• La gare était noire de monde et une immense clameur s’élevait de ses entrailles. Les hommes de garde avaient depuis longtemps actionné l’alarme et les douaniers pris possession des quais. De très loin, on pouvait l’entendre braver le supplice des sables. Le convoi, chargé des semences bien fumantes de l’humanité, paraissait toujours plus monstrueux à chacune de ses apparitions. Crevant la cuirasse des ténèbres, il surgissait dans un déchaînement de poussière et d’écume. Des milliers d’étincelles griffaient les rails, et quand l’air était particulièrement lourd, le feu prenait sur les tumulus. La foule des affamés, oublieuse de tout, s’enivrait de ces flammes paradisiaques et entonnait à son approche d’envoûtants cantiques. Sûre de sa bonne fortune la soldatesque écoutait sans broncher. Ses armes hautement aiguisées avaient le pouvoir d’aveugler les plus fervents. Les anciens disaient que la nuit finissait toujours par tout envelopper et plus d’un bienheureux se perdait avant même d’atteindre les aires de déchargement. Des missionnaires ouvraient parfois une brèche pour recueillir une poignée d’illuminés. On se battait pour en être, seule échappée possible pour engranger la terre et se sentir pousser des ailes.

    Il n’avait jamais cherché à attirer l’attention sur lui mais le sort l’avait choisi et il lui fallait faire preuve de reconnaissance en restant constamment à portée de main de ses protecteurs. Il comprenait mal leur langue et il lui arrivait souvent de rester bouche bée ou de transpirer à grosses gouttes quand ils l’instruisaient des recoins de leur âme. Sa nouvelle condition lui donnait accès aux plates-formes de transfert et à quelques entrepôts privés. C’est là, au milieu des caisses et des ballots que certains soirs, tête et corps repliés, il lui fallait s’abandonner à la chaleur des dieux.

    Souvent il avait eu envie de fuir et peut-être l’aurait-il fait s’il n’y avait eu cette voix qui lui martelait les tympans, ne l’abandonne pas, elle a besoin de toi… Et tandis que sur les aires on palabrait sur le partage des dons, il l’imaginait saignée par le mal et dépossédée de sa superbe et plutôt que de mendier à son tour sa part, il ravalait ses grimaces de haine, chassait les papillons cendrés qui gonflaient ses paupières et partait à l’assaut des wagons du paradis. Son épouse réquisitionnée pour les besoins des compartiments spéciaux y allumerait forcément un jour une petite torche.


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  • Longtemps ils s’étaient promenés le long des rails. Après leur premier baiser, ils avaient emménagé dans une rue qui donnait sur la gare, côté grandes lignes. De leurs fenêtres ils se plaisaient à regarder les trains qui s’en allaient respirer l’air du large. La plupart des voyageurs quittaient la ville avec un enthousiasme fiévreux et beaucoup emportaient avec eux l’espoir d’une vie différente. Ils aimaient les saluer et entendre les rires des enfants quand ils les voyaient s’embrasser. Ils avaient un faible pour ceux qui s’en allaient sur un coup de tête, pour les amoureux qui savaient inventer l’éternité en quelques secondes et pour les vagabonds qui élargissaient si effrontément le paysage. Ils se disaient qu’un jour la voie ferrée serait illuminée de milliers de flambeaux et qu’un messager de la compagnie viendrait leur offrir un titre de transport. Ils s’étaient laissés aller à cette rêverie qui adoucissait si naturellement la longue usure des jours.

    Elle était moins vieille que lui mais elle avait choisi de partir la première. De prendre seule un train pour la mer. Un de ceux qui crachaient encore de la fumée et qui quittait les villes en sifflant. La veille encore, la gare était en fête pour l’envol d’un couple de jeunes mariés. Elle avait accompagné les tourtereaux d’une chanson nostalgique au goût de chair et de sueur. Il l’avait senti prise d’un mauvais frisson quand un oiseau sorti brusquement des nuages avait piqué droit sur le quai. Sa voix avait déraillé à plusieurs reprises et sitôt le train disparu elle avait levé les mains au ciel en signe de désolation.

    Au cours de la nuit, sa peau s’était mouchetée et un afflux de perles sanguines avait voilé ses yeux. Il faisait une chaleur d’enfer et ils n’arrivaient pas à dormir. Leurs pensées restaient suspendues à l’orage qui menaçait et ils n’avaient échangé que d’affreuses banalités. Peu avant les premières lueurs de l’aube la tourmente s’était relâchée et il lui avait demandé d’attendre un peu, de s’asseoir sur le lit, de dire quelque chose dans le noir, même une absurdité.

    Elle avait attrapé son sac à main et s’en était allée en dévalant les escaliers comme si elle était en retard. Le sifflet du chef de gare avait retenti au moment où des taches violettes apparaissaient dans le ciel.


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  • Sa valise était toujours prête depuis qu’un fonctionnaire lui avait rappelé qui elle était et d’où elle venait. Son père avait disparu lors du dernier recensement et elle s’était retrouvée seule à s’occuper des enfants. On disait que le monde était devenu plus assuré maintenant que chaque communauté était astreinte à porter un insigne. Comme son père elle n’en avait pas voulu, convaincue qu’un jour ou l’autre des hommes en costume noir viendraient de toute façon frapper à leur porte.

    Ils avaient fait irruption pendant la célébration de l’expiation. Interpellés et conduits à la hâte au pôle de regroupement par des routes vides de toute présence humaine. Quelques minutes avant que le train entre en gare, on l’avait séparée des siens. Une main gantée avait saisi sa main et un bras galonné enserré sa taille. Des jambes s’étaient pressées contre les siennes. Des bottes l’avaient foulée et entraînée vers une voiture réservée. Sa langue était restée muette mais ses yeux avaient réussi à accrocher d’autres yeux, à interroger les lèvres des plus vieilles. Les vitres des wagons miroitaient sous le gel et derrière la réverbération on devinait les ailes déployées d’un aigle impérial et son énorme gorge, béante de cris humains.

    Au milieu de la nuit le train s’était arrêté dans une gare périphérique, peu éclairée. Les contrôleurs faisaient cracher leurs sifflets et claquer les crocs de leurs chiens. Hommes, femmes, enfants étaient triés et classés dès leur descente. Avec une effarante absence de peur chaque groupe s’engouffrait dans d’obscurs passages souterrain. Avant qu’ils ne disparaissent à leur tour, elle avait eu le temps d’entrevoir les petits et de se laisser traverser par la lueur immortelle de leurs regards. Le pire n’est jamais sûr disaient les anciens, aussi n’avait-elle pas cherché à infléchir la course vers ce pire…


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  • Quand il en avait eu assez de lutter contre les dragons et les vampires, il avait décidé de prendre le large. Il se doutait bien qu’ailleurs l’atmosphère resterait chargée de spectres et de mauvais génies mais il en avait cure. Dans sa situation, il lui fallait forcément payer un tribut. Chaque jour qui passait lui apportait suffisamment de raisons de battre en retraite.

    Il avait pris l’habitude de monter dans le premier train venu et d’attendre un éparpillement des regards avant de s’esquiver et d’attraper une correspondance. Brouiller les pistes ne le protégeait que quelques heures, à peine le temps d’écouter les nouvelles sur une station locale, de manger un bout et de s’assoupir. Un sifflement strident ou un cri aigu le réveillait brutalement. Des images sans liens entre elles lui venaient alors à l’esprit. Il se retrouvait pris dans la gueule béante d’une ville sous contrôle, pleine de miroirs déformants. Il se demandait si ses yeux voyaient l’envers ou l’endroit du monde. A chaque fois il lui fallait surmonter l’envie de les fermer et de se précipiter tête baissée dans la jungle des reflets.

    Et puis, il repensait à ce jour où pour la première fois il avait failli être emporté alors qu’il rentrait de mission, épuisé et incapable d’autre chose que de dormir. On peut disparaître à force de dormir, lui avait dit son voisin de couchette. L’homme s’obligeait à garder un œil dedans et l’autre dehors. L’idée de passer à la trappe l’obsédait. Comme lui aujourd’hui, il avait trouvé refuge dans les trains. Il parcourait le territoire sans faire de bruit ni rien voir du paysage, apparaissant et disparaissant sur toutes les lignes sans qu’aucun contrôleur se souvienne l’avoir croisé ici ou ailleurs.

    A son tour il circulait dans cette fraction d’espace, juste en dessous du réel. La nuit était toujours plus profonde. Mais l’important était de bouger, d’être loin, toujours plus loin, y compris de soi-même.

     


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  • Au début c’était toujours la même image qui lui revenait. Juste avant de refermer la porte du compartiment, elle avait jeté un coup d’œil sur son mari. Il s’était assoupi. La tête plaquée sur le rideau de la fenêtre. Un papillon doré badinait dans ses cheveux. Le train entrait alors dans son rythme de nuit. Dehors la terre jouissait de l’étirement infini de la lumière. Dans le couloir elle n’avait fait que quelques pas avant de s’effondrer. La collision s’était produite au passage d’une gare. La plupart des voyageurs étaient à terre. La peur avait déclenché les cris. Engendré des plaintes et des sanglots. Haché les pensées. Elle n’avait pas senti la douleur de ses deux jambes brisées. La détresse l’avait rapidement happée et autour d’elle l’obscurité s’était brusquement alourdie. A son réveil, il était toujours là, dans l’encoignure. Un grand sourire cassé barrait son visage. Ses yeux fixaient un point lumineux dans le lointain. Tout de suite elle s’en était voulue. Jamais elle n’aurait dû le presser de partir. Qu’avait-elle besoin de cette excursion alors qu’elle avait le ventre en joie, qu’ils formaient une si belle totalité ? Et pourquoi l’avait-elle invité à échanger leurs places ? A l’exposer lui, au péril ? L’instant d’avant, dans le couloir, quelqu’un de grand et fort avait attiré son attention. Son visage était masqué par la pénombre mais il lui avait semblé reconnaître un bon ami qu’elle chérissait autrefois. A présent qu’elle était si triste, elle s’en souvenait comme d’un être sorti d’elle-même, une sorte de reflet de son homme portant l’envers de son âme. Quand la fin du jour venait, elle ne pouvait s’empêcher de trembler à l’idée de sentir cette présence venue des ténèbres, ses lèvres se mouillaient de chagrin et elle aurait voulu mourir à ce moment-là. Elle passait alors la nuit à guetter un signe des étoiles. Au petit matin, les mains agrippées au fauteuil roulant elle se laissait emporter à l’hôpital sans dire un seul mot. Jamais personne ne se souciait de lui demander des nouvelles de son mari.


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  • Un nouveau " Transit " pour entamer 2009, ça vous dit ?

     


    La rumeur allait bon train. Ils allaient frapper. La menace était venue du bout du pays. Une promesse de châtiment décrétée par un obscur illuminé. La plupart des journaux en avaient fait leur une. On se disait que cette fois c’était pour de bon. A la ville comme à la campagne, il n’y aurait pas de différence. Le réseau ferré était en ligne de mire et la police l’avait minutieusement maillé. Prête à bondir en temps voulu. Le voyageur ordinaire était exhorté à rester chez lui et à suivre la bataille du rail sur son poste. Dans les wagons on faisait mine de ne rien voir mais chaque jour l’espace de circulation se rétrécissait et l’horizon devenait toujours plus incertain. La lumière elle-même finissait par s’amenuiser. Malgré tout, les migrations quotidiennes ne se réduisaient pas de façon significative et ils étaient encore des milliers d’anonymes à ne pas vouloir s’en laisser conter. Têtes en avant et portables en poche, les journaliers n’hésitaient pas à railler tout ce qui portait uniforme, défendant becs et ongles leur droit à circuler et à être les premiers témoins de l’histoire. A travers le mince interstice qui subsistait, ils guettaient, cœur battant, l'incident qui enclencherait la bascule. Aucun d’entre eux ne s’imaginait pouvoir être pris comme cible et encore moins soupçonné de fomenter un quelconque trouble de l’ordre public. Pourtant, dans un foisonnement de caméras pétaradantes et un déluge de témoignages explosifs, une poignée de ces méchants rebelles allaient être isolés du lot, chargés des pires forfaitures et sommés de se ranger, sans accommodements ni compromis possibles, aux exigences de la nouvelle souveraineté… jusqu’au branle-bas suivant.


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  • Le train pouvait bien filer à toute vapeur, il ne referait pas son retard et on ne l’attendrait certainement pas à la correspondance.

    Il était fatigué de voyager au ras des pâquerettes. Il ne comprenait pas pourquoi elle avait refusé qu’il prenne l’avion pour la retrouver. Le train augmentait les distances, alourdissait les bagages, multipliait les risques d’incidents et finalement rajoutait du temps inutile au temps nécessaire.

    Elle n’imaginait pas que l’on puisse apprécier la terre de si loin. Depuis longtemps, elle n’attendait plus rien du ciel. Les belles années étaient passées. Elle voulait juste qu’il se rappelle un voyage fait au tout début.

    Il n’aimait pas les pèlerinages. Encore moins évoquer les souvenirs. Il n’avait jamais su retenir que des images confuses des noms et des lieux que l’on disait importants. Dans les réunions de famille, il se taisait, la fiction n’était pas son fort.

    Elle prenait son temps. Jamais, elle n’avait fait attention à l’heure. Avec la vitesse, elle craignait de voir le monde de travers, de se disperser et de ne rien avoir à dire au retour de voyage. Son père était écrivain, et depuis qu’elle était en âge de goûter à la vie, il la pressait de lui rapporter ses aventures. Elle était toujours infiniment troublée à l’idée de se retrouver en point de mire dans un de ses récits.

    Il ne tenait pas en place. Il n’avait jamais une minute à perdre. Attendre, c’était porter des menottes. Le temps brûlait toujours tout très vite, partout. Il aimait partir, peu lui importait la destination. D’en haut, le ciel emportait le besoin de tenir un rôle, la terre s’y étirait indéfiniment et tous les décollages de quelque lieu que ce soit lui procuraient à chaque fois un sentiment d’immortalité.

    Le train ne convient pas à tous les voyageurs, voulait-elle bien croire. Il a ses incommodités. La nuit venue, on ne peut presque plus rien fixer, les lignes sont incertaines, on ne sait plus vraiment où il vous mène et il faut alors s’en remettre au seul désir.

    Seul dans son compartiment, il cherchait désespérément un angle du ciel ouvert sur les étoiles. Le brouillard absorbait l’espace et l’idée que le temps dévorait toutes choses le submergea totalement. Il regarda sa montre, jugea que le train serait manifestement en retard et que la nuit ne s’achèverait pas sur un de ces interminables baisers dont son amante avait le secret.


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  • C’était un de ces grands trains que l’on appelait Feux Follets. Un train de nuit que l’on ne prenait qu’à l’occasion. Pour goûter au grand frisson. Sitôt à bord, l’inspiration lui était venue. Il avait profité du premier passage au noir pour l’embrasser. C’était son premier vrai baiser. Sa première grande aventure amoureuse. Le fameux effet de surprise vanté à la billetterie. Elle l’avait laissé glisser ses lèvres sur sa poitrine, doucement, tendrement, jusqu’à la pointe du paradis. Il en avait été transformé. Devenu ange, il avait voulu déployer pleinement ses ailes et la prendre dans son envol. Mais elle s’était refermée dans un bref instant de clarté. Comme il insistait, elle avait crié non pas encore puis murmuré plus tard… plus tard nous irons jusqu’au bout, plus tard… Des larmes lui avaient enflammé le visage et, pris d’une subit étourdissement, il s’était laissé emporter par cette promesse d’infini. Longtemps, il était demeuré ainsi, dans la douce somnolence des étoiles et de la lune. Il avait rêvé. Un rêve fulgurant. Les portes du wagon s’étaient ouvertes avec fracas et des hommes en noir parlant une langue étrange avaient surgi. Elle avait hurlé. Il avait frappé. Il lui avait fallu courir, courir, courir, poursuivi par des ombres au ventre blanc. Il avait été réveillé par le bruit d’une vive discussion dont il était l’objet. Son amie s’était affaissée sur la banquette et ne bougeait plus. Un contrôleur le foudroyait du regard tandis que l’autre prenait les passagers à témoin. Ils disaient que c’était sa faute. Il bégayait, essayant de leur faire entendre que sa conduite n’était en rien criminelle. Ils avaient ri. Monstrueusement ri, jusqu’à ce qu’il comprenne que l’ange était à jamais déchu et qu’il ne lui restait plus qu’à prendre ses jambes à son cou.


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  • Il n’y avait personne pour indiquer son chemin au voyageur. Personne au guichet, personne en salle d’attente et pas davantage sur les quais. Pas de bruit non plus et presque pas de lumière. Seul sur la plate-forme, il affectait cet air un peu stupide des gens qui languissent et qui ne savent que faire sinon regarder leur montre toutes les minutes. Par bonheur, la sienne s’était enrayée lors d’un accident d’aiguillage. Depuis, son corps le laissait en paix et son esprit vaquait, libre de toute inquiétude. La gare n’était plus qu’un lieu d’attente et il savait à quoi s’en tenir au sujet des trains qui n’arrivaient pas.

    Il n’imaginait pas que la vie puisse ressembler aux images exotiques et promesses d’aventures placardées un peu partout. Pour lui, les vraies histoires étaient liées au besoin d’être bouleversé et pour tout dire elles ne tenaient jamais réellement debout. Elles se passaient fatalement dans des endroits improbables, peut-être même dans des lieux fictifs. Des instants de vie qui s'échauffaient au gré des clins d’œil et du tremblement des corps. Il n’aimait pas être comblé d’avance. Seule lui importait l’intensité du temps qui passe. Surtout le temps de la nuit, celui qui venait du ciel. La pénombre lui permettait de revenir en arrière, de fendre les murailles de l’oubli et de retrouver quelques unes des voies secrètes enfouies dans l’enfance. Parfois, il lui arrivait de se réveiller sur une toute petite île perdue dans l’océan de l’humanité. Ou bien dans une gare au beau milieu d’une salle des pas perdus.


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  • L’aventure commençait juste après le panneau indiquant l’au-delà. Au-delà de cette limite vous devez… L’avertissement périssait sous la rouille et, depuis la délocalisation du site de maintenance des chemins de fer, on ne savait plus trop ce que l’on devait.

    Il en avait fait son territoire. Une zone d’expérimentation bien plus amusante que les parties de cache-cache entre les ateliers et les wagons avec ses copains d’école. Jouer à faire des découvertes, inventer des mondes éphémères, jongler avec les visiteurs était tout simplement magique.

    A peine sorti de l’école, il était sur le terrain. Tapi dans l’ombre à guetter l’imprévu, à épier les couples clandestins, repérer les filous, surprendre les intrus, sentir les intrigues. Chaque homme, femme ou enfant franchissant la ligne de démarcation, faisait l’objet d’une description minutieuse de ses faits et gestes, assorti de commentaires sur ses tics et manies. Rentré chez lui, son carnet de bord devenait l’objet d’explorations passionnées et les événements du jour le répertoire énigmatique de toutes les tentations.

    C’est à partir d’un poste d’observation secondaire, du côté de la chaudronnerie, qu’il avait surpris leur manège. Au risque d’être découvert, il s’était approché au plus près du wagon où s’étaient réfugiés sa petite sœur et son deuxième père. En équilibre sur un bout de marchepied, il avait failli se casser la figure en voyant ce gros bonhomme gigoter à quatre pattes, à moitié nu.

    Heureusement qu’ils ne m’ont pas vu…   avait-il noté après coup. Rien d’autre. A quoi bon, il n’avait jamais aimé l’histoire de l’ogre et du petit poucet.


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