• Les cent premiers jours après la fin du monde, 12

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    Photo Sophie Etienbled

     

    20 décembre 2012

    Sophie Etienbled

     

    O.K., je suis lâche. Aux aurores, avec mari, chien et enfants (ordre aléatoire), j’ai pris le large, abandonnant ma belle ville de Rouen qui se noyait sous ses pluies quotidiennes. Tout le jour nous avons roulé sous des cieux qui déversaient leur colère diluvienne, prémices de fin du monde. Mais finalement nous n’étions pas si nombreux sur l’autoroute. Il faut dire que nous n’avions pas choisi Bugarach, objet de toutes les convoitises, qui frisait l’overdose humanoïde, mais dans les Alpes de Haute-Provence, Saint Vincent-les forts qui surplombe la retenue d’eau de Serre-Ponçon. Des contreforts du village la vue est époustouflante, à vous revigorer toutes les respirations déficientes. Ce n’est pas un lac naturel, mais un lieu magique né il y a une cinquantaine d’années du rêve obstiné d’un certain Wilhem pour désamorcer les ravages de L’Ubaye et la Durance et fabriquer un paradis d’eau et ciel mêlés. L’ouvrage avait eu des relents de répétition de fin du monde, engloutissant villages, routes et voie ferrée, seule la chapelle avait nargué la montée des flots du haut de son promontoire dérisoire, mais suffisamment élevé pour laisser croire que Dieu a peut-être fait l’homme à son image.

    Au soir, nous étions arrivés. Fatigués, mais, rassurés par la bienveillante présence des montagnes, nous avons sombré dans un sommeil sans cauchemar. Au petit matin je me suis éveillée. Tout baignait dans la lueur aurorale. Je me suis pincée. Oui, j’étais vivante mais le silence enveloppait le monde. Oppressant. Après vérification, j’étais seulement chez la Belle au bois dormant et chien, mari et enfants (ordre aléatoire) respiraient, abandonnés et quiets. Rassurée de ne pas être la seule rescapée, je tirai sans bruit les persiennes de la salle de bains. Et je constatai que c’était bien la fin du monde. Sur le sol uniformément blanc, quelques silhouettes fantomatiques rappelaient les arbres. Mais montagnes, reliefs et lac s’étaient évanouis. Le gris mangeait l’espace éclairé seulement par la lueur que le linceul de neige étendait sur la terre. Je frissonnai, les yeux écarquillés sur le nouveau visage du monde.

    Fébrilement, pour tenter de faire diversion, chercher un contact avec la civilisation, je branchai le petit poste de radio antique perché sur une étagère. Ouf ! La fée électricité avait survécu au cataclysme, une petite lumière rouge brilla. Je tournai le bouton et mes oreilles happèrent goulûment les voix qui envahirent la pièce. Quel message délivrait donc ces messagères du monde des humains ? Combien de rescapés sur la planète ?

    Cinq notes de musique guillerette et, atterrée, j’entendis : «Vous pouvez comparer : chez Fourrecar votre liquide vaisselle « un monde plus propre » est cinq centimes moins cher que chez Delil et huit centimes moins cher que chez Naucha, Fourrecar toujours moins cher ! »     

    La fin du monde ? Foutaise, il y a tout à refaire !


  • Commentaires

    1
    Mercredi 2 Janvier 2013 à 17:58

    Jolie photo

    2
    Samedi 12 Janvier 2013 à 03:39

    Il n'y a plus quà envoyer le moulin à idioties rejoindre les hypers dans le néant. (Parce qu'ils ont bien disparu aussi, hein ? Sinon y a pas de justice).

    Et à bouffer des racines qui elles, sont gratos.

    3
    Lza
    Samedi 23 Août 2014 à 18:05

    D'abord, c'est pas vrai! C'est encore moins cher chez gratos: ils donnent tout pour rien (qu'ils disent.) Mais comme ils changent d'adresse tous les jours, on ne risque pas de les trouver!

    4
    monique resillot
    Samedi 23 Août 2014 à 18:05

    Bien aimé la chuteironique et réaliste.

    5
    Lza
    Samedi 23 Août 2014 à 18:05

    Mais la vraie fin cu monde, ce sera lorsque la pub aura réussi à tout envahir...

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