• Dessert festif



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    Rasé de près, bien coiffé et le chien toiletté, il ne vous reste plus qu’à faire votre marché pour que la fête reparte de plus belle…

     

    par Jean-Claude Touray

    - André, montre-moi le ticket de caisse au lieu de le chiffonner en boule, dit Lucienne, j’ai quelque chose à vérifier.

    Madame et Monsieur Legrand s’apprêtent à sortir de " Bétail ", la grande surface de la "  ZAC du Poisson Rouge ". Comme toutes les semaines, ils sont venus y faire leurs achats. A " Bétail " on trouve de tout : du cassoulet à l’ouvre-boîte et de l’eau de Javel à celle de Cologne. Le jour où il s’y vendra aussi des pierres tombales et de l’aspirine, à la limite, cet hyper suffira à satisfaire tous les besoins de sa clientèle. A " Bétail " ils ont le geste commercial qui attire le chaland : si tu viens le mardi, tu gagnes un bonus de dix pourcents, à valoir sur tes achats de la semaine suivante dans les rayons en promotion. Exemple : vêtements pour chiens, charcuterie tropicale et peinture à l’eau.

    Lulu et Dédé ne sont pas du mardi, jour à faible fréquentation, ils préfèrent le rituel bain de foule du samedi, la communion des caddies au corps à corps, la fusion d’âme des quidams, bref le culte de la déesse " Consommation ". Les Legrand viennent à " Bétail " acheter le nécessaire et, à l’occasion, le superflu. Aujourd’hui, " Pâtissenkit ", le dessert glacé pour grandes occasions. Avec cette nouvelle création des biscuiteries VU, chacun peut monter sa pièce au gré de sa créativité. Quarante ans après soixante-huit, l’imagination revient au pouvoir. L’article est en tête de gondole des surgelés. Dans un joli carton, on trouve les petits choux, avec ce qu’il faut pour les fourrer puis les assembler : glace à la camomille, plus originale que la traditionnelle crème pâtissière, et caramel-colle au beurre salé. Naturellement, l’œuvre est à stocker au congélo !

    Grâce à cette approche, on sort enfin de la forme traditionnelle en cône des pièces montées qui peuvent prendre des silhouettes variées : pyramide, chalet suisse ou chapeau rond…Et surtout, on crée un dessert décoratif glacé.

    La fin janvier est dans une semaine, belle occasion d’essayer ce nouveau dessert festif à la place d’une cinquième galette des rois. Les Legrand se laissent tenter. D’autant qu’ils savent que les Martin, leurs voisins dans la résidence " Les Blattes " en ont consommé hier soir, pour fêter les quatre-vingt six ans de Pépère, l’arrière grand-père. Comme ça, dans quelques temps, ils pourront comparer leurs impressions gustatives.

    - Alors Dédé, tu me le donnes ce ticket au lieu de rêver ? La glace va se réchauffer, il ne faut pas traîner. J’en étais sûre, regarde : la caissière nous a compté le prix de l’option avec dragées, comme si nous devions fêter un mariage ou une première communion ! Ah mais…on va voir ce qu’on va voir. Attends-moi ici en surveillant le caddy.

    D’un pas décidé, Lucienne se dirige vers l’accueil du magasin.

    - Appelez-moi le directeur, c’est pour une réclamation !

    Dix minutes passent. Il arrive enfin, il s’excuse, il est très occupé, Lucienne s’explique. Et pendant ce temps là, au sein du chariot des Legrand, bien rangée dans le carton qui emballe "Pâtissenkit ", la glace fond.

    - Vous avez entièrement raison, chère Madame Legrand. Nous sommes en tort. Il n’y aurait pas dû y avoir d’affichette pour le produit sans dragées, nous sommes en rupture de stock. Mais le prix que vous avez payé est bien celui de l’article qui est dans votre chariot. Je comprends votre réaction et, pour se faire pardonner, " Bétail " vous offre un bon de cinq euros, à valoir sur tout achat de religieuses, profiteroles ou choux à la crème.

    Lucienne est ravie d’empocher une réduction, le directeur est satisfait de s’en être tiré à bon compte, Dédé dort debout, la glace continue de fondre.

    Retour à la maison.

    - Regarde André, quelque chose a coulé sur la moquette du coffre…Horreur, le liquide provient du carton de Pâtissenkit ! Les choux sont certainement détrempés et inutilisables : tout juste bons à donner au chien. La faute à qui ? Au directeur qui a tardé ! Je vais me plaindre au siège, à Paris…, réclamer des dommages et intérêts !... Mais que se passe-t-il chez les Martin ? L’ambulance du SAMU est garée devant chez eux… j’appelle Josiane. Allo, Josy, ce n’est tout de même pas Pépère qui…Si ? Et toute la famille sauf vous! Croyez, chère amie, qu’en cette douloureuse épreuve, nous sommes de tout cœur à vos côtés.

    Lucienne raccroche et dit :

    - Ils ont tous, à part Josy, une colique carabinée. Contamination par des bactéries pathogènes apportées probablement par le dessert en kit. L’arrière-grand-père en a fait une attaque.

    - En somme, ils n’ont pas eu notre chance, remarque André avec un fin sourire. 


  • Commentaires

    1
    Mardi 22 Janvier 2008 à 19:59

    "La communion des caddies au corps à corps", je ne suis pas près d'oublier cette expression savoureuse !

    Une page qui sent le vécu...

    2
    Mercredi 23 Janvier 2008 à 14:53
    Texte qu'on a envie de consommer. On voit bien que c'est l'oeuvre d'un vrai artisan qui a construit sa pièce montée lui-même. C'est pas du préfabriqué mais du sur mesure ! Vive la société de consommation artisanale !
    3
    Sophie
    Samedi 23 Août 2014 à 18:37

    Avec un regard plein d'humour sur le quotidien, vous jouez avec les mots avec aisance que j'envie.

    4
    desiree
    Samedi 23 Août 2014 à 18:37

    Les bons de réduc, c'est une vraie laisse. On se croit obligé d'acheter des saucisses Gloup parce qu'on a 15 centimes sur le lot de 24. Si bien qu'on bouffe du Gloup trois jours durant. Et cette voix du Monoprix, exaspérante : Monoprix, on fait quoi pour vous aujourd'hui ? Mais rien, bordel. Monoprix ne fait rien pour personne, sinon ça se saurait. 
    Bon j'ai 64Z. 64 Zorro. Ca me va. 

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