• Sans rendez-vous (1)

    Une autre nouvelle de Patrick Essel en plusieurs épisodes

    Ce pays serait le dernier. Pendant tout le voyage qui le menait du camp de transit de Bugojno à cette tranquille petite bourgade du bassin méditerranéen, Marco Steiner n’avait pensé qu'au succès de sa résolution. Il aurait été bien incapable de dire combien de jours avait duré son périple et combien de va-et-vient, combien d’aller-retour, combien de volte-face, il lui avait fallu accomplir pour y parvenir. Mais peu lui importait. Au bout du chemin, il était dit qu’il s’arrêterait.

    Il était dit. La formule lui plaisait beaucoup. Directe, déterminée, indiscutable. En barrant le temps devant lui, elle lui permettait de ne pas trop s’en faire quoiqu’il arrive. Echafauder des plans, faire des calculs, prévoir, anticiper, organiser n'était pas son fort. Dans sa tête, il n'avait jamais imaginé autre chose qu'une vie ordonnée au jour le jour dans une suite de paysages infinis. Aussi, débarquant à la gare routière en ce jour d’automne, il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il lui fallait entreprendre pour s'installer, pas plus qu’il ne savait comment et de quoi était fait un domicile fixe. Une chose était sûre : il ne voulait pas se contenter de croire qu'il serait là pour simplement un bon moment, et s’il ne pensait pas tout à fait à quelque chose qui serait de l’ordre de l’éternité, il ne voyait de toute façon pas d'autre endroit aussi bien approprié que celui-là pour se retirer. Ce pays serait incontestablement le dernier.

    Ça l’avait pris tout d’un coup cette idée de s’établir. Il n'était pas plus fatigué qu'à l'habitude, pas plus accablé ni même plus fâché que tous les jours de toutes ces années passées à végéter à droite et à gauche, une semaine ici, trois jours là, obligé le plus souvent de déguerpir sans demander son reste. De toute sa vie, il n'avait jamais fait que ça, de traîner, de rôder, de s’enquérir, de disparaître. Bien sûr, le médecin du camp de transit lui avait recommandé d’arrêter les frais - il en allait de sa santé - mais se disait-il, les docteurs vous demandent toujours d’arrêter quelque chose, de boire, de fumer, de festoyer ; un jour, ils vous diront même d'arrêter de baiser, c’est dans leur nature. Celui-là, au camp, était plein de bons sentiments mais il l'avait tout de même envoyé se faire voir. C’était plus fort que lui, à chaque fois qu'un docteur se mettait en tête de vouloir son bien, il y avait toujours un geste déplacé, une mine suffisante, un conseil intempestif qui faisait qu’au cours de la consultation et au lieu du soin, lui revenaient en mémoire des choses qu’il voulait par-dessus tout oublier.

    à suivre …


  • Commentaires

    1
    Dimanche 17 Septembre 2006 à 11:04
    Vite la suite !
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