•  

    Ainsi donc Stéphane Laurent * (se) pose une nouvelle fois la question de l’écriture. Question insoluble affirme-t-il dans son titre. Insoluble parce qu’insensée ? chimérique ? impensable ? ou parce qu’elle viendrait exposer quelque chose de l’intériorité, quelque chose qui dirait la panique de la vie ? L’écriture est ce qui nous transporte du plus intime au plus étranger de soi, quelque chose qui met en mouvement la mémoire et l’imaginaire, quelque chose qui insuffle de la joie comme de l’effroi, qui avive la réflexion et fait surgir l’inattendu, quelque chose qui en appelle à l’altérité et qui donne à désirer.

    Mais un écrivain peut-il être pris dans la seule question de l’écriture ? Il semblerait que l’on oublie bien souvent d’ouvrir les yeux et de lâcher la plume pour se poser la question de la lecture et de la rencontre avec le lecteur. Car à moins de ne considérer l’écriture que du côté de l’exercice purement intellectuel, circonscrite au seul champ neuronal ou de ne l’entendre que dans une position narcissique inébranlable, ce qui s’écrit se doit d’être adresser. C’est dans ce temps de l’adresse que l’écrivain devient auteur, qu’il participe à l’aventure de la création et qu’il peut converser avec l’autre, l’étranger, si présent dans ses pensées.

    En écrivant, l’auteur est poussé par le désir d’une connaissance de cet autre, réel ou fantasmé, interrogeant par là sa propre incomplétude. Le lecteur vient témoigner de la recevabilité de ces histoires singulières qui le traversent, de ce qu’il en est pour lui du bruit et de la fureur de ces vies proches, dispersées, transfigurées, du silence étourdissant qui adviendra au moment de la disparition. Il nous rappelle, au-delà de la permanence des choses, l’exigence de mémoire et la nécessité d’apprendre, d’entreprendre et de rêver. Les traces laissées par les uns et les autres nous y incitent, fort heureusement. Je serais tenté de dire que le lecteur est le garant d’une perpétuation de notre intelligence, de notre sensibilité, de notre volonté de vivre. Si rien n’est inoubliable tout est susceptible d’être transmis et réinventé. Alors oui, il est bon de laisser traîner des mots, ce sont ceux que nous avons attrapés ça et là qui nous ont encouragés à prendre notre envol.

     

    * voir l’article publié sur son blog mercredi 6 décembre 2006 (lien ci-contre)

     


    4 commentaires
  •  

    André Gorz écrit depuis presque toujours. Longtemps, il s’est adressé aux hommes avec l’idée qu’il lui fallait être au cœur des débats, sur l’existentialisme, dans la critique du capitalisme comme dans l’écologie politique. Longtemps, il a cru que ce qu’il disait en public, que ce qu’il soutenait au fil de ses écrits suffisait à marquer son engagement en toutes choses et à rendre ainsi la vie vivable. Longtemps, il a appréhendé les rapports d’amour et de couple du côté de l’aliénation, je ne m’aimais pas de t’aimer, ruminait-il pendant que Dorine la compagne aimante de tous les jours patientait dans l’antichambre, come to bed disait-elle au milieu de la nuit, d’ont be coming, come ! Longtemps, il s’est demandé par quel bout prendre l’existence, comment entrer en résonance sans être présent, comment brandir un étendard sans battre en retraite, comment à la fois être et manquer à l’autre, comment être dans le manque de l’autre, comment s’arranger de la division et de l’altérité. Longtemps, il est resté sur la marge, captif de la seule idée de l’amour, assujetti au principe d’un possible bonheur universel. Longtemps, il a été tenaillé par l’angoisse d’une séparation et longtemps il a souffert de la dispersion de ses sentiments. Longtemps, la question du don et de la perte ont taraudé l’homme de raison, l’homme accaparé par l’intellect, cet intellect qui tue elle. Et puis le temps est venu où l’exigence de l’amour, celle qui se révèle dans l’intimité et s’amarre sous les frissons, est devenue décisive, incontournable. Et André Gorz d’écrire, alors qu’approche la fin, une fabuleuse histoire d’amour. Et être enfin l’être à D.

    Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien.

     

    Lettre à D. Histoire d’un amour d’André Gorz aux Editions Galilée, 75 pages, 13,40€


    6 commentaires
  • Une chronique à la petite semaine de quelques petites fabriques de littérature.

    A découvrir :

    Sur Mot Compte Double

    Des exercices de style

    Des rappels à l’ordre grammatical

    Des bouquets de narcisses

    Des civilités entre cordons bleus et maîtres queux

    Chez Stéphane Laurent

    Les bonnes nouvelles transitent par la poste

    Les foires aux livres et les livres foireux

    Un voyage au pays des Belles Lettres avec Georges Flipo

    Sur Cuneipage

    Une sélection de fulgurances nouvellistiques

    Chez Emmanuelle Urien

    L’annonce faite à Gallimard

    Sur Nouvelle au Pluriel

    Pour solde de tout compte : le meilleur sort

    Sur Pol’Art Noir

    Pour Noël, offrez-vous un auteur !

    Chez Geneviève Steinling

    Une Nouvelle façon de voyager

    Sur Bonnes Nouvelles

    Forum autour de la création littéraire à l’heure du numérique, organisé par la Société des Gens de Lettres, Paris, 5 décembre 2006.

    La dépêche expéditive de chez Reuters

    Un retraité turc de 73 ans, aveugle, a été condamné par la justice de son pays à suivre un cours d'écriture et de lecture de près d'un mois pour ne pas avoir voté à temps lors d'une élection à la coopérative de son village.


    11 commentaires
  •  

     

    Brève noire avec Chaussettes à la mode

    épisode 2/2

     

    œ

     

    Sitôt signé le contrat avec PPP, on a fêté ça au Rhum Agricole, moi et Stella. J’ai pris ensuite un bain de pieds brûlant puis j’ai commencé mon enquête. Sur le Net, j’ai rapidement appris que PPP était une holding internationale de la chaussette depuis ses filatures au Maroc et en Colombie jusqu’à ses boutiques de Haute Couture à Paris, Tokyo, New-York. Ma première prestation publique une semaine plus tard à Pithiviers, en short et chaussettes, a été triomphale. C’était cet après-midi... Monsieur Chou aurait été fier de moi s’il avait pu me voir. Le public venu m’applaudir était pour l’essentiel le bataillon de ces dames qui donnent toute leur classe aux présentations des grands couturiers : meufs d’émirs, executive women, chroniqueuses, travelos et vedettes de la téléréalité. Mais pourquoi toutes ces femmes venaient elles admirer des chaussettes d’homme à la dernière mode ? Mystère et topinambour. Peut-être pour qu’un jour leurs mecs les mettent ? Avant d’enfiler la dernière paire à présenter, j’ai lu l’étiquette. Ni nylon ni lin ni laine. Chanvre pur jus !…Bon sang mais c’est bien sûr, en latin chanvre se dit cannabis…et si on choisit des variétés de chanvre riches en cannabinol les chaussettes seront tricotées en fil à rouler des joints. Stupéfiant ! D’où l’importance des filatures dans l’organigramme de Pif Paf Pouf. J’ai emporté une socquette à l’hôtel. Une rose, à cause de la couleur des éléphants. Je l’ai roulée et je viens de la fumer étendu sur mon lit. Une fibre de première qualité. Nom d’un pétard, voila pourquoi, après le défilé, le public choisissait ses chaussettes favorites, payait cash et les emportait. Par kilogrammes. J’avais même vu une grande maigre repartir avec une grosse. Douze douzaines ! J’en étais là de mes réflexions à sept heures du soir quand la porte de ma chambre d’hôtel s’ouvrit et monsieur Chou entra. Il titubait, le visage légèrement crispé, avec un couteau planté dans l’estomac. Qui l’avait poignardé ? Encore un exploit de Gheorgiu Cesarowski le chef des services secrets moldo-valaques ?? Mystère et brocoli ! Chou avait entre les dents le string en or de la Merteuil. Pourquoi ? Et une lettre. Il s’effondra en disant: " Bravo Nestor, vous avez trouvé le joint… " avant d’expirer dans un hoquet sanglant. Sa lettre disait: " Sur ce string figure le numéro du compte ouvert par mon ami le président Fulbert-Felix dans une banque suisse. Quand ce bijou a été volé, Fulbert m’a confié l’enquête. J’ai découvert que l’objet dérobé, troqué contre un bon paquet de chaussettes en cannabis, faisait désormais partie de la lingerie érotique de la directrice de " PPP-Haute Couture ". Femme que j’ai du séduire pour récupérer le string. Maintenant, à vous de jouer, ma vie ne vaut plus un clou. Votre Chou ". Il ne croyait pas si bien dire…

    L’œil humide, j’ai dévissé mon feutre mou pour une minute de silence. Hommage mérité. Camouflé dans ses fantasmes de pédicure, Chou avait été un grand du métier.

    Mes affaires se présentaient au mieux : je pouvais réclamer à ma cliente les honoraires et les frais de mon enquête sur PPP, en particulier sur les filatures de la holding. Plus une jolie prime pour le string en or... Patience. J’aurai bientôt les moyens de faire des avances à ma secrétaire, la blonde Stella.

    J’ai appelé la réception pour qu’ils me débarrassent du cadavre et j’ai commandé au bar un double Rhum Bacardi. J’avais bien mérité le haut de gamme.

    Jean-Claude Touray


    2 commentaires
  •  

    Habitué des concours de nouvelles, des forums, sites et autres blocs-notes littéraires, Jean-Claude Touray se distingue par sa capacité à chatouiller les redresseurs de torts et à houspiller les tribuns retors. Il se faufile partout où la réalité, considérée sous l’angle de la fiction, reste confinée du côté obscur. Pour une poignée d’e-lecteurs, il a cette triste habitude de combiner les associations d’idées plutôt que d’accumuler les lieux communs. Il aime ainsi colporter sa bonne humeur et distiller son humour grinçant là où d’autres iraient simplement montrer patte blanche et faire œuvre de respectabilité.

    Sa nouvelle Brève noire avec Chaussettes à la mode, finaliste au dernier concours Calipso n’est en ce sens qu’une élémentaire aventure de privé où tout est joué d’avance, un peu comme si dans ce monde, communément appelé policier, on ne pouvait échapper à la prédestination ; seulement Jean-Claude Touray se joue de tous les avatars du genre pour n’en retenir que les cabrioles et les pirouettes et, tout bien pesé, offrir au lecteur quelques brefs instants de douce noirceur.

     

    épisode 1/2

     

    œ

     

    Je faisais le pied de grue sur le trottoir en attendant le client rue Peton, mon meilleur feutre mou vissé sur le sommet du crâne. J’avais dans ma poche revolver, qui n’en contenait jamais, une lettre peu aimable de mon propriétaire me réclamant trois mois d’arriérés de loyer. Et plus un radis en banque. Il était temps que les affaires reprennent sérieusement pour l’agence Nestor Martin, détective privé, si je voulais faire une avance à ma secrétaire, la blonde Stella.

    Piétinant devant la " Brasserie-bar du Panaris" dont je venais de sortir, je frissonnais sous mon imper d’exhibitionniste à la Colombo. J’attendais le client qui n’était autre que mon pédicure, monsieur Chou Tsé Toung. Un chinois prenant son pied à s’occuper des arpions des autres.

    J’avais du temps devant moi s’il avait besoin de mes services: ma seule affaire en cours était une enquête sur la disparition d’un string en mailles d’or dix-huit carats. Il avait été offert en cadeau d’anniversaire par Fulbert-Félix président du Gombo, petit état d’Afrique Noire, à Mélanie Merteuil, la romancière à succès. Le commissaire Maigrelet, de la Mondaine, y perdait son zoulou dialectal mais moi, le privé, j’avais ma petite idée…

    J’avais reçu une invitation de ce Chou mandchou " pour affaire urgente ". Quelle affaire? Mystère et rutabaga. Je l’ai attendu, d’abord à l’intérieur du bar " Le Panaris " en sirotant un Rhum Agricole puis j’ai poireauté dehors.

    Au bout d’une demi-heure je pensais que Chou ne viendrait plus lorsque j’ai été accosté par une brune entre deux âges. Elle m’a dit :  " C’est bien le pédicure aux doigts de fée que vous attendez ? Il est empêché et m’a confié pour vous un message ". " Empêché ? Mais pourquoi ? " L’accorte brunette me tendit sans répondre un papier sur lequel était griffonné: " Cher Nestor vous avez les plus beaux pieds du monde et je vous ai recommandé comme foot-model pour présenter la collection de printemps des chaussettes Pif Paf Pouf, sous la prestigieuse griffe PPP. Impossible de vous en parler de vive voix. Votre Chou ". En post-scriptum il y avait le numéro d’un portable. Celui de la directrice des boutiques de Haute Couture de PPP. Elle m’a proposé un rendez vous pour un casting où j’ai triomphé devant le pied d’un pompier, une belle pointure pourtant.

    Et j’ai signé avec PPP pour une tournée internationale en 25 étapes débutant à Pithiviers. J’allais devenir porte-drapeau de la socquette comme de la chaussette à mi mollet, alias mimolette, dans les défilés de Haute Couture. Intermittent de la mode? Pourquoi pas ! Mais je devais, affaire de déontologie, simultanément ouvrir un dossier d’enquête. Vu la défaillance de Chou je ne voyais que moi comme client…l’argent venant des chaussettes serait en partie versé à l’agence…

     Jean-Claude Touray


    1 commentaire