• Terre promise

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    Il y avait longtemps qu’il ne tenait plus le compte des heures. Perdu dans l’immensité rouge du champ d'honneur, il avait fini par se retrouver sans figure et sans voix. Comme lui, les survivants étaient happés l'un après l'autre dans l'étreinte suante des tranchées. Comme lui ils étaient sortis du rêve.

    L'horizon n'en finissait plus de brûler. Il entendait les craquements de la terre mais son corps refusait obstinément de se mettre en marche. Sa langue était prisonnière du feu, ses yeux pétrifiés sous l'étendard, ses mains enrayées par la grenaille.

    Dans le ciel, les belles âmes diffusaient jour et nuit la même antienne : 

    n’oubliez pas d’aller à la cueillette des balles perdues,

    n’oubliez pas d’amasser les éclats d’obus,

    n’oubliez pas de prélever les organes des suppliciés,

    n’oubliez pas d’écouter le crépitement des corps dressés sur le bûcher.

    Il n'aspirait plus qu'à être six pieds sous terre, enseveli avec la douleur du renoncement.

    Les profondeurs le débarrasseraient de toutes ses parures et creuseraient sa chair.

    Lui effaceraient-elles à jamais la mémoire ?

     


  • Commentaires

    1
    Vendredi 1er Octobre 2010 à 02:14

    Saisissante photo d'une facétie de dame nature - une tête avec des allures de reptile grimaçant de douleur ou de rage digne de figurer dans les meilleures BD - illustrant un texte fort. Merci Patrick.

    Un petit poème néoclassique pour abonder dans ce sens :

     

    Le Chemin des Dames

     

    A mon oncle Lucien,

    passé par les armes.

     

    Un lieu qui fait rêver, qui rend mélancolique,

    Un automne en été parsemé de colchiques.

    Il y fait bon flâner, et le vent de l'été

    Caresse les cheveux du passant attardé.

     

    Entendez-vous les pleurs, voyez-vous les blessures

    Des soldats engagés dans la triste aventure ?

    Le calme règne ici ; on ne peut concevoir

    Cette infâme tuerie au nom du grand Devoir.

     

    Rien ! que ces champs de croix fichées sur les squelettes

    Noyés dans cette terre aux senteurs de violette.

    Et toi, mon oncle offert au baptême du feu,

    Tu gardes tes dragées dans ton lourd habit bleu.

     

    C'est le Chemin des Dames,

    Le chemin des damnés.

    C'est le Chemin des Dames,

    Chemin des condamnés.

     

    J'entends à la radio des discours d'un autre âge,

    On hurle et l'on aboie que Nivelle on outrage,

    Au cas où de la gloire, on aurait rien compris.

    Et je sens frissonner les herbes de la plaine,

    Le linceul des poilus, victimes de la haine,

    Le linceul de Lucien, victime du mépris.

     

    J.C. 

                                                                                 

     

                                                 

     

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    2
    Annick Demouzon
    Samedi 23 Août 2014 à 18:22

    Mais c'est sublime de beauté! Et la photo aussi.

    3
    Annick Demouzon
    Samedi 23 Août 2014 à 18:22

    J'oubliais: ça vous prend aux tripes.

    4
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:22

    C'est un festival de mots bouleversants de richesses pour raconter les ondes de peur et les souffrances du soldat dans "la guerre des tranchées", sa solitude individuelle, les atrocités et l'absurdité de la guerre : une méditation sur la nature humaine et la tragédie du monde, avec, serrée dans l'étau d'un gros plan, l'image d'un visage de pierre mutilé.

    "... les profondeurs le débarrasseraient de toutes ses parures et creuseraient sa chair", le nettoieraient de l'égoût de ce monde pour l'élever enfin au-dessus de l'enfer de toute cette crasse, de toute cette boue gluante. Mais le souvenir qui l'aura quitté à jamais, et parce qu'il est une affaire privée, sera toujours présent dans les familles.

     

    5
    chantal blanc
    Samedi 23 Août 2014 à 18:22

    Des mots de feu, d'acier et de ... terre.

    La puissance qui s'imprime dans la chair de la mémoire et l'incapacité terrible de changer le cours de l'histoire, petite ou grande...

    6
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:22

    Impossible de ne pas faire référence au "dormeur" d'Arthur Rimbaud, un bijou poétique que le monde entier connaît. 

     

    LE DORMEUR DU VAL

     

    C'est un trou de verdure où chante une rivière,

    Accrochant follement aux herbes des haillons

    D'argent ; où le soleil de la montagne fière,

    Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

     

    Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,

    Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,

    Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,

    Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

     

    Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme

    Sourirait un enfant malade, il fait un somme :

    Nature, berce-le chaudement : il a froid.

     

    Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;

    Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,

    Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

     

     

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