• Jean-Pierre Michel est un de ces habitués du café que nous ne connaissons pas ou si peu… On peut dire qu’il aime bien la série " Transit " et d’ailleurs quelques jours avant " Les fêtes " il est venu déposer au comptoir une variation poétique sur ce thème puis est reparti vers ses terres sur la pointe des pieds, sans un mot…

     

     Le train

     

    Dans les matins mouillés par l’haleine de brume

    A l’heure d’aborder le pénible parcours

    Les ombres ont surgi des gigantesques tours

    Pour longer d’un pas vif les chemins de bitume.

     

    Sur le quai de la gare, à l’approche du train

    Se prépare l’assaut, qui vous prend, vous soulève

    Et vous porte aux instants d’un voyage sans rêve

    Où l’élan du sourire a perdu son entrain.

     

    Hissé dans le wagon sous la poussée brutale

    Au son d’accordéon qui engendre l’ennui

    Chacun, sur le trajet, vient poursuivre sa nuit

    Quand se ferment les yeux jusqu’à l’ultime escale.


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  • Dominique Guérin aime bien passer un peu de temps au café. Elle apprécie le décor, feuillette le menu, goûte quelques spécialités, commente fables, légendes et odyssées, puis raconte à son tour…

     

      

    La voix est sentencieuse :

    - il y avait beaucoup de monde dans le TGV Atlantique vers 6 heures, ce soir.

    Comme si c’était l’annonce du siècle !

    Dire que je paie ma redevance pour entendre le même blabla à chaque fois que les vacances scolaires reviennent sur le tapis. Ce leitmotiv du journal télévisé me rattrape toujours au moment le plus vulnérable de mes journées solitaires, quand le crépuscule engloutit le HLM où je niche dans un studio vétuste.

    Le présentateur, l’œil rivé sur son prompteur, se fend d’un sourire apitoyé. Je me demande pourquoi. Les images illustrant son propos ne m’inspirent aucune compassion. Au contraire. Elles me donnent toujours l’impression de l’avoir raté, ce train. Car je les envie ces quidams en partance, rivés à leurs valises et piaffant sur un quai bondé. Leur TGV a du retard ? La belle affaire : demain, ils seront ailleurs. Je leur souhaite tout le soleil du monde.

    J’avale ma semoule en les regardant se bousculer vaille que vaille. La SNCF a encore mal calculé son coup. Pas assez de wagons malgré le surplus réquisitionné pour la bonne cause : celle des congés migratoires.

    Pauvres estivants ! Leur nuit sera longue, la mienne sera courte. Ils sommeilleront jusqu’à destination, paupières bouffies et cœur en fête. Je me lèverai aux aurores, yeux gonflés et moral en berne. Non vraiment, je n’arrive pas à les plaindre. Même se posant en victimes du dérapage horaire des transports en commun : c’est le prix à payer et ce prix-là, je serais prête à en doubler la mise pour endurer leur calvaire récréatif. Seulement voilà, les petits boulots d’intérim limitent mon horizon festif aux tours de banlieue qui surplombent les méandres orléanais de la Loire. Il y a sable et sable : nos plages ne se ressemblent pas.

    Soudain, je me retrouve en Irak. Là-bas aussi il fait soleil... J’éteins la télé.

    Mon bol échoue sur la paillasse de l’évier. J’ai la flemme de le rincer et je m’allonge tout habillée sur mon lit défait. On est déjà presque demain. Mais demain ne sera pas un autre jour !

    5 h. Le radio-réveil y va de sa litanie quotidienne. Irak, attentat, grèves, météo. Je me dirige au radar vers la cafetière. Diam’s s’éclate sur les ondes. Je frissonne. Ont-ils débarqué à bon port, les voyageurs surnuméraires d’hier soir ? Voiturés du départ à l’arrivée, sans autre souci que leur billet à composter et leurs bagages à caser… En fin de nuit, ils ont dû investir villas, gîtes et hôtels. Qu’ils y reposent en paix avant d’émerger devant un copieux déjeuner et de pester à loisir sur leurs déboires ferroviaires de la veille. L’heure n’est pas à l’indulgence : je les déteste, eux et leurs mesquines doléances de gagne-moyens. Après tout, moi aussi, j’existe. Moi aussi, j’en ai ma claque des transports.

    J’avale mon kawa serré puis me déshabille à contretemps, me douche, me rhabille avec les mêmes vêtements froissés, faute de motivation devant ma modeste garde-robe. Rien que de penser à l’enfilade des locaux vides voués à ma serpillière, j’ai la nausée : et aujourd’hui plus encore que d’habitude au souvenir du faux scoop aoûtien filmé Gare Montparnasse. Dehors, la pluie m’accueille. Je précipite le pas.

    Il y a beaucoup de monde dans le bus n°9 à 6 heures, ce matin.

    Mais je doute que ça fasse la Une du journal télévisé !


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  • La série " Transit " a inspiré Suzanne Alvarez. Elle nous propose une sorte d’itinéraire bis, une bifurcation au niveau de la fin du Transit 03 … Un voyage plus long que d'habitude, mais nous avons le temps, n’est-ce pas ?

     

     

    Novembre 70. Par un jour liquide et froid, Lise s’engouffra dans le hall de la gare de Belfort, descendit le grand escalier, prit à gauche, parcourut un interminable couloir, remonta à droite par un autre escalier qui menait au quai n°5 : un rituel depuis deux ans.

    L’omnibus de 4 h 07 pour Besançon l’attendait déjà, crachotant son haleine chaude et humide.

    Elle grimpa dans le compartiment désert, surchauffé et éclairé d’une vieille lumière jaune. Avec toujours la même nausée, le même écœurement. Trois heures de train pour 99 kilomètres. Un vrai tortillard.

    Comme d’habitude, le train ayant à peine démarré, elle ferma les yeux, indifférente à la poésie du paysage.

    – Billet ! S’il vous plaît.

    Dans une impossible hésitation du temps, Lise émergea de cet état bienheureux qu’elle avait pris l’habitude de nommer " son coma ", considéra avec étonnement le triple menton déployé sur la cravate au sigle SNCF et enfin, tendit le document exigé.

    – Ce train va à Mulhouse ! Vous vous êtes trompée, Mademoiselle ! 

    En même temps, alliant le geste à la parole, il sortit un carnet à souches de la poche de sa chemise, défit l’élastique fatigué qui l’enserrait, apposa soigneusement un carbone entre les deux pages, prit son " Bic " bleu et s’appliqua d’une écriture fine et soignée.

    Elle l’eût volontiers imaginé tirant péniblement la langue.

    Incrédule, frappée de stupeur devant sa méprise, elle finit par articuler en hoquetant :

    – On a changé mon train de place ! J’ai l’habitude de le prendre quai n° 5 ! 

    Elle tenta pourtant de surmonter son anxiété. Mais en vain. Son front s’était recouvert d’une fine couche de sueur.

    Sans se départir de sa terrifiante bonhomie, et sans d’autre explication, il lui dit :

    – Ce n’est pas bon, les habitudes, Mademoiselle !

    Lise regarda le contrôleur avec des yeux d’épagneul dont elle savait, inconsciemment, tirer parti. Elle réussit à s’émouvoir elle-même et ne put retenir ses larmes.

    Sensible à ce désarroi de jeune fille, il eut pour elle une mine condescendante, biffa la page qu’il venait de noircir avec tant d’efforts. Puis, non sans avoir, au préalable, inscrit une petite annotation dans la marge, remit son calepin dans sa poche :

    – C’est bon pour cette fois ! Mais à l’avenir, renseignez-vous, Mademoiselle ! 

    Quand il se fut éloigné enfin, elle relâcha sa tension, et s’abandonna avec lassitude sur la moleskine usée de la banquette. Puis elle se perdit dans la contemplation du paysage à travers la vitre sale.

    Le train entrait en gare de Mulhouse, fendant dans un sifflement lugubre un brouillard laiteux et froid. Il stoppa comme dans un râle.

    Le retour à la surface  dans l’aube crasseuse du petit matin, lui fit songer avec amertume qu’il lui fallait s’offrir un billet pour repartir en sens inverse. Elle imagina le regard dur et gris de son père quand elle devrait lui raconter tout ça.

    Un début d’angoisse la fit frissonner.

    " Ça ", c’était aussi son examen qu’elle allait rater pour la seconde fois.

    A la dernière session, c’était parce qu’elle ne l’avait pas bien préparé. Et à présent qu’elle se sentait au top, elle allait le manquer parce qu’elle n’arriverait jamais à l’heure. C’était foutu ! Raté ! C’était pire que de la malchance ! Son père l’avait bien prévenue :

    il ne pouvait pas passer sa vie à l’entretenir ! Elle devrait dire adieu à ses chères études et chercher du travail. N’importe quoi, pourvu qu’elle bosse !

    Ça, elle n’avait pas fini de l’entendre !

    Assise sur un banc du quai, ressassant sa détresse et indifférente à tout ce qui l’entourait, Lise ne vit pas arriver le curieux équipage : deux des trois hommes étaient menottés l’un à l’autre. Comme ils passaient devant elle, celui qui restait libre de ses mouvements dit à l’intention de son collègue :

    – J’appelle le service et on y va. Si on se magne avec le giro, on pourra être à Besançon avant dix heures.

    " Besançon ". Ce nom lui fit lever la tête brusquement…et c’est alors qu’elle les vit, comme ils s’engouffraient dans l’un des bureaux de la gare. C’était donc deux flics en civil convoyant un malfrat !

    Stimulée par ce qu’elle venait d’entendre, elle se leva d’un bond et les suivit…

    Elle hésita devant la porte vitrée, consciente de son audace. Mais l’enjeu était trop important pour elle et, sans plus réfléchir, elle toqua contre le verre dépoli et entra sans attendre la réponse.

    D’un coup d’œil, elle embrassa la pièce. Trois grandes tables étaient disposées contre les murs. Derrière l’une d’elles, un cheminot examinait des papiers. Les deux hommes enchaînés ensemble se tenaient debout, au milieu de la salle.

    Elle reconnut aussitôt le plus petit. Il était vêtu d’un blouson de cuir beige. Ainsi, c’était donc lui le dangereux Simon Trois Yeux, l’auteur de certains hold–up de bijouteries. Elle se souvint de son visage à la " une " des journaux quand il avait tué un bijoutier de Mâcon, et aussi de son étrange surnom qu’il devait à un œil tatoué sur le cou, juste sous l’oreille droite. Comme il se tenait de profil, elle put voir le fameux tatouage.

    Le policier jumelé à lui et vêtu d’un ensemble blue-jean, se caractérisait par un nez énorme.

    Elle pensa que, chez lui, l’expression avoir du nez ne se réduisait pas à une simple image et elle imagina sans peine les moqueries que son flair devaient susciter chez ses collègues.

    Le second policier était assis à une autre table et tenait un combiné à la main. Apparemment, il semblait attendre une communication. Il la regarda à peine.

    Enfin, dans un coin de la pièce, un homme à la stature imposante était assis lui aussi et lisait un journal. A l’entrée de Lise, il abandonna sa lecture pour s’intéresser à elle, en restant toutefois silencieux.

    Affreusement intimidée, Lise affronta le regard courroucé de Gros Nez qui s’était retourné au bruit de la porte.

    – Qu’est-ce que vous voulez ! aboya–t–il.

    – Excusez-moi…je…heu…je me suis trompée de train à Belfort…je vais à Besançon en fait mais…il faut que j’y sois avant onze heures. Je dois passer un examen…et heu…c’est très important pour moi…et il n’y a pas de train avant 10 h 30. Je n’arriverai jamais à temps…

    – Et alors ? rétorqua le flic, qui semblait s’amuser à la laisser patauger.

    – Eh bien…heu…j’ai entendu que vous y alliez aussi et…

    Le tarin l’interrompit brutalement :

    – Vous n’imaginez pas qu’on va vous emmener, non ?

    - Ben…heu…je me disais que puisque vous y alliez…je me

    disais que moi aussi…

    - Non, mais t’entends ça Louis ? Vous croyez qu’on n’a que ça à faire ? Allez, jeune fille, retournez jouer dehors et foutez–nous la paix !

    – Mais…je vous ai dit que c’était impor…

    – J’ai dit dehors ! Avant qu’on se fâche.

    Elle se dirigea vers la sortie…et se retourna dans un ultime espoir, le cœur au bord des larmes, quand…

    – Un instant, Messieurs !

    Elle se figea. L’homme au journal se leva posément et s’approcha d’elle. Négligemment, il examina l’étiquette pendue à la mallette qu’elle tenait à présent serrée entre ses bras et lui dit en souriant :

    – C’est bien ce que j’avais vu. Bonjour, Mademoiselle Lise ! Je suis content de faire enfin votre connaissance. Je suis un ami de votre papa. Commissaire Principal Lorenzo. Votre père me parle souvent de vous, et toujours avec beaucoup de fierté, vous savez !

    Complètement abasourdie, elle attendit la suite, les mains moites, avec une lueur touchante et presque tragique au fond des yeux, n’osant encore espérer, et prévoyant même un refus, dont l’idée seule lui était insupportable.

    C’est alors qu’il se tourna vers les deux inspecteurs et se figea dans une expression de gravité sentencieuse :

    – Messieurs, je vous présente Lise, la fille de mon ami Delaz. Alors, soyez gentils avec elle, et avant de passer au service, déposez–la sur les lieux de son examen !

    – Mais patron…commença Gros Nez.

    – Millau, vous ne voudriez pas compromettre l’avenir de cette jeune fille, n’est–ce pas ? l’interrompit le Commissaire sur un ton de reproche.

    Et devant le mutisme de l’inspecteur, il ajouta :

    – Et ne vous inquiétez pas, je prends ça sur moi et je me charge du Parquet également.

    Millau bredouilla une vague dénégation, tandis que son collègue raccrochait le combiné et se levait. Simon Trois Yeux qui n’avait pas perdu une miette de la conversation émit un ricanement prolongé, aussitôt sanctionné par un virulent " Toi, ta gueule !" proféré par Gros Nase, trop content de pouvoir extérioriser à bon compte son mécontentement.

    Eperdue de bonheur, Lise, escortée par le serviable ami de son père, suivit les trois hommes jusqu’à leur voiture. Elle ne savait que répéter :

    - Merci, merci bien, vraiment…je vous remercie…

    Les deux menottés montèrent à l’arrière de l’Alfa Roméo et elle prit place à côté du chauffeur qui planta son gyrophare. Elle serra une dernière fois la main du Commissaire Lorenzo et la voiture bondit, sirène hurlante.

    Dans le rétroviseur, elle vit le visage grimaçant de Trois Yeux, tassé sur la banquette et elle pensa qu’elle avait eu de la chance de croiser son chemin.

    Quinze jours plus tard, elle appelait le Commissaire Lorenzo pour lui annoncer la bonne nouvelle. " Ça ", il le lui avait fait promettre.

    – C’est Papa qui va être content ! ajouta-t-elle, euphorique, avant de reposer le combiné.

    Puis elle revint, le cœur battant, consulter de nouveau le panneau d’affichage des résultats pour s’assurer qu’elle n’avait pas rêvé : pas de doute, c’était bien son nom qui était écrit là entre " Delaunay " et " Deleuze ".

    Elle huma l’air. Il sentait l’humidité et le bois brûlé. Elle songea tout à coup que la vie était belle et que c’était bon de vivre.

    Alors, elle prit le chemin de la gare de Besançon…

    Elle traversa le hall déjà tout éclairé. Puis se dirigea tranquillement vers le quai n° 1. L’omnibus de 17 h 01 pour Belfort n’était pas encore là.

    Elle consulta sa montre : elle avait le temps de retourner dans le hall pour acheter un magazine qu’elle lirait dans le train.

    Elle fit demi-tour et s’arrêta devant l’étalage pléthorique de journaux et de revues que proposait le kiosque. Là, en première page de tous les quotidiens, elle reconnut un visage. La photo devait être la même. Seul, le cadrage changeait.

    Les titres disaient : " Simon Binet dit Simon Trois yeux, s’est donné la mort dans sa cellule ", " Suicide du braqueur de bijouteries "… Elle revit le visage grimaçant d’un homme dont les poignets et les espoirs étaient lourdement entravés, un homme dont la cavale venait de prendre fin sur le quai d’une gare. Elle se souvint que, ce jour-là, elle se sentait elle-même prisonnière d’un horaire, d’un avenir que, par manque de vigilance, elle pouvait avoir compromis. Et aussi, elle se souvenait du regard intransigeant de son père. Elle sourit tristement en pensant que, en comparaison…

    Elle détacha son regard du visage de cet homme qui semblait ne fixer qu’elle, et se rendit à la caisse. Non, elle n’achèterait pas le journal, elle n’avait pas besoin d’en savoir davantage, elle n’était pas avide de détails morbides…

    – Auriez-vous une revue consacrée aux voyages lointains ? demanda-t-elle à la vendeuse.

    – Oui ! J’ai celle-ci qu’on me demande souvent. Tenez ! " E V A S I O N S "

                                                                                                            Suzanne Alvarez


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