• Rien qu'une lettre...


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    C’est une lettre que Régine Garcia nous offre pour " Le printemps de Calipso ". Une de ces lettres que nous aimerions certainement tous recevoir un jour au cours de notre vie…


                                                                                                    Vitrolles, le 25 janvier 2008


    Mon amour,

    Depuis dix-sept ans, jour après jour, nous construisons l’édifice de notre amour avec nos accès de fous rires, mais aussi nos accès de colère. Au fil des ans, il ne s’est pas émoussé : bien au contraire, il a grandi, mûri. Nous avons combattu et terrassé nos doutes, nos peurs, par un respect tacite l’un envers l’autre. Pacte silencieux, sans signatures ni fioritures. Jamais de promesses inutiles, seulement des actes qui sont nos mots, sans autres maux.

    Tu es ce père que je n’ai pas connu, tu es cette mère aimante que je n’ai pas eue, le grand frère protecteur, le mari attentionné. Tu es ce gouvernail qui guide mes pas hésitants, ce mât solide sur lequel je m’appuie lors de tempêtes démoniaques. Tu es le Tout.

    Je te livre ces quelques lignes avant qu’elle ne nous éloigne irrémédiablement l’un de l’autre. Hier soir, nous avons fait l’amour, mais nous n’étions déjà plus deux amants furieux, avides l’un de l’autre. Nous n’avons pas joui à l’unisson, mêlés par le plaisir ultime, infini. Insensiblement, tu te détaches de ce corps qui ne t’appartient plus. Pourtant tu l’as tant aimé, caressé…

    Bientôt, je ne serai plus celle que tu as désirée, que tu as aimé, que tu as transcendé entre tes bras. Nos lèvres ne se frôleront plus, notre désir de peau, de langues, de toi, de moi, n’existera plus. Aveugle et sourde, ELLE éloignera nos corps différents… Éloignera nos cris dissonants…Éloignera… nous…

    Verdict incontestable, les analyses sont formelles. ELLE, son nom barbare : maladie d’Alzheimer familiale autosomique dominante… maladie génétique dont ma mère souffrait : pertes de mémoire fréquentes, errance puis crises de démence, absence d’hygiène et de dignité. JAMAIS ! JAMAIS ! Tu m’entends. JAMAIS ! Tu ne me verras en dégénérée, enveloppe charnelle sans consistance.

    Quand tu liras cette lettre, je serais sur le pont de Roquefavour. Tu te souviens de ce pont où nous nous sommes embrassés la première fois et jurés un amour éternel ? J’accomplirais notre promesse et nos pensées emmêlées se confondront en un seul et dernier acte. N’oublie jamais les étreintes chaudes de nos nuits enflammées et l’amante passionnée ! N’oublie jamais ces moments intenses !

    Adieu,

    Je t’aimais, je t’aime et je t’aimerai toujours…

    Ta petite femme d’amour


  • Commentaires

    1
    Vendredi 28 Mars 2008 à 10:25

    Une lettre? Plus, un formidable acte d'amour. On espère que le destinataire comprendra.
    Belle page, Rayjane.

    2
    Vendredi 28 Mars 2008 à 14:15
    Oui, vraiment, plein de frissons.
    3
    Vendredi 28 Mars 2008 à 14:39
    L'amour et la mort ne se différencient qu'à quelques lettres près... qui font toute la différence.
    Beau texte qui fait frémir...
    4
    Vendredi 28 Mars 2008 à 20:54
    Je souscris pleinement à cette assertion. Sans amour, la vie n'est rien. Compagnon, enfants,  puis petit-enfant, je me réjouis de tout cet amour que je donne et qui m'est donné et qui me fait oublier les ennuis de tous ordres.

    Gibert, félicitations! Quant à moi,  je fêterai cette année 34 ans d'une union jalonnée de joies et de difficultés. Et j' espère aussi bien d'autres années.
    5
    jean-paul
    Samedi 23 Août 2014 à 18:36
    Je t'en veux, Régine : ta lettre m'a donné plein de frissons.
    6
    Régine
    Samedi 23 Août 2014 à 18:36
    @Danielle, il a compris.
    @Jean-Paul et Marie-Catherine , ce sont de beaux frissons.
    @Ernest, tu as raison, quleques lettres qui font toute la différence...
    7
    marques gilbert
    Samedi 23 Août 2014 à 18:36
    Belle missive en encore plus belle déclaration d'amour !
    La maladie est cruelle mais heureusement, certaines d'entre elles, même réputées inguérissables, permettent de survivre et de continuer à partager.
    Voilà douze ans que je suis en sursis mais au moins pourrons-nous, madame et moi, fêter en mai prochain nos quarante ans d'union.
    Donc, au-delà même de la mort maintes fois envisagée, l'amour subsiste et ce sacrifice de la vie pour éviter la déchéance, je le partage pleinement !
    8
    Régine
    Samedi 23 Août 2014 à 18:36

    Gilbert, bravo pour vos 40 ans d'union. J'espère faire aussi bien que vous. Je reste persuadée que sans l'amour, la vie ne vaut pas d'être vécue, que ce soit un amour fraternel, maternel, paternel  ou autres amitiés.

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