• Lever d'étoiles 04

    Lever d'étoiles 04

    Martine Ferachou, l’étoile du jour

    "Ecrivore et concouriste acharnée depuis sept ans, j'attendais la retraite avec impatience pour consacrer tout le temps nécessaire à ma passion. Et bien ça y est, pour moi, l'école est finie... Je n'ai plus qu'à écrire les nouvelles pages du reste de ma vie !"

    Le Faiseur de tombes

     

       Les allées du cimetière, pour sûr, n’étaient pas entièrement combles, et avaient connu des jours meilleurs… une fréquentation plus élevée… Par exemple, pour l’enterrement de l’ancien maire, celui qui avait duré six mandats, et endormi la commune pire que la « Belle au Bois Dormant » ! Ce jour-là, le village entier s’était déplacé, et le soleil avait réchauffé l’adieu des administrés au regretté élu de leur cœur ! Mais, la plus grande foule que Maurice avait vue, de tout temps, en ce lieu funeste, s’était rassemblée, sombre, triste et muette, le lundi où on avait mis en terre la petite Eléna, huit ans, heurtée par un chauffard sur le chemin de l’école…

       Aujourd’hui, c’était autre chose ! Le record d’affluence ne semblait pas battu, mais la qualité des participants ne saurait point être surpassée ! Se trouvait là du très beau linge ! Imaginez : un sous-préfet, un député-maire, un président de la communauté de communes, quelques gendarmes et pompiers en uniformes, plusieurs « baveux » de la presse écrite, des journalistes et cameramen de FR3 Limousin. Le plus étrange mystère jamais décelé dans le hameau avait intrigué un grand nombre de curieux, apeuré quelques superstitieux et… déplacé les autorités compétentes. Des anonymes, bien connus, pour la plupart d’entre eux (pensez ! mille deux cent trois habitants sur la commune !) complétaient cette assemblée et participaient à l’invasion du site.

       Maurice, un pied dans la tombe, l’autre en appui sur sa pelle boueuse, avait interrompu son travail à l’arrivée, dans le cimetière, de cette hétéroclite et massive délégation. Il n’avait pas bronché, avait laissé les visiteurs cerner, en grande pagaille, le rectangle de terre, détrempé par la pluie, dans lequel il œuvrait, en contrebas, depuis une bonne demi-heure. Il avait attendu patiemment que chacun trouve sa place, installe son matériel, se taise enfin… Puis, mégot éteint, collé à la lèvre inférieure, il avait murmuré un « M’sieurs Dames » poli, en soulevant légèrement sa casquette de sa main libre. Des flashs avaient crépité, des voyants de caméras s’étaient allumés… Le maire s’était raclé la gorge. Le Perchman avait tendu un long bâton noir muni d’un micro au-dessus de la scène.

       - « Mesdames, Messieurs,

    cela va faire dix-huit mois, bientôt, que notre village est confronté à un problème majeur. Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour que cette sordide affaire ne s’ébruite pas, afin de la résoudre, d’une part, et de conserver calme et sérénité dans la population, d’autre part ! En ce qui concerne le second point, notre discrétion a porté ses fruits, jusqu’à ces jours derniers !

       Malheureusement, désormais, la rumeur enfle… déforme les faits…, entretient la psychose… Je vous ai donc conviés, aujourd’hui, à cette conférence de presse, afin de rétablir la vérité, de lancer un appel à témoins et de découvrir, au plus vite, l’identité… et les mobiles, de la personne qui, depuis huit mois donc…, comment dire… fabrique de fausses tombes dans notre si tranquille petit cimetière ! La moindre petite parcelle de terre vacante a été… besognée… par cet individu. La fosse que vous voyez là porte déjà le numéro « treize » ! Notre homme, sans doute dérangé dans sa tâche, n’a pas eu le loisir de la terminer… Comme vous pouvez le constater, notre ami cantonnier, Maurice, est en train de refermer le trou… »

       - Monsieur le Maire, pouvez-vous nous décrire le mode opératoire de celui que la population a nommé « le Faiseur de tombes » ?

       - Nous pensons qu’il franchit l’enceinte du cimetière, à la nuit tombée… Il choisit ensuite un emplacement selon des critères qui restent, pour nous, aléatoires, creuse la tombe, la remblaie, ajoute de la terre pour faire un joli dôme… Il passe ensuite à la partie… Passez-moi l’expression… la partie… décoration… Il vole fleurs fraîches, bouquets artificiels, vases en porcelaine, croix en tout genre, sur les caveaux de proximité et implante tout cela sur sa réalisation.

       - Mais, Monsieur, qu’est-ce qu’il enterre exactement ??? Que met-il dans les fosses ?

       - Personne n’a rien trouvé ! Maurice, ici présent, a aidé les gendarmes. Ensemble, ils ont retourné chaque centimètre carré de terre, fouillé chaque pelletée. Des prélèvements ont été effectués par la police scientifique : rien ! Rien de rien ! Le mystère reste entier !

       L’écrivaillon local, oublieux de ses chaussures noires reluisantes, s’était avancé d’un pas vers le bord de la fosse :

       - Pardon Monsieur Maurice, si je ne m’abuse, vous habitez la petite maison de fonction, à l’entrée du cimetière, n’avez-vous rien entendu ou vu, de suspect, la nuit ? Une lampe torche, une silhouette ?

       Maurice, la mine chavirée, avait dodeliné de la tête pour dire non. L’Adjudant-Chef de Gendarmerie Bourdel, indigné, avait répondu à sa place :

       - Comprenez bien, Monsieur… Maurice, depuis que sa femme est… depuis qu’elle… a disparu… Enfin, pour des raisons personnelles… il prend, chaque soir, des comprimés pour dormir. Il nous entend même pas quand on vient faire des rondes nocturnes ! Nous passons donc lui emprunter la clé du cimetière vers vingt heures ! Après c’t’heure-là, il dort comme un loir ! Et nous autres, tout comme « l’individu », nous sommes obligés de faire le mur pour… pénétrer !!!

    Quelques rires gênés avaient fusé !

       Au souvenir de sa femme, disparue en mer dans le naufrage improbable et catastrophique d’un bateau de croisière (pour une fois que Janine gagnait le premier lot d’une tombola !), Maurice avait pudiquement baissé la tête, et s’était perdu dans la contemplation de sa botte de jardin verdâtre, engluée dans la boue, enlisée dans la terre… Un pied dans la tombe, il aurait volontiers botté le c... du  journaliste avec l’autre !

       - Messieurs, avait repris le Maire, notre Faiseur de tombes reste, pour le moment, l’homme invisible ! Pour cette raison, et pour faire cesser ses agissements, nous devons mettre en œuvre vigilance et solidarité !

       Le sous-préfet qui avait paru, jusqu’alors, quelque peu détaché de la conversation, s’était brusquement réveillé :

       - Tout de même, ne trouvez-vous pas, cher ami, que tout cela est très exagéré ! Cette personne creuse, rebouche, emprunte quelques objets funéraires, les restitue, puis recreuse quelques mètres plus loin… Toujours le même rituel ! Cela ne fait pas d’elle l’ennemi public numéro un ! J’imagine plutôt une personne avec de graves problèmes psychologiques !

       - Avec tout mon respect, Monsieur le Sous-préfet, on voit bien qu’il ne s’agit pas de votre cimetière ! Notre désir le plus profond, à tous, habitants de Sainte Foix, est de laisser reposer en paix nos chers disparus ! Nous désirons leur rendre visite, quand ça nous chante, sans craindre de croiser, au coin d’une allée, un collectionneur de tombes, et voleur, de surcroît ! La population est à bout ! Lisez plutôt cette note, anonyme, cela va de soi, déposée dans la boîte aux lettres de la mairie, ce matin.

       Les mots ou syllabes avaient été découpés dans le journal local et recollés sur une feuille de cahier, pour délivrer le message suivant :

       « NOTRE CIMETIÈRE N’EST PAS UN GRUYÈRE : AU TROU LE FAISEUR DE TROUS ! »

       Le sous-préfet avait laissé échapper un sourire ironique, rapidement transformé en gros soupir… Puis avait murmuré une phrase presque inaudible, dans laquelle il était question de « bêtise humaine ».

       C’est alors que l’orage, qui avait, jusque-là, patiemment attendu son tour pour s’exprimer, s’était mis à gronder au-dessus des têtes, à zébrer le ciel d’éclairs fulminants, à expédier ses premières énormes gouttes. Il avait sonné le glas de la réunion. Sous les yeux médusés de Maurice, le maire avait, brièvement, répété les mots à retenir, « vigilance et solidarité », et remercié son auditoire. Quelques parapluies étaient apparus… La populace avait pris ses jambes à son cou ! La délégation officielle était repartie comme elle était venue, bruyamment, en ordre dispersé ! Le cimetière s’était vidé en un clin d’œil !

       Le cantonnier avait frotté, l’une contre l’autre, ses deux grosses mains velues et calleuses. Il avait posément craché dedans afin qu’elles accrochent bien le manche de la pelle. Elles avaient déjà tant fait, mais il restait tant à faire !!! Il avait rallumé son mégot, s’était remis à la tâche, pelletant de toutes ses forces… D’origine paysanne, il savait mieux que personne ce qu’il en était de ce cumulonimbus. D’ici deux ou trois minutes, le vent d’ouest l’aurait emporté, lui et sa ridicule petite averse !

       Cependant, l’effort physique ne l’empêchait pas de réfléchir à la scène qu’il venait de vivre. Tant de monde pour s’intéresser à un si petit mystère ! Tant de bavardages inutiles, de singeries… « Z »’avaient rien d’autre à f…, franchement ! Et à quelle vitesse, ils avaient fui l’orage ! Seul, l’Adjudant-Chef Bourdel avait tardé à quitter le cimetière, à rejoindre ses subordonnés. Il avait même lanterné, sous la pluie, autour du veston de Maurice, accroché, à quelques pas de là, au manche de la pioche. Ça lui était bien revenu, maintenant, à Maurice, l’attitude étrange du gendarme, et ça l’avait stoppé net dans l’avancement de son labeur ! Il avait jeté sa pelle hors du trou, avait remonté son corps, soudain glacé. Il s’était approché du bleu de travail, en avait fouillé frénétiquement la poche… Ses doigts terreux avaient rencontré un bout de papier. Il s’en était emparé, songeant à la note lue publiquement par Monsieur le Maire. Mais il ne s’agissait pas de cela ! Le bout de papier, recouvert d’une écriture appliquée, délivrait le message suivant :

      « Cher Maurice, je te l’avoue : j’ai tout compris ! Et depuis longtemps ! La mer a emporté, à jamais, le corps de ta femme et de douze de ses compagnons de voyage. Je sais ton désespoir ! J’ai deviné que tu as creusé treize tombes et, ainsi, atteint ton objectif : treize funérailles ! Je t’ai laissé accomplir cette folie en souvenir de notre enfance ! Désormais, je ne pourrai plus rien pour toi ! Détruis ce billet ! Ton meilleur ami : Bourdel »


  • Commentaires

    1
    Lza
    Mardi 14 Octobre 2014 à 09:39

    Un texte plein de sensibilité en même temps que d'humour.

    2
    dominique guérin
    Jeudi 16 Octobre 2014 à 16:53

    Une histoire touchante, bien amenée, haute en personnages croqués "vif" et aux allures de petite satire où le remontage de bretelles est de mise^^. J'ai juste un peu été freinée par la chute, le billet écrit m'a semblé d'un autre registre narratif.

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