• Babyclone

     

    Journal imaginaire (1/3) par Patrick Essel

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    Pas moins de trente barres et douze chiffres sont nécessaires à mon identification. Il n'empêche, je n'ai pas de vrai nom et je ne sais rien de ce qu'il y a à l'intérieur de moi. Aucun signe, aucun caractère, aucune tournure ne peuvent dire ce que je suis vraiment. Il m'arrive bien sûr de prêter l'oreille aux rumeurs qui courent ça et là et d'observer d'étranges phénomènes aux alentours mais cela ne change rien à mon existence. Voilà longtemps maintenant que j'ai pris l'habitude de me laisser ballotter au milieu de la nuit, sans plus de goût pour une chose que pour une autre. Je vais et cela me suffit. Toutefois, il m’arrive, sans en avoir l’air, d’aller ici plutôt que là, d’emprunter des chemins disons équivoques. Mais bon, ils ne me mènent jamais bien loin. De temps en temps, j'aperçois un point lumineux sur l'horizon mais cela n'entraîne ni rêve ni interrogation. Je suis seulement pris d'un léger vertige. Chaque jour qui passe, je prends du poids sans que cette charge me pèse d'une quelconque manière, et au demeurant, il me semble que toutes les choses autour de moi prennent uniformément de l'épaisseur. Bon nombre de mes semblables se sont installés un peu partout dans des abris dérisoires et certains pour je ne sais quelles raisons se sont mêmes regroupés. De mon côté, je n'en connais aucun. Je veux dire intimement. Il est vrai que je me contente de peu : quelques petits signes de temps en temps et de loin en loin. Les tête-à-tête me causent toujours beaucoup de gêne et en général, j'essaie de passer inaperçu et de garder mes pensées pour moi.

    2 mars - Des fois, je me dis que je ne tourne pas rond. Ce matin, de très bonne heure, je me suis laissé dériver comme à l'ordinaire dans l'ignorance des autres. Autour de midi, sous une pluie battante, je me suis approché d'un tourbillon assez conséquent et sans même réfléchir, j'ai sauté comme ça au beau milieu de la turbulence. J'ai été immédiatement entraîné dans une sorte de galerie filandreuse et haute en couleur. C'était plutôt insensé comme équipée mais je ne cherchais aucunement à y mettre un terme. L'idée que je pouvais tout simplement disparaître dans la nature ne m'a même pas effleurée. En fait, je n'étais pas mécontent du tout : en un rien de temps j'ai pu parcourir le monde comme jamais, explorer les mers les plus éblouissantes, gravir une multitude de montagnes abracadabrantes, croisant au passage des hordes de vagabonds vêtus de presque rien, criants et riants comme des démons. Le périple s'est achevé brutalement. Parvenu aux confins du territoire, j'ai buté malencontreusement sur une ornière et je suis tombé tout au fond de quelque chose d'épais, de lourd et de tortueux. Malgré plusieurs tentatives, il m'a été impossible de remonter à la surface. Je ne suis pas du genre à me plaindre mais l'endroit n'est pas des plus confortable. Difficile de dire à quoi cela ressemble, je n’ai jamais rien connu de tel. Le mot entrepôt m’est venu mais je n'en saisi pas tout à fait le sens. Bien qu'il y fasse un peu plus chaud que dans mon ancien domaine, je n'en tire aucun plaisir : le vent s'y lève plus souvent et la nuit y est à peine moins noire.

    24 mars - Pour l'heure, je suis incapable de reprendre mes va-et-vient dans le monde. Je manque d'aisance. Voilà plusieurs jours que je suis tapi au plus profond d'une crevasse dans un lieu sauvage bordé d'eau salée d'où me parviennent des bruits invraisemblables, des bruits lointains et morcelés et qui emplissent fâcheusement l'immensité.

    4 avril - Des idées sournoises m'envahissent. Des idées fascinantes et effrayantes. J'imagine sans raison qu'il y a plusieurs chemins qui se croisent non loin d'ici et que certains pourraient me mener dans des vallées profondes à l'abri des vents. Mais ils pourraient tout aussi bien m'entraîner ailleurs, Dieu sait où. Mes intentions sont loin d’être claires. Je sais qu'il suffirait d'un je-ne-sais-quoi, d'un trait de lumière, d'une secousse, d'un fourmillement, d'un mot peut-être pour que je reprenne l'errance. J'hésite. J'ai peur de m'égarer.

    à suivre…


  • Commentaires

    1
    Magali
    Samedi 23 Août 2014 à 18:42
    Hm... XXY dit le code à recopier. Prémonitoire?
    2
    désirée
    Samedi 23 Août 2014 à 18:42

    Voyage au bout de quelque chose, c'est sûr, avec quelques indices aussitôt brouillés par d'autres ce qui reste le propre d'une nouvelle. J'hésite.


    Je ne me vante pas de ce 5 entre deux Q.

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