• Lever d'étoiles 03

    Lever d'étoiles 03

    Philippe David-Maufras, l’étoile du jour

    Erato, Muse de la poésie m'a prêté sa plume à mon adolescence. Grâce à elle j'ai composé de nombreux poèmes ainsi que des chansons que j'interprète parfois sur scène. À d'autres moments, quand la prose se fait plus insistante, j’écris des nouvelles et même des romans, dont « Ascenseur pour les étoiles », livre malheureusement édité chez un « voleur de talents » ! ou « Nouveaux Mystères et Légendes du Béarn », œuvre collective.

    Ma dernière création est un conte poétique en trois parties intitulées respectivement :

    « Monsieur Mot », « Belle Parole » et « Au Mariage de Monsieur Mot et Belle Parole ».

    J'évoque dans ce conte, publié aux Éditions Histoires de Cœurs, le problème de la timidité, mais c'est avant tout une histoire d'amour et… d'humour !

    Sans pour autant tourner le dos à mes héros de papier, j'ai décidé de répondre à l'appel des fées numériques (plus sympathiques que les sirènes !) en leur offrant une légende :

    Aurore ou la Légende de Corel'Ingram, publiée chez Numeriklivre.

    En lien avec l'écriture, je propose des ateliers destinés aux enfants, des rencontres avec les élèves ainsi que des spectacles en musique et en image mettant en scène mes contes et mes poèmes, ou ceux d'autres auteurs.

     

    Le Prisonnier de Houvantan

     

       Prologue

        La situation n’était guère rassurante…

       Ils étaient vingt-sept. Vingt-sept sacrifiés, choisis parmi les prisonniers les plus récalcitrants de Houvantan, pénitencier de triste renommée, érigé sur l’île du même nom, par la junte au pouvoir.

       Alors qu’ailleurs, les fêtes nationales étaient souvent synonymes de grâce présidentielle, ici à Houvantan, cela signifiait la mort. Ici, la fête patriotique était surtout celle des Mougst, créatures monstrueuses du Marécage…

       Comme elles étaient avides de chair humaine, et parce qu’on ne tenait pas trop à les voir déambuler dans les beaux quartiers, la junte leur jetait en pâture, tous les « improductifs », les « parasites de la société », avec en prime, chaque 30 juin, un lot de prisonniers « triés sur le volet ». Ces sacrifices auxquels tous les citoyens étaient « cordialement invités » constituaient le point d’orgue des festivités.

       Depuis leur cellule commune, les condamnés entendaient les préparatifs de la cérémonie. Sur tous les visages ou presque se lisait la même angoisse. Tous savaient de quelle manière ils allaient mourir… Pour avoir assisté -du temps où ils étaient libres- à ces « Grand-messes du Sang », ils savaient comment les Mougst tuaient leurs victimes…

       Je dis « tous les visages ou presque» car en fait, un des prisonniers semblait moins nerveux que les autres, comme indifférent à ce qui se tramait ici. Au contraire de ses compagnons d’infortune, son visage paraissait serein. Parfois même, un léger sourire apparaissait furtivement sur ses lèvres…

       - Comment qu’tu fais pour être aussi calme, toi, alors que dans pas longtemps, tu seras comme nous, ficelé au poteau, au milieu du Marécage ? Lui demanda un codétenu, agacé.

       - Je puise mon courage dans la foi. Lui répondit l’autre simplement. Cela m’aide à tenir.

       - Dans la foi ! Dans la foi ! Répliqua un second prisonnier, ironique. Malgré tes « Grands Airs» t’es un truand ! Comme nous ! Et même pire que nous à c’qu’on dit. Tu crois qu’ ta « foi » t’évitera l’enfer? Ah ! Ah ! Ah !

       - Qui sait… Qui sait… Répondit Jill, laconiquement.

       Et c’est vrai que Jill avait la foi. Mais pas la foi en Dieu. Non. La foi en lui, et surtout dans un nombre : le Numéro 13 ! Chiffre porte-bonheur qui le suivait et le protégeait tel un ange gardien depuis sa naissance…

       Assis sur le sol en terre battue de la cellule, le dos collé contre le mur lépreux, il revoyait le film de sa vie…

     

        Une chance insolente. 

       Treizième… Jill était le treizième enfant de la famille. Et pas le plus âgé ! Mais en ce triste jour de printemps, il demeurait le seul survivant…

       Vêtu de sombre, donnant le bras à sa mère, inconsolable sous sa voilette, il accompagnait son dernier frère jusqu’au cimetière.

       Ils y étaient tous passés. Une guerre, deux accidents, un typhus, une mauvaise grippe, un cancer et d’autres causes parfois inconnues avaient eu raison de ces jeunes vies.

       Lui seul avait survécu. Certes, la mort l’avait effleuré à de nombreuses reprises, mais elle avait passé son chemin, dédaignant ce numéro treize qui ne l’intéressait pas.

       À l’école, le nombre protecteur avait également sauvé Jill plusieurs fois. Treizième élève de la classe, il passait tout le temps à côté des interrogations-surprises de Monsieur Girot, le terrible prof de math. Aux récréations, aussi, lorsqu’il participait à des jeux de hasard, il remportait souvent la mise, grâce à son « fameux treize ». Naturellement, on l’accusait de tricher et les parties se transformaient en bagarre. Lui, avait beau dire que ce n’était que de la chance, personne ne le croyait.

       Et puis il y eut ce grave accident… Ils étaient treize sous le préau lorsque ce dernier s’effondra. Des décombres, on ne retira qu’un seul survivant : Jill…

       À partir de cet évènement, l’enfant commença à prendre conscience de l’influence qu’avait sur lui ce numéro. Et il n’était pas le seul à faire le rapprochement… Peu à peu, ses camarades s’écartèrent de lui, comme s’il était atteint d’une maladie contagieuse. Certains avaient peur et l’accusaient même d’avoir signé un pacte avec le diable. D’autres étaient simplement jaloux de sa chance, insolente, arrogante.

       À cette époque, pourtant, le garçon était encore dans l’innocence. Il ne songeait pas aux bénéfices qu’il pourrait tirer de son porte-bonheur, tant il était obnubilé par son désir de se justifier, de faire la preuve de sa bonne foi.

       À plusieurs reprises, lors d’un examen, d’une épreuve sportive il avait même proposé à quelques-uns de ses camarades, de prendre sa place. Certains avaient accepté, mais curieusement, juste avant l’épreuve, un évènement inattendu était toujours survenu, rendant à Jill son rang habituel…

     

       Sous les drapeaux

       « Le premier rang ! Un pas en avant ! »

       Sur l’ordre, les appelés avancèrent et restèrent dans un garde-à-vous approximatif, un peu tremblotant, face à l’officier, raide dans sa tenue grenat, toutes médailles dehors.

       « Soldats ! Leur cria-t-il. J’espère que vous mesurez l’honneur qui vous est fait aujourd’hui.

       Notre Vénérable Guide, le Général Virtupenza vous a désignés pour constituer le Premier Groupe d’Assaut ! Votre mission sera de vous emparer de la forteresse de Modour. C’est dans celle-ci que ce se sont réfugiés lâchement les ignobles ennemis du Peuple et de la Nation ! »

       Jill n’était pas vraiment à l’aise avec son fusil… Cela faisait juste quinze jours qu’il était arrivé dans cette caserne. Lui, aurait préféré continuer à cultiver son champ, soigner ses bêtes, mais le général Virtupenza, chef de la junte, en avait décidé autrement. Voyant des traîtres et des ennemis partout, il avait décrété la « levée en masse » pour lutter contre les séditieux, dont le dernier carré s’était replié dans la forteresse de Modour.

       « Ah ! Si seulement les appelés du contingent avaient été désignés par tirage au sort, regrettait Jill. Mon cher «13» m’aurait sauvé comme d’habitude… »

       Mais ce qui le consolait, c’est qu’en pénétrant dans la caserne, chaque soldat avait reçu un numéro de matricule en remplacement de son identité. Naturellement le sien commençait par un… treize.

       Le Premier Groupe d’Assaut avait été emmené en camion jusqu’aux tranchées, et avait pris position, à la faveur de la nuit, dans le boyau le plus avancé.

       Les heures s’étaient écoulées dans un silence pesant. Quelques mains tremblantes avaient rédigé des lettres d’adieu, tandis que d’autres trompaient l’angoisse en jouant aux cartes.

       Ce soir-là, Jill avait une fois de plus raflé la mise…

       Et puis vint l’ordre tant redouté :

       « Baïonnettes au canon ! »

       Et un cri :

       « En avant ! »

       Les soldats, ivres de peur gravirent maladroitement les échelles de bois et, derrière leur lieutenant, se ruèrent en hurlant jusqu’à la tranchée d’en face, poste avancé de la citadelle.

       Leur cri eut pour effet de réveiller les mitrailleuses ennemies qui balayèrent sans aucun mal ces pantins lourds et malhabiles. Ce fut un carnage…

       Quand, quelques heures plus tard, les infirmiers arrivèrent sur le champ de bataille, ils ne relevèrent qu’un seul rescapé. Vous devinez qui…

       La survie de Jill parut aussitôt suspecte et on le soupçonna de désertion. Heureusement pour lui, il avait reçu une blessure à la main, certes sans gravité, mais qui prouvait tout de même qu’il avait participé au combat.

       Cette blessure évita donc au jeune homme la cour martiale et lui permit de rentrer chez lui, avec en tête une résolution qui allait changer radicalement le cours de sa vie.

       Jill était bien décidé désormais, à tirer profit au maximum, de son numéro fétiche…

     

       De l’ascension à la chute

       Treize virtupenzos. C’était tout ce que Jill avait en poche lorsque timidement, il avait franchi pour la première fois, la porte d’un casino clandestin.

       Le dictateur avait interdit les jeux d’argent. Disons plutôt que ces derniers étaient réservés aux « Élites » ayant les faveurs du pouvoir. Seuls les notables, les intellectuels et artistes « bien pensants » pouvaient s’afficher dans l’unique casino officiel du pays. Les autres citoyens de « seconde zone » devaient se cacher dans les tripots des bas quartiers, pour jouer sur le tapis vert leurs faibles économies.

       Treize virtupenzos… C’était avant… C’était il y avait bien longtemps… Presque dans une autre vie… Aujourd’hui, le petit billet froissé, jeté rapidement sur la table du bar enfumé avait grandi…

       Aujourd’hui, « Monsieur Jill » était à la tête d’une fortune, et c’est lui à présent qui dirigeait les quatre casinos officiels.

       Grâce à son groupe, baptisé naturellement « Numéro 13 » il avait également acheté la banque et les deux organes de presse les plus importants du pays. Et comme pouvoir et argent font toujours bon ménage, l’homme d’affaires était devenu « l’ami intime » du dictateur.

       Installé au cent treizième étage de sa tour de verre, Jill contemplait sa réussite.

       En dessous s’étalaient les lumières de la ville; lumières dont l’intensité décroissait au fur et à mesure qu’on s’éloignait du centre. Là-bas, dans l’ombre, au pied de la montagne, se trouvait son village natal…

       Des parents, des amis d’enfance avaient essayé de le rencontrer plusieurs fois, ou du moins de lui écrire pour lui demander des services : un peu d’argent pour eux-mêmes, ou pour telle ou telle œuvre, une intervention en haut lieu pour libérer quelques prisonniers (notamment le propriétaire malchanceux d’un casino clandestin…), mais la porte de « Monsieur Jill » était demeurée fermée et les demandes écrites étaient restées lettres mortes.

       Cependant (c’est bien connu), la richesse attire convoitise et jalousie. Jill n’avait pas assez de ses dix doigts pour compter ses ennemis. Et ce n’est pas le « petit peuple » dont il était pourtant issu qui allait le soutenir à présent.

      L’opposition à la dictature avait également gagné du terrain. Pour elle, le Président de « Numéro 13 », par sa collusion avec le pouvoir, était devenu « l’homme à abattre ».

       Une cabale fut alors habilement montée contre lui. De faux documents (photos trafiquées, citations sorties de leur contexte…) le faisant passer pour un traître firent soudain leur apparition. D’autres -authentiques ceux-là- mettaient au jour des transactions financières douteuses avec des pays dits « ennemis ».

       Il n’en fallut pas plus au général Virtupenza, pour ordonner l’arrestation de son « ami » en invoquant « l’Intérêt Supérieur de la Nation ».

       C’est ainsi que Jill perdit tous ses biens et qu’il se retrouva du jour au lendemain, détenu au pénitencier de Houvantan, avec pour seule perspective : servir de nourriture aux Mougst, les créatures du Marécage…

     

       Derniers instants ?

       Avant d’entrer dans la cellule des condamnés à mort, chaque prisonnier avait reçu une veste portant un numéro différent. Cela permettait aux gardes (qui pour la plupart ne savaient pas lire) d’identifier les prisonniers. Ils pouvaient ainsi les appeler plus facilement, pour les conduire sur les lieux de leur exécution.

       La tradition voulait que le nombre de détenus soit toujours impair et qu’on les fît toujours sortir deux par deux, sans respecter l’ordre numérique. Naturellement, un seul prisonnier restait à la fin. Ce dernier était alors gracié.

       Jill (on s’en doute) avait reçu le numéro treize. C’est pour cela qu’il paraissait si confiant. Certes, chaque fois que la porte s’ouvrait et qu’un garde appelait deux numéros tirés au hasard dans une bourse de cuir, son cœur se serrait un peu, et il rentrait instinctivement les épaules, mais très vite, l’ombre de la peur s’effaçait une fois la porte refermée.

       À l’extérieur de la prison, les festivités allaient bon train. Les tribunes dressées autour du Marécage ne désemplissaient pas et les Mougst se régalaient…

       Dans la cellule, sur les vingt-sept condamnés, ils n’étaient plus que cinq à présent. À la fin de la journée, l’un d’eux retrouverait la liberté…

       La porte en fer s’ouvrit à nouveau. L’un des gardes plongea sa main au fond du sac de cuir tenu par son collègue et en sortit deux petits cubes :

       « Le 7 et le 18 ! Votre heure est arrivée ! Soyez courageux ! » S’écria-t-il d’une voix où ne transparaissait aucune émotion.

       Les deux hommes qui avaient été appelés blêmirent soudain, mais restèrent dignes. Ils embrassèrent leurs camarades et suivirent leurs geôliers sans un mot… …

       Plus que trois… Ils n’étaient plus que trois…

      Au bout d’une heure, les pas résonnèrent à nouveau derrière la porte ! Marche cadencée ! Arrêt brutal ! Bruits métalliques des verrous et des clefs… Les cœurs des condamnés (y compris celui de Jill, cette fois), battirent à tout rompre…

       Mêmes gardes, même cérémonial du sac de dés, même voix monotone annonçant :

       « Le 2 et le 13 ! Votre heure est arrivée ! Soyez courageux ! »

       « Quoi ? C’est impossible ! Vous avez fait une erreur ! Ce ne peut pas être moi ! C’est forcément lui ! » S’écria Jill en pointant son doigt vers celui que le sort n’avait pas désigné.

       Mais il eut beau jurer, protester et se débattre, il fut conduit en même temps que son malheureux compagnon jusqu’au lieu du supplice…

       Du haut des gradins, les spectateurs l’ayant reconnu scandèrent son nom, mais ce n’était pas pour l’acclamer… Jill, lui, se demanda jusqu’à sa dernière seconde, pourquoi, après tant d’années de fidélité, le nombre treize l’avait ainsi trahi…

     

    Épilogue

       Pendant ce temps, dans la cellule, Tan souriait. Il savait qu’il était sauvé. Il savait depuis le début qu’il s’en sortirait… Comme d’habitude…

       Car Tan avait la foi. Mais pas la foi en Dieu. Non. La foi en lui, et surtout dans un nombre : le numéro 26 ! Chiffre porte-bonheur qui le suivait et le protégeait tel un ange gardien depuis sa naissance…

       Tan avait toujours été le vingt-sixième… etc., etc.


  • Commentaires

    1
    dominique guérin
    Vendredi 17 Octobre 2014 à 13:12

    Très original !... et j'ai bien aimé la chuteyes, 26 étant doublement 13, Jill n'avait en effet aucune chance. Au début, j'ai oscillé entre SF (ah les marécages oup's) et réalisme (succession de chapitres extraits d'une vie ordinaire quand se répète la chance lors de situations banales) ce que j'ai trouvé un peu inconfortable^^ mais je me suis vite habituée. Bravo

     

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