputés professionnels et les autres. Les premiers vivent au sens matériel du terme, de leurs activités artistiques. Ils en subissent les charges sociales et fiscales. Par contre, les seconds ont souvent un autre métier leur permettant de ne pas se poser de questions existentielles sur leur présent et leur futur. Ils perçoivent salaire ou retraite et abordent l'art avec une éthique bien particulière. Pour nombre d'entre eux, toute question financière mais aussi politique ou sociale doit être exclue. L'art pour l'art en somme… Demandez donc aux intermittents ce qu'il en est de leur situation et ce qu'ils pensent de cette conception. Les mécènes ont disparu et les sponsors, lorsqu'il y en a, ne sont pas des misanthropes. Ils veulent des retours sur investissements et d'un autre côté, l'artiste dont le poète, doit subvenir à ses besoins essentiels. Comment fait-il lorsqu'il essaie de survivre de son travail artistique ou qu'il veut publier un livre même à compte d'éditeur ou monter un spectacle ? Utiliser le système ne signifie pas l'approuver. S'en servir pour gagner sa vie est en même temps essayer de faire entendre sa voix donc la possibilité de toucher un public potentiel et le sensibiliser également à d'éventuels changements sans pour autant cesser de le divertir.

    Il serait peut-être temps d'arrêter de se voiler la face quand il question d'art et d'argent. L'art n'est pas neutre et bien que ce soit regrettable, il a été transformé peu à peu en produit de consommation quand ce n'est pas de spéculation même si de la part de l'artiste, il demeure avant tout un geste vers l'autre. Certes, la poésie échappe encore à ce phénomène quoique si nous voulons une culture étatique, il suffit de laisser faire les autorités sans réagir ou mieux encore, de poursuivre sur la voie empruntée par certains de ne froisser personne. Ne nous préparent-elles pas une télévision publique qui pourrait devenir une télévision soumise à l'état puisque comme au bon vieux temps des dictatures, le directeur en sera nommé par les ministres ? De là à recréer une censure omnipotente interdisant la liberté d'opinion et de pensée, il n'y a qu'un petit pas à franchir. Il peut vite mener au musellement de tous les contradicteurs et donc d'une potentielle opposition politique et par voie de conséquence culturelle, si nous laissons faire. Il existe déjà tant d'atteintes à nos libertés fondamentales que nous devrions accepter en sus de nous taire et de ne pas agir ?

    Si tel est le cas, préparez-vous, bonnes gens, à pleurer toutes les larmes de votre corps, vous n'avez pas fini d'être torturés ! La politique de l'autruche n'a jamais sauvé personne et celle du mou pas davantage. La res publica (la chose publique) n'appartient pas au seuls politiciens mais au peuple avant tout, donc aux poètes aussi.

    Aussonne, le 18 décembre 2008

     

    PS  Bonnes fêtes à tous ! Joyeux Noël d'abord et Bonne Année 2009 ensuite avec beaucoup d'amour, de bonheur, de paix, de liberté et surtout la santé parce que pour ce qui est de la crise, si nous l'avons, nous en sortirons !


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  • On vous l’avait dit : pas de panique ! Au café, nous étions confiants, les nouvelles n’allaient pas tarder. Le Pythagore était tout simplement en rade au large du Venezuela. Au repos forcé, le capitaine Suzanne Alvarez en a profité pour nous conter une de ses singulières aventures…

     


    Pour une poignée de Bolos *

     
    Ils ont remercié encore et ils les ont regardés partir à la nage qui regagnaient leur bateau de pêche. Puis elle a entendu fuser des rires brefs, comme des hoquets, tandis que l’un d’eux pivotait un doigt contre sa tempe. C’est là qu’Anna a compris qu’elle avait fait une énorme boulette. Heureusement, absorbé par le réglage des voiles, Marc n’avait rien vu, rien entendu.

    Après plusieurs semaines passées entre Porlamar et Pampatar, ils quittaient à regret la plus grande île du Venezuela, Margarita, " la perle des Caraïbes ". Il était temps de lever l’ancre et rejoindre rapidement Porto La Cruz*, s’abriter le restant de la saison cyclonique.

    Galvanisée par ce séjour enchanteur, où ils avaient vécu des moments intenses, elle s’était mise à la barre, heureuse, pendant que Marc, en bas, assis à la table à cartes, faisait tranquillement le point, quand il lâcha son compas et apparut comme un diable sortant d’une boîte :

    - Qu’est-ce tu fous, t’es devenue complètement barge, ma parole ! Mais abats*, bordel ! Il y a une bande sablonneuse tout le long !

    " La barge " qu’elle était n’objecta rien pour ne pas envenimer la situation et barra à fond à tribord*, tout en pensant qu’il aurait pu consulter les cartes avant l’appareillage. En même temps, toute la vaillance qu’elle avait ressentie au début de cette lumineuse journée s’était éclipsée comme si la nuit était soudainement tombée.

    Moins d’un mille plus loin, pourtant, et bien qu’elle se fût largement déportée, le voilier s’immobilisa net.

    A présent Pythagore repose sur un lit de sable. Il s’est échoué et reprendra la flottaison à la prochaine marée…

    Marc tapota sa montre de l’ongle de l’index :

    - Encore six heures à attendre avant la renverse* ! Et maintenant, qu’est-ce que tu comptes faire ? lui demanda-t-il pour montrer qu’il s’excluait de toute responsabilité.

    Elle a simplement haussé les épaules sans le regarder, puis le silence s’était installé entre eux, lourd et gris comme un mur de béton. Franchement, elle commençait à en avoir plein les bottes. Depuis que la moussaillonne était retournée en Métropole poursuivre des études sportives, les quarts en navigation étaient de plus en plus rapprochés ; quant aux corvées, dès qu’ils jetaient l’ancre, ce n’était même pas la peine d’en parler…

    Quelques minutes venaient de s’écouler quand ils virent arriver à la nage, un groupe d’une dizaine d’hommes. Un misérable petit chalutier venait de stopper ses machines à quelques mètres d’eux. Anna retrouva une respiration normale.

    Les pêcheurs hélèrent et poussèrent le voilier plus au large. Après une demi-heure d’efforts, Pythagore retrouvait sa position initiale.

    - Donne-leur donc de quoi boire un bon coup. Les pauvres bougres, ils l’ont bien mérité ! fit Marc redevenu soudain de très bonne humeur.

    Enhardie par ce nouveau signe de chance, Anna s’empressa d’obtempérer et puisa dans la caisse de bord planquée sous une des banquettes du carré. Elle prit quelques billets, hésita un court instant et en rajouta deux autres, car l’évocation de ces pêcheurs en guenilles et leurs sourires craintifs, qui s’étaient portés sans hésiter à leur secours, lui fit paraître sa vie à elle, comme une vision de paix et d’abondance ; remonta sur le pont et tendit de bon cœur les bolivares à l’un des hommes qui attendaient agrippés aux filières de Pythagore.

    - Tu leur as donné assez, j’espère ! s’inquiéta son mari.

    Pour une " pro " de la comptabilité, c’était risible, et bien qu’elle n’eût pas trouvé la plaisanterie risible sur le coup. Et elle qui traitait tout le temps Marc de " panier percé ". Dans sa hâte à vouloir récompenser leurs sauveurs, elle s’était emmêlé les pinceaux avec les zéros, leur filant la plus grosse partie de leur réserve.

    - Avec ça, ils vont pouvoir se payer un sacré gueuleton ! songea-t-elle, pestant contre elle-même, en évoquant leurs rires et le geste de l’un d’eux qui disait qu’elle avait perdu la raison.

    Mais elle se reprit aussitôt car ce qu’il lui restait de bon sens lui chuchotait que tout ça n’était que passager et que demain, serait un autre jour. A la prochaine escale, elle irait au distributeur automatique pour recharger sans rien dire la caisse du bord. Puisque c’était elle qui tenait les comptes. Ils avaient encore de quoi, avant d’arriver en Guadeloupe où un travail les attendait. Soudain redevenue calme, et relativisant les choses comme à son habitude, elle éprouva l’infinie liberté du néant, où rien n’a de valeur, de gravité ni de sens.

    Seule, Carole, la moussaillonne qui était venue les rejoindre quelques mois plus tard, pendant ses vacances universitaires, bénéficia du déluge des confidences que lui fit sa mère, et elles prirent le parti d’en rire. Son père, bien sûr, n’en sut jamais rien, et c’était tout aussi bien ainsi.


    *abattre
      : éloigner l’axe du bateau du lit du vent.

    * tribord : côté droit du bateau dans le sens de sa marche.

    * renverse : prochaine marée, montante cette fois.

    *bolo : langage populaire signifiant bolivar, mais utilisé couramment par les Vénézuéliens (un bolivar, des bolivares). Monnaie du Venezuela, dont le nom vient de Simon Bolivar, et qui, à l’époque des faits, équivalait à presque 500Bs pour 1 F, soit 3225Bs pour 1 €. L’actuel président Hugo Chavez, a changé la monnaie (1er janvier 2008) qui s’appelle le bolivar fort, en supprimant trois zéros. Ainsi 1000 bolivares font donc 1 bolivar fort, rendant ainsi le change et la conversion plus aisés.

    * Porto la Cruz  : Port du Venezuela réputé pour sa dangerosité et son esprit mafieux (nous le constaterons, hélas ! qu’une fois sur place).


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  • Qu’il soit chevronné ou novice, l’écrivain travaille avec ce qui se passe à l’intérieur et à l’extérieur de lui. C’est par ces constants allers-retours qu’il découvre les multiples façons d’être au monde, qu’il en perçoit les séductions et les empêchements, qu’il peut se confronter à l’irrésistible pouvoir des idées reçues et qu’il déploie une somme énorme d’efforts conscients et inconscients pour être à la hauteur d’une vie qu’il voudrait à la fois exaltante, libérée des contraintes et sous contrôle.

    Avec Passages rebelles, il ne s’agissait pas de prendre les armes ou de les déposer mais d’être à l’écoute de ce qui ébranle et de ce qui est à l’œuvre quand l’envie de rompre pointe le bout de son nez. Pour cette septième édition, bon nombre d’auteurs ont dépassé le cap de la distraction littéraire pour se saisir de cette question de la rupture et, tout en se laissant aller à dire quelque chose de leur propre histoire, à soutenir, au-delà de la fiction, une vision singulière de leur époque. Publiés ou non, qu’ils soient ici tous remerciés.



    Au sommaire : Bernard Jacquot, Yvonne Le Meur-Rollet, Joël Hamm, Laurence Marconi, Désirée Boillot, Philippe Arnaud, Patrick Denys, Sylvette Heurtel, Anna Raapoto

     

    Comme pour les précédentes publications, ce recueil des nouvelles primées au concours Calipso 2008 est proposé à prix coûtant ce qui équivaut cette année à 5,50€ l’exemplaire et une participation aux frais d’expédition de 1€ en sus. (Ces frais sont offerts pour une commande à partir de 6 exemplaires).

    Commande à  assocalipso@free.fr


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  • Pour clore les festivités de la 400ème du café voici une dernière chanson. Les paroles et la musique sont de Danielle Akakpo. Elle n'a jamais été chantée ailleurs que...dans sa salle de bains, nous a-t-elle précisé…
    A nouveau un grand merci pour leurs chaleureuses contributions à Jean-Claude Touray, Marielle Taillandier, Alain Emery, Yvonne Le Meur-Rollet, Annie Mullenbach-Nigay, Jean Calbrix, Ysiad et Julie. Rendez-vous au cours de l’été 2009 pour célébrer la 500ème

     

    Couleurs

     

    Couplet 1

     

    Dans la cour d’une école de mon quartier,

    J’ai regardé les enfants qui jouaient.

    Visages blancs ou jaunes ou teint bronzé,

    Cheveux de lin, crinière lisse ou frisée.

    Et tout ce monde-là riait,

    Et tout ce monde-la chantait,

    Fallait voir ces petites mains

    Frapper avec le même entrain.

     

    Refrain 1

     

    L’enfant se moque bien des différences,

    L’enfance est l’âge de la tolérance,

    Que le petit copain soit brun ou blond,

    Qu’importe, s’il sait taper dans un ballon,

    Une petite copine aux yeux bridés,

    Elle aussi sait jouer à la poupée. 

     

    Couplet 2

     

    Sous le porche d’une église de mon quartier,

    J’ai aperçu un couple qui sortait,

    Elle toute blanche dans ses voiles de mariée,

    Au bras d’un grand garçon noir appuyée.

    Fallait voir l’éclat de leurs yeux,

    Le soleil qui brillait sur eux !

    Et la musique de leur sourire

    Était un hymne à l’avenir.

     

    Refrain 2

     

    L’amour ne connaît aucune barrière,

    L’amour se rit de toutes les frontières.

    Comme un peintre mélangeant ses couleurs

    La vie se plaît à réunir les cœurs,

    Et que l’on soit né ici ou ailleurs,

    Il suffit d’être deux pour le bonheur.

     

    Couplet 3

     

    Et lorsque la mort nous appellera

    Et qu’au cimetière on nous conduira,

    Si par hasard il y a un au-delà,

    Sûr que l’on ne nous demandera pas :

    Viens-tu de Rome ou de Rio,

    De Paris ou San Francisco

    Viens-tu d’Afrique ou d’Angleterre ?

    Nous serons tous cendre et poussière.

     

    Refrain 3

     

    Alors pendant que nous sommes sur terre,

    Arrêtons donc de nous faire la guerre,

    Ouvrons, ouvrons tout grands les bras,

    Jetons les préjugés à bas.

    Ouvrons, ouvrons tout grands les cœurs,

    Petits et grands de toutes les couleurs

    Petits et grands de toutes les couleurs...


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  • Photo : Attitudes passionnelles, la Salpêtrière, Paris,1877, Muséum du Dr Guislain, Gent, Belgique



    Une lettre ouverte est un texte qui, bien qu'adressé à une ou plusieurs personnes en particulier, est exhibé publiquement afin d'être lu par un plus grand nombre.

    L’histoire dont il est question dans cette lettre vous la connaissez tous. Elle n’a pas commencé à Grenoble mais vous imaginez bien qu’au café comme un peu partout aux alentours cette affaire-là fait toujours grand bruit. Et comme tant d’autres histoires dont on aimerait pouvoir s’en débrouiller autrement que par la dénonciation et l’exclusion, celle-ci est devenue une affaire d’état. Une nouvelle stigmatisation qui a déjà fait valser quelques têtes. Oui, cet acte dément est impossible à supporter, la douleur est bien réelle et pourtant il nous faut rester tranquille, ne pas se laisser prendre par la peur ou la vengeance…

     

    Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République à propos de son discours du 2 décembre 2008 à l’hôpital Erasme d’ANTONY concernant une réforme de l’hospitalisation en psychiatrie.


    Etampes, le 8 décembre 2008

    Monsieur le Président,

    Eluard écrit dans Souvenirs de la Maison des Fous " ma souffrance est souillée ".

    Après le meurtre de Grenoble, votre impatience à répondre dans l’instant à l’aspiration au pire, qu’il vaudrait mieux laisser dormir en chacun d’entre nous, et que vous avez semble t-il tant de difficulté à contenir, vous a amené dans votre discours du 2 décembre à l’hôpital Erasme d’Antony à souiller la souffrance de nos patients.

    Erasme, l’auteur de " L’Eloge de la Folie " eut pu mieux vous inspirer, vous qui en un discours avez montré votre intention d’en finir avec plus d’un demi siècle de lutte contre le mauvais sort fait à la folie : l’enfermement derrière les hauts murs, lui appliquant les traitements les plus dégradants, leur extermination en premier, quand la barbarie prétendit purifier la race, la stigmatisation au quotidien du fait simplement d’être fou.

    Vous avez à Antony insulté la mémoire des Bonnafé, Le Guillant, Lacan, Daumaison et tant d’autres, dont ma génération a hérité du travail magnifique, et qui ont fait de leur pratique, œuvre de libération des fécondités dont la folie est porteuse, œuvre de libération aussi de la pensée de tous, rendant à la population son honneur perdu à maltraiter les plus vulnérables d’entre nous. Lacan n’écrit-il pas " l’homme moderne est voué à la plus formidable galère sociale que nous recueillions quand elle vient à nous, c’est à cet être de néant que notre tâche quotidienne est d’ouvrir à nouveau la voie de son sens dans une fraternité discrète, à la mesure de laquelle nous sommes toujours trop inégaux ".

    Et voilà qu’après un drame, certes, mais seulement un drame, vous proposez une fois encore le dérisoire panégérique de ceux que vous allez plus tard insulter leur demandant d’accomplir votre basse besogne, que les portes se referment sur les cohortes de patients.

    De ce drame, vous faites une généralité, vous désignez ainsi nos patients comme dangereux, alors que tout le monde s’entend à dire qu’ils sont plus vulnérables que dangereux.

    Mesurez-vous, Monsieur le Président, l’incalculable portée de vos propos qui va renforcer la stigmatisation des fous, remettre les soignants en position de gardiens et alarmer les braves gens habitant près du lieu de soin de la folie ?

    Vous donnez consistance à toutes les craintes les moins rationnelles, qui désignant tel ou tel, l’assignent dans les lieux de réclusion.

    Vous venez de finir d’ouvrir la boîte de Pandore et d’achever ce que vous avez commencé à l’occasion de votre réplique aux pêcheurs de Concarneau, de votre insulte au passant du salon de l’agriculture, avilissant votre fonction, vous déprenant ainsi du registre symbolique sans lequel le lien social ne peut que se dissoudre. Vous avez donc, Monsieur le Président, contribué à la destruction du lien social en désignant des malades à la vindicte, et ce, quelques soient les précautions oratoires dont vous affublez votre discours et dont le miel et l’excès masquent mal la violence qu’il tente de dissimuler.

    Vous avez donc, sous l’apparence du discours d’ordre, contribué à créer un désordre majeur, portant ainsi atteinte à la cohésion nationale en désignant à ceux qui ne demandent que cela, des boucs émissaires, dont mes années de pratique m’ont montré que justement, ils ne pouvaient pas se défendre.

    Face à votre violence, il ne reste, chacun à sa place, et particulièrement dans mon métier, qu’à résister autant que possible.

    J’affirme ici mon ardente obligation à ne pas mettre en œuvre vos propositions dégradantes d’exclure du paysage social les plus vulnérables.

    Il en va des lois comme des pensées, certaines ne sont pas respectables ; je ne respecterai donc pas celle dont vous nous annoncez la promulgation prochaine.

    Veuillez agréer, Monsieur le Président, la très haute considération que je porte à votre fonction.

    Docteur Michaël GUYADER, Chef de service du 8ème secteur de psychiatrie générale de l’Essonne, Psychanalyste.


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  • Chanson enfantine en vers très libres, en l’honneur du 400ème numéro de Calipso
     par Ysiad et
    Julie

     

    Sécotine et Rutabaga


    Petite abeille butine

    Autour des badigoinces

    Du gros Rutabaga

    Alangui sous les dahlias

    Rutabaga grogne

    Tressaille, marmonne :

    Tu vas passer sous mes canines

    Attends un peu que je te coince

    Petite abeille intrépide,

    Continue son manège,

    Autour du gros impavide,

    Qui allonge une patte féline

    Miaou ! fait-il, Sécotine,

    Profite de tes privilèges,

    Je te chasserai tout à l’heure

    Ce n’est pas encore mon heure

    Petite abeille valseuse

    Fait des loopings de plus belle,

    Sur ses deux petites ailes,

    Allez, zou ! Gros Patapon !

    C’est bien fini, le sieston !

    Gros chat bâille et tempête,

    Foin de prêchi-prêcha,

    Il va lui faire sa fête,

    A cette enquiquineuse

    Un de ces quatre, il la gobera,

    Foi de Rutabaga


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  • Aujourd’hui, pour le spécial 400 du café, Jean Calbrix nous propose un poème qui dénonce les horreurs de la guerre. Son héros, Tarak, fait partie de ces victimes taxées de terroriste, sacrifiées au nom d’intérêts capitalistes.

                                                                      Tarak

     

    Tarak est pendu là, sans bras, tripes à l'air,

    Sur le tronc du grand cèdre est écrit "terroriste",

    Sa ferme n'est pas loin tout au bout de la piste,

    Il cultivait le mil et tissait le mohair.

     

    Par un soir de printemps, il vit dans le ciel clair,

    Bondir des fleurs de feu, cadeau capitaliste,

    Dessinant dans l'azur des voiles de batiste

    Et tuant sur le sol trois enfants de sa chair.

     

    Plus tard, sur les hauteurs, surgit la soldatesque

    Traquant les résistants, déploiement titanesque.

    Sous les tirs sont tombés sa femme et son cousin.

     

    Alors l'esprit perdu, le cœur en cale sèche,

    Le corps ceint d'explosifs, dans un hameau voisin

    Près d'une garnison, il alluma la mèche.


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