• Corde sensible (7)

    Une nouvelle de Patrick Essel en plusieurs épisodes

    - Pour la délicatesse, c’est zéro, j’ai dit, mais le temps presse et il nous faut accommoder au mieux nos petites affaires n’est-ce pas ? D’un côté la caisse du jour et de l’autre l’état de grâce jusqu’au matin. On peut dire ça ?

    - Rien à redire. Juste que putain, si tu savais comme j’ai envie que ça file doux entre nous, qu’on se laisse aller dans les bras l’un de l’autre. Palper ta peau, tes muscles, tes nerfs, ton sang, dehors, dedans, le frais, le chaud, toi t’as l’habitude c’est meilleur dedans hein ?

    Il y a des jours où les hommes se jettent sur moi, me déshabillent en jurant leur grand dieu, m’empoignent, me happent, s’absorbent dans ma ruche, s’immiscent dans les interstices, jusqu’à ce que je pleure, que je sois dans un état pire que la douleur. Au lieu de cela, celui-là me livre son cœur et des envies qui lui viennent d’un autre monde et qui ne tiennent dans rien.

    - On a toute la nuit pour nous, sois gentille, merde.

    Toujours la même supplique. Le plaisir et la béatitude auprès de celle que l’on convoite. Pour elle, sans elle, malgré elle. Fouiller, gratter, presser, retourner , prendre ce qu’il veut. L’ivresse pour lui seul. Il n’a pas la force d’aimer. Ce n’est qu’un bavard ! Rien d’autre qu’un bavard mort de trouille à l’idée d’être pris pour un mendiant. Il lève le pouce au premier émoi. Pour un peu c’est lui qui mettrait le genou à terre en implorant le ciel d’être à la hauteur.

    - Ça va aller, j’ai dit.

    - Oui ma petite poulette, ça va être super.

    Il ne sait rien de la vie. Il ne sait rien de la mort qui l’attend. Nous n’irons pas au bout de l’effusion, c’est décidé. Une fois en moi, il lui faudra faire le sacrifice de son petit cœur. Le silence et l’obscurité l’envelopperont dès les premiers coups de reins. Ma lame n’aura aucune peine à rompre ses ardeurs. Il aura beau vouloir se retirer, essayer de mordre, de griffer, de jurer, de supplier, je ne lâcherai pas prise. La panique le rendra rouge, puis violet, puis gris. Sa voix s’éraillera, ses yeux prendront la couleur d’un oiseau en cage. Il voudra pleurer aussi. Sur son visage couleront des larmes de sang noir et de sa bouche ne sortiront que de faibles râles au goût de croupi. Il usera de ses dernières forces pour demander d’en finir vite.

    Je me suis souvent interrogée. J’ai longtemps hésité. Souvent, je me suis dit : qu’est-ce que je dois faire ? Je ne suis pas sûr de connaître comme il faudrait les choses de la vie. C’est bizarre ces choses de la vie. On ne sait pas trop d’où elles viennent ni comment les prendre. Parfois, j’ai le ventre plein et heureux, un homme en larmes prisonnier à l’intérieur.

    Je m’appelle Vanessa. J’ai quitté l’aire de la Femme sans Tête bien avant le point du jour. Les comptes ont été réglés en temps voulu mais le boss m’a tout de même conseillé d’être plus appliquée. La Femme sans Tête, c’est quand même un peu bizarre comme nom, vous ne trouvez pas ?

    Demain, j’irai voir ailleurs. L’amour me fait du bien.

     


  • Commentaires

    1
    Stéphane laurent
    Samedi 23 Août 2014 à 18:44
    Un seul mot: bravo...
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