• Splendeurs et misères d’une séance de dédicaces !


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    Après " A propos de… " crée la semaine dernière, une nouvelle rubrique voit le jour au menu du café : " Au cœur de… ". L’idée est de rendre compte, sous forme de reportage, d’une expérience inédite et insolite dans le champ de la littérature : à travers les concours (nouvelles, roman, poésie…), du côté des salons, de l’édition, des libraires, des bouquinistes, dans les bibliothèques, les "Village du Livre", ou encore en classe avec les " lectures expliquées ", sur scène avec les " lectures théâtralisées "… Cette rubrique est ouverte et nous vous invitons - visiteurs, lecteurs, auteurs - à participer à cette aventure journalistique…

    Pour ce premier numéro, Danielle Akakpo nous livre une épreuve de dédicaces plutôt décoiffante…

       

    J’arrive, tendue, l’estomac serré, je n’aime pas trop m’exposer. La table est prête, recouverte d’une nappe noire à dessins blancs. Bouteille d’eau, gobelet, comme si j’allais donner une conférence ! Manque juste la provision de livres. Évidemment, j’ai une demi-heure d’avance ! Je me présente au rayon livres, accueil chaleureux. Thierry, mon " contact ", pointe son nez, sourire aux lèvres, me conduit dans son bureau où nous devisons quelques instants. À 15 h, les dix exemplaires de Un Homme de Trôo sont disposés sur la table. Pourquoi dix ? Parce que c’est tout ce qu’il restait chez PLE éditions qui n’a pas eu le temps de rééditer, et parce que la FNAC a refusé de reporter une séance de dédicaces accordée depuis, disons un certain temps, à une chargée de com, licenciée ou partie de son plein gré sans l’intervalle, qui n’avait pas pris la peine de s’assurer que les bouquins seraient disponibles. Y a bien qu’à moi que ça arrive, ces choses-là ! Jusqu’à seize heures, calme plat. La famille, les amis, ça fait belle lurette qu’ils l’ont eu leur exemplaire dédicacé, ils ne vont pas encore se pointer pour prendre un bain de foule ! Quoi que, tout bien considéré, je ne vois pas passer grand monde dans le magasin : fin janvier, trop près des fêtes, fin de mois difficile, ou bien ils sont tous aux soldes de fringues ? Enfin, une élégante dame aux yeux un peu trop charbonneux à mon goût s’approche. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas vraiment le livre, c’est l’expérience de coécriture. Elle n’écrit pas, elle, elle peint, depuis toujours, et elle envisage de s’associer avec un ami sculpteur pour un projet artistique pas encore bien défini. Elle finit par la sortir la question qui la titille : peut-on être coauteurs sans que s’instaure une relation amoureuse ? Pour elle, la réponse est non, visiblement. Lorsque je lui explique que Jean-Noël et moi nous sommes rencontrés une seule fois et que nous ne correspondons que par mails, elle tombe de sa chaise, ou presque, de surprise (parce qu’elle s’est confortablement installée en face de moi !) Elle argumente, insiste lourdement, je campe sur mes positions, elle s’en va, sourire en coin, convaincue que je lui ai raconté des bobards, promettant de repasser. Désolée, Jean-Noël, nous sommes, pour la dame aux yeux de braise, les amants terribles qui ont mis au monde l’Homme de Trôo ! Elle est suivie de peu par un Stéphanois, exilé à Paris pour son boulot, qui regrette sa petite ville bien tranquille, qui taille un costard à tous les Parisiens qu’il déteste. J’en profite pour en tailler un à notre maire et nous nous rejoignons sur ce point : il faut que ça change aux prochaines municipales ! Après une demi-heure passée à me déverser ses états d’âme, il s’assure que je serai bien là jusqu’à sept heures, promet de revenir après être passé au distributeur. Il n’en a rien fait : j’espère qu’il s’est fait attaquer devant le distributeur, pire qu’il est passé sous un bus, bien fait ! Pour en revenir à l’accueil FNAC, c’est un vrai plaisir. Régulièrement, les vendeurs, le responsable de la séance de dédicaces passent me faire un petit coucou, me demandent comment ça va, si je veux un peu plus d’eau. J’aurais besoin de quelque chose de plus corsé, mais vous me voyez demander un doigt de whisky ? Un vendeur HIFI me conseille de me dégourdir les jambes et me montre le chemin des toilettes où je m’engouffre dans celles… des hommes ! Ma seule bonne résolution prise le 1er janvier 2008, être moins étourdie, ne tient décidément pas la route !

    Ce qui m’a frappée, cet après-midi-là, c’est l’impression de voir passer et repasser toujours les mêmes individus. Pour ça, j’ai l’œil : celui-là, serré dans son petit blouson de cuir, celle-là avec sa jupe à volants, ces deux amoureux scotchés l’un à l’autre, et tant d’autres, ils ont erré d’un rayon à l’autre, ils ont tourné en rond, de quatre à sept ou presque ! Ma foi, ils ont bien raison : ici, il fait chaud, on peut feuilleter des livres, écouter de la musique, regarder la télé, s’asseoir, tout ça sans dépenser un centime.

    Le sosie de Sim avec son bonnet enfoncé jusqu’aux yeux, ça faisait un moment que je l’avais repéré, qu’il rôdait autour de ma table. Il finit par se décider. Il m’a reconnue, il m’a acheté un livre sur la guerre d’Algérie à la fête du livre de Saint-Étienne. J’ai du mal à garder mon sérieux ! La guerre d’Algérie, non, ce n'était pas moi, pas plus que celle d’Indochine, de 39-40, du Golfe, Guerre et Paix non plus ! Bref, il écrit lui aussi, des chansons, musique et paroles. Par contre il fait une faute à chaque mot. Est-ce que je connais un remède ? Pas vraiment. Chez lui, c’est d’origine psychiatrique, me confie-t-il. Ben, pas seulement l’orthographe, mon ami, me dis-je ! Il embraie ensuite sur les Don Quichotte, les sans abri, les magasins de luxe, les sans papiers, revient aux grandes guerres, comme s’il les avait toutes faites. Je suis soulagée quand il me serre la main et se dirige vers la sortie.

    Je ne m’attarderai pas sur ceux qui passent leur chemin en lançant un regard condescendant, avec un sourire narquois qui sous-entend : " Encore une pauvre écrivaillonne qui essaie de vendre sa daube ! " Parce qu’il y a aussi les gentils qui disent bonjour, puis au revoir en s’en allant. Et les naïfs qui s’extasient : " Vous êtes de St Etienne ? Et vous avez écrit un livre ? Ça alors !" Ben oui, y en a un paquet de gens qui écrivent à St Etienne, y a pas que des gars en maillot vert qui tapent dans un ballon au stade Geoffroy Guichard. D’ailleurs, y en a-t-il seulement un seul de ces fouteux qui soit né à Sainté ?

    Les moments creux… l’horreur absolue ! Au début, je me suis demandé, riant intérieurement : " J’enlève le haut, j’enlève le bas ? J’aurais peut-être dû me faire une tête hérissée de mèches de toutes les couleurs, collées au gel ? "

    Après, j’ai hésité entre le :

    * Que diable suis-je venue faire dans cette galère ?

     *Mort aux cons ! (le titre du dernier bouquin que je viens de terminer, je ne vous le conseille pas spécialement.)

    * Ah ! si j’étais Michel Drücker ! " Là, je me suis imaginé la tête de mon homme allongé le soir aux côtés de l’indécrottable Monsieurvivementdimanche qu’il hait viscéralement, et j’ai pouffé !

    J’en ai quand même vendu quelques-uns, de ces Hommes de Trôo, je ne vous dirai pas combien, à des lecteurs qui avaient prêté attention au petit article-annonce dans le magazine de la FNAC. Des femmes, essentiellement, qui avaient eu un coup de cœur, souhaitaient en savoir un peu plus sur l’histoire. Ah ! le bonheur d’écrire un petit mot pour Mimounette, qui allait le recevoir en cadeau, pour Danièle ! Danièle, elle s’est arrêtée, les bras chargés de livres, elle l’a caressé, retourné dans tous les sens, le bouquin. Mais elle avait déjà beaucoup acheté, elle reviendrait. Et le mari s’est approché : " Mais prends-le donc, puisque tu en as envie, parce que la semaine prochaine, la dame, elle, elle va pas revenir pour te faire une jolie dédicace ! " Le regard qu’ils ont échangé, ce couple de quinquagénaires ! Y avait tant de soleil, tant d’amour au fond de leurs yeux… que ça m’a fait du bien.

    J’ai pensé aussi à quelques-uns et unes qui avaient promis de faire un tour, et ne sont pas venus ! Je me suis promis de ne plus leur adresser la parole, ou le mail ! Mais c’est déjà oublié, il y a plus important dans une vie qu’une séance de dédicaces. Je leur conserve toute mon amitié.

    Et puis, heureuse surprise, vers 18h, voilà que débarque un petit groupe d’ados du centre social de mon quartier, de ceux que je vais aider deux fois par semaine à faire leurs devoirs. Ils n’ont pas de fric, et quand ils en ont un peu, c’est pour recharger le téléphone portable, pour un baladeur, un CD, une BD. Mais ils sont venus, pour dire bonjour à m’dame, à celle qui leur ré explique les voies interrogative, négative, passive en anglais, qui donne un coup de main pour la rédac, l’explication de textes, qui pique un fou rire avec eux. Ils veulent même aller me chercher un café, un chocolat. Et ça, croyez-moi, ça m’a fait chaud au cœur.

    À dix-neuf heures, je rends mon tablier. Je récupère mon manteau dans le bureau de Thierry, on papote un moment en mangeant des petits gâteaux secs. Je reprends le tram, fatiguée, songeuse. Écrire, j’aime ça, c’est sûr, j’en ai besoin pour me sentir exister. Mais me mettre en vitrine, me vendre, c’est pas vraiment mon truc ! Vive le Net, vive le forum de Maux d’Auteurs, celui de À vos plumes, celui de Brooms, vive Calipso, Mot compte Double, tous ceux qui me font le plaisir d’héberger de temps à autre les délires de ma plume !

    Danielle Akakpo


  • Commentaires

    1
    Lundi 28 Janvier 2008 à 20:42
    Merci Alain!
    2
    Mardi 29 Janvier 2008 à 08:59
    Merci Danielle pour ce texte éclairant, ce point de vue d'auteur attendant le lecteur éclairé là où il n'est peut-être pas. Y-a-t-il de belles rencontres de hasard autour des tables de dédicace? Lectrice, je suis toujours emplie de confusion dans les salons lorsque l'auteur me regarde parcourir son livre. Il y a mis tellement de lui-même, moi j'ai l'impression de ne pas être respectueuse en me contentant d'effleurer son travail mais je suis appelée par d'autres textes, d'autres tentations... Bref, je ne demande de dédicaces qu'aux auteurs que je connais et qui me connaissent car la rencontre avec la personne me semble quasi gênante, surtout lorsqu'elle suit la découverte de l'oeuvre.Mais peut-être suis-je compliquée...
    3
    Mardi 29 Janvier 2008 à 14:26
    Danielle, du fond de ma Belgique natale, je pense à ta séance de dédicaces et regrette vivement que l'espace nous sépare. Etant donné mon absence, je te suggère de laisser une dédicace sur mon site où ton livre a trouvé sa place... http://www.broomse.com/article-16107432.html
    Mes "visiteurs" sont très discrets, invisibles mais tellement motivants. De plus, les kilomètres ne les séparent pas, il y en a même qui viennent de Montpellier ! 
    Au plaisir de te lire...
    EJB
    4
    Mardi 29 Janvier 2008 à 19:31
    Merci Broomse! C'est bien ce que je disais, les amis du Net, c'est super!
    5
    Mercredi 30 Janvier 2008 à 07:10
    Merci, Danielle, pour ce compte-rendu de l'intérieur que j'ai eu grand plaisir à lire ! En tant que lectrice, je me sens toujours gênée quand je n'achète finalement pas le livre de l'auteur qui vient de m'en parler, assis derrière sa table... Mais j'ai appris à le faire, au fil du temps. Je me dis qu'au moins, j'ai eu la curiosité d'essayer d'en savoir un peu plus, de m'intéresser....
    Pas sûre que de l'autre côté de la table, on voit la chose du même oeil ! ;o))
    6
    Mercredi 30 Janvier 2008 à 14:54
    Merci Danielle de ce morceau de vie.
    7
    alain
    Samedi 23 Août 2014 à 18:37

    Je ne vois qu'une morale à tout ça: Ceux qui sont passés sans s'arrêter ne savent pas ce qu'ils ont perdu...

    8
    alain
    Samedi 23 Août 2014 à 18:37
    Je ne vois qu'une morale à tout ça: Ceux qui sont passés sans s'arrêter ne savent pas ce qu'ils ont perdu...
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