• Les cent premiers jours après la fin du monde, 39

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    La fin en direct

    Joël Hamm

     

     

       C’est l’hiver. Il habite une ville d’opérette au kiosque déserté par les orphéons, fière de ses pâtissiers repérés par les guides gastronomiques, de ses noces en dentelles de chantilly sur le parvis de la mairie et tenant sa vraie misère confinée hors des remparts. Ce qui le rend triste, c’est de se sentir éloigné de son être poétique. L’elfe en lui meurt souvent d’une indigestion de saucisses.

       Il ne dort pas, torturé par mille souvenirs encombrants et retors. Il se lève pour pisser puis va sur son balcon. Il scrute la nuit. Une comète givrée insole le ciel vide, un court instant. Ce n’est pas celle-ci qui mettra le feu au monde. Il boit plusieurs verres de gin avant de regagner son lit. Il somnole et se dresse d’un bond à la première sonnerie de son réveil. Pris d’un léger vertige, il titube jusqu’à la salle de bain, migraineux, vulnérable. Il se douche, se rase, s’habille. La fatigue le plombe d’un coup. Une lueur grise filtre par les rideaux de la baie vitrée. Il frissonne en enfilant son manteau d’hiver et s’affale sur un fauteuil. C’est aujourd’hui que tout doit arriver.

       Ce matin là, il reste chez lui. Inutile de courir le risque d’être heurté par un autobus qu’il n’aurait pas entendu arriver, de supporter le sourire mendiant d’un malheureux recroquevillé sur une grille de métro ou le parfum d’une fille trop belle qui le croiserait, indifférente. Et puis, Il ne voudrait surtout pas mourir avec les autres, en même temps... Il branche sa télé et attend la fin du monde en direct.

       A la nuit tombante, il est toujours engoncé dans son fauteuil, le regard vide, devant l’écran vibrionnant.

       On le retrouvera deux mois plus tard, cadavre liquide, assis devant sa télé toujours allumée. Il n’avait manqué à personne.


  • Commentaires

    1
    Mercredi 30 Janvier 2013 à 13:12

    De très beaux accents "célestes" ! Bravo !

    2
    Mercredi 30 Janvier 2013 à 19:26

    Oui, l'art du lexique. Toujours maîtrisé chez Joël.

    3
    Mercredi 30 Janvier 2013 à 19:45

    Mince. J'aimerais bien savoir quel programme il regardait, quand même. ça a l'air dangereux.

    4
    Mercredi 30 Janvier 2013 à 19:46

    Petit texte, grande qualité.

    5
    fg
    Jeudi 28 Février 2013 à 15:58

    Jamais déçu par la prose de monsieur Hamm.

    6
    Lza
    Samedi 23 Août 2014 à 18:04

    "Fraiche et joyeuse"...comme les guerres enleur début...

    7
    Yvonne Oter
    Samedi 23 Août 2014 à 18:04

    Moi j'affirme que l'elfe en Joël est toujours bien présent ! On le retrouve à tous les coins de ses écrits !

    8
    Liliane
    Samedi 23 Août 2014 à 18:04

    Entre fiction et réalité, une feuille de papier cigarette, un cheveu, presque rien....

    9
    le Belge
    Samedi 23 Août 2014 à 18:04

    Finement ciselé, bravo!

    10
    ysiad
    Samedi 23 Août 2014 à 18:04

    Bien vu, Joel. On n'a pas besoin de la fin du monde pour mourir d'ennui devant ce chewing-gum pour l'oeil que l'on appelle télé.

    11
    ysiad
    Samedi 23 Août 2014 à 18:04

    Pupu (jactas)

    12
    SophiE
    Samedi 23 Août 2014 à 18:04

    Impeccable! Et ça sonne tellement vrai...

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