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Tout ce qui brille
Tout ce qui brille
Benoit Camus
Toujours ça, qu’elle emportera pas, songe le vieil homme en reposant le journal. Ce sera sans breloque, les risettes à Saint-Pierre ! Dépolie et mirettes au plancher. Sûr qu’elle fera moins sa mijaurée, la peau de vache ! Il s’écarte de la table, se lève avec difficulté. Jette un dernier œil sur le titre de l’article. Hoche la tête. Soupire.
À pas comptés, il rejoint le buffet du salon. S’accroche au bois de merisier. Ouvre un tiroir. Il en sort une liasse d’enveloppes, qu’il feuillette, dont il extrait une lettre. Il la déplie, la parcourt des yeux, la remballe dans son écrin en papier froissé et bon marché. Et jauni… Quel idiot ! Que pouvait-il espérer ? Avec juste ces mots à offrir ! Des pages emperlées de pauvres petits mots de rien, gravés à l’encre bas de gamme et qui s’estompent ; des pages que, grand cœur, elle lui avait restituées.
Rien que se le rappeler, il a l’échine ruisselante de honte. Cette façon dont elle le regardait ! Son sourire de pitié enchâssée dans les limites du dédain. Sa moue festonnée par l’ironie, qui le reléguait sur le banc des doublures. Pas sortable. Et la voilà sans parure ni défense, dépouillée de ses colifichets ! Il se souvient… Il fouille à tâtons le fond du tiroir, ramène un collier. Combien de fois l’avait-il vue, l’arborant. Qui le renvoyait invariablement à son infirmité économique. Jamais il n’aurait pu lui en offrir un pareil. Et elle le savait… Il récupère aussi les bagues, la broche, les bracelets. Les contemple. Incapable d’y renoncer, elle aura été jusqu’au bout et à son corps enguirlandé serti dans un cercueil, obsédée par le clinquant. Il tremble. Les bijoux glissent entre ses doigts. Maladroit, il les pétrit. Les malaxe. Tente en vain de les broyer. Poings serrés. À s’en entailler les paumes. Des larmes brillantent son visage filigrané. Il renifle.
« Elle apprendra à s’en passer ! décrète-t-il tout haut. Oui… Faudra bien ! »
Il les rassemble, s’en remplit les poches.
Au bord de l’Isère, il prend son élan ; les lance dans les flots. Mon dieu, se dit-il alors qu’aux reflets cristallins de leur linceul s’entrelacent les miroitements dorés, comme je l’ai aimée !
Brève, 11 mai 2014
Des cambrioleurs se sont introduits par effraction dans un funérarium et y ont dérobé les bijoux que portait une défunte.
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Commentaires
2LzaSamedi 23 Août 2014 à 17:57Il fut un temps où, pour une femme, du moins à ce que j'ai lu ou entendu, se devait d'avoir des bijoux, en tant qu'assurance sur l'avenir. si par hasard elle cherchait à les revendre, elle découvrait que ces richesses supposées étaient illusoires, et qu'elle, et ceux qui l'avaient ainsi gratifiée, avaient été grugés; ces soit-disant richesses n'avaient servi qu'à la faire ressembler à un arbre de Noël!
3Chantal BlancSamedi 23 Août 2014 à 17:57
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Les cambrioleurs du funénarium ne méritent que le four crématoire.