• Les cent premiers jours après la fin du monde, 75

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    Vieux matou (quater)

    Ysiad

     

     

    L’autre jour, quand ils ont parlé de me laisser pour le week-end en tête à tête avec Léo, j’ai bien cru que la fin du monde était arrivée, et ma dernière heure avec.

     

    On te confie l’appartement, et n’oublie pas de t’occuper de Pompon ! lui a dit Papa.

     

    Maman avait laissé mille recommandations sur la table, qu’il n’a pas daigné lire. C’était couru d’avance. Dès que sa mère ouvre le bec, Léo répète : « t’en fais pas M’man, t’inquiète M’man, tout roule M’man, dors bien M’man ». Quand la porte a claqué, je n’ai pas donné cher de ma peau de chat, mais je n’avais pas l’intention de me faire marcher sur les pattes pour autant !

     

    Quand Léo est venu prendre son petit-déjeuner, j’ai pointé mon museau dans la cuisine, histoire de lui rappeler qu’il m’avait à charge. Il a ouvert le placard, il s’est versé des corn flakes, du lait, du sucre et il s’est attablé, sans me remarquer. Je me suis planté au pied de la chaise, j’ai levé deux yeux ronds vers lui et je l’ai regardé avec insistance.

     

    ‘jour, le chat, il a fait au bout d’un moment. Qu’est ce qu’il veut, le chat ? Pourquoi il me regarde comme ça ? Espèce de gros chat fourré, va ! et il a continué à manger. Il le sait, pourtant, que je suis susceptible et qu’il ne faut pas me traiter de « gros chat fourré ». J’ai fait monter du fond de la gorge un miaulement bien rauque, histoire de lui montrer ma désapprobation. Miaaaaoooow….

     

    T’as faim, le chat ? C’est ça ?

     

    J’ai plissé les yeux en signe d’approbation. Incroyable comme il peut être long à la détente, ce type. Il s’est levé, il est allé prendre le sac de croquettes et il en a versé dans la gamelle. Allez, il a fait, une grosse rasade, pour avoir la paix. Va plus m’ casser les couilles, le chat. Va être bien sage, bien gentil. Va s’calmer, va faire dodo, peinard sur son radiateur, et basta ! Quant à moi, tu m’ revois plus de la journée. Je vais faire de la musique à la cave. Amuse-toi bien, et surtout, te fatigue pas à attraper des souris !

     

    Il s’est bien moqué de moi avec l’histoire des souris, puis il est sorti de la cuisine en oubliant de me donner à boire. Je l’ai entendu qui prenait sa douche. Je me suis glissé par la porte pour voir si je ne pouvais pas lamper quelques gouttes au passage. C’était une vraie piscine autour de la baignoire, y en avait partout. Je commençais à lécher le carrelage quand il m’a vu.

     

    T’as soif, le chat ? Tiens, de l’eau dans un verre à dent. Bois pas trop tout de même, tu pourrais exploser. Allez, j’ m’arrache ! il a fait d’une voix bourrue. La porte a claqué à toute volée derrière lui, comme d’habitude.

     

    J’étais soulagé de le voir partir. Il avait oublié de me changer ma litière et il ne m’avait pas fait jouer. J’ai poussé ma balle de laine sous le canapé, mais comme Juliette n’était pas là pour me la récupérer, je suis allé m’étendre sur mon griffoir ergonomique. Après tout, il restait deux paquets de croquettes dans le garde-manger, j’avais de quoi tenir encore un peu. Question distraction, je pouvais toujours me rabattre sur le sable de ma litière et les coussins du canapé… A ce jeu-là, on ne voit pas le temps passer.

     

    La nuit était déjà tombée quand j’ai entendu le pas de Léo remonter dans l’escalier. Je suis allé me poster derrière la porte pour l’accueillir.

     

    Te voilà, le chat ! Bouh ! Bouh !

     

    J’ai déguerpi, en prévision de la petite surprise que je lui avais réservée. En effet, il n’a pas mis longtemps à comprendre de quoi il retournait.

     

    Dis donc, le chat, il a fait d’une voix mécontente, pourquoi t’as gratté ton sable comme un malade ? Y en a partout ! C’est pour me donner du boulot, c’est ça ? Pffff, c’est pas possible, un chat pareil. Je vais te changer ta litière, mais je te préviens : c’est la dernière fois ! 

     

    Il a fait couler du sable frais dans mon bac, et c’était bon de savoir que je pourrais me remettre à gratter à fond les pattes dès qu’il aurait terminé. Il a dû deviner mes intentions car il m’a dit de dégager de là. Puis il est allé au salon, et il a pris un air très contrarié.

     

    Non mais je rêve ! T’as vu c’que t’as fait aux coussins ? T’es malade ou quoi ? Y a des plumes partout ! C’est quoi, c’ boulot ?

     

    Il s’est mis à me pourchasser, mais je me suis terré sous le lit, là où il ne peut pas m’attraper, et j’ai attendu qu’il s’en aille. Il était au téléphone quand je suis sorti de ma cachette. Je l’entendais qui se plaignait que j’étais infernal, que j’avais éventré les coussins et répandu du sable partout dans les toilettes, et qu’aux dernières nouvelles, il n’était pas un garde chat. 

     

    Papa et Maman sont rentrés le lendemain soir et ils n’avaient pas l’air contents.

     

    Franchement, a dit Maman, mettre trois heures trente pour faire cent bornes, non, ça ne vaut pas le coup ! C’est vrai, a fait Papa, je ne supporte plus les embouteillages. Je suis contente de retrouver mon Pompon, moi, a dit Juliette en me caressant le dos. Moi aussi j’étais content de la revoir, et je me suis mis à ronronner très fort sous la caresse.

    Tu l’as nourri ? a demandé Maman à Léo.

    Pas encore. Regarde plutôt dans quel état il a mis tes coussins.

    Maman a soupiré, puis elle a dit que lorsque j’étais livré à moi-même, je faisais les quatre cents coups, mais que ce n’était pas la fin du monde et qu’elle achèterait du rembourrage.

    Bon ben c’est pas tout ça, a fait Léo. Maintenant que vous êtes là, je descends faire de la gratte à la cave. A propos, faudrait penser à la dératiser. Y a plein de rongeurs qui grouillent derrière les murs, et c’est pas le gros chat fourré qui pourrait les attraper !

     

    Je lui ai lancé un regard distant. S’il consentait à m’emmener avec lui dans sa cave pleine de rats au lieu de me laisser moisir tout seul, il verrait que je n’ai pas perdu mon instinct de chasseur !


  • Commentaires

    1
    Lundi 11 Mars 2013 à 01:13

    "Quel gros chat aime les rats

    Et les souris ?

    Mais c'est Patou, mais c'est Patou"

    (Sur l'air d'un gendarme de Bourvil, naturellement)

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