• Portrait tout craché...

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    Même en l'absence du barman il y a toujours de quoi déguster un petit noir sur le zinc. Et puis il y a toujours quelqu'un de sympathique pour faire un brin de causette. Aujourd'hui Claude Romashov vous présente ...

     

    ANGELIQUE

     

    Elle a les mains rouges, de grandes mains rustiques, faites pour le travail manuel. Ces mains terminent des bras ronds et forts. Elles s’activent dès l’aube, rapides, nerveuses, efficaces. Leur propriétaire est efficace. Besogne vite expédiée, grain de poussière traqué avec rage. Le chat la regarde, ébahi et craintif. Doit-il rester, tétanisé par son regard ou prendre la fuite ?

    Son frigo est toujours plein, la viande soigneusement emballée, les œufs à la bonne place et les fromages odorants, proscrits, bannis, même enfermés. Hors de chez elle, tout ce qui sent fort, tout ce qui dérange la bienséance, tout ce qui contrarie sa vie bien réglée. Elle aime trop la discipline, les idées bien rangées. D’ailleurs on se demande si elle en a des idées. Le front buté, recouvert d’une épaisse frange brune, les yeux en mouvement, toujours zébrés d’éclairs de colère, la bouche fière et serrée, qui ne s’ouvre que pour sortir des vacheries ou, au mieux des lieux communs. Je ne l’ai jamais vue calme, apaisée. C’est une adepte du mouvement, toujours à bousculer les objets et les gens. Gare à celui qui se trouve sur son passage. Il sera copieusement insulté.

    Je la suis parfois quand elle retrouve ses amies, elle n’a que des amies, les hommes la fuient. Chacun ses failles. Elle ne comprend pas pourquoi. Un jour, je lui expliquerai peut-être, et puis non ! Qu’elle se débrouille ! Elle qui a réponse à tout, qui fait toujours mieux que le reste du monde.

    Donc je la suis quand elle retrouve ses amies, au supermarché ou au square. Une assemblée de bigotes, bien pensantes, mal fagotées, le cheveu et le talon plat. Elles papotent sur la vie chère qui les étranglent, sur la voisine pas sérieuse qui aguiche tous les hommes et sur, oh bonheur ! Le dernier sermon du curé (l’amateur d’enfants de chœur !… Je tente une percée…) Je crois que je vais me faire assassiner. On me foudroie du regard, lippe en avant et elle, elle me sort qu’elle a honte de moi, que je prends un malin plaisir à la ridiculiser devant ses amies. Je sais, j’aime provoquer, surtout ces épouvantails qui en savent long comme un jour sans pain sur les aléas de la vie chère, sur la bonne conduite à adopter.

    Elle s’appelle Angélique, prénom doux et sucré pour une décervelée. Elle a une allure déliée, bon ! Des mollets trop ronds mais parfois je la trouve assez jolie (quand elle se tait). Un visage long et osseux mais surtout deux yeux inoubliables. Très mobiles, verts aux pupilles larges. Certains disent qu’ils sont beaux moi, je ne les aime pas : trop fouilleurs ! Elle a une bouche aux dents pointues et carnassières et des bras en tenaille qui blessent quand elle vous agrippe. Si j’étais caricaturiste, je la croquerais en homard. Oh le vilain teint rouge et piqueté ! Oh les yeux fureteurs et les pinces prédatrices !

    Elle a un métier qu’elle exerce aussi avec efficacité. Elle s’occupe de personnes âgées. Ménage nickel, repas servis à l’heure, toilette… Aïe, les petites vieilles, pas trop mal le gant de toilette passé par des pinces de homard ! Elle peut discuter à l’infini du temps d’avant où tout était plus facile, où les hommes n’étaient pas inconstants (ah bon !) Où toutes les voitures ne polluaient pas les poumons, là, elle a raison. Mais elle a toujours raison car c’est une personne qui ne doute jamais. Jamais d’elle-même, jamais de ceux à qui elle accorde sa confiance. Ils existent mais ils sont rares car elle estime qui la flatte, qui courbe l’échine pour la mériter.

     

    MARTINE

     

    Le silence se fait dans la pièce enfumée et les têtes se dévissent. Elle le sait, elle le sent. Elle entre majestueuse telle une actrice de péplum. Ils se précipitent l’un pour tenir son sac, l’autre avec un cintre pour son manteau. Royale car elle en a l’habitude, elle dépose le vêtement dans les bras du garçon dont le visage cramoisi disparaît derrière les poils du vison. Martine gentille, le remercie d’un sourire éclatant. Un sourire nacré de petites dents très incisives. Le malheureux garçon se liquéfie. Il est vrai que belle, brune et spectaculaire, elle ne laisse jamais indifférent. On l’aime ou on la déteste, moi j’aime l’observer en retrait.

    Martine a beaucoup d’allure, je dirais même du charisme. Le seul inconvénient, si c’en est un, c’est qu’une jolie fille a toute la population mâle à ses pieds. Ils ne l’intéressent pas vraiment, non ce qu’elle cherche c’est une proie à déguster jusqu’à la lie. C’est une prédatrice qui traque inlassablement ses victimes. En voilà une de premier choix ! Un pigeonneau, policé, très beau volatile, ramage et plumage à l’avenant. Il avance en aveugle, m’écrase les pieds, s’excuse à peine : (C’est quoi la blonde rondouillarde, ta copine !) L’imbécile, il va y passer, il a mis la patte dans l’engrenage et au mieux, il en ressortira vidé de ses illusions et le portefeuille bien sec. Un moindre mal ! Je ne sais pas comment elle se débrouille mais, elle a beau les malmener, en tirer le maximum de dévouement et d’espèces sonnantes, ils pleurent et gémissent lamentablement quand elle les jette. Car elle les jette toujours, en bonne prédatrice quand la victime est exsangue.

    Moi, j’alimente la conversation, ils veulent tout savoir d’elle. Martine est secrète, elle ne raconte pas ses fêlures, les blessures de l’enfance et je sais qu’elle en a beaucoup endurées, que son comportement est une sorte de revanche contre un destin qui n’était ni pavé d’or, ni pavé de bonnes intentions à son égard. Elle a reçu la séduction en arme absolue et je pense qu’elle a bien raison de s’en servir. Les hommes sont à la fois trop cruels et trop naïfs.

    Donc ce soir, je l’observe. La mèche ondulée au ras du beau regard noir en amande, la peau de pêche, les lèvres rouges et ourlées et surtout les gestes d’une suprême élégance, les longs doigts aux ongles vrais et démesurés qui s’accrochent subrepticement au revers de la veste du beau jeune homme, et c’est reparti… Demain, elle me racontera qu’elle est amoureuse, qu’il est merveilleux jusqu’à ce que la belle idylle se gâte rapidement. Dès qu’elle se sent prisonnière, elle s’évade Don Juane et parfois je me demande ce qu’elle cherche et si cette course éperdue après l’amour, après l’argent n’est pas l’expression d’un profond malaise.

    Lui : son caniche péteux, le chien de sa vie, compisse allègrement tous les poteaux et montre les dents quand des petits merdeux lorgnent de trop près sa jolie maman.

     

     

    La secrétaire de mairie

     

    La secrétaire de mairie a rejoint son bureau. Elle trône triomphante derrière son ordinateur. Elle est efficace, presque affable avec un sens inné du contact. Il est vrai, qu’à l’abri de ses verres correcteurs, monstrueusement épais, elle remarque tout. Très organisée, elle sait mieux que personne, remplir un planning. L’endroit où elle travaille lui convient parfaitement. Elle se pique de culture, et dans cette mairie de secteur, elle peut à loisir, prévoir des sorties, des lotos pour ses chers papys et mamies.

    Il est une chose qu’elle adore par-dessus tout : c’est danser. Formidable les adhérents de son club du troisième âge ne sont pas en reste.

    La secrétaire de mairie, boudinée dans ses beaux atours bariolés, danse et danse encore au bras de son mari rabougri. Elle tourne, virevolte, froufroute et coasse, au son de l’accordéon d’Aimable.

    Perchée sur des pattes grêles, le visage à la peau granuleuse, l’œil exorbité derrière les hublots qui lui mangent la figure, elle ressemble, la pauvre à un crapaud buffle.

    Codicille : elle possède un chien, lui aussi gras, perché sur des pattes torses. Un chien très laid. Un bouledogue français répondant au joli nom corse de Napoléon.

  • Commentaires

    1
    Mardi 10 Août 2010 à 19:40

    Portraits sans complaisance mais délicieux. S'il m'arrive un jour de croiser l'auteure, je crois que je serai dans mes petits souliers!

    2
    Yvonne Oter
    Samedi 23 Août 2014 à 18:22

     

    Eh bien, eh bien, eh bien... En voilà des bonnes femmes comme je les aime!

    Sans concessions, avec une plume incisive, légèrement trempée dans le vitriol, Claude nous dépeint une certaine catégorie de femmes qui ne plairont sûrement pas à tout le monde, mais en qui je reconnais certaines excellentes ennemies avec qui j'entretiens des rapports tumultueux.

    Ce qui me parait étrange, c'est que l'on trouve rarement des hommes pour tracer des portraits aussi décapants de leurs semblables. Serait-ce qu'ils n'admettent pas leurs travers?

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