• La deuxième vague (1)


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    Sur les cent douze nouvelles reçues au concours Calipso " Sens dessus dessous " dix sept avaient été retenues par les jurés dans une première sélection. Vous connaissez les auteurs des dix nouvelles lauréates mais pas les sept autres qui les suivaient de près. Comme ces dernières ne seront pas publiés dans le recueil 2007, nous avons proposé aux auteurs de les publier ici même. Nous commençons aujourd’hui la série avec Philippe Laperrouse

    Une journée bizarre (1/2)

     

    Il y a des jours où tout va mal.

    Ce matin, par exemple, je me suis levé frais et dispo. Ne ressentant aucune lassitude, j’ai ouvert les yeux naturellement, au son de la douce musique, sifflée harmonieusement par les oiseaux du jardin. Je ne me suis pas offert le plaisir de maugréer en mettant les pieds à terre puisque mes pantoufles avaient renoncé à se cacher sous le lit pendant la nuit. Je n’ai même pas pu me traîner lamentablement jusqu’à la cuisine en évitant laborieusement les fauteuils du salon, tout en me grattant vulgairement le poitrail d’une main et en étouffant un bâillement de l’autre.

    A partir de ce moment là, les difficultés se sont enchaînées. Dans la cuisine, je n’ai rien renversé : j’ai trouvé tout de suite le paquet de café. Il en restait suffisamment pour satisfaire mon envie. Maryse n’avait pas oublié d’en réapprovisionner la maison. Je n’ai pas répandu la moitié du paquet sur la table en me servant. L’odeur du café a achevé de me réveiller agréablement.

    La suite s’est déroulée dans le même registre : les rues de la capitale étaient libres de tout bouchon. Les voitures avançaient plus rapidement que les piétons au grand étonnement de ceux-ci. L’air était presque respirable. Je n’ai pas pu, comme chaque jour, lorgner mes voisines d’embouteillage, fignolant leur maquillage en tendant leur cou gracile vers leur rétroviseur. Compte tenu de la fluidité du trafic, les commerciaux étaient obligés de garder la tête droite en conduisant alors que leur position ordinaire consiste à pencher le visage sur l’épaule pour coincer le téléphone qui les relie dès l’aube à leur clientèle impatiente.

    En arrivant au bureau, j’allais de surprises en émotions : Véronique, la standardiste était habillée. Enfin, je veux dire qu’elle était vêtue décemment. Elle ne portait pas ses chemisiers transparents habituels, sa robe tombait de manière élégante jusqu’au genou. Contrairement à l’habitude, les regards virils ne s’attardaient pas sur son décolleté, les visages masculins dépités passaient rapidement. Aucun homme n’avait ce matin-là d’instruction particulière à donner à Véronique, en se penchant largement vers elle pour profiter agréablement du galbe de ses cuisses.

    La réunion de direction du matin se déroula dans une ambiance surréaliste. Normalement, chacun y va de son monologue, sans écouter ses interlocuteurs. S’il peut couvrir de sa voix ce qu’essaie de dire son voisin, c’est encore mieux. Aujourd’hui, rien n’allait comme de coutume. Les cadres répondaient clairement aux questions posées, prêtaient attention aux arguments de leurs collègues, évitaient de se couper la parole et pire encore, ne tentaient pas de briller systématiquement auprès de la direction. A son air effaré, je sentais bien que le patron perdait pied et ne savait plus très bien où l’on allait.

    Les choses s’aggravèrent dans la journée. Bérengère, ma secrétaire se montra parfaitement détendue. Elle ne mélangea pas mes rendez-vous. Le comble fut atteint vers dix heures trente, lorsqu’elle accueillit très courtoisement un client important, arrivant spécialement de Londres. Elle se chargea elle-même d’apporter le café sans passer un coup de fil aux représentants syndicaux de la maison ou penser, une seule seconde, à examiner sa convention collective pour déterminer si une telle tâche relevait bien de sa fonction. Je n’en revenais pas. Elle non plus d’ailleurs, elle finit par m’avouer qu’elle ne l’avait pas fait exprès.

    L’après-midi me réservait encore quelques surprises. J’échappais aux ballonnements qui m’insupportent et à la somnolence qui m’envahit lorsque je déjeune chez la mère Andrée, la tenancière de ce bistrot du quartier qui nous accueille à l’heure méridienne. Même Bérengère qui se fait, tous les jours, un malin plaisir de rentrer en coup de vent dans mon bureau vers quatorze heures en espérant me faire sursauter, afficha sa déception. Nous cherchâmes une explication rationnelle à cette vivacité d’esprit dont personne ne me croyait capable à cette heure de la journée : nos soupçons se tournèrent rapidement vers la blanquette de veau de la mère Andrée. N’aurait-elle pas changé la recette qui alourdissait nos estomacs tous les mardis depuis quinze ans ?

    à suivre…

    Philippe Laperrouse

    Etudes à la fois classiques et quelconques au lycée Ampère de Lyon.

    Baccalauréat en Mathématiques arraché de haute lutte en 1967.

    Licence de sciences économiques, plus décontractée, à Montpellier en 1971.

    Stage exotique de deux ans en Cote d’Ivoire.

    Fonctionnaire appliqué.

    Converti à l’écriture depuis juillet 2005, au foot depuis toujours.

    Quelques menus succès dans quelques sympathiques concours de nouvelles.

    né le 31 mars 1949, il porte vaillamment ses 58 ans.

  • Commentaires

    1
    fanbou
    Samedi 23 Août 2014 à 18:38
    Excellente idée!
    La suite... la suite...
    2
    fanbou
    Samedi 23 Août 2014 à 18:38
    Encore moi, mais je me disais que ce nom me m'était pas inconnu. J'en profite pour dire à Philippe Laperrouse que j'ai bien aimé "Géraldine et napoléon" - à lire dans "Couleur rose pourpre".
    3
    Laperrouse Philippe
    Samedi 23 Août 2014 à 18:38
    Merci beaucoup...
    Merci à Calipso...
    J'espère faire mieux la prochaine fois...
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