• Momo

    Momo3

     

    MOMO

    Claude Romashov

     

    Fichu ascenseur ! Encore en panne ! C’est la troisième fois en deux mois. Les habitants de l’immeuble en ont marre et moi aussi. J’ai 83 ans, bon pied bon œil, mais remonter mes courses au cinquième, là je ne peux pas. Heureusement il y a Momo. Un coup de fil et il est là, toujours disponible quand j’en ai besoin. Le gardien, un gros bonhomme paresseux et peu sympathique râle toujours quand il s’agit de dépanner une vieille locataire comme moi.

    Momo est le petit-fils dont j’ai toujours rêvé. Un beau gamin, poli, affectueux qui a toujours un mot pour rire. Je ne suis pas riche avec ma retraite aussi mince que du papier de soie. Seulement j’ai le cœur généreux. Les jeunes du quartier aiment venir discuter avec moi. Ils me racontent leur vie, leurs difficultés à trouver un emploi, les querelles familiales et j’en passe. Moi, je leur prépare des tartes qu’ils dévorent comme des louveteaux affamés, la reconnaissance au coin de l’œil. Sans mes gamins, je m’ennuie. Les voisines, de vieilles biques cancanières, je ne peux pas les supporter et c’est réciproque. Mes petits veillent et les rembarrent quand elles se font trop curieuses ou trop médisantes. Elles ont peur d’eux et je rigole sous cape quand j’entends les portes se refermer avec brusquerie et les clés tourner dans les serrures.

    De tous c’est Momo mon préféré. La vie ne l’a pas gâté. On se comprend tous les deux. Un espace de misère nous rapproche. Celle qui suinte noire, des murs graffités de l’immeuble, des halls envahis par une jeunesse désœuvrée, des pelouses râpées sous des arbres maigrichons, des aires de jeux abandonnées.

    Momo je le vois moins en ce moment. Il est trop occupé, mais il m’a promis qu’il reviendrait bientôt dormir chez moi. Il m’a laissé en gage ses deux gros sacs…

     

    Dans la cuisine éclairée d’un rayon de soleil, Robocop fixe la chaîne en or autour de mon cou. - Ce collier, vous l’avez acheté avec vos économies peut-être ?

    - Non c’est un cadeau.

    - Ah oui et de qui ?

    Il m’embête pour ne pas dire plus avec ses questions ce flic d’opérette. Ses collègues ont vidé le contenu des sacs avec des exclamations de triomphe. Des petits sachets se succèdent sur la balance de précision.

    - Et çà, mamie, c’est de l’herbe pour vos lapins ?

    Il me prend pour une abrutie. Je ne voulais pas savoir ce qu’il y avait dans ces sacs. Je ne suis pas une fouineuse et puis Momo ne m’avait rien dit et encore moins pour la liasse énorme de billets que compte et recompte un flic méticuleux.

    - À partir de maintenant vous êtes en garde à vue et ce minable petit dealer aussi.

    Momo ensommeillé est sorti de la chambre par deux policiers costauds. Je me laisse passer les menottes avec fatalisme. Dans cette galère, lui et moi, nous ne serons pas séparés. 

        

    Brève 7 mai 2014

    Une femme âgée de 83 ans a été interpellée pour avoir gardé dans son appartement le cannabis de la cité de la Capsulerie…


  • Commentaires

    1
    Dimanche 18 Mai 2014 à 08:42

    C'est inouï !!! Merci pour ce texte dense et drôle malgré la véracité sous-jacente.

    2
    Yvonne Oter
    Samedi 23 Août 2014 à 17:57

    Le fameux conflit des générations enfin détricoté ! Mais voilà que la maréchaussée s'en mêle et tout finit par s'embrouiller...

    Bien Claude, et merci pour le ton léger.

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