• Sans rendez-vous (3)

    Une autre nouvelle de Patrick Essel en plusieurs épisodes

     

    En dehors des camps, il ne connaissait d’autre refuge que les salles d’attente, les remises ou les entrepôts, au mieux une chambre d’hôtel perdue dans une zone de non droit. La plupart du temps, il dénichait aux environs des gares un abri de fortune sans se soucier des questions d’hygiène et de sécurité si bien qu’au cours de la nuit, il n’était pas rare qu’une brigade municipale vienne l’en déloger. On faisait attention à lui un jour ou deux. Les soupes populaires, les pots de l’amitié, les vins d’honneur lui étaient familiers, on le voyait aux collations et aux cocktails des caritatifs, on ne lui refusait pas l’entrée des foires et des kermesses, mais il lassait très vite son monde avec ses questions, ses doutes, ses douleurs. Aussi, il y avait toujours un fonctionnaire de l'hôtel de ville, quelqu’un de bien placé sans doute, qui très vite trouvait un peu d’argent et des cigarettes à lui glisser dans la main pour ensuite le prier gentiment d’aller se faire pendre ailleurs. Jamais, il ne protestait.

    Martha l’avait fait sortir du cabinet par la porte de derrière, celle qui donnait sur une ruelle obscure, et comme il pleurait, elle lui avait donné un illustré et une pièce pour qu’il s’en aille comme un grand. Il avait fait quelques pas droit devant en reniflant un peu, puis il s’était arrêté. Le bout de la rue était loin, beaucoup trop loin, presque hors du monde. Martha était restée sur le pas de la porte, l’air un peu gênée. Devant son désarroi, elle s’était mise à crier et à battre des mains en tous sens. Voulait-elle l’encourager à aller de l’avant ou l’avertir des dangers qu’il encourait à rester sur place ? Toujours est-il que quelques minutes plus tard, une patrouille l’avait appréhendé et conduit sans ménagement à l’Office des Migrations.

    Des bruits de bottes martelaient le sol du hall de gare. Des bruits de bottes et du silence tout autour. Marco Steiner savait qu’on l’observait sous toutes les coutures et que l’on cherchait à déterminer si sa présence était inquiétante ou non. Il ouvrit un œil et commença à lorgner discrètement aux alentours. Le soleil pointait par les grandes baies vitrées et il crût un instant sentir cet azur méditerranéen tant attendu. Des types de la préfecture en jeans et blazers bleus couraient un peu partout dans le hall et sur les quais. Deux d'entre eux avaient pris position à quelques pas de lui et semblaient vouloir d'abord finir leur cigarette avant d'intervenir. Il se redressa à moitié et prit l’air de celui qui se sait capable d’expliquer pourquoi il se trouvait ici plutôt qu’ailleurs. Il s’était endormi sur une banquette, et alors ? Dans toutes les gares, se disait-il, des milliers d’hommes et de femmes sans-le-sou, arrivés trop tard le soir pour se repérer en ville, s'installaient là comme ils pouvaient dans l'attente du jour, obligés de s’assoupir pour chasser les regards et s'isoler des commentaires. Faire le mort était devenu pour les gens de son espèce, l’acte le plus commun qui soit. Ces hommes savaient certainement tout cela.

    à suivre …


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