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    Une nouvelle noire de Claude Romashov en attendant le ciel bleu... 

    La visite

     

    Je suis seul chez moi. J’ai ramené la couverture au ras du menton. La télé chauffe et même lui, l’animateur policé commence à m’énerver. D’un coup sec de télécommande, je lui renvoie ses mots doucereux dans la gorge. La cheminée ronfle et pétille de cendres vivaces. Je les ignore. Il gèle depuis des jours et je suis transi. Alors je me réchauffe dans mon antre. Comme je peux.

    J’ai préparé un plateau repas avec mes sandwichs préférés mais sans elle, ils n’ont pas le même goût. Rien n’a plus la même saveur depuis son départ. Le temps s’est arrêté et je me suis consumé dans l’attente. L’attente d’un signe de sa part, d’un geste, d’un remord.

    L’ampoule du néon vacille. J’ai bien peur qu’il  ne s’éteigne lui aussi. Tout est vieillot dans cette maison, tout est resté en place à la mort de mes parents. Elle me le reprochait souvent.

    - Tu ne fais rien pour la rendre agréable, tu ne sais même pas bricoler.

    Et pourtant je lui avais aménagé sa pièce. Tapisserie au mur, étagères et moquette de laine épaisse pour ses pauvres pieds qui craignaient le froid. Elle était enchantée au début, la pièce était devenue son bureau puis son refuge quand elle avait décidé de ne plus partager ma couche. Un jour, elle m’avait annoncé.

    - Tu sais, j’ai rencontré quelqu’un. Ne sois pas jaloux voyons, ce n’est qu’un ami.

    Et puis la voix s’est faite plus aigre.

    - Tu ne m’empêcheras pas de voir qui je veux. Estime-toi heureux que je rentre encore à la maison.

    Elle rentrait oui, à l’aube.

    Je ne posais plus de questions. Devant moi s’ouvrait la béance de mon amour piétiné. Je ne pouvais le croire, pour elle, j’allais tout supporter, ses mensonges, mes silences et mon cœur en morceaux. Elle ne mesurait pas l’immense saccage.

    La douleur de la perte s’est inscrite dans mes veines, dans les plis de mon visage. Du jour au lendemain, je n’ai plus supporté les autres, les proches et leur compassion outrée. Je ne voulais plus voir personne…

    Le bruit m’a agressé. Je me suis levé d’un bond et discrètement me suis glissé vers la fenêtre. On frappait avec insistance. La voisine ! Qu’est-ce qu’elle me voulait cette fouine. Je n’ai jamais pu l’encadrer.

    Ne pas ouvrir, faire le mort. Tu ne vois donc pas idiote, que la maison est figée dans le silence et que le vent ne fait plus claquer les volets. Le chat, à demi sauvage qui venait boire son écuelle de lait au temps du bonheur a disparu, avalé par l’hiver et seuls les démons de la solitude cavalent sous mon crâne. Je n’ai le goût à rien. Je n’ai pas envie de vivre.

    Je sais bien qu’un jour, il faudra que je sorte. Après les morsures glacées des frimas, naissent les nouvelles récoltes mais je ne veux pas de soleil tapant sur les vitres, je veux me terrer encore et encore comme un animal blessé.

    La voisine est repartie. Ses traces de pas se sont inscrites salement dans la neige. Je suis furieux. Elle a dérangé le tapis isolant de l’hiver.

    Je regarde autour de moi, il fait froid malgré le feu crépitant de la cheminée. La vieille table de la cuisine a retrouvé son bois naturel. Elle aussi détestait la toile cirée provençale dont elle la drapait pour lui donner une touche de gaieté. Et ces cadres colorés et ces photos de nous deux affichées. Le mur a souffert quand je les ai arrachées mais la maison a retrouvé son odeur et sa rusticité paysanne. Elle m’est revenue finalement. Comme elle !

    Peu de temps après, j’ai encore entendu frapper avec insistance. De nouveau je me suis caché en guettant l’intrus. C’était elle. Mon sang n’a fait qu’un tour et mon cœur s’est mis à danser la sarabande. Il fallait que je garde mon calme. J’y étais résolu mais mes mains tremblaient quand j’ai ouvert.

    La prochaine visite sera, j’en suis sûr, moins agréable.

    J’ai rangé le désordre puis j’ai regagné mon lit avec elle, tout près à mes côtés. Elle dort profondément, je n’entends pas son souffle. J’ai la télécommande d’une main et l’autre caresse son cou, surtout l’excroissance rouge que la balle à bout portant de mon révolver y a laissée.

     


  • Commentaires

    1
    Bob
    Lundi 8 Août 2011 à 08:23

    Un trou de balle pour une histoire de cul ! ah, la pitoyable nature humaine ! Mais la nouvelle est bonne !

    2
    Samedi 13 Août 2011 à 01:43

    Sympa, cette petite chronique rupestre. La chute est un peu attendue, mais on s'en fout : l'ambiance est trop bien décrite.

    J'ai beaucoup aimé.

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    3
    Lundi 15 Août 2011 à 14:34

    J'ai mis rupestre, moi ?!? N'importe quoi. Va falloir que j'arrête le lait vitaminé.

    Je voulais dire agreste, bien sûr. Enfin, je crois.

    4
    Lundi 15 Août 2011 à 23:28

    Peut-être que je pensais à l'acteur Rupestre Everest dans "Chronique d'une mort annoncée".

    5
    Yvonne Oter
    Samedi 23 Août 2014 à 18:16

    Drame de la séparation, drame de la solitude, drame de l'incompréhension.

    Bien triste histoire, mais tellement bien racontée par Claude qu'elle nous prend au coeur...

    6
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:16

    Bien d'accord avec Yvonne et Bob (dont je viens d'écumer le blog... pas mal).. l'histoire est belle et... dramatique.

    7
    romashov claude
    Samedi 23 Août 2014 à 18:16

    Merci d'avoir aimé cette nouvelle écrite un peu vite à mon goût mais efficace à ce que je vois.

    Bonnes vacances à tous.

    Claude

    8
    romashov claude
    Samedi 23 Août 2014 à 18:16

    Merci à tous d'avoir aimé cette nouvelle écrite un peu vite à mon goût mais efficace à ce que je vois.

    Bonnes vacances à tous.

    Claude

    9
    romashov claude
    Samedi 23 Août 2014 à 18:16

    Rupestre ??? je reconnais bien là le peintre (que j'apprécie), mais de là à écrire une chronique préhistorique !

    10
    fanbou
    Samedi 23 Août 2014 à 18:16

    J'ai bien aimé l'écriture et la montée en suspens, je n'aime pas la fin de l'histoire, mais le titre est très réussi.

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