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    Il n’y a pas eu de grand tintamarre. Autour de minuit, je suis allé là, là et là, histoire de découvrir les premiers mots de l’ère nouvelle, écouter les hommes et les femmes retenir leur souffle avant de s’embrasser, de se dire bonne année, d’espérer le meilleur, de brûler du désir d’aller de l’avant et de s’offrir peut-être un rendez-vous inédit qui durerait presque toute la vie… Presque, car sait-on jamais ce que le sort nous réserve… Presque, car bon an mal an, le nouvel élan tarde à venir. Presque, car on se dit que les rêves ne sont jamais à l’heure ou que la vie rêvée ne supporte qu’une courte absence au monde. Presque, c’est le temps d’une douloureuse éclipse, un instant fugitif qui colle indéfectiblement au désir et qui installe une distance, une façon de rester légèrement en retrait, discrètement à l’écart … 

    Minuit passe donc avec les bulles et presque tous les bruits de la vie. Quelques minutes de gaieté mousseuse, de respiration collective, de lèvres frémissantes, d’exclamations dévergondées, d’éclats de rire féminins, et la deuxième heure est déjà là. On danse encore un moment, les corps se pressent et les mains ont envie de plaire. Quelqu’un fait part de son embarras, son verre est vide et il ne trouve pas l’eau-de-vie qui le ragaillardirai, vous n’avez donc plus soif vous autres ? Rien qu’un appel à célébrer un peu plus hardiment cette formidable naissance se dit-on, un petite interrogation presque sans importance et pourtant en un instant l’atmosphère se charge de silences. On pourrait presque s’éclipser. Une bouteille surgie de nulle part et une seconde apostrophe suffisent à faire courir l’infinité des mots. On bat le rappel du passé, on évoque les vieilles connaissances, les souvenirs heureux valsent dans les conversations, rappelle-toi, c’est ici que nous nous sommes embrassés pour la première fois… je m’en souviens très bien… mon dieu, combien d’années se sont écoulées ? juste un peu d’ivresse, juste une petite vague de nostalgie, les regards sont moins confus et se rencontrent… mais les hommes ont leurs habitudes et l’on ne tarde pas à virer à l’examen de la situation internationale, à faire l’inventaire de l’humanité, chacun a la conviction que la vie n’est pas idéale, seul le roi peut-être s’amuse, on pressent que le monde a basculé et pour l’occasion on reconnaît des erreurs d’appréciation mais deux ou trois phrases définitives pourvoient vite au renouvellement de la vérité, on reparle de secouer les âmes endormies, sûr qu’il faut songer à creuser de nouvelles voies, quitter le carcan, c’est presque une question de vie ou de mort…

    A la troisième heure, les femmes se désolent du temps qui passe et des hommes qui ressassent. Elles sont nombreuses à organiser le repli dans les appartements.

    Peu après la quatrième heure, les cafés se vident pour solde de tout compte.

    Dans l’air brumeux et froid de la cinquième heure, je suis rentré à mon tour. J’ai retiré la clef de la porte, laissé entrer le vent et invité les muses à me parler de l’étranger, à m’éclairer sur l’autre côté, me dire si la guerre y faisait rage aussi, si l’on mourrait de la peste brune et si l’on traversait la vie avec des bleus autour des yeux… ou s’il y avait encore quelque chose à provoquer en farfouillant dans le grand tourbillon de l’éternité…


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    Elle nous rend souvent visite et nous apporte presque toujours un petit quelque chose à partager. Nouvelliste chevronnée, il lui arrive de goûter aux vertus de la poésie. Elle nous offre aujourd’hui une belle mosaïque de mots qu’elle signe Ysiad.

    Patchwork

    Gris.

    Gris le ciel du soir

    Au-dessus de la maison

    Mille fois reprise en pensée

    Restituée pierre après pierre

    Face à la mer

    Avant l’orage

    Blanc.

    Blancs les moutons d’écume

    Au pied de la maison perdue

    Eclatée, morcelée

    Ressaisie sous les paupières

    Peuplée de morts étincelants

    Noir.

    Noirs les nuages de Bonnard

    Pesant dans un ciel de traîne

    Tout est pourtant si lent

    Tout est pourtant si doux

    En cette fin d’été

    Rouge.

    Rouge la braise du souvenir

    Malgré la distance

    Maison incandescente

    En surplomb dans ma mémoire

    Posée sur la toile

    Comme une pierre un peu trop vive

    Ce soir

    Dans le courant des jours envolés

    Ysiad



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    Puis, pendant plusieurs années, il lui avait appris à glisser son pied au sol, sans le plier, ployer la jambe et se rétablir. Et de cette démarche qui tenait plutôt du pingouin, il lui avait appris à faire un vol d’oiseau, à rivaliser avec les acrobates aériens, véritables plumes s’envolant sous la coupole du chapiteau.

    Viviane Faudi-Khourdifi " Plumes de Cirque ", 2007.

     

    Au bonheur des hommes

    La boutiques des gens heureux

    Et aussi celle de ceux qui cherchent le bonheur

    Un brin d'amour

    De l'amitié

    De la reconnaissance

    Beaucoup d'aisance

    pour nouer des liens

    forts

    avec gens fidèles

    et respectueux

    des qualités

    des défauts,

    des différences

    des retenues

    des débordements

    des absences,

    des envahissements

    du désœuvrement

    de la boulimie

    de l'asthénie

    de la fringale

    de la passion

    de toutes ces choses

    qui sont richesses

    de l'être humain

    Ana Surret

     

    ...Mais mon printemps à moi, c’est un sourire sur les lèvres de Lou, ce sont ses bras autour de mon cou comme lorsqu’elle était toute petite, c’est une étincelle de plaisir, de bonheur dans ses grands yeux noisette; mon printemps, c’est chaque fois que sa voix me chante ses rêves, ses projets, ce sont ses éclats de rire qui me disent : " Je vais bien, maman, je suis heureuse ! "

    Danielle Akakpo

     

    Si les mots avaient plus de muscles, je pourrais les lancer à la gueule de ceux que je hais. Si les mots étaient plus doux et s'ils avaient plus de savoir-faire, ils te diraient combien je t'aime.

    Ernest J. Brooms

     

    Les livres, le mot nous le dit si bien, nous livrent notre histoire, quel qu’en soit le sujet, c’est notre humanité qui s’y trouve racontée.

    Nathalie Hense

     

    On a beau être seul, en un regard, on peut ressusciter.

    Jean-René Godule (Le non sens),

     

    Enfant, je détestais les ouvriers, leur démarche lasse, leurs corps noués par la chaîne. Ce terme même de chaîne ne témoignait-il pas de leur condition d’esclaves ? Oui, je détestais les ouvriers, comme on peut les détester à neuf ans, lorsqu’on a vu, chaque jour de sa vie, le bleu paternel sécher près du poêle à mazout.

    Françoise Guérin  (Du bleu dans le rose, Revue Hauteurs Déc. 2006)

     

    Une jolie phrase de Chesterton pour ce début d'année :

    Les anges volent parce qu'ils se prennent à la légère.

    Désirée Boillot 


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