• Les cent premiers jours après la fin du monde, 22

    Cirque Romashov

     

    Un cirque fabuleux

    Claude Romashov

     

     

     

    Ils se pressent sur les gradins, enveloppés de couvertures, car il fait vraiment froid dans l’enceinte de ce cirque à ciel ouvert. La soirée est gracieusement offerte par le CIO (Comité d’Intervention Originel) celui même qui est en charge de la recherche des personnes disparues.

    Les mères de famille tentent de calmer les gosses surexcités, les amoureux s’enlacent et les lumières vacillent. Tout ressemble à du bricolage, mais les organisateurs ont bénéficié d’un délai trop court pour préparer la scène du spectacle. 

    Après de longues minutes d’attente. Un Monsieur Déloyal vêtu d’un costume à rayures entre sur la piste.

    - Bienvenue à vous, cher public. Le spectacle que vous allez voir vous entrainera aux confins du rêve et de la féerie. Nos artistes vont vous présenter leurs plus grands numéros. Ceux d’avant et aussi des nouveautés qui vous laisseront sans voix. Émotions et frissons seront au rendez-vous pour vous faire passer une soirée inoubliable. Mais tout d’abord, si vous êtes d’accord, faisons la joie des enfants qui sont nos trésors les plus précieux : Plaaace… aux clowns.

    Les clowns sont propulsés sur la piste. Vêtus d’oripeaux et le chapeau mou. Ils tombent dans des postures ridicules, se relèvent sur des jambes élastiques si drôlement qu’ils provoquent l’hilarité générale. Tout le monde aime les clowns. Imaginez donc le monde politique sans eux, a plaisanté le bonimenteur sous les sifflets !

    - Ils tombent un peu trop souvent tu ne trouves pas, demande la jeune femme à son compagnon.

    Elle est d’aspect gracile avec un visage grave.

    - Mais non, ils s’éclatent et amusent les enfants. Regarde celui qui ajuste son gros nez rouge.

    - Éclater c’est le mot juste. C’est son vrai nez qui ne tient pas. Et il tire un peu la jambe. Non vraiment ces clowns sont tristes, en tout cas moi, ils ne me font pas rire.

    L’auguste récite des chiffres à l’envers sous les quolibets du public. Des larmes s’écoulent de son chapeau. Il l’essore et cueille une rose imaginaire qu’il tend à une écuyère debout sur sa monture. La fleur s’effeuille instantanément entre ses doigts. Il prend un air si désolé que la jeune acrobate l’enlève sur son cheval. Un cœur énorme se dessine sur la poitrine du clown blanc. La poésie reprend ses droits. Le monde ne va donc pas mal finalement. 

    Déloyal refait son apparition.

    - On applaudit très fort nos amis et nous accueillons maintenant le grand magicien Ajax.

    C’est un magicien qui a eu son heure de gloire, il y a bien longtemps. Des vivats s’élèvent de la foule bon enfant. Une fumée colorée enveloppe l’homme qui tient à bout de bras un globe terrestre.  Elle se dissipe lentement et la terre apparaît cabossée aux pôles.

    - Je vais la redresser notre bonne vieille planète. L’éclat de rire fait vibrer les gradins. Une assistante ouvre un meuble, vérifie sous les yeux attentionnés des spectateurs qu’il n’y a pas de trappe ou de cache dérobée. Le magicien place avec mille précautions son globe à la triste figure sur une étagère. Une assistante court-vêtue vérifie les cadenas des serrures et recouvre le tout d’une étoffe rouge et or. Un roulement de tambour et la terre réapparaît fraîchement repeinte et toute ronde dans les mains du magicien. L’illusion est parfaite.

    Le public applaudit à tout rompre, certains même, essuient quelques larmes. Le sol qu’ils foulent depuis maintenant une centaine de jours est racorni et noir. Des fumerolles s’élèvent des failles creusées en pleine rue et sur les pentes verdoyantes des collines qui entourent la ville, toute forme de vie a disparu.

    Le magicien joue au ballon avec sa terre de baudruche. Elle est si légère et baigne dans sa lumière tendre et bleue.

    - Joli spectacle n’est-ce pas mes amis, éructe Mr Déloyal à la fin du numéro en louchant sur les courbes alléchantes de la jeune assistante. Je vous présente maintenant le clou du spectacle. Mesdames et Messieurs, faites un triomphe à la ménagerie. Un numéro mémorable avec des lions et des tigres. Oui, rassurez-vous la faune existe et n’est pas près de s’éteindre n’en déplaise aux verts de rage qui contestent les statistiques de nos scientifiques sur le terrain.

    - Quel terrain ? Murmure la jeune femme. Tiens les fauves ont l’air correctement nourris, contrairement à nous !

    En effet, la nourriture devient rare et il ne reste plus de rations pour les faibles.

    Les lions, les tigres se bousculent sur la piste. Le dompteur, un homme de belle allure enflamme des cercles qui illuminent les gradins. Les fauves agitent leurs têtes anormalement développées et s’élancent dans les cercles enflammés. Ils feulent et crachent leurs dents. Dents porte-bonheur pensent les naïfs qui cherchent à les récupérer au bord de l’arène.

    - Attention, c’est dangereux, aboie le bonimenteur, réapparu par miracle tandis que le dompteur pousse les félins hydrocéphales dans leurs cages. Ne vous aventurez pas sur la piste, les animaux sont souvent incontrôlables depuis… Vous savez bien…

    Mais les bêtes subitement atones rentrent docilement dans les cages.

    Des acrobates s’élancent sans filet. Les chevaux montés par de fringants écuyers aux habits chatoyants font un dernier le tour de piste. Les clowns reviennent saluer. Le public applaudit debout la prestation des artistes qui ont tout donné pour assurer un beau spectacle.

    Monsieur Déloyal, s’éponge le front, soulagé de la réaction du troupeau des survivants, prend la parole pour la clôture de la soirée.

    - N’oubliez pas, la semaine prochaine le comité organise l’élection de Miss Survivor, nous vous attendons nombreuses Mesdemoiselles et cher public, le cirque FINDEUR vous souhaite une excellente nuit.

    Les lumières vacillent de plus en plus. Il fait très froid maintenant. La foule descend des gradins en silence. Chacun va reprendre sa misérable place dans un monde qui n’existe plus. Le monde impossible à recréer le temps d’une représentation.

    - Nous n’aurions pas du venir murmure la jeune femme à l’oreille de son compagnon. Ce cirque fait de briques et de brocs est d’une tristesse infinie, tout comme celui de nos vies désormais.

    - Allons, ma douce, ne perds pas espoir. La semaine prochaine si tu veux nous irons écouter la prophétie des illuminés de la montagne sacrée. Ceux qui pensent qu’un vaisseau providentiel sauvera le peuple des élus !

    - Désolé, mon pauvre ami ! Malgré les images mentales des temps heureux que je me projette en continu, tu n’arriveras pas à me redonner le sourire.

     


  • Commentaires

    1
    Lza
    Samedi 23 Août 2014 à 18:05

    Bon courage à vous, pauvres survivants: la fin d'un monde est le début d'un autre. Essayez de le faire meilleur que le précédent.

    2
    Liliane
    Samedi 23 Août 2014 à 18:05

    L'occasion pour ces survivants de réinventer un monde moins glauque, plus harmonieux.... good luck !

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    3
    jordy
    Samedi 23 Août 2014 à 18:05

    Belle anticipation ! En attendant ces jours qui veindront peut-être, retournons à notre cirque habituel

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