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Les cent premiers jours après la fin du monde, 79
Le progrès
Jean Calbrix
S’il est un adage qui fleure bon la justice sociale, la raison et ses lumières, c’est bien celui que la SNCF annonçait dans une pub : « Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous ». Hélas, au train (hi hi) où vont les choses, ça n’en prend pas le chemin (de fer hi hi hi) dans notre société prisonnière du libéralisme où le cerveau d’un grand patron est en moyenne mille fois plus gros que celui d’un ouvrier, si on le mesure à l’aune de leurs bulletins de salaire respectifs. Et cette moyenne augmente tous les jours. On aurait pu penser que des gens qui se disent socialistes, se seraient retroussé les manches pour stopper cette dérive. Mais las, les biens publics continuent d’être allègrement privatisés et bientôt l’air que l’on respire sera vendu à une grande fortune qui viendra nous greffer des compteurs dans les trous de nez. Enfin, s’il y avait une chose qui pouvait mettre un terme à ce terrorisme-là, c’était bien qu’il y ait une fin du monde le 12/12/2012.
Seulement, on n’a rien vu venir, car les Mayas s’étaient plantés dans leurs calculs. À leur décharge, ils n’avaient pas en leur possession les progrès que l’on connaît de nos jours. Alors, que l’on se rassure, un coefficient correcteur permet de voir qu’elle se produira le 13/13/2013 à 13 h 13’ 13’’ 13 dixième, 13 centième, 13 millième… et il faut s’arrêter là, car on sait très bien qu’Achille ne peut pas rattraper la tortue. Certains critiqueurs diront qu’il n’y a pas de treizième mois. C’est sans compter sur l’audace des députés de la gauche du capitalisme qui en créeront un tout exprès, et qui, ce faisant, laisseront la Cour des Comptes faire de la politique et imposer des diktats ultras libéraux.
Pour illustrer le fait que l’adage de la SNCF est constamment battu en brèche par les rapaces du grand capital, prenons comme exemple ce qui se passe dans le monde de l’édition. Grosso modo, le budget d’un livre est un gros fromage de Hollande, et dame, l’auteur n’en est pas le roc fort. Le libraire se taille la part du lion avec 33%, vient l’imprimeur avec 24%, l’éditeur avec 18%, le diffuseur avec 17% et finalement l’auteur avec 8%. Évidemment lorsque l’on est un grand écrivain comme un comédien renommé, un chanteur de renom, un footballeur émérite, voire un tueur d’enfant, etc., on peut imposer d’avoir 15%, et même 20% si on a effrayé la chronique. Or fabriquer un livre il y a cent ans, demandait que l’on dispose une à une des lettres en plomb dans des casiers, et le vendre imposait qu’un colporteur passe avec sa carriole de village en village. Le progrès fait depuis, avec le tirage en numérique et la mécanisation, aurait dû profiter à l’auteur. Tintin, walou, macache bono. On allègue une crise économique, des contraintes écologiques, que sais-je encore pour réduire ces 8% à peau de chagrin, voire peau de balle. Bientôt, les librairies vendront des livres dont la majorité n’auront que des pages blanches. Évidemment, les couvertures seront en pleine peau avec des lettres d’or, objets très recherchés pour trôner dans les bibliothèques de ceux qui préfèrent paraître qu’être. Alors, vive le chambardement du 13/13/2013.
Cent jours plus tard, peut-être un siècle, peut-être un milliard d’années - allez savoir quand il n’y a plus de temps - des extraterrestres viendront coloniser la planète bleue. En creusant la terre, ils découvriront des ponts, et dessous, des squelettes d’écrivains-écrivains tenant nerveusement dans leurs phalanges blanchies, le contrat à 0% qui les livrait pieds et mains liés à leurs éditeurs. Nul doute, ces extraterrestres, à la civilisation raffinée, s’exclameront alors : « Mais quels étaient donc ces gens qui n’avaient pas encore aboli l’esclavage !? ».
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Commentaires
3Joël HSamedi 23 Août 2014 à 18:02L'humour de l'écrivain n'est pas vain. Merci Jean pour cette vision très juste et un petit avis sur la lecture numérique comparée à la lecture sur livre papier, ici :
http://ailleurscestpareil.blogspot.fr/2013/03/corps-de-lecteur.html
4Joël HSamedi 23 Août 2014 à 18:025Frédéric GAILLARDSamedi 23 Août 2014 à 18:026ysiadSamedi 23 Août 2014 à 18:02Quel humour salvateur ! Alors profitons-en avant que la fin du monde ne nous tombe sur le coin du bec, et n'oublions pas de remplir nos poumons, tant que l'air de nos campagnes et de nos villes est gratuit...
7TintinSamedi 23 Août 2014 à 18:028le BelgeSamedi 23 Août 2014 à 18:02Cher Tintin,
Je vous propose un jour sans Etat: sans route pour sortir votre voiture, sans flic pour protéger votre propriété ou votre vie, sans école pour vos enfants, sans justice, sans égalité, sans fraternité, sans liberté (même si, à l'évidence, nous ne nous entendrons pas sur l'acception du terme), sans village, sans commune, sans ville, sans garde-fous, bref un jour sans rien, juste un jour avec vous, face à vous, debout, les mains dans le cambouis d'un monde à reconstruire. "Cornegidouille, nous n'aurons point tout démoli si nous ne démolissons même les ruines".
9LzaSamedi 23 Août 2014 à 18:02"Libéralisme", bien mal nommé; C'est la liberté d'opprimer et de dépouiller les autres à leur seul profit que revendiquent ses défenseurs. Cest juste le contraire de la liberté.
10TintinSamedi 23 Août 2014 à 18:02Et pourtant libre...liberté...libéral...même famille étymologique ! Notre devise contient bien ce mot non ? Alors ? Suis-je libre ou pas ? Mais si les licornes crypto-rouges refont surface et l'accaparent...fin de monde programmée, assurée...et en voulant faire le bonheur d'autrui ! L'histoire en témoigne !
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Cher Tintin, je vois qu'avec des arguments comme celui-là, le libéralisme a encore de beaux jours devant lui.