• Transi...


    Corinne Jeanson a fait disparaître la dernière lettre de la série Transit mais ce n’est que pour prendre le train à sa façon…



    Je n’ai as pris ce train, ce matin de mars. Pourtant nous avions fixé notre rendez-vous à 11h33 précise en gare de V***. J’ai hésité. Je savais que ma vie serait imprégnée à jamais de ce rendez-vous. L’intranquillité me laissait là sur ce bord de quai, en gare de L***. Impossible de poser mon pied gauche sur la première marche du wagon. Les autres passagers se pressaient vers leur destination. Derniers sourires, derniers baisers avant le départ. Un jeune homme me bouscula. S’excusa. J’ai reculé. J’ai attendu que le train s’éloignât. J’ai entendu les portes se refermer, je restais à regarder le lent échappement du convoi jusqu’aux tampons arrondis du dernier wagon et les voies qui reprenaient leur densité métallique.

    Je suis revenu à la gare, j’ai acheté des Pall-Mall et j’ai pris un café dans le premier bar en face du parvis. Je me suis souvenu de notre premier voyage en train. Nous avions quitté la France de nuit, nous nous étions éveillés en Italie : Venise. Le parvis de la gare Santa Lucia de Venise, ses marches qui plongent dans les canaux. Nous étions des enfants, nous découvrions la vie ensemble, à peine vingt ans. La joie nous appartenait. La joie de découvrir à deux la vie, son monde, ses sensations. Je devinais que ce voyage symboliserait à jamais tous mes voyages. Je sentais ta main dans ma main.

    Depuis d’autres trains m’ont capturé, depuis d’autres compartiments m’ont accompagné le temps d’un voyage à la découverte de nouveaux continents. Tant d’autres trains, tant d’autres continents. Ces transits passagers, mouvants, absurdes à force de tentations, de tentatives, de nouvelles joies aussi.

    Comment au bord des mes cinquante ans, aurais-je pu reprendre le même chemin qui me guide incessamment vers toi jamais oubliée, jamais abandonnée au fond de mes tripes ? Il m’aurait fallu détacher toutes mes peaux cramoisies, tatouées, pour retrouver la chair transie, je ne sentais que mon vieux squelette broyé par mes déambulations, tous ces lieux de passage, tous ces visages, ces corps qui avaient accompagné ma propre vie, ma vie de vagabond. Vagabond depuis ton départ, éloigné de mon âme, de mon identité. Je connaissais à peine mon prénom, mon visage dans les reflets des vitrines comment l’aurais-tu reconnu ? Et dans ces reflets à côté de ma silhouette sombre j’ai perçu ton visage, comme un mirage.

    J’ai refait le trajet, depuis le bar jusqu’à la gare, je l’ai traversé, j’étais sur le quai, un second train m’attendait. Les grèves de mars embrouillaient les pistes. Le contrôleur me demanda de me hâter, c’était le dernier train en partance, oui il s’arrêtait à V***. J’étais essoufflé, ce n’était pas ma course, c’était toi que je rejoignais. Je suis descendu sur le quai, tu étais resté à m’attendre. Tu m’as souri. Nous avons pris un café ensemble et nos doigts se sont croisés par-dessus nos tasses fumantes, nous avions retrouvé le chemin, rien n’avait changé, ni nos visages, ni nos cœurs, nous étions en terrain connu et dans le tourbillon de la vie il nous restait un long voyage à poursuivre. En aurais-je la force ?


  • Commentaires

    1
    Dimanche 15 Juin 2008 à 23:24
    Rouge wagon, rouge passion, rouge Baiser...
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    2
    Mardi 17 Juin 2008 à 21:17
    ce rapprochement est étonnant
    ma petite histoire, racontée pour illustrer à ma façon Transit de Patrick, a commencé comme dans Jules et Jim
    mais je ne connais pas la fin
    à écrire ou à vivre
    3
    Vendredi 2 Janvier 2009 à 16:35

    Pas de problème ! La photo a été prise dans un dépôt ferroviaire proche de Grenoble. See you later Norbert ...

    4
    ysiad
    Samedi 23 Août 2014 à 18:34
    le tourbillon de la vie... Ce n'était pas Jeanne Moreau qui chantait ça?
    AWW. Pouh la la.
    5
    Dominique Mitton
    Samedi 23 Août 2014 à 18:34
    Oui, Ysiad, c'était Jeanne Moreau dans Jules et Jim, elle avait des bagues à chaque doigt... Une chanson de Cyrus Bassiak, autrement dit Rezvani.
    Quand on s'est connu, quand on s'est reconnu, pourquoi se perdre de vue, se reperdre de vue, quand on s'est retrouvé quand on s'est réchauffé, pourquoi se séparer?
    C'est vrai ça, pourquoi ??
    GT6
    6
    ysiad
    Samedi 23 Août 2014 à 18:34
    J'entends sa voix dominique. Quelle belle chanson !
    QEQ. Pitié !
    7
    yanek
    Samedi 23 Août 2014 à 18:34
    j'aime ce texte, mais est-ce que la personne "jamais oubliée" est la même que celle qui était restée à attendre le narrateur? l'orthographe"tu étais resté"laisse planer un doute...
    8
    CORINNE
    Samedi 23 Août 2014 à 18:34
    le 'e' est resté muet
    c'est une fôte d'inattention
    mais il s'agit bien de la même personne
    quoique... on pourrait imaginer une nouvelle version ou des inversions...
    9
    Norbert
    Samedi 23 Août 2014 à 18:34
    Bonjour, j'espere que je peux parler in English...: could you tell me please who made the photo of the red wagon? Thanks in advance.
    Sincerely, Norbert
     
    10
    Norbert
    Samedi 23 Août 2014 à 18:34
    Bonjour Patrick,

    I'm interested to know if i could get your permission to use your image in a brochure and if there is maybe a high resolution version available for that purpose. You can reach me at mercymen(at)mac.com. Merci beaucoup, Norbert
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