• Les cent premiers jours après la fin du monde, 05

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    Putaing !

    Yvonne Oter

     

     

    - Comment ça va, Madame Di Gregorio ?

    - Moi, ça va, ça va... Mais c’est mon mari qui ne va pas.

    - Votre mari ? Et qu’est-ce qui lui arrive ?

    - Vous connaissez Toni, même que c’est lui qui a changé la robinetterie de votre douche ?

    - Oui ! Toni, l’homme qui ne peut pas dire trois mots sans ajouter « putaing » !

    - Ben justement, ma pauvre, il ne peut plus !

    - Il ne peut plus quoi ?

    - Il ne peut plus dire « putaing ».

    - Comment ça ? Et ça lui est venu d’un coup ?

    - Oui ! Je vous explique toute l’histoire. Nous étions à table le 21 décembre dernier, en train de manger le minestrone que mon mari aime tant. Nous avions laissé la télé allumée parce que Toni voulait suivre les infos en direct, savoir ce qu’on racontait sur la fin du monde, vu qu’il y a des pays qui sont à 12 h. 21 avant nous, n’est-ce pas ?

    - Pardi, des régions bien loin de chez nous. Mon Henry a fait pareil avec la télé, ce jour-là !

    - Oui da ! Mais on n’entendait parler de rien de particulier dans ces pays-là, pas de catastrophe, de tremblement de terre, d’éclipse de soleil, de tsunami, de volcan qui explose, d’incendie de grande ampleur, d’inondation, rien. On voyait juste les ministres ou présidents de chaque pays raconter leurs bêtises, comme quoi il ne s’était rien passé de particulier chez eux, mais les bêtises des hommes politiques, on est habitué, ça n’étonne plus personne.

    - C’est en soi une catastrophe, mais quotidienne.

    - Alors, entre deux cuillerées de minestrone, Toni a regardé sa montre : 12 h. 22. Et il s’est esclaffé : « Putaing, on s’est bien foutu de nous avec la fin du monde ! ». Enfin, c’est ce qu’il a essayé de dire, parce que le « putaing », il n’est jamais sorti !

    - Oh !

    - Comme je vous le dit ! Et à la place, sa langue s’est mise à tourner dans sa bouche, comme une girouette par vent d’autan ! Sept fois, Madame Dubois !

    - C’est pas Dieu possible ?

    - Si ! Même que tout de suite après, il a voulu dire « Putaing ! Mais qu’est qui m’arrive ? ». Pareil : le « putaing » est resté calé et sa langue s’est remis à faire la toupie ! Avouez que ça perturbe. Au début, moi, je n’y croyais pas trop, je lui disais « Toni, arrête de faire l’idiot ! Ça ne me fait pas rire ! ». J’ai compris que lui non plus ne riait pas car il a tenté de m’engueuler et, à force de « putaings » refoulés, un filet de sang lui coulait de la bouche au menton. Pensez, la langue qui tournicote sept fois à chaque « putaing » de mon Toni, à toute vitesse, elle finit par se cogner contre les dents et par se blesser.

    - Et alors ?

    - Ben alors, depuis, il déprime. Il ne parle plus, vu qu’il ne peut pas s’empêcher de sortir le mot interdit à chaque phrase. Il ne regarde plus la télé, parce qu’il ne supporte pas d’entendre parler les autres. Il ne sort plus, pour ne rencontrer personne. Il reste pendant des heures assis devant le feu de bois à regarder les flammes, et parfois, je vois couler une larme de ses yeux d’ex-bon vivant. Il faut le comprendre, le malheureux, mais pour moi, ce n’est plus une vie non plus.

    - Vous avez consulté ?

    - Il paraît que ce n’est pas un cas unique. D’autres subiraient des phénomènes encore plus surprenants. Le médecin ne m’a pas dévoilé les secrets qu’on lui avait confiés, mais il avait l’air assez effaré. Et votre Henry, puisqu’il semble que seuls les hommes sont atteints, vous n’avez rien remarqué de spécial ?

    - Pour le moment, non. Mais, à Noël, il m’a bien étonnée. Il a assisté à la messe de minuit avec moi, lui qui n’avait jamais mis les pieds dans une église, et il y a prié avec une grande ferveur. Sur le moment, j’ai mis ça sur le compte des nombreux verres de vin chaud qu’il avait bus avant de partir, pour lutter contre le froid. Maintenant que vous me parlez de votre Toni, je me pose des questions…

    - Jésus, Marie, Joseph ! Voilà-t-y pas la sainteté qui s’abattrait sur nos hommes ? Il ne nous manquait plus que ça ! C’est vraiment la fin du monde pour de bon !!!

     


  • Commentaires

    1
    Mercredi 26 Décembre 2012 à 19:50

    la chute... oh, super, oh p....  p.... qu'est ce qui m'arrive? oh p.... je n'arrive même plus à écrire p.... oh p.... de p.....

    2
    Dimanche 30 Décembre 2012 à 05:21

    Il y avait bien la solution de l'orthophoniste, pour apprendre à remplacer putaing par sapristi, saperlipopette, et sac à papier. Mais qu'est-ce que ça doit être dur, merde.

    3
    Liliane
    Samedi 23 Août 2014 à 18:05

    Putaing, ce serait pas si mal finalement une fin des grossièretés !!!

    4
    corinne
    Samedi 23 Août 2014 à 18:05

    ça détend le matin, putain que c'est bon de rire après l'apocalypse

    5
    patrick denys
    Samedi 23 Août 2014 à 18:05

    put... de chute, et quelle écriture! Merci, Yvonne pour ton humour ravigotant!

    Patrick

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