• Père 100

     

    Le Père Cent 

    par Claude Bachelier

     

     

    Ce jour-là, Raymond avait acheté une bouteille de champagne et il avait invité quelques copains dans sa chambre, laquelle chambre lui piquait la moitié de sa paie d’ouvrier à temps partiel et à contrat précaire.

    Le champagne, c’était un peu plus cher que le mousseux, mais bon, ce n’était pas tous les jours que l’on fêtait le « Père Cent », c’est-à-dire les cent jours qui restaient avant le changement de boss. Ils avaient trinqué dans des gobelets en plastique et chanté un vieil air qu’ils avaient appris à l’armée : « la quille viendra, les bleus rest’ront pour laver les gamelles …

    Ils y croyaient tous au départ du boss, mais ne se faisaient pas trop d’illusions. Comme disait la grand-mère de Raymond : « il ne faut jamais compter les œufs dans le cul de la poule ! ». Parce que les votants – et ils en faisaient partie – râlaient, allaient même jusqu’à protester, mais il leur arrivait trop souvent d’avoir peur de l’avenir.

    Raymond, lui, n’avait pas eu peur de l’avenir quand, il y a quelques années, il avait décidé de choisir ce type. Il lui paraissait jeune, dynamique, ambitieux, généreux, des qualités essentielles aux yeux de Raymond pour occuper ce poste. Mais cette jeunesse ne s’est révélée que conservatrice ; le dynamisme, un autoritarisme sournois ; l’ambition, une soumission aux financiers. Quant à la générosité, elle ne s’est révélée qu’égoïsme.

     

    C’est vrai qu’il y avait cru à ce type. Pourtant, la déception est venue aussitôt : le soir où il est devenu le boss, plutôt que de venir vider un canon à la cantine de l’usine, il est allé faire un gueuleton avec ses potes, boss comme lui. Il avait promis qu’avant d’occuper son bureau, il allait réfléchir à de nouvelles stratégies pour que la boite tourne mieux. Drôle façon de réfléchir: faire la nouba sur un yacht avec sa bourgeoise et des copains !

     

    Ça, c’était le début. Et ce qui aurait pu passer pour des erreurs de jeunesse se révéla un hors d’œuvre à côté des plats de résistance qui ont suivi : il a commencé à couper dans le budget de la formation continue et viré la moitié des formateurs au prétexte qu’il ne servait à rien de savoir lire autre chose que les notes de service et les notices d’utilisation des machines. A l’infirmerie, là aussi, il a viré la moitié des soignants au prétexte que les conditions de travail étaient idéales et que personne ne pouvait être malade. Sans compter qu’il a vendu la moitié de l’infirmerie à des margoulins qui vendaient très chers des médicaments bidons à l’infirmerie.

    Il a décidé qu’il fallait bosser plus pour avoir une meilleure paie. Sauf que les quelques sous gagnés en plus ont servi à payer les augmentations des loyers, du pain ou du gaz, et même celles des médicaments, bien qu’il y avait une assurance pour ça. Assurance qui augmentait elle aussi.

    Ses sbires, eux, traitaient les malades de fainéants qui ruinaient le système. Parce que tout ce beau monde n’avait qu’une formule à la bouche : « ça coûte trop cher ». La formation, ça coûte trop cher ; les soins, ça coûte trop cher ; les congés, ça coûte trop cher. Même les paies, ça coûte trop cher. Il n’y a qu’un truc qui n’est pas trop cher, c’est la façon dont ils vivent. Là, rien n’est trop cher.

    Et puis, il y a aussi les financiers. Le boss, il dit qu’il ne les aime pas et qu’il s’en méfie. Mais, il suffit qu’ils fassent les gros yeux et hop, il se met au garde à vous. A croire qu’il en a peur. Alors, conséquences immédiates : moins de paie, moins de formation, moins de soins et le pain est plus cher, les loyers et le gaz aussi.

     

    «La quille viendra, les bleus rest’ront pour laver les gamelles… » Ce jour-là, Raymond et ses copains avaient levé le coude en l’honneur du « Père Cent ». Cent jours, c’est long et c’est court à la fois. Napoléon en savait quelque chose.

     


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    Comment le turpide roi de la Franche Barbotine

    en vint à assaillir furieusement les pauvres gens de la triste Belande

     

     

    Dans l'époque de désarroi où le peuple vivait, les écumeurs de marmites faisaient grand profit de la pénurie de gardes pour banqueter et braquemarder en toute impunité. La paille et le foin manquaient partout, plus personne ne semait l'avoine et on rabattait les tables plus souvent qu'on les dressait.

    Tout soudain arriva avec grande force l'idée de choisir un redresseur de foi et de sûreté selon le bon vouloir et franc arbitre de chacun. Ce à quoi consentirent à part égale les faiseurs de pain noir, de pâté confit et d'eau bénite.

    Nombreux étaient les escogriffes au fervent appétit prêts à fanfarer haut et fort leur faculté à revêtir les apparats de grand dompteur des âmes et consciences et à dispenser comme il convenait les papillettes d'or. Mais, n'en déplaise aux gens de bien, ce fut le plus petit, un grimacier venu des basses terres, né au forceps et grand amateur de purée, un tirelupin infortuné en femmes, ridicule en son maintien et guabelant comme un embouchoir qui ravit le titre au nez et la barbe des notaires et prêcheurs réputés mieux avisés en toutes affaires.   

    Or donc, sitôt établi en son chastelet, il s'en trouva fort mal servi. Il ordonna qu'on agrandisse le domaine, qu'on le pourvoie largement en pages et écuyers, qu'une brimbelette très douce à la main soit portée en son lit et que chaque jour soit célébrée son entrée en lumière. Las, le peuple était en grande rêverie, humant par avance les soupes grasses promises et ne trouvait point d'intérêt pour les escoublettes et les dévotions.  

    Le petit homme s'en trouva très courroucé et cria à la forfaiture au point de s'emporter furieusement jusqu'à la moelle des os. On envoya sonner le tabourin à l'entour de midi et sitôt fait près de mille caresses et mille embrassements lui furent livrés en repentir. Ce fait étant, il ordonna qu'on fasse de grandes processions partout où il se transporterait et que chacun y soit présent fidèle à son devoir, sans convoitise ni avarice sous peine d'endurer mille frayeurs. Mais par une méchante diablerie, le peuple ne se trouva point trop enclin à boteler le foin et à battre les gerbes sans que grâce lui soit rendue. Pour mieux le dire encore, il s'en trouvait fort incommodé et point sûr de consentir à ce qu'on le gourmande toujours plus, ni par devant ni par derrière.

    Ainsi qu'on lui rapporta le mécontentement, il advisa chaque jour des lois grandes et belles à merveilles, afin que chacun sache qu'il ne souffrait aucune contrariété. Les colères du sire étaient tristement célèbres. Il avait, dit-on, le cœur bien trop prêt du fondement et son esprit ne passait qu'avec peine par les canaux cérébraux. Ainsi, sous son crâne blanc et plein d'écailles, les mots allaient de nerf à nerf dans un grand gargouillement. Un quarteron de ministres dressés aux cailletaux et parfumés à la tirelitantaine s'appliquaient à lui stimuler la glotte et les cordelettes à l'aide de pommades fructifiantes et d'onguents pétris dans les meilleurs laits de mamelles. On en faisait venir de tout le royaume d'ici-bas et on dépêchait des émissaires dans les déserts d'Allouettes où étaient pressurées de divines potions pour le plaisir de la gorge. Malgré toutes ces dispositions, les mots sortaient dans une pesanteur anormale, contrefaits et de très mauvaise humeur. Pour le remettre en meilleure voix, on lui gargarisait le gosier jusqu'à ce que de belles phrases se présentent en bonne ordonnance à l'orée des lèvres.  

    Seulement, une bonne fille loyale trouvait toujours à lui chatouiller la luette tant et si bien qu'à la fin lorsqu'il s'apprêtait à dire une chose, c'était toujours une autre qui arrivait. Il s'en suivait moultes escarmouches pour décider comment accommoder autant de contraires. Ainsi, celui qui était entré en affection le matin repartait à la nuit déconfit et sans profit. Tel autre, bien loti en ministère, s'en retrouvait dépouillé et précipité dans la misère. Tel autre encore, virtuose de la gambade et s'agenouillant pour recevoir les grâces, finissait par aller frotter son lard contre un simple petit pot de chambrée. Les bons ergoteurs n'ignoraient pas que mignoter les pantoufles de sa seigneurie permettait d'amollir les reproches et de picoter moultes brioches jusqu'à s'en déboutonner le ventre.

    Le bon peuple en perdait tout entendement et, plutôt que de s'esbaudir de tant de sornettes et se réjouir dans les tavernes, il s'en allait sonner les cloches et commettre de grandes processions par toutes les rues avec force fanfreluches et doléances pour qu'adviennent enfin, par l'âme et par le corps, de belles choses merveilleuses et profitables. 

    C'est alors que le petit homme usa de son droit de guerre. Il fit acte de foi et proclama être le seul boutefeu capable d'escornifler la vache, de fricasser la rustrerie, de faucher la bourse des usuriers, de pourfendre  les avaleurs de frimars, d'écorcher tout vif les tripotées de sans-culottes et de leur faire à tous baiser ses pieds. 

    Ce après quoi le Seigneur fut bien joyeux et tira douze belles sonnettes de Sacre pour donner à l'entreprise son bon vouloir et sa bénédiction. Ces bons vœux entendus, le petit homme affuta son artillerie puis remonta d'un coup sa belle braguette, rentra sa bedondaine, enfila sa gabeline fourrée à la queue de renard, héla un porteur de rogatons et s'en fut livrer bataille cent jours durant.

     

     


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    Demain, l'atmosphère sera différente. 

    L'idée est de publier chaque jour au café un texte sur les événements réels ou imaginaires qui se dérouleront du 28 janvier 2012 au 6 mai 2012.

    La série s'appellera "Les 100 derniers jours".

    Les dates ne sont pas choisies au hasard, elles correspondent aux 100 derniers jours avant l'élection présidentielle. Il ne s'agit là que d'un prétexte à laisser courir son imagination, à se promener dans la fiction et à produire des récits aux appartenances multiples.

    Des auteurs multi cartes se sont mis à table avec cette envie d'y aller le coeur en émoi et la conscience en alerte, d'apporter de la matière à réflexion et de la substance drolatique, de surprendre les soubresauts de la société et d'entrevoir un nouvel horizon, d'entendre la rumeur citoyenne et de produire une musique qui ne s'oublie pas instantanément, bref de respirer autrement l'air de la campagne.

    Ils vous convient à les suivre dans cette entreprise et, comme il vous plaira, de la commenter, l'illustrer, la contester ou d'y prendre part.

    Après, on verra.

     


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