• Quinzaine 

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      Nationale

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    de la Chaîne 

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    Il y a une chose pire encore que l'infamie des chaînes, c'est de ne plus en sentir le poids

    Gérard Bauër

     


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    Comment Attila Vavavoom remporta la présidentielle

    avec une seule voix d'avance

    Jacques Lederer

     

    Petit roman de politique fiction à l'attention des pêcheurs à la ligne et autres joueurs de pipeau

     

    Quatrième de couverture : ce dimanche de mai est crucial : Attila Vavavoom, le président sortant, affronte Céleste Chakanaka, black et championne de lancer de marteau. C'est ce dimanche précisément que Parole, citoyen lambda, choisit pour se lancer dans une partie de poker endiablée. Absorbée par le jeu, il oublie d'aller voter. Cette banale abstention n'est pas sans conséquences... une élection tient parfois à un coup de poker !

     

    Editions Points, 93 pages, 4,70€

     


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    Entre deux tours

    Patrick Ledent

     

     

     

    Ça y est ! On était enfin débarrassé des importuns. Huit victimes qui retourneraient bientôt en cuisine, à la plonge, jusqu’au prochain scrutin où, rebelote ! C’est dire si on se serait bien passé de tout ce cinéma, mais bon, c’était le prix à payer pour donner à croire que la démocratie vivait encore.

    Le meilleur restait à venir : écouter la consigne de vote des déchus. Non contents de s’être vu éjecter d’une roulette qui comptait trente-cinq zéros pour deux cases déjà occupées, les voilà qui devaient plébisciter ceux qu’ils venaient de combattre ! Même à Rome, du temps des jeux du cirque, on se montrait moins chiens.

    Bien sûr, les plus marginaux le prendraient de haut, achèveraient de se faire hara-kiri avec panache : « C’est bonnet blanc et blanc bonnet, résister, c’est s’abstenir. » Ben tiens !  On s’offre les consolations qu’on peut.

    Mais la plupart ne pourraient pas résister aux courtisaneries, c’était la tradition. Quand on s’était fait botter en touche avec dix à vingt pour cent des voix, on avait gagné le droit de se faire cirer les pompes pendant quinze jours, juste récompense.

    Les abouliques du centre allaient devoir choisir entre la droite et la gauche, un truc de fou. Sortir de l’ornière et casser un mur mais lequel ? Pas se tromper surtout. Ça serait ballot de baisser son froc en plein champ de courses pour monter ensuite sur le mauvais cheval. De se déshonorer pour se voir quand même passer sous le pif le maroquin cossu. D’incinérer six mois de campagne et de sacrifier trois millions d’électeurs pour se retrouver dans l’opposition. Enfin… pardon, au point de départ, puisque le centriste, par définition, ne connaît ni l’opposition ni la majorité : il est « résolument centriste ». C’est-à-dire d’accord et contre à la fois. Soit écartelé, soit menotté, il s’en fout, pourvu qu’il n’avance pas. Plus que du funambulisme, de l’apesanteur !

    Le front de gauche, pour sa part, avait annoncé la couleur : rouge. Donc, en dernier recours, s’il fallait s’y résoudre, socialiste. Sauf que le socialisme, loin de se radicaliser, était mort avec l’union de la gauche, en 81. Depuis, au mieux, l’heure était à la social-démocratie, c'est-à-dire à gauche, mais pas trop : payer les travailleurs sans effaroucher les patrons, maintenir les services publics sans renoncer à les privatiser, protéger les petits épargnants sans égratigner les actionnaires, développer la production locale sans toucher à Maastricht, assainir les soins de santé sans bouter le privé hors des hôpitaux publics, rendre les banques aux citoyens sans les nationaliser, lutter contre la délinquance fiscale sans abolir paradis et niches ; bref, tenter d’opérer soixante-deux millions de Français d’une tumeur en tranchant dans le vif avec des ciseaux de broderie. Se rallier à cette politique, pour un radical de gauche, ça tient moins de la révolution que de la volte-face ! Mais que faire sinon attendre son temps en limitant la casse ?

    Les verts, eux, avaient bien compris qu’ils pouvaient se garder leurs éoliennes et leurs panneaux solaires tant que le peuple n’aurait pas son bifteck. Quand on cartonne à deux pour cent, on en tire des leçons. Une leçon lucide et pragmatique: « On reviendra quand vous n’aurez plus faim ! » Autant dire aux calendes. Grecques, évidemment. La consigne : « Faites semblant d’être daltoniens ! »

    Quant aux frontistes, alors là, pas question de s’abaisser à reconnaître que l’UMP les avait dépouillés jusqu’à l’os et que le PS les avait snobés jusqu’à l’évanescence. Aussi la lutte continuerait-elle loin du pouvoir, dans le calme haineux des foyers et du chacun pour soi. Ça irait mal si, au coup par coup, on ne finissait pas par alimenter gentiment son génocide : c’est goutte à goutte qu’on réussit les meilleurs bains de sang.

    Les autres, laissés-pour-compte, moins de deux pour cent, regagneraient bien vite qui leur usine, qui leur bureau, qui leur fauteuil directorial, sans demander leur reste. Ils n’étaient pas venus pour gagner, juste pour se donner l’illusion d’exister. Les plus désappointés s’enverraient bien en orbite autour de Mars, avec le petit dernier qui semblait bien avoir des dispositions, mais c’est qu’il faudrait en revenir dans cinq ans et ils n’étaient pas sûrs d’avoir alors encore assez d’essence.

    Loin au-dessus, déconnectés, les deux vainqueurs allaient se bouffer le nez jusqu’à l’indigestion. Avec leurs bobards, ce n’est pas la nourriture qui viendrait à manquer !

    La droite saleloperait sa soupe jusqu’à la rendre imbuvable, façon mer morte, caressant les loups en faisant mine de les prendre pour des king-charles. On abandonnerait le débat économique, trop compliqué, pour lui substituer les plages horaires de la piscine de Lille, le port du voile, le terrorisme et l’excision. Le tout dans le même sac car faire des amalgames, c’est bien, mais cimenter la haine, c’est mieux.

    Quant à la gauche, forte des promesses d’un report favorable, mais fragilisée par trente ans d’échecs, elle jouerait la prudence, achevant de s’infléchir, des fois qu’au centre il s’en trouverait des plus à droite qu’eux, on ne sait jamais avec ceux-là.

    Et toutes ces manœuvres accoucheraient d’un nouveau-né qu’il faudrait garder cinq ans sous couveuse, parce qu’éternel prématuré.

    Ce qui n’empêcherait pas les vainqueurs de faire la fête place de la Bastille, chantant l’avènement d’un avorton qu’on ferait mine de prendre pour Goliath, le temps d’un rêve controuvé, avant de s’en désintéresser cent jours plus tard, comme d’habitude, pour se tuer, encore et encore, à faire bouillir une marmite froide.

     


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    Madame la Crise

    Jean Calbrix

     

     

    C'est bien connu, tout un chacun hérite d'une bonne fée à sa naissance et je n'y ai pas échappé. Sitôt posé dans mon berceau au sortir du ventre de ma mère, elle s'est penchée sur moi avec une belle grimace en guise de sourire et m'a susurré dans le conduit auditif : "Je suis Madame la Crise et je te promets que tu ne vas pas t'ennuyer avec moi".

    Chose promise, chose due, et je n’ai pas été déçu du voyage. Chaque fois que j’étais tranquille, que j’étais pénard, elle pénétrait dans le bar, à ma table venait s’asseoir et me débitait ses bobards. « Les bolcheviques, le couteau entre les dents », « Les Ricains sont nos amis, il faut les aimer aussi », « Oh le beau champignon au-dessus d’Hiroshima », « La grève, c’est l’arme des trusts », « La France, de Dunkerque à Tamanrasset », « C'est la lutte intergénérationnelle », « C'est la chienlit », « Pompidou navigue sur nos sous », « Pleure pas petit, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées », « Cinq cents mille chômeurs », « La libre concurrence résoudra tous vos maux», « Un million de chômeurs », « La production baisse. Dopons-là en privatisant », « Deux millions de chômeurs », « Staline, aux dernières estimations, a fait soixante millions de morts. Imagine petit que, s’il avait été Français, il aurait dépeuplé la France », « Hors le capitalisme, point de salut », « Deux millions et demi de chômeurs », « Le dieu du libéralisme veille sur nous », « Amène ta bourse avec la mienne», « Trois millions de chômeurs »…

    J’avais beau me mettre des boules Quiès  dans les oreilles, elle haussait le ton, et finalement je ne pouvais échapper à sa logorrhée. Fallait-il que je m’exilasse sur une île déserte ? Je savais bien que si on m’enterrait à six pieds sous terre, son œil serait encore là à me regarder dans ma tombe.

    La semaine dernière, j’écoutais les informations à la radio en essayant de ne pas les entendre. Le speaker, avec ses ficelles bien planquées dans le dos, débitait :

    « Madame la Crise a atteint son record historique d’adrénaline. Le divorce entre monsieur Lesmarchés et Madame Labourse se profile à l’horizon. Jusqu’à présent, monsieur Lesmarchés n’avait que boudé sa compagne. Ce matin même, monsieur Lesmarché s’est emballé. Il a bousculé Madame Labourse qui a chuté dans l’escalier. Monsieur Lécours, un homme de valeur, a tout de suite réagi en lui mettant un emplâtre pour colmater l’hémorragie de ses devises, en particulier celle disant en substance « sang bleu ne saurait mentir ». La conséquence de cette altercation fut que mesdames Lesbanques ont vu leur taux de cholestérol augmenter de manière vertigineuse.

    Autre conséquence fâcheuse : Madame Lacommunautéinternationale, poussée par Madame la Crise, s’est émue de la chose en accusant l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine, l’Indonésie et la Laponie d’être les fauteurs de trouble. Appelant monsieur Lesdroitsdel’homme à la rescousse, elle a menacé ces trublions de représailles, lesdits trublions protestant qu’ils n’étaient que des boucs à misère dans cette affaire.

    Sur sa lancée, Madame la Crise prévoit de grosses giboulées sur la Normandie et un orage carabiné en Corse... »

    C’était plus que je ne pouvais supporter. J’ai éteint la radio et j’ai allumé la télé. La bouille revêche de Madame la Crise s’est affichée sur l’écran. Je me suis précipité sur elle et je l’ai empoignée pour lui donner une bonne fessée. Que ne fut mon étonnement quand, relevant son suaire, je vis marqué en gros sur son postérieur « La Crise, fille de l’Arnaque » !

    Depuis ce jour, je me sens mieux, et chaque fois que j’entends un bonimenteur sur les ondes prononcer le mot Crise, je le remplace mentalement par le mot Arnaque. Ça fait un bien fou, même si, pour l’instant, cela ne résout rien. Demain, peut-être ?

     


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    Campagne littéraire : chacun y retrouvera les siens

    Sophie Etienbled

     

     

     

    A la manière de Don Diègue

    Ô France, ô désespoir, ô Rolex ennemie !

    A quoi me sert d’avoir Ségala pour ami ?

    Et d’avoir dépensé des Français les deniers

    Si notre quinquennat est aussi le dernier ?

    Elisez-moi, voyons, et dites-moi messire,

    Elisez-moi, pauv’ cons, je peux faire bien pire !

     

     

    A la manière de Ronsard

    Ma France, allons voir si la rose

    Qui, en quatre-vingt-un éclose,

    Fêtait sa victoire au soleil,

    A point perdu, trente ans après,

    L’espoir qui l’avait empourprée

    Et l’honneur de combattre pareil ?

     

     

    A la manière de Victor Hugo

    Demain, dès l’aube, à l’heure où finit la campagne,

    J’arrête les centrales, ça ne prend pas longtemps !

    Ave le vent, la terre et l’eau dans les montagnes,

    En France nous vivrons comme au début des temps !

     

    Nous abandonnerons l’or qui fut notre tombe,

    Et, forts d’avoir détruit les mirages et les leurres,

    Nous gommerons des jours et des nuits d’hécatombe,

    Et danserons nos vies parmi les champs de fleurs.

     

     

    A la manière de Baudelaire

    Je suis dure, ô Français, comme un rêve de pierre,

    J’incarne un pays pur qui rit des compromis,

    Chasse ses ennemis et ne veut pas d’amis,

    Et de ma solitude je ne suis pas peu fière

     

    Je trône au hit-parade des partis incompris,

    De colère et mépris sont teintés mes insignes,

    De combattre avec eux d’aucuns me jugent indigne,

    Qui s’y frotte s’y pique, je fais payer le prix !

     

     


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    Alors ?

     

    Enchanté ? Déçu ? Stupéfait ? Contrarié ? Prudent ? Blasé ? Fébrile ? Révolté ? Sceptique ? Anxieux ? Méprisant ? Triste ? Circonspect ? Impassible ? Hargneux ? Confiant ? Halluciné ? Bienveillant ? Sarcastique ? Déprimé ? Heureux ?

     

    Vivement le 6 mai

    Musique !

    Cela se passe chez les voisins et ils sont ravis de partager.

     


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  • Jour -15

     

    Maman, c’est quand ?

    Annick Demouzon

     

     

     

    - Maman, c’est quand ?

    - Quoi, quand ?

    - Ben, tu sais !

    - Ah ?…

     

    Annick n’en peut plus d’attendre. C’est long à attendre, le temps qui ne passe pas. Mais un jour, ça y est :

    - C’est dimanche, a dit maman.

    - Chouette, a répondu Annick.

     

    Le dimanche, maman a d’abord bien habillé sa petite fille et l’a joliment coiffée. À son tour, maintenant ! Elle a retiré sa jupe et sa blouse de tous les jours, enfilé sa belle robe à fleurs, mis son chapeau neuf, tiré et tapoté ses frisettes pour qu’on les voit bien par dessous. Elle a pris son sac à main et tout vérifié à l’intérieur. C’est bon, il ne manque rien. Elles sont sorties toutes les deux.

    Annick suit sa maman en trottinant sur ses ballerines à brides. Son nœud dans les cheveux, là-haut, rigole et sautille d’un air moqueur. C’est amusant d’aller avec maman.

    La maman d’Annick s’appelle Suzanne. C’est son petit nom et c’est comme ça que papa, parfois, l’appelle, à la maison. Maman, son nom de famille d’avant, avant qu’elle épouse papa, c’est Renandez, c’est un nom espagnol, il paraît, le même nom de famille que celui de grand-père pépé, parce que grand-père pépé, c’est le papa de maman et que les enfants, ils ont le même nom de famille exactement que leurs parents. Maman, son nom de famille de maintenant, c’est Demouzon, comme papa. Parce que, quand elles se marient, les femmes, on leur change leur nom et qu’elles s’appellent alors comme leur mari. Annick trouve que c’est pas juste qu’on change le nom des filles quand elles se marient. Les garçons, eux, on leur change rien ! Mais c’est comme ça.

     

    Il fait soleil. En passant dans les rues, on entend les oiseaux qui chantent dans les arbres. Sur la place, on passe à travers les étals. Il y a du bruit, c’est beau aussi et ça sent bon. Le dimanche, c’est jour de marché. Les ménagères discutent dans les rues, par petits groupes, un cabas à la main, ou s’éloignent lentement, le corps plié sur le côté. Maman a fait ses courses tout à l’heure, pendant que les enfants dormaient encore, et elle a tout rangé aussitôt. Est-ce qu’elle aura acheté du poulet ? Aujourd’hui, c’est dimanche. Et jour de fête, même.

    Maman et Annick sont arrivées. Maman pousse la grande porte. Elle est lourde. Dans le couloir, les dalles immenses impressionnent la petite fille et elle marche dessus à petits pas précautionneux. Chaque fois. Elle ne sait pas trop pourquoi. En face, on grimpe le grand escalier de bois sculpté, celui qu’on emprunte les jours de carnaval pour monter au bal costumé. Qu’est-ce qu’on s’amuse, ces jours-là !

    Sur le palier, les deux battants de la porte de la salle sont déjà large ouverts. Les murs d’or et de pourpre, portent des appliques accrochées, avec de fausses bougies. Elles sont allumées. Des lustres pendent au plafond, garnis de breloques, le plancher à chevrons a été ciré de frais. Il brille fort. Il n’y a pas de musiciens, c’est dommage, mais Annick le sait bien que c’est seulement les jours de bal qu’il y a des musiciens.

    Dans la pièce, on a construit des petites cabanes en tissu. Annick aimerait aller jouer à l’intérieur, mais c’est réservé aux grandes personnes. Vivement qu’elle soit grande ! Maman a pris des bouts de papier et s’est enfermée un moment toute seule. Ce n’est pas long. Elle ressort, une enveloppe à la main, donne sa carte à un monsieur tout rond, avec une moustache, et qui transpire. Elle pose l’enveloppe sur une caisse en bois verni, très grosse, installée au milieu d’une grande table avec plein de messieurs derrière, qui regardent.

    Et là, Annick se concentre. C’est pour cet instant-là qu’elle est venue ! Déjà, elle rit dans sa tête. Le gros monsieur crie alors très fort : « Renaniez Suzanne, épouse Demouzou, a voté ! » Et il ajoute à voix normale : « Ah, bien le bonjour, Madame Demouzon, comment va la famille ? » Maman murmure quelque chose, le monsieur répond : « Bien sûr, on va vous changer ça. C’est comme si c’était fait ». Et il écrit au crayon de papier sur le grand livre ouvert devant lui : « Renandez Suzanne, épouse Demouzon ». Mais Annick, rigole, rigole. Elle le sait bien qu’il ne le fera pas. La prochaine fois, ce sera pareil. Depuis toujours, c’est comme ça. Alors pourquoi ça changerait ? Annick aime beaucoup, les élections, ça la fait se bidonner à chaque fois. Elle n’en rate pas une.

     

     

    Note de l’auteur : Annick accompagnera ainsi sa mère très longtemps. À chaque élection, pendant des années. Et chaque fois, ça la fera rire autant. Pourtant, les élections, c’est sérieux - normalement.

    Ce n’est que dix ou douze années plus tard - ou plus -, qu’un jour, d’un coup, les deux noms maternels auront retrouvé leur forme réelle sur le registre des électeurs.

     


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  • Jour -16

     

    100 choses à faire ou à défaire pendant une campagne électorale

    Mes résolutions et autres fantaisies du (dimanche) samedi 

    par Franck Garot 

     

        

    85.   puisque l’abstention est un candidat aussi populaire que d’autres, vérifier si elle a le même temps de parole

    86.   penser à toutes les couleurs du vote : blanc, bleu, brun, rose, rouge, vert, etc. et chanter Over the Rainbow (Warrior)

    87.   réviser l’Internationale et Maréchal, nous voilà, au cas où

    88.    comme à chaque élection, appeler sa mairie pour demander si le vote électronique est toujours en place

    89.   se voir répondre par l'affirmative

    90.   jubiler en lançant son éternel : eh bien, j'irai pas voter !

    91.   se sentir rassuré car on ne sait pas qui on aurait choisi

     

     


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    Nuit d'avril

    Bastien Zukkas

     

    Il n'avait pas eu le courage de rester avec les siens. Les uns après les autres, ils s'étaient effondrés. Lui-même avait chaviré.

    Toute la nuit il avait déambulé dans la ville livrée à la confusion. Du centre à la périphérie, les bandes des quartiers s'insultaient et en venaient aux mains. Du côté de l'hôtel de ville et de la préfecture, des activistes conspuaient les forces de l'ordre et appelaient à la résistance tandis que des vétérans, engouffrés dans leurs drapeaux, entonnaient des chants militaires. Ça et là, des couples s'accusaient, des voisins se dénonçaient. En petits groupes, des adolescents éblouis s'en prenaient aux voitures, aux abris bus, aux poubelles du dimanche soir. Un peu partout des patrouilleurs bruns paradaient hochant la tête au rythme des bottes. Les bars sentaient tous la même sueur, aigre et fielleuse. Il avait bu comme jamais. L'alcool n'avait pas enrayé l'effroi. Au contraire, de vieux démons avaient ressurgi. Il lui avait fallu des années pour apprivoiser son agressivité et se détourner de la violence et voilà qu'il se sentait submergé par un ressentiment impossible à canaliser, prêt à prendre les armes, à monter au front sans avoir recours aux mots. Son estomac recommençait à le torturer et du sang lui remontait dans la gorge. D'ici quelques jours ses joues se creuseraient, ses côtes deviendraient saillantes et ses mains ne se réchaufferaient plus qu'au contact de l'automatique.

    La veille avait été une magnifique journée de printemps, peut-être un peu trop chaude. Le soir, devant des millions de gens impatients, le 20h avait ouvert sur un œil noir et la mine hargneuse d'une poignée de rescapés de l'époque reptilienne.

     


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    Songe d’une nuit de mai

    Patrick Ledent

     

     

    Il se coucha vers trois heures du matin, encore un peu gris. Il avait fêté ça une bonne partie de la nuit avec ses militants. Il le pouvait bien, après un tel bouleversement. Parce que tout de même ! Ce qui venait de se produire n’était ni plus ni moins qu’une révolution. Il l’avait senti venir, au cours de ses meetings : cette ferveur, réelle, pas entretenue, cet espoir, libérateur, qui montaient jusqu’à lui, tandis qu’il s’enflammait. Personne ne l’égalait sur ce point. Les journalistes de tous bords étaient bien d’accord là-dessus : c’était un orateur né. Cette victoire, il ne l’avait volée à personne. Il n’avait pas triché, pas cherché à plaire. Il avait juste défendu ses idées avec conviction. Sans trop se faire tirer dans les pattes, c’est vrai, il devait bien le reconnaître. Il avait bénéficié de la suffisance de ses détracteurs : « Bah ! De toute façon, il n’est pas dangereux ».

    Sa compagne posa la tête contre sa poitrine en songeant : « Je suis la première dame de France ». Et elle rit. Parce que c’était comique. Pas seulement l’expression : la réalité de la situation. Qu’allait-elle faire ? Quitter son job ? C’était marrant qu’elle n’y ait jamais songé. Était-ce parce qu’elle n’y avait jamais cru ? Peut-être... Et alors ? Elle n’en était pas moins contente pour lui. Plus que ça, heureuse !  Heureuse et abasourdie. Qu’on ait fait confiance à son mari, ça ne la surprenait pas : il avait du charisme, savait convaincre, susciter l’espoir et  balayer les idées reçues; mais qu’on ait fait confiance à son programme, là, c’était beaucoup plus surprenant : elle ne pensait pas que l’heure était à la radicalité. Pas encore.

    Elle l’observa, tandis qu’il cherchait le sommeil en regardant le plafond. Faudrait qu’elle corrige son image.  Ça n’allait pas, cette mâchoire, crispée, même au lit. Faudrait qu’il soigne ses dents aussi, qu’il les rabote, les aligne et les blanchisse, histoire de ne pas toujours donner l’impression de vouloir mordre ou de craindre d’être mordu. Il ouvrait trop grand les yeux encore, semblait vouloir vous les envoyer à la figure, ça faisait un peu peur. Faudrait surveiller ça. Mais il savait rire, tout son visage s’éclairait quand il riait. Il donnait l’impression d’être capable d’oublier tout, de sortir de lui-même. Il riait à la fois sans retenue et fermement : une arme de séduction massive. Elle glissa une main sur sa poitrine. Il s’en empara, l’embrassa et la lui rendit :

     – Ça me gêne. Je n’ai pas changé, tu sais.

    « Pas encore » songea-t-il à part lui. « Pas encore ». En se demandant s’il y arriverait. S’il ne céderait pas au mirage du pouvoir et resterait le militant qu’il avait toujours été.

    Pour commencer, il n’habiterait pas l’appartement de l’Élisée : il ne fallait pas tenter le diable. Ce décor, ce luxe, ça ne pouvait que monter à la tête. Il n’y avait pas de contre-exemples. Rester chez soi, c’était une nécessité. Mais était-ce faisable ? Compatible avec sa nouvelle fonction et les mesures de sécurité qu’on allait forcément lui imposer ? Comment allait-il faire pour garder la tête froide dans une limousine blindée, escortée par une cohorte de motards ? Dans des jets affrétés rien que pour lui ? Pouvait-il exiger de prendre le train, chaque fois que ça serait possible ? C’était drôle de se poser toutes ces questions maintenant. Avant, il n’y avait jamais pensé. Simplement parce qu’en campagne, il s’était bien interdit de songer à tout ce barnum, de peur de se décourager et de jeter l’éponge. Et merde ! Voilà qu’il prenait peur à rebours. Dans son lit ! Pas à son bureau, dans son lit ! Pas peur de ses responsabilités ou de diriger, non, sur ce coup-là, il se faisait confiance, il avait une solide expérience ; mais peur de changer et de se réveiller demain dans la peau d’un autre, d’un président.

    – Tu ne dors pas ?

    – Tu crois qu’on va y arriver ?

    – Arriver à quoi ?

    – À rester ce que nous sommes.

    – Qui pourrions-nous être d’autre ? Ça n’a pas de sens, ce que tu racontes.

    Elle était une leçon pour lui : pétrie de certitudes, mais sans orgueil ni arrogance.  Saine. Il aurait voulu être comme elle, dans la peau d’une femme, parce qu’il lui semblait que c’était plus facile, pour une femme, de garder les pieds sur terre.

    Dormirait-il ? Probablement pas. Il croyait pourtant être préparé, mais rien à faire, on ne peut jamais l’être vraiment. Les félicitations étaient venues du monde entier. Elles paraissaient sincères, mais il n’était pas dupe. Les attaques insensées, haineuses, dont il avait fait l’objet entre les deux tours n’étaient qu’occultées. On les lui resservirait au premier faux pas. Même sa voisine allemande qui, d’outre-Rhin, avait été jusqu’à mener la campagne de son ennemi, y allait maintenant de ses encouragements. Une manœuvre, bien entendu. Mais une revanche pour lui, quand même. Parce qu’ils mettraient des gants désormais, tous. Parce que l’utopiste qui gagne devient un visionnaire, par la seule magie du pouvoir.

    À cette évocation, il ne put s’empêcher de sourire et même de gonfler la poitrine. Faudrait qu’il se méfie de ça ! Hormis ses idées, il n’était pas si différent des autres. Il était une bête politique, comme les autres. La frontière entre l’agressivité et l’arrogance était souvent bien ténue.

    Par contre, il ne transigerait pas, lui. Il avait annoncé la couleur et s’y tiendrait. Il amorcerait le retour de la gauche en Europe. Le retour des vraies valeurs. Rappellerait les fondamentaux : privilégier le travail contre le capital, l’enseignement contre l’ignorance, l’unité contre l’éclatement, l’espoir contre le découragement, la modération contre la fuite en avant. L’outil au service de l’homme et non l’homme au service de l’outil. Il s’en tiendrait à ces grands principes. Des principes bien moins politiques que de bon sens, d’ailleurs. Qui fleuraient bon le temps de son enfance et l’ivresse des années 60. Des principes qu’il se répèterait, encore et encore, à chaque fois qu’il devrait prendre une décision.  

    – Tu ne dors toujours pas ?

    – Je ne peux pas, trop excité. Je songe à l’Europe. Tu crois qu’elle me suivra ? Je ne peux pas réussir seul.

    – Elle suivra. La « tache d’huile », tu l’as dit, c’est dans ton programme.

    Il l’admira, une fois de plus : si tranquille ! Si confiante !

    – D’ailleurs, qu’est-ce qui t’inquiète, reprit-elle ?  Il suffit de tenir tes promesses. En as-tu fait que tu ne pourras pas tenir ?

    – Certainement pas, mais peut-être ai-je sous-évalué la résistance de mes homologues.

    – La résistance, quelle résistance ? La résistance, c’est le propre de la gauche, mon chéri. La droite, elle, ne résiste pas, elle attaque et s’oppose, forte de ses principes.

    – Moi aussi.

    – C’est vrai pour toi, parce que tu es le leader, parce que c’est dans ta nature. Mais tes partisans n’ont pas besoin de ça. Fais-leur confiance ! Tu auras le temps de t’installer.

    – Les fameux cent jours ?

    – Ça sera cinq ans, pour toi. Dix, si tu sais y faire !

    – Et les socialistes ? Ils ne chercheront pas à se venger ?

    – De qui ? C’est de ta faute s’ils n’ont pas voulu se prononcer entre le deux tours ?

    – Non, bien sûr, même que je n’en suis pas revenu. Je pensais vraiment que…

    – T’es convaincu de ça ? Vraiment ? Je ne suis pas d’accord. Aurais-tu fait sécession, si tu en doutais ?

    – Tu as raison, encore, décidément...

    – Tu as cinq ans. Cinq ans pour changer ce pays. Et rien à te reprocher. Ce n’est pas toi qui les as giflés, les socialistes, c’est le peuple ! Pourquoi voudrais-tu qu’ils t’en veuillent ? Ils vont retenir la leçon et te courtiser, évidemment. Quoi d’autre ?

    – Tout de même, tu te rends compte ?   

    – De quoi ? Que dans cinq ans, le travailleur aura retrouvé le sourire, la confiance et l’espoir ? Qu’il en aura fini de la culpabilisation, des querelles intestines, des jalousies, de la peur  et du repli sur soi ? Pourquoi en douterais-je ? C’est déjà fait ! N’as-tu pas gagné ? Et maintenant, ça suffit, tu dors. Y a du boulot pour demain. Un pays à reconstruire, une confiance à restaurer, une légitimité à réinstaller. Que du bonheur !

    – Tu sais quoi, chérie ?

    – Tu tiens à le dire ?

    – Oui : tu me fais du bien.

    – Tant mieux. Mais va falloir que tu dessoûles, parce que ça te rend mou. Et ce n’est pas vraiment ce qu’ils attendent, d’accord ?

     


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