• Fêtes et défaites, Calipso, octobre 2011

     

    Nous sommes tristes à Calipso. Tristes d’apprendre le décès de Dominique Guérin. Tristes de l’apprendre si tardivement. En mai dernier, elle avait bravé la maladie pour venir au Fontanil à Nouvelles en fête où elle avait été primée pour sa nouvelle « L’écho des sables d’antan ». Elle y avait rencontré des auteurs qu’elle affectionnait et c’était un beau moment d’échanges, de rires et d’émotions.
    Dominique aimait participer aux concours Calipso. Son talent de nouvelliste avait été reconnu à maintes reprises par des jurys différents : en 2009 avec «Télescopages de parallèles », en 2011 pour « Chinoiseries festives », en 2014 pour « Chronophobie ferroviaire ».

    Elle nous manquera, mais les « Petits bonheurs » qu’elle nous a livrés continueront longtemps à voyager parmi nous…
    « L’écho des sables d’antan » est publié dans le recueil « Rouge Noir » mais à Calipso nous souhaitons partager ce beau texte avec vous.

     

    L'écho des sables d'antan

    Dominique Guérin


    Bientôt, bientôt…
    Blanche s’écarte un peu, se penche, juge de l’effet obtenu.
    L’inox de l’évier lui renvoie son image.
    Charbonneuse. Indéchiffrable.
    Elle esquisse alors un éclatant sourire. C’est un réflexe de circonstance, rien de plus. Elle n’a aucune envie de sourire. La peau de chamois dont elle s’est servie pour mener sa tâche matinale à terme repose sur le plan de travail propre, dans un désœuvrement de chiffon sale.
    Par la fenêtre de la cuisine s’immiscent des odeurs de chèvrefeuille et de lilas venues du jardin. Ces effluves fleuris sont des invites à croquer la vie du bout du nez d’abord, puis des yeux, des dents, du ventre... Son ventre distendu qui a mal.
    Blanche scrute sa bouche entrouverte. Elle se regarde sourire. C’est sa façon de vérifier que tout est conforme à ce qu’on a exigé d’elle.
    « Comme un miroir, tu entends Blanche, comme un miroir »
    Mais elle s’insurge et plaque ses doigts rêches sur ses lèvres brunes désunies : l’éclat laiteux qui émaillait le disque sombre de son visage s’éteint.
    Elle soupire. Le reflet terne de l’inox mat lui dénie toute humanité.
    Blanche se détourne de l’évier avec l’impression d’avoir failli.
    Pourtant, elle a fait de son mieux avec les moyens du bord. Tampon métallique émoussé, poudre à récurer pâteuse, peau de chamois durcie… La Madame ne lui a pas facilité la tâche avec ses produits ménagers en piteux état. La Madame sera difficile à contenter demain, avec toutes ces vitres à faire briller sans laisser de traces !
    Blanche remise sa panoplie d’exécutante des basses œuvres dans le placard sous l’évier. Ses reins sont douloureux.
    Elle refoule la nostalgie de son passé sans fenêtres. Et évite de penser à demain.
    Demain, cet autre jour.

    Un petit prince est né.

    La nouvelle sitôt connue se répand dans l’air par la voie des ondes.
    Elle jaillit d’abord sous les doigts enfiévrés de Sumbo.
    Tam-Tam-Tam. Il est né, il est né !
    Peut-être qu’en y prêtant écoute attendrie, son tempo résonnerait comme un Alléluia. Mais pas aux oreilles traumatisées de Manolo qui se les bouche des deux paumes pour ne plus l’entendre. C’est déjà bien assez invalidant d’être victime d’acouphènes chroniques dus au vibrato de son marteau-piqueur, il ne mérite pas de subir en plus ce ramdam nocturne sourdant des murs.
    Manolo voudrait dormir.
    Tam-Tam-Tam voltigent les doigts fougueux de Sumbo sur la peau caprine de son djembé.
    Tam-Tam-Tam scandent en retour les doigts sorciers de Lingwa le grand émissaire.
    Tam-Tam-Tam interfèrent ceux désinvoltes de Tiztar.
    Adnan, le vieux lion nonagénaire, secoue sa crinière d’argent et son étrange sourire édenté vermillonne dans sa face noire parcheminée. Il en appelle à la fière Afrique de ses puissants aïeux, au sable rouge, au soleil incendiaire.
    De nuages bas en étoiles voilées, elle court, elle court la nouvelle, d’un HLM à l’autre.
    Il est né, il est né !

    Zuwena gît sur sa couche de douleur posée à même le sol. Elle dérive au Royaume des Sables, envoûtée par cette polyphonie ancestrale. Son ventre est dur du placenta qui y loge encore.
    Zuwena est quelqu’un.
    Manolo s’agite dans le lit jumeau occupant la moitié de la chambre qu’il partage avec Jahal Mmadi. Leur cohabitation n’a rien de choisi ni d’amical. Elle découle du seul bon vouloir de leur Société employeuse qui les cantonne ensemble pour un loyer modique. Ils s’y côtoient rarement : Jahal Mmadi turbine quand Manolo pionce et vice-versa.
    Manolo n’est personne.

    Zuwena est fille de chef.
    Sa tribu remonte à la création du Royaume des Sables par le Dieu de l’Eau vive. Sages et guerriers l’enseignent aux enfants attroupés en cercle devant les feux d’herbes rousses. L’Eau rubigineuse qu’on psalmodie n’a pas de fluidité. Depuis le premier jour du monde, elle se fait avaler par un serpent arénicole avide de ses moindres gouttes. Malgré le rite des scarifications, les peuples nomades n’ont pu conjurer de leur sang versé perle à perle son inépuisable voracité. Alors Zuwena et bon nombre des siens ont été obligés d’abandonner leur vaste pays de dunes pourprées à son aridité oxydée… Pour un pays étriqué, jalonné de cités-abreuvoir telles de grises oasis ceintes de béton.
    Zuwena la survivante sait exactement qui elle est.
    Une princesse en exil de la race des sans-papiers.

    Manolo est petit-fils d’un réfugié anti-franquiste.
    Né déraciné. Son grand-père puis son père ont raté leur vie à trimer dur chez les français de France. Lui-même n’est pas certain d’en avoir une. Il persiste pourtant à trimer autant qu’eux. Ses mains vibrent constamment à force d’être assujetties au tressautement du marteau-piqueur dont elles ont la trépidante charge. Naguère Manuel, le grand-père, a fui l’oppresseur sans avoir pris les armes pour défendre son propre Guernica. Après le décès de Franco, José, le père, s’est refusé à regagner l’Espagne pour servir un roi, convaincu que 1789 avait rendu tous les monarques caducs.
    Manolo n’a ni lâcheté, ni courage, ni but. Il rate juste sa vie, une vie sans relief ni couleur, ce qui l’occupe à temps plein. Manolo n’aura pas d’enfant.
    Sa carte d’identité lui accorde deux nationalités.
    Il ne s’en reconnaît aucune.

    Le petit prince a tété.

    Tam-Tam-Tam, qu’on se le dise de cage d’escalier en faîte d’immeuble !
    Manolo interprète mal cet assaut de roulements triomphaux au cœur des ténèbres.
    Les aiguilles phosphorescentes de son réveil s’emballent. Il cauchemarde d’un sommeil réparateur, car, semblable en cela à Zuwena, il se lève pour aller au boulot quand l’aube se pointe. Une aube gris pollution, du gris des âmes errantes.
    Adnan, le vieux lion, rugit ses incantations patriarcales d’une voix d’outre temps. Un filet de bave rigole à la commissure de ses lèvres, du côté où l’hémiplégie lui a forgé un sourire distordu. Bras levés, il implore la bénédiction d’obscures déités vaguement sanguinaires.
    Les doigts survoltés de Sumbo fatiguent. Dans la cage B, ceux magiques de Lingwa cessent de leur répondre. Seul Tiztar maintient la cadence. Mais Tiztar est un ado qui méconnaît encore ses limites : il ne « fait pas vigile » chez Auchan ni ne boulonne à l’usine. Il deale sous les porches. Rien ne le presse d’être debout aux aurores.

    Zuwena expulse son arrière-faix dans un flux de sang vite tari, déjà prête pour ses relevailles comme le veut la tradition des sables. Ses seins sont engorgés. La montée de lait éprouvante. Les trois gorgées de colostrum tétées ont enclenché le processus.
    Les tam-tams se sont tus.
    Le vieux lion berce le petit prince. Sumbo gagne sa natte en paille de riz marchandée à un Malien, vendeur à la sauvette boulevard Junot, et Lingwa, un bloc plus loin, s’écroule d’épuisement au sortir de sa transe. Tiztar aussi s’est lassé bien que ses doigts ne soient pas las.
    Tiztar n’a pas l’étoffe d’un messager. Il se fiche de ce passé tribal et sacrificiel dont ses proches lui ont saturé les tympans. Ses percussions ne sont qu’imitations. Il n’aime que les choses superficielles et les euros faciles. En mars, il a déserté le collège Diderot et quand il a soif, il ouvre le premier robinet venu. Tiztar se contrefiche du petit prince ‘peau de boudin’, un négro de plus dans la cité des chiards perdus... Là où c’est giga nullos de kiffer pour du sable rouge dans un bled de parpaings gris… Là où tout pourrit sur pied sauf si on prend racine… Là : chez lui.
    Tiztar l’apatride a l’étoffe d’un chef de bande. Il s’étire, sûr de son avenir, et remise son doumdoum à ton grave, cadeau naze de son grand-père le vieil Adnan, cette caricature d’un autre âge. Tiztar réserve ses doigts virtuoses aux platines ‘tombées du camion’ entre les mains rapetout de Kévin : tous deux forment avec Gengiz, le turkish fana de break dance, un trio dingue de hip-hop.

    Zuwena a langé serré son entrejambe et solidement sanglé ses seins avec un foulard épais. Elle implore l’esprit de la nuit pour qu’il retarde le matin.
    Le silence des tambours assourdit Manolo qui sombre au son familier du marteau-piqueur.

    Le petit prince s’éveille.

    Zuwena se lève. Manolo aussi. Et le jour de même.
    Dans le bus de sept heures attrapé au pied de la tour Voltaire, l’ouvrier du bâtiment au sourire las s’est assis d’office à côté de la belle black en boubou rouge, sans qu’aucun mot ne soit échangé. Il leur arrive souvent de faire le trajet côte à côte pour rallier le centre-ville, muets et fatalistes, en étrangers complices.
    Un matin comme les autres.
    Ou presque : en partant, Manolo n’a pas croisé Jahal Mmadi sur le seuil de la chambre pour leur rituelle inversion de rôles. Trop crevé pour y accorder importance après cette nuit de grand chambard, il s’était contenté de croiser superstitieusement les doigts. Un accident au travail est si vite arrivé !

    Perchée sur un escabeau bleu, Blanche astique les vitres de la maison aux lilas qui embaume le chèvrefeuille. Son bras s’active, son esprit s’esquive. Elle a mal. Elle est bien… Deux heures encore à s’échiner… Plus que deux heures à tenir bon...
    C’est la Madame qui a décidé pour « Blanche ». La Madame n’arrivait pas à retenir le prénom africain de Zuwena, un prénom à coucher dehors. La Madame se trouve très drôle : n’est-il pas désopilant que Blanche travaille au noir ?

    Manolo a enfilé ses gants ignifugés et empoigné son marteau. Sur le chantier, dans la bouche du contremaître, tous les ‘Espingouins’, naturalisés français ou non, s’appellent José. Ici, ils sont trois. Manolo est sûr qu’avec un petit effort ce ne serait pas la mer à boire que de rendre à chacun son prénom. Mais si ça simplifie le boulot, alors... Et puis, ça ravive le souvenir de son père. Il faut bien se trouver une raison de continuer quand nul fil rouge conducteur donc en conséquence ni présent ni avenir, ne vous y invite !

    Lingwa déploie solennellement un voile écarlate sur le lino ocré, devant la couche désertée par Zuwena où les sécrétions violacées de l’accouchement s’exposent en guise d’offrande. Ils sont quatre seulement.
    Tiztar ne viendra pas : pourquoi frayerait-il avec ces bouffons inadaptés ? Autant pioncer jusqu’à midi.
    Jahal Mmadi s’assoit en tailleur, peau d’ébène, pommettes hautes, port altier et regard souverain, oubliant ses épaules endolories par ses jongleries de portefaix. Le vieil Adnan s’avance vers lui, hiératique, et dépose le nouveau-né endormi dans la corbeille protectrice de ses bras musculeux.
    Sumbo et Lingwa s’inclinent avec respect.

    Le Dieu de l’Eau ensable leurs cœurs.
    Tout : …Rougeoie. Flamboie. S’illumine…

    Le petit prince est fils de roi.

     


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  • Le fauteuil - Rimbaldise

     

    "Le fauteuil", pastiche du célèbre sonnet "Le buffet" de Rimbaud et composé par Jean Calbrix est en compétition sur Short édition.
    Après un beau score dans les sélections, il est maintenant en finale. Les compteurs ont été remis à zéro et les lauréats seront désignés le 21 décembre 2015. Si comme à Calipso vous aimez ce poème, vous pouvez voter pour lui en allant sur le site de

    Short édition

     

    Le fauteuil


    C'est un large fauteuil - Louis quinze peut-être -
    Il est là dans un coin avec des airs de veuf
    Son beau reps jaunissant n'est plus tout à fait neuf,
    Et son bois très ancien fleure encor bon le hêtre.

    Que fait-il esseulé, ce vénérable ancêtre
    Qu'éclaire la lueur sourdant d'un œil de bœuf ?
    Son dossier disparaît dessous un drap d'Elbeuf
    Et ses bras sont tendus, semblant chercher un maître.

    Il se souvient, c'est sûr, des grands postérieurs,
    Des bandes de gamins sautant sur lui, rieurs,
    Des fessiers de marquis, des croupes de duchesses.

    Ah ! fauteuil du bon temps, tu connais les dessous
    Et tu nous contes là les subtiles caresses
    Quand tes ressorts usés chantent des amours fous.

    Jean Calbrix


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  • Huitieme-9275.JPG

     

    Le poète

    Anestis Evangelou

     

     

    Il est monté jusqu’au plus haut sommet

    Comme sa voix, oiseau blanc dans le ciel

    Au pied des monts la foule immense qui fourmille

    Elle écoute la voix qui s’élève toujours

    Le cercle se resserre Ils tiennent des bâtons

    Brandissent des couteaux des pierres, se rapprochent

    On entend des clameurs Tuez-le

    Commencent à tomber dru les premières pierres

    Au soleil luisent les couteaux

    Il le sait c’est sa fin

     

    Mais sa voix,

    Oiseau blanc, volait haut dessus leurs têtes

    Hors d’atteinte des cris de haine et des couteaux.

     

     

    Traduction Magali Duru,

    d’après l’original grec et la traduction anglaise de M. Byron Raizis 

     

    Evangelou.jpg Anestis Evangelou (1937-1994), was born in Thessaloniki. He made his literary debut in 1960 with a collection of poems, Description of Eviction. He subsequently published another seven volumes of verse: Breathing Method (1966), Bloodletting ’66-70 (1971), Poems 1956-70 (1974), Interval (1976), Hai Kai (1978), Denuding (1979) The Visit and Other Poems (1987), and The Snow and Devastation. In 1988 he published his collected poetry in The Poems: 1956-1986. He also published a work of fiction, The Hotel and the House (1981, revised and enlarged in 1985), a collection of literary reviews, Reading and Writing (1981), and an essay, Nine Interpretations of Poetry and Poetics (1990). His work has been translated into many languages.

     


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  • Petrole.jpg

    Comme une sorte de suite au Saoûl contrôle de Castor Tillon 

     

    Pétrole

    Jean Calbrix

     

     

    Tourne, tourne la Terre autour du grand Soleil

    Tes bienfaits ont mûri dans cette rôtissoire.

    Ton ventre s'est gonflé, comme un grand saint ciboire,

    De pétrole aux lueurs de moire et de vermeil.

     

    Et toi, génie humain, à l'esprit en éveil,

    Tu sus capter le feu de la richesse noire,

    Reléguant le cheval au fin fond de l'Histoire,

    En créant le moteur, fabuleux appareil.

     

    Et depuis, c'est la chasse aux nappes souterraines,

    Malheur à toi petit vivant près des fontaines

    Où l'or tant convoité coule à flot pour les grands.

     

    Tu ne pèses par lourd, t'en périras sans doute !

    Auprès d'un parapet, je vois les estivants

    En un long défilé sur la grande autoroute !

     


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  • vo2012-copie-1.jpg 

     

     

    Nous ne saurions prendre congé de 2011 sans lever un verre en l'honneur des poètes, nouvellistes, et chroniqueurs qui ont contribué chaleureusement à l'animation du café tout au long de l'année :   

     

    Ysiad, Claude Bachelier, Jean Calbrix, Suzanne Alvarez, Dominique Guérin, Gilbert Marquès, Jean-Claude Touray, Jordy Grosborne, Cédric Mesas, Corinne Jeanson, Sylvie Dubin, Yvonne Oter, Danielle Akakpo, Ana Suret, Castor Tillon, Claude Romashov, Maryse Legrand, Françoise Bouchet, Sophie Etienbled, Martine Férachou, Agatha Costes, Pierre Thomas, Lambdum Kagibi, Emmanuelle Cart-Tanneur, Katia Boutchoueva.

     

    Cadavre exquis

     

    Merci de choisir votre dernier verre de l'année et, si l'envie de jouer vous vient, de l'inclure dans une phrase en tenant compte des propositions qui seront déjà formulées.

     

    Amaretto Stinger

    Vacances Romaines

    Grasshopper

    Bacardi Choco-punch

    Double Salto

    French Cancan

    Printemps du Vercors

    Train Bleu

    Grand Paradis

    Lisbonne Cobbler

    Black Mammy

    Braccobaldo

    Indian Summer

    Enfer Vert

    Special Litote

    Moonlight

    Black Velvet

    Grace de Monaco

    Baby Bellini

    Please Love me

    Kalhua Toreador

    Hot Toddy

    Red Bulloska

    Devil's Milk

    Nuit Gasconne

     


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  • boutchou

    Le ballon

     

    C'est qui le capitaine

    Née à Moscou en 1982, Katia Bouchoueva dite "Boutchou" vit en France depuis 2002. Poète, animatrice de la scène slam grenobloise et membre du collectif slam "Section Lyonnaise des Amasseurs de Mots", elle aime partager ses coups de blues, ses coups de coeur, ses coups de gueule...  Elle a publié en 2009 un recueil de poèmes "C'est qui le capitaine ?" aux éditions l'Harmattan.

    C'est notre invitée du jour. 

     

                   C'est qui le capitaine ? 

     

     

     

    Le fer  

     

    Tant qu'on n'a pas avalé le noyau de la Terre

    Je dis rien, je dis rien.

    Les Corses, les Bretons, les Maliens

    Riches en larmes, en fer, en sucre, en sel.

    Les Pharisiens, les Égyptiens...

    Et je regarde ton magicien

    Vider les placards, repeupler le joli carrousel.

    A coup de pelle, à coups de poing,

    A coups de virgule, de tiré,

    Ils ont réussi à tourner comme il faut la Terre,

    Ils ont réussi à défaire les lacets

    Déserrer les vices.

    Et quelque part parmi eux – mon fils,

    Mon fils était fier,

    Mon fils était fer,

    Forgé il était mon fils

    Et ferromagnétique des fois aussi.

    Sois pas comme astronaute sans galaxie – je lui disais

    Petit kangourou sans sa maman,

    La robe sans sa mariée.

    Ce cycle menstruel tellement irrégulier

    Tellement sur le pallier

    Fait sombre et humide que plouf -

    Et astronaute retombe -

    Au fond de l'escalier

    Sa touffe

    Noircit et disparaît,

    Réapparaît, grossit

    Et roule – visage-ballon - dans les couloirs

    Et pièces communes.

    Pleine lune

    Un demi-citron pour la mamie

    Une grenadine pour la fillette -

    Les deux extrémités d'une vie

    En tête à tête

    Monstrueux monstrueux -

    Niami, Niamey, Milan -

    Dent pour dent,

    œil pour œil.

    C'est la fête dans ton clan -

    Dans mon clan – jour de deuil.

    Et plus de mémoire – mais vous êtes où ?

    Et plus de mémoire – où il est mon mari ?

    Ma femme? Mes cousins?

    Ma tante? Mon oncle?

    Buvez un coup, buvez un coup – tchin-tchin

    Diamant de Chine,

    Pétrole de Sibérie.

    Esprit confus, lunettes de vue

    Rouillées et plus de connexion wifi.

    J'ai dit : "Salut, mon pharaon, ma vie

    Touche à sa fin. Je n'en peux plus."

    Et tout tombait – heureux et courageux –

    Dans la marmite, dans l'huile d'olive,

    Dans la salive, dans la lave, dans le cire -

    Et ce dont je

    Me souvenais,

    Et ce dont je

    Ne voulais plus

    Me souvenir.

     


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  • poeme-Romashov-copie-1.jpg

    Pour que dans l'euphorie des fêtes, on ne les oublie pas...

     

    L’épave

    par Claude Romashov

     

     

    Elle tangue roulée dans son paletot trempé de pluie.

    Le temps a la nausée et vomit sa bile.

    Elle se tient aux murs, arrache des débris de plâtre.

    Et va s’échouer durement sur le trottoir.

    A la vue des passants scandalisés.

    Elle n’est plus qu’un déchet, un rebut.

    On peut l’écraser, lui marcher dessus.

    La mer a trop charrié d’écume et de douleur.

    La mer lui a rongé la peau.

    L’indifférence tue plus que la lame mortelle des vagues.

    Dans un dernier sursaut, elle lève un bras pétrifié

    Vers le ciel soufflé d’étoiles.

    L’épave disloquée gît sur le sable.

    Des insectes de bois se délectent de ses chairs

    Cassantes comme du pain de sel.

     


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  • Reproduction-copie-1.jpg

    Depuis toujours la poésie est source de vie, Lambdum Kagibi  nous le rappelle sans ambages...

     

    La Reproduction

    (Hommage à Pierre Bourdieu)

     

     

    Après long temps, lorsqu’enfin,

    dans la chambre d’hôtel,

    parvenant à mes fins,

    j’immolai sur l’autel

    d’un lit à sommier un peu grinçant

    la pudeur de Lili, une riche héritière,

    je me vis déjà consort puissant.

    Nous ahanions jusqu’alors de concert,

    quand un blanc râle à elle plus sourd,

    à contretemps, gorgé, (si lourd,)

    la meute a capella me fit trop tôt lâcher,

    impromptue, sans que je puisse vraiment l’en empêcher.

    Et l’hallali fût si hâté

    que la meilleure part du morceau

    elle n’eût point l’heur de tâter.

    Lors je m’abandonnai, brie de Meaux

    trop fait, sur elle frustrée,

    la laissant toute transie,

    en état de choc, claquant des

    dents et fort marrie,

    impatiente, désespérée,

    de rebomber ce soufflé

    qui n’était que trop retombé.

    Belle, en colère, sans retenue,

    elle s’est dépêtrée, folle, de moi,

    et s’est dressée tout- à- fait nue

    pour me faire part de son émoi.

    Elle aboie, elle larmoie.

    « Et moi! Et moi! Et moi! »

    Crise d’hystérie

    véritable sortie

    sur cette injuste noce

    cet abandon précoce...

    Je, aveugle sot-l’y-laisse,

    l’entendais soliloquer.

    Des détails je vous fais grâce.

    Adieu la dot hélas!

     

    Puisqu’il n’est pas permis vraiment de rater son péché

    - si près du but avoué c’est péché plus mortel -

    sans m’excuser jamais d’avoir été si empêché,

    elle en épousa un autre, plus héritier qu’elle.

    Elle lui a dit oui sans essai. Témoin je me suis tu.

    Ainsi va le beau Monde, qui peu ou prou se perpétue.

     


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  • Chanson-JC.jpg

    A la mémoire de Monsieur Yves Berger

     

    Chanson de Jean Calbrix, auteur d' Un automne en août

    Pilonné par les bons soins de Monsieur Manuel Carcassonne

     

     

                                       Connais-tu la chanson Coquine et désuète ?

                                       AA coule à l'envers, A Saint-Omer pardi.

                                       RaRement un cours d'eau Remonte le lundi,

                                       CarCassonne en est coi Comme carpe muette.

     

                                       Au diAble, se dit-il, A la voir si fluette

                                       Sur leS blancs nénuphars. Soudain, un beau mardi,

                                       S'en va Sens opposé, Sûr jusqu'au samedi.

                                       Où sitôt On inverse, Oh la belle bluette !

     

                                       N'est-il Nul truc ainsi, Nul machin sans pareil ?

                                       Nier tout uN bon sens, Niera-t-on le soleil ?

                                       Entonnons cE refrain, Et laissons l'Aa faire :

     

                                       Harpe chère à Horace, Honore ce sonnet,

                                       Etonne l'éditEur En cette grande affaire,

                                       Puisqu'il faut Parler franc, Près de son gros bonnet.

     


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  • oeillet.jpg

    Il aime la musique, la peinture, la philosophie et la littérature bien sûr. C'est un auteur encore jeune et déjà quelques succès dans les concours de nouvelles. Comme il en pince aussi pour la poésie, le slam, il est tout naturellement notre invité... 

     

    Oeillet rouge à la boutonnière

    par Lambdum Kagibi.

     

     

    (Deux ou trois pincées de « Solitude », de Duke Ellington)

    Hommage à P.S. (Philippe Solllers)

    Ou à J. d’O. (Jean d’Ormesson)

        Ou à… V. Z. (Victor Zarka)

     

     

    Vieux beau, moi ?!

    qui ai tant vécu

    tant vu de faux-culs

    mis dans tous leurs émois!?

     

    Après tout, pourquoi pas?

     

    Moi qui vais à trépas

    que tout plus sûrement,

    pourquoi n’y irais-je pas

    le plus élégamment

    qu’il se doit ici-bas ?

     

    Refrain :

    Vieux concombre qui bavasse sans graine

    Au gin-tonic ma vieille carcasse je draine

     

    Mon coeur a trop battu

    la campagne perdue,

    le chemin des dames

    où la mort brame.

     

    J’ai le coeur un peu bas,

    du côté de mon ventre.

    J’ai le coeur un peu las

    il faut que je le rentre

    tel un karatéka

    centré sur son hara.

     

    Refrain :

    Vieux concombre sans graine qui bavasse

    A la veuve Clicqot je draine ma vieille carcasse …

     

    A ma dernière invitée

    pucelle du couvent retraitée

    lui consacrant tout un rosaire

    sur Victor faisant d’la surenchère

    énamouré

    j’ai psalmodié

    « ma congénaire

    tu es bonne,

    ô ma nonne, nonne…

    Nonagénaire »

     

    Refrain :

    Vieux concombre qui bavasse sans graine

    Aux infusions d’pissenlits ma vielle carcasse je draine.

     


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