• Les cent premiers jours après la fin du monde, 47

    Matou.jpg

     

    Vieux matou

    Ysiad

     

     

    Ils m’ont bien bassiné les oreilles avec leur fin du monde. On ne parlait plus que de ça à la maison. A la fin, ça devenait vraiment pénible. Si pénible que le jour J, j’ai décidé de dormir toute la journée, pour leur montrer que moi, la fin du monde, franchement, je m’en brossais les babines. Maman n’arrêtait pas de répéter : « S’il y en a un qui n’a pas peur de la fin du monde, c’est bien lui ! Regarde le ! Tout le temps en train de roupiller sur ses oreillers ! » C’est sans doute pour fêter la fin du monde que Papa et Maman ont décidé d’inviter Madame Larombière à dîner. Comme dit Maman, inviter Madame Larombière, ça peut pas faire de mal à la carrière de Papa !

     

    Avant l’arrivée de Madame Larombière, Maman était très nerveuse. Elle n’arrêtait pas de me lancer : Et toi, tu te tiens à carreau, s’il te plaît. Tu ne viens pas nous déranger, tu restes bien tranquille dans ton coin ! » Papa a suggéré que l’on m’enferme, mais Maman a dit que c’était une très mauvaise idée, que je ne le supporterais pas, et qu’il faudrait s’attendre à des représailles. Maman me connaît bien, elle sait de quoi je suis capable quand je suis contrarié. Il n’a plus été question de m’enfermer, seulement de me verser une double ration de croquettes pour que je me tienne tranquille.

     

    Quand Madame Larombière est arrivée, j’ai tout de suite compris que nous avions affaire à une personne très antipathique. Je les repère, les ennemis de la famille, j’ai un flair infaillible. Elle n’avait pas que des bonnes intentions, Madame Larombière, ça non ! Je me suis glissé sous le lit en attendant qu’elle s’en aille. Quand j’ai entendu qu’ils discutaient, je me suis coulé derrière la porte du salon pour les épier. Madame Larombière était assise sur un fauteuil en face de Papa, et elle pinçait la bouche d’un air dégoûté. Elle s’est mise à éplucher mon coussin préféré. Ne me dites pas que vous avez un chat ! elle a fait d’une voix sèche. Maman a rougi. Elle a incliné la tête. Elle a parlé à mon propos d’un vieux matou inoffensif qui passait son temps à dormir sur ses coussins. J’ai failli en avaler mes moustaches. C’était un peu fort. J’ai fait mes griffes cinq fois de suite sur le tour du sommier, je m’en suis passé l’envie, ils allaient voir de quoi le vieux matou était encore capable.

     

    Puis ils ont commencé à dîner. Maman avait fait du poisson, ça embaumait dans toute la maison. Elle en avait fait tomber un gros morceau dans ma gamelle, mais elle m’avait tellement vexé avec son « vieux matou », que j’ai refusé d’y toucher tout de suite. Je voulais qu’elle me croie malade, elle avait bien mérité de se faire du souci pour moi. Je me suis approché à pattes de velours et je me suis planqué sous le buffet. Papa se penchait sans arrêt vers Madame Larombière, qui mangeait du bout des lèvres. Elle triait dans son assiette pour voir s’il n’y avait rien de suspect, et je voyais bien que ça agaçait Maman, qui passe son temps à faire la chasse aux arêtes quand elle me donne du poisson. Je me suis un peu assoupi, le temps qu’ils passent à la suite, et comme Madame Larombière s’est servi une copieuse portion de camembert en disant qu’elle était « très fromage », j’ai attendu encore un peu jusqu’au dessert.

     

    Maman avait acheté un gâteau à la framboise avec de la crème autour. J’adore la crème, parfois Maman m’en donne à lécher à la petite cuillère. Quand tout le monde a été servi, j’ai fait comme à la maison, après tout j’étais chez moi, et ce n’est pas une Madame Larombière qui va me détourner de mes bonnes habitudes. J’ai bondi sur la table et je me suis mis à lécher les bords du gâteau qui était posé à côté d’elle. Madame Larombière a poussé un cri strident en faisant mine de s’évanouir, Papa s’est levé et a fait le geste de me chasser. Allez ouste ! Hors d’ici ! il a hurlé d’une très grosse voix, alors qu’il me fait des mimis et des grat-grat menton quand nous sommes en tête à tête. Je me suis mis en boule, j’ai feulé le plus fort possible, pour faire peur à Madame Larombière, fffffff ! et j’ai déguerpi.

     

    Quand Madame Larombière est partie, Maman est venue me chercher sous le lit. Boude pas, mon Pompon, a fait Maman. Elle est partie, la méchante sorcière. J’ai risqué une moustache, j’aime bien quand Maman m’appelle son Pompon. Je suis sorti de ma cachette, j’ai sauté sur la table et j’ai lapé très fort l’eau du vase en éclaboussant la table. Après quoi, j’ai joué à pique-babines contre les aiguilles de pin du bouquet, j’ai mordillé les feuilles, j’y suis allé à fond les griffes sur mon griffoir ergonomique, il y avait du carton partout, je me suis roulé dessus comme un gros léopard, et comme Maman me tendait ma gamelle pleine de poisson, j’ai consenti à m’approcher en étirant une cuisse. Ces émotions m’avaient mis en appétit. Tu en veux encore mon Pompon ? Tiens, mon Pompon ! Du rab ! Je me suis régalé. Ensuite j’ai pris toute la place sur le lit, et j’ai dormi entre eux d’une traite jusqu’au matin. 

     

    Moi, je dis que ça devrait être tous les jours la fin du monde.


  • Commentaires

    1
    Vendredi 8 Février 2013 à 01:51

    Ah, quel texte splendide t'inspire Patou, Ysiad. On la voit la très fromage s'évanouir sur le camembert. Bravo ! 

    2
    Vendredi 8 Février 2013 à 03:42

    Ben Papa peut s'asseoir sur son avancement, mais la tête de la dame devait justifier le sacrifice. C'est qu'il a l'oeil, le Patou... je veux dire le Pompon.

    3
    Vendredi 8 Février 2013 à 03:48

    Oupse ! Mon image déborde un peu, pardon.

    C'est pas moi, c'est Overblog. Ou alors c'est Patou, vilain chat.

    4
    Joël H
    Samedi 23 Août 2014 à 18:03

    J'en miaule de plaisir...

    5
    Liliane
    Samedi 23 Août 2014 à 18:03

    A ce point ?

    En tout cas, très original le point de vue du chat ! miaou !

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