• Une écriture de l'intime

    Préface de Nassuf Djailani

    pour la Novella de Julie Legrand "La Fleur que tu m'avais jetée"

    Une écriture de l'intime

     

     

    Une écriture de l’intime

    Ce qui frappe dans les textes de Julie Legrand, que ce soit dans Tangor amer ou même dans Les Ravissants, c’est cette capacité à faire toucher du doigt la complexité des êtres.
    Elle est une portraitiste de talent qui, à l’évidence dans ce texte qu’elle nous donne à lire, réussit à nous faire aimer son personnage, Alma Novi.
    Elle nous prend par la main et nous fait voyager dans la vie chaotique de cette artiste. On ressent la sensibilité d’un témoin-écrivain public qui écoute et sait écouter.
    Elles ont dû beaucoup se parler, ces deux femmes-là, avant que l’écrivaine ne fasse vagabonder son imaginaire. A-t-elle été au Bénin ? A-t-elle vogué sur le lit de ce fleuve sur lequel elle nous embarque ? En tous cas, on y est. On ressent les piqûres de moustiques, on entend les ressacs. On sent les parfums du pays, on entend les bruits, les chants.
    La fleur que tu m’avais jetée est un portrait romancé d’une jeune femme saignée par la vie.
    On le ressent, on l’éprouve sous la plume de la nouvelliste. Elle échappe à l’écueil d’un texte linéaire que l’on retrouve souvent dans les biographies d’artistes. Ce texte est une vraie œuvre de fiction, qui rend compte d’une trajectoire dense et complexe. C’est un texte d’une femme qui parle d’une autre femme. Á commencer par la mère d’Alma, blessée par la vie car quittée et mal-aimée par un mari absent. On apprend d’ailleurs qu’elle cherchera à le supprimer dans une scène cocasse. On peut citer la scène bouleversante de sa rencontre avec sa grand-mère à Ganvié, village natal du père, fantôme qu’elle guettera toute sa vie.
    C’est peut-être cela d’ailleurs en creux, le sujet de ce roman : la recherche du père, non pas pour le père, mais pour retrouver cette tendresse qu’elle recherchera en vain.
    Les hommes sont un peu des « salopards » dans les histoires de Julie Legrand. Surtout dans celle-ci. Ils sont soit gauches, soit violents, mal aimants, complexes, menteurs, ingrats comme ce musicien qui finira dans le lit de la voisine.
    La fleur que tu m’avais jetée est un beau texte sur les relations humaines. Pas seulement un roman d’amour mais un récit lucide sur la complexité des relations hommes-femmes, sur les meurtrissures, les mensonges, les grandeurs, les petitesses.
    Mais Alma n’est pas femme à se laisser faire. Les femmes, ou du moins, les personnages féminins, encaissent, se battent, trébuchent mais se relèvent. On a même envie de dire, qu’elles se relèvent toujours dans les textes de Julie Legrand.
    Est-ce à dire d’elle qu’elle est une écrivaine féministe ? Il n’y a qu’un pas. Pour sûr, elle est une écrivaine de l’intime, car elle semble concevoir l’écriture comme le lieu du sensible. Elle fouille dans les secrets les plus enfouis de ses personnages pour dire la vérité de ces êtres de papier.
    Des personnages qui ressemblent à s’y méprendre à des êtres bien vivants.
    La thématique de l’esclavage est en filigrane de ce texte. L’intrigue, sans trop la dévoiler, se passe au Bénin. Le personnage d’Alma, à un moins donné, se télescope avec une forme d’esclavage moderne. Qui est-elle, au fond ? Et ce corps magnifique n’est-il pas devenu l’objet du désir mais surtout d’une exploitation par tous ces hommes qui la côtoient, la frôlent, la consomment ?
    Il y a une subtilité dans ce texte de Julie Legrand qui ne donne pas de réponses définitives. La nouvelliste laisse au lecteur cet espace pour se faire une idée, trouver des débuts de réponses.
    Et c’est au fond la force de ce texte : donner à réfléchir sur la condition d’une femme artiste, surtout quand elle vient de cette partie du monde.

    Ce livre (7 € 40) est disponible sur www.zonaires.com

    Nassuf Djailani est écrivain et journaliste.
    Né en 1981 sur l’île de Mayotte dans l’archipel des Comores, il a publié en 2017 le roman Comorian vertigo ainsi que le recueil de poésie Hadith pour une république à naître, tous deux aux éditions Komedit. L’une de ses pièces, Les dits du bout de l’île a été jouée dans le OFF du festival d’Avignon au Théâtre de la Chapelle du Verbe Incarné, en 2016. Une ébauche de ce texte a paru dans la revue Po&sie, éditions Belin, en 2017. Il a reçu le Grand Prix de l’océan Indien pour son recueil Roucoulements (éditions Komedit), en 2006. Il est également le directeur de publication de la revue PROJECT-ILES, revue d’analyse, de réflexion et de critique sur les arts et les littératures de l’océan Indien.


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