• Du côté des boutiques obscures

     

    Une fois à Rome, on peut tenter de s’approcher un peu de ce qui se joue quotidiennement en Italie. Même en février la vie y est proprement intempestive. Les vieilles pierres ne font pas que perpétuer les voix du passé, elles créent un espace de conversation qui donne au visiteur un incroyable pouvoir de re-création et quand l’actualité* vient de surcroît bousculer les anges, agiter les confessionnaux, malmener les Augustes et les Prétoriens, on se dit qu’il est bon de braver le temps qui passe comme le temps qu’il fait, de troubler la rectitude morale et de se laisser aller à rêver dans la douce lumière des thermes ou de s’égarer du côté de quelques boutiques obscures.

    * De quelques jours où il fut question d’une loi tapageuse sur l’union civile, d’une occupation de G.I., de la démission de Romano Prodi, de jeux du cirque entre légions Lyonnaises et Romaines.

     

    Ceci étant, Jean-Claude Touray, le facétieux, s’est rendu en son temps sur ces terres fantasques et il en a ramené un petit récit haut en couleurs.

     

    Parlo Italiano

     

    Norbert transpire. Il tourne et retourne sur lui-même sans parvenir à s’endormir dans ce lit d’hôtel du Trastevere où il est couché à côté de Martine qui roupille à poings fermés. Pas de climatisation malgré la chaleur, juste au plafond une grande hélice à trois pales qui brasse l’air en dérangeant les mouches avec un bruit d’hélicoptère; c’est comme le début d’" Apocalypse Now " mais en plus bruyant à cause des Vespas qui pétaradent encore (ou déjà…) à 3 heures du matin. " No comprendo… Pourquoi j’dors pas ? " se dit Norbert, qui est peu sensible au bruit et dont le sommeil de plomb est légendaire. C’est tout simplement qu’en plus de la chaleur et du bruit, il est surexcité : voici une vingtaine d’heures, le top départ du voyage à Rome était lancé et six heures plus tard débutait l’immersion linguistique qui allait le booster très fort pour apprendre l’Italien.

    " C’est par immersion qu’un adulte progresse le plus vite pour apprendre une langue étrangère, au moins dans les débuts " songe Norbert. Brutal mais efficace : vous êtes parachuté quelque part, à Rome par exemple, sans rations de survie ni sacs de couchage et démerdez-vous…Vous ignorez la langue…Vous allez voir que, simplement pour vous nourrir, vous apprendrez les indispensables notions d’italien en moins de temps qu’il n’en faut pour savoir préparer honorablement les spaghettis " alla romana ". Du moins c’est ce qu’y disent dans Sélection. Et c’est exactement ce que Norbert vient de vivre avec Martine.

    L’immersion linguistique a débuté dès l’entrée dans l’avion d’Al Italia.  " Heureusement qu’ils utilisent comme nous l’alphabet normal et les chiffres musulmans, j’ai tout de suite trouvé nos places " murmure Norbert en se tournant sur le côté. Il a un peu de mal à digérer " Je dois l’avouer, je suis ravi de ce voyage. Pourtant, quand Martine a commencé à me dire qu’elle voulait aller à Rome, pour voir le pape et visiter, au Vatican, le musée de la papamobile, je l’ai traitée de " petite cloche de Pâques en chocolat ". J’ai même ajouté avec humour qu’elle ne verrait jamais aussi bien le Saint-Père que dans le clip " Urbi et Orbi " qui passe tous les ans à la télé. Mais Martine insistait, elle ne voulait pas en démordre… Et le jour où j’ai fait le quinté dans l’ordre et que 11.876 euros me sont tombés du ciel, elle a prétendu que c’était grâce à ses prières…Difficile dans ces conditions de ne pas faire le déplacement qu’elle souhaitait. Ce serait pour moi l’occasion de visiter l’hippodrome du Vatican… ". Et hop ! Voila Norbert à nouveau sur le ventre. Il est en pleine transpiration.

    " Imbécile que j’étais, je ne me rendais pas compte que huit jours de vacances romaines étaient l’occasion d’apprendre l’italien. Signe du destin, je n’avais emporté aucun guide ou ouvrage de référence en français (ni en aucune autre langue d’ailleurs). Aucun dictionnaire. Une situation idéale pour directement penser en italien sans être gêné par le français. Avec Martine, pendant tout le séjour, nous ne communiquerons plus que dans la langue de Garibaldi, en utilisant en cas d’urgence le langage des gestes. Par exemple le doigt dans l’œil ou le toc toc de l’index bien tendu sur la tempe… "

    Le hasard (ou Dieu le père selon Martine) a bien fait les choses pour Norbert : apprendre l’italien, c’est l’occasion inattendue d’une utilisation intelligente de ce qui lui reste de son " option latin " du BEPC, ce brevet d’études du premier cycle qui est son seul diplôme… Maintenant qu’il a sa retraite d’employé municipal, Norbert a du temps pour la culture. Jusqu’à ce voyage improvisé, il n’avait pas choisi sa branche et il avait tâté d’un peu de tout : poésie, tiercé, concours canins, mots fléchés. Il est à présent en pleine jubilation, il a trouvé une noble occupation, il va commencer l’apprentissage d’une langue latine moderne. Un bon choix l’italien : plus utile que le catalan ou le roumain, moins guttural que l’espagnol et plus chantant que le portugais. La langue de l’opéra et des pâtes fraiches. Il se rend compte qu’il en a toujours eu envie : c’est la bonne manière de valoriser ses acquis du collège tout en luttant contre la prééminence de l’anglais. A ses côtés, Martine dort en rêvant à une entrevue en tête à tête avec le souverain pontife. Elle a le sourire sensuel d’une femme comblée.

    Norbert se repasse mentalement la vidéo de ses débuts de polyglotte : c’était il y a un peu plus de douze heures, peu après qu’ils aient trouvé leur place dans l’avion ; Norbert avait lu, sur le dossier du fauteuil placé devant lui une inscription. Il ressentit comme un choc sentimental, tant ça ressemblait à du latin. Il éprouva une grosse bouffée de nostalgie pour ces versions faites en classe " à mains nues " sans dico, avec pour seules armes son intelligence et sa mémoire. Devant lui, à traduire, la fascinante inscription : " GIUBOTTO SALVAGENTE SOTTO LA PROPRIA POLTRONA " (1). Aussitôt Norbert cogite : Giubotto Salvagente c’est le nom d’un homme, probablement un rital typique ; la propria c’est la proprio, la propriétaire. En traduisant mot à mot on obtient : " Giubotto Salvagente saute la propriétaire poltronne ". Manifestement un avertissement destiné aux voyageuses craintives et riches : une façon de leur dire : " Méfiez-vous des dragueurs à l’italienne ". Et un peu inquiet, Norbert fit aussitôt part de sa traduction à Martine qui haussa les épaules. Entre Fiumicino, l’aéroport, et Termini la gare centrale des trains (Terminus tout le monde descend), Norbert commença dans le rapide " Da Vinci " l’immersion auditive dans la langue locale en familiarisant son oreille avec les accents chantants des indigènes. L’apprentissage du vocabulaire débuta un peu plus tard dans la galerie marchande de la gare par une cueillette de mots et d’expressions qu’il connaissait sans le savoir comme: " carta di credito ", " banca ", ou dont il pouvait deviner le sens facilement. " Gatto " (gâteau), ou encore " piccolo " (l’équivalent du français " picole " mais, va savoir pourquoi, avec redoublement du c).

    Au restaurant (ristorante), Norbert savait déjà comment demander la carte (carta). Il commanda des spaghettis (spaghetti) pour Martine, des gnocchis (gnocchi) pour lui et ils burent de la bière (birra) et de l’eau qui frisait (acqua frizzante). Enormes et rapides progrès dans l’expression orale en une soirée. Une exception : impossible de se faire comprendre du chauffeur de taxi qui les conduisit à leur hôtel, à croire qu’il ne parlait pas l’italien. Il avait l’air de se fâcher quand Norbert lui parlait par gestes ; heureusement, il s’exprimait en français et il fallut pendant quelques minutes interrompre l’immersion.

    " Je n’ai toujours pas sommeil " constate Norbert en faisant sur le lit un véritable saut de carpe. "  L’immersion linguistique est un super coup de pied au derrière pour vous motiver. Mais il faudra poursuivre en France, ne pas perdre l’élan de la vitesse acquise et, sitôt rentrés, acheter des méthodes, des manuels, des grammaires, des dictionnaires, des DVD. Bref tout le matériel pédagogique pour travailler l’Italien 5 à 6 heures par jour et posséder après trois mois d’efforts environ la langue de Dante et de Berlusconi. Sinon le jeu n’en vaut pas la chandelle ".

    Il aura alors la faculté d’écouter radio-Vatican en version originale, de parier au totocalcio (ce qui le changera du quinté plus) et de lire les petites annonces du " Corriere della sera ". Sur cette vigoureuse décision Norbert s’endort enfin malgré les longs hululements à la Tarzan d’une ambulance qui passe. Malgré aussi un irritant détail : " trattoria ", un mot qui signifie manifestement " trottoir ", est utilisé sur certaines enseignes de restaurants…pourquoi ?

    1) Le gilet de sauvetage est sous votre siège

    Jean-Claude Touray

     


  • Commentaires

    1
    Dimanche 25 Février 2007 à 18:14
    Et si vous mettiez des sous-titres pour les mal comprenants ?
    2
    Dimanche 25 Février 2007 à 20:21
    all'aiuto ! C'est tout ce que je sais dire mais c'est de circonstance ! Bon, en fait, c'est Jean-Claude qui a commencé, non ? Son texte était très drôle, bravo !
    3
    desiree
    Samedi 23 Août 2014 à 18:41
    allora : mi piace molto la tua fantasia de scrittura, jean claude. Ma como fare con le cinque, AA ? fare giochi di destrezza ? Ma no se.
    4
    Magali
    Samedi 23 Août 2014 à 18:41
    Ma come, Désirée!Anche tu parlai italiano?

    Attenti, che giocare alla traduzione alla "Touray" è più "pericoloso" che di "sporgersi" del treno.

    Allora, facio il sette, dopo il T, dopo e il due e domani, vediamo cosa successe.
    5
    desiree
    Samedi 23 Août 2014 à 18:41
    Ma no Magali, non lo parlo bene, parlo bene la lingua del bidone, allora una T, molto bene, la F, molto bene y la Q.
    6
    Magali
    Samedi 23 Août 2014 à 18:41
    Davvèro è un piacere, questo bloggo di Patrick!  Si puo anchè parlare italian cogli amichi!
    Ma si viaggi in Norvegia, Patrick, è bisogna dirlo un po in anticipo, eh, perche è una lingua ancor più difficile...
    7
    desiree
    Samedi 23 Août 2014 à 18:41
    da vero, Magali, me portas fortuna : con la GYN posso fare mille cosi, y bevo a la salute de la gente de questo blogo, y te congratulo por tu colletta delle tituli del livro de novellas de Emmanuelle, bravissimo, molto riuscito, dunque : GYN. Andiamo :
    8
    M le
    Samedi 23 Août 2014 à 18:41
    Forza, forza, arrivano i sotto-tituli...
    Fatti da Google, (è l'occasione di dire, "traduttore, traditore".).

    "de vrai, Magali, tu me portas chance:  avec le GYN je peux faire ainsi mille, y je bois à la santé de les gens de ce blogo, y tu je félicite por tu collecte des tituli du livro de novellas d'Emmanuelle, bon, très réussi, donc:  GYN. Nous allons :"

    Je pense que Désirée voulait nous parler de ceci?
    www.emmanuelle-urien.org (et cliquer sur la photo des bambous!)
    9
    desiree
    Samedi 23 Août 2014 à 18:41

    traduction certifiée exacte Magali, j'ai beaucoup aimé ton histoire avec la chaîne des titres sur le site d'Emmanuelle, que je trouve épatant.


    Alors maintenant c'est la première que j'ai trois chiffres : 565. Je ne sais pas trop quoi en penser, tout en espérant que le Groenland ne fondra pas dans 565 jours sinon on est mal barrés si l'on en croit Al Gore.

    10
    Magali
    Samedi 23 Août 2014 à 18:41
    565, je croyais que c'était de source sûre le nombre de pingouins qui restait sur la dernière banquise?

    XP6
    Il s'épaissit?
    Le mystère?
    Ah bon.
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