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    Avant la fin du mois, deux joyeuses nouvelles marqueront la vie du café : son 300ème numéro et sa seconde bougie. Pour célébrer cette presque simultanéité des évènements, nous vous invitons, amis lecteurs et auteurs, à composer vous-mêmes le menu pendant la semaine du 25 au 31 mars. Une semaine que nous imaginons fantaisiste et entreprenante, à la fois un temps de récréation, de réflexion, et d’invention… Une semaine pleine de nouvelles, de poèmes, récits, reportages, dessins, photos, collages… bref, de toutes ces choses précieuses qui font la vie…



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     : 
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    Le moi souffrant

    Je garde un marteau secret au fond de mon cœur !

    Il me sert à morceler tes rêves, à les démonter,

    En espérant y accéder, je les transforme en eau,

    Puis je les bois. Boire les rêves, j’adore ça.

    Les rêves sont de lourdes pierres,

    Avec, je ne peux pas jongler, je ne peux ni les caresser,

    Ni les jeter au loin dans la jungle,

    De ces pierres je ne peux rien faire, et pourtant

    Tes rêves m’enthousiasment tant et tant que

    Ma peau se couvre de la lèpre du bonheur,

    Je meurs dans la souffrance de ce bonheur.

    Il y a un récipient vide au fond de mon cœur.

    Dedans, il n’y a absolument rien,

    La nuit, j’entends cliqueter tout ce rien.

    Ce bruit qui m’endort me réveille aussi.

    Dedans, il n’y a rien.

    Mais mieux vaut pour moi qu’il n’y ait rien !  


    Extrait de "Poèmes d’amour et de combat" de Taslima Nasreen, aux Editions Librio


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    Ce serait comme une chanson populaire mais le disque serait peut-être rayé nous dit Corinne Jeanson

    A vous cher lecteur d’imaginer la musique… 

    "Qu'est-ce que t'as ?"

    - Qu'est-ce que t'as à chialer comme un gosse dans le noir ?
    - Notre amour n'a jamais cessé, qu'elle m'a dit ce matin au bord du canal.
    - Votre amour ? La bonne blague, il a jamais commencé avec ta brune, qui te court après et qui te lâche au premier courant d'air. Allez, viens, on va chez Jo bouffer...

    - Qu'est-ce que t'as encore à soupirer devant ton plat chaud, là dans notre bistrot de tous les jours ?
    - Tu es mon unique, qu'elle m'a chuchoté à l'oreille.
    - Unique, ça c'est vrai t'es unique avec ta gueule de mac et tes mains de chaudronnier...

    - Qu'est-ce que t'as encore à revoir ce film d'amour, autant quoi déjà... ?
    - Tu seras mon mari, je serai ta femme.
    - Ouais, t'en fais un beau de mari ! Même pas capable d'enfiler deux verres sans être saoul...

    - Qu'est-ce que t'as encore à brailler son nom dans la rue, c'est pas ça qui te la fera revenir. Viens on va rater le tramway.
    - Elle m'a dit que mes baisers sentaient le miel.
    - L'anis, oui, l'anis. Tes sucettes ont le goût de l'anis, mon pauv'gone...
    Qu'est-ce que t'as à pas vouloir marcher ? Allez viens on sera bien chez la Véro. Au moins, y fera chaud et t'y verras des filles.

    - Je pense à toi qu'elle me dit mais elle se retourne jamais quand elle part. Je peux pas dormir, je peux pas manger, je peux pas baiser, elle est là dans ma tête, elle est là dans mon assiette, elle est là dans les yeux des hommes. J'ai plus qu'à crever comme un veau. Laisse-moi mon Pierrot. Je ferai la vie ou je ferai le mort.

    Corinne Jeanson


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    On le pressentait depuis quelques semaines : le poil est en passe de devenir une valeur de référence universelle. Après de nombreuses chroniques consacrées à l’événement, Calipso vous présente sa " Spéciale dépêche expéditive de chez Reuters "

     

    Selon une enquête menée par une firme de cosmétiques japonaise et cité par un grand quotidien économique nippon, les Japonaises auraient tendance à garder les cheveux longs lorsque l’économie se porterait bien et à adopter des coupes courtes en période de crise économique.

    Cette enquête a été conduite durant 20 ans sur plusieurs " échantillons " de 1000 femmes de Tokyo et d’Osaka. Le constat est clair : jusqu’à la fin des années 1980 l’économie japonaise était florissante, les jeunes femmes portaient alors des cheveux longs. Pendant les années 1990, marquées par l’effondrement de l’économie nipponne, les coupes courtes (définies dans ce sondage comme une longueur n’allant pas au-delà de la clavicule) sont devenues les plus répandues. Passé l’an 2000, alors que l’économie se redressait, les cheveux longs ont largement fait leur retour…

    Se fondant sur ce postulat, le journal ne se montre pas optimiste pour la persistance de cette envolée du cheveu car une tendance aux coupes courtes se dessine actuellement dans le pays. Une opinion partagée par plusieurs analystes pour lesquels le cycle de croissance toucherait à sa fin et l’économie s’orienterait vers une récession.

    La validité de cette théorie économique d’essence capillaire est cependant affectée par un nouveau facteur : la popularité croissante du chignon.

     


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    Où les tifs sont de retour et où Jean Calbrix retrousse sa moustache et convie la gendarmerie à coiffer quelques grincheux…

       

    Monsieur Belorgane avait une voix magnifique et son voisinage en profitait bien. Dès l'aurore aux doigts de rose, juste après le chant du coq, il ouvrait largement sa fenêtre, et après avoir inspiré une bonne poumonée d'air frais, il expulsait un tonitruant Rigoletto propre à réveiller les plus endormis. Un chapelet de notes hautes et claires roulait dans la rue, heurtait les façades des maisons, escaladait les toits et allait se perdre loin dans la campagne.

    Si les exploits du stentor ravissaient le coeur et l'âme des riverains, il n'en allait pas de même pour Jean le chauve et Matthieu l'édenté, un couple de vieux grincheux vivant pratiquement reclus à l'extrémité du village en bordure de falaise et affublés par la gouaille populaire du sobriquet de tantines. Les seules occasions de les voir étaient lorsque, chacun à tour de rôle, ils sortaient leur chien Boby dans le jardin pour les crottes et les ébats. Dans cette deuxième activité, ils lançaient une baballe en moumousse que le familier quadrupède ne manquait jamais de leur rapporter.

    Un matin, le chant du coq ne fut pas suivi de l'air d'opéra tant attendu et la fenêtre de Belorgane resta obstinément fermée. Trois témoins racontèrent à qui voulait les entendre qu'ils avaient vu dès potron-minet, deux individus louches rôder autour de la maison du maestro. L'un avait une tignasse brune, épaisse et bouclée, l'autre un sourire démoniaque découvrant 32 dents blanches et acérées. La nouvelle se répandit au sein de la population à la vitesse des maladies honteuses dans la cour de Napoléon IV. Vers 10 heures, madame Pinchon, la femme de ménage de monsieur Belorgane, découvrit, horrifiée, son employeur sur le dos, les yeux irrémédiablement fixés sur l'au-delà. Au milieu de la foule stupéfaite amassée devant la demeure de Belorgane, la gendarmerie déboula tous gyrophares dehors. L'adjudant Dupuis fit les constatations d'usage et, fin limier, à l'instar d'un Sherlock Holmes, décela un trou dans le cou de la victime et un long cheveu blond dans les ongles de ses doigts crispés. Il eut beau passer les lieux au peigne fin, il ne trouva pas d'autre cheveu, ni d'arme du crime, n'était un vieux chicot perdu sous un fauteuil.

    Les trois témoins qui avaient vu rôder les deux hommes louches firent leur déposition. Ils déclarèrent que l'homme au sourire démoniaque était apparemment chauve mais qu'entre chien et loup, de fins cheveux blonds pouvaient donner l'impression de calvitie. Dupuis se convainquit alors que le chauve n'était certainement pas chauve, qu'il avait ceinturé monsieur Belorgane pendant que le brun lui enfonçait un stylet dans la gorge. Le maestro s'était défendu bec et ongle et avait récupéré entre ses doigts un cheveu blond de l'homme au sourire démoniaque.

    Par la suite, les villageois furent interrogés. Tous furent unanimes pour dire que Matthieu et Jean vouaient une haine farouche à "ce braillard" - selon leur propre expression - qui les empêchait de faire la grâce matinée. Hélas ! ils ne correspondaient pas au profil des deux hommes louches. De plus, quand Dupuis alla toquer à leur huis, ceux-ci apparurent les yeux embrumés de sommeil et déclarèrent qu'ils n'avaient jamais si bien dormi.

    L'affaire s'enlisa et l'adjudant s'arrachait les cheveux, d'autant que sa hiérarchie attendait des résultats pour faire mentir les statistiques. Dès lors, Dupuis retourna régulièrement sur les lieux, refaisant les mêmes constatations, récoltant les mêmes témoignages, replongeant dans le même brouillard. Et puis un jour, il croisa un gamin qui chantait :

    Y a pu d'chweu sur la tête à Matthieu,

    Y a pu d'dent, y a pu d'dent,

    Y a pu d'chweu sur la tête à Matthieu,

    Y a pu d'dent dans la mâchoire à Jean.

    - Tu te trompes, petit, lui fit Dupuis. C'est "y a qu'un chweu" et "y a qu'une dent".

    - J'sais c'que j'dis, répondit le gamin qui le fixa, goguenard.

    La chose fit trois fois le tour des circonvolutions cérébrales de l'adjudant qui, pris d'une illumination soudaine, se dirigea d'un pas alerte vers la demeure des deux "tantines" qui, lorgnant derrière leurs rideaux, le virent venir de loin et se mirent à s'agiter en tous sens. Jean s'engouffra dans la salle de bain pour mettre son dentier dans l'eau trouble d'un gobelet - dentier dans lequel il y avait un trou à la place d'une canine - tandis que Matthieu, couvert d'une moumoute brune et suivi de Boby, se précipitait dehors par la porte de la buanderie à l'arrière de la maison, jetait cette moumoute du haut de la falaise et réintégrait la maison.

    Lorsque l'adjudant toqua à leur porte, les deux chauves édentés apparurent avec des bouilles de communiants.

    - Qu'avez-vous fait de votre cheveu ? demanda Dupuis à Matthieu.

    - Hélas ! je l'ai perdu en automne. Comme la plume au vent, il s'est envolé sous la bourrasque.

    - Ne serait-ce pas lui ? fit le gendarme en sortant de sa poche le poil blond extrait des griffes du mort.

    - Oh, non ! j'étais un beau brun du temps de ma jeunesse folle.

    Jean, pendant ce temps, souriait, ouvrant une bouche laissant apparaître des gencives orphelines de leurs dents.

    - Et vous, qu'avez-vous fait de votre dent ? lui fit l'adjudant.

    - Ne m'en parlez pas. Je l'ai laissée dans un croûton de pain.

    - Ne serait-ce pas elle ? fit le gendarme en sortant de son autre poche la canine découverte sous le fauteuil.

    - Oh, non ! répondit-il tout en désignant un croûton sur un buffet avec un magnifique croc planté dedans.

    L'espoir de tenir les deux coupables s'envolait et Dupuis s'apprêtait à repartir gros Jean comme devant.

    Tout à coup surgissant du bord de la falaise, Boby apparut, frétillant de la queue, la moumoute brune et bouclée dans la gueule...

    La suite fut aisée. Une perquisition permit de découvrir le dentier de Jean. On lui en chaussa les mâchoires ; il lui allait à merveille. Ensuite, on couvrit le chef de Matthieu avec la moumoute. Les trois témoins, appelés d'urgence sur les lieux, les reconnurent comme les individus louches rôdant avant l'heure du crime autour de la maison du maestro, à un détail près : il manquait une canine dans le sourire du démoniaque. Ce détail fut éclairci par la reconstitution des faits : les tantines avaient pénétré en catimini dans la demeure du maestro. Jean avait enlevé son dentier, car allez mordre avec un appareil dentaire ! Il avait ainsi rendu fonctionnelle l'arme du crime : sa canine, seule survivante d'un désastre dentaire. Matthieu, ceinturant le ténor, avait, au plus fort du pugilat, perdu sa moumoute et la victime lui avait arraché son unique cheveu avant d'être mordu par l'unique dent de Jean, cette dent qui s'avéra s'adapter parfaitement dans le trou du cou du ténor et qui, sous le choc de cette attaque pleine de rage, s'était déchaussée et avait roulé sous le fauteuil. Les deux gredins, confondus, finirent par avouer qu'ils avaient tué leur réveille-matin.

    Cette histoire lamentable montre que la musique n'adoucit pas toujours les moeurs, sûr !, et conduit à une mort sûre.

    Jean Calbrix


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