• Les cent premiers jours après la fin du monde, 09

    Jour-3.jpg

     

    Belinda, 9 jours après la fin du monde.

    Dominique Chappey

     

     

    Quatre ans qu’il me fait tourner en bourrique, mon gros Roger. Qu’il passe tout son temps libre dans le jardin. On ne part plus en vacances. Pas le temps, plus les moyens. Quatre ans que Monsieur s’est pris de passion pour le bricolage, la maçonnerie, l’électricité. Qu’il veut tout faire tout seul, il n’a confiance en personne, surtout pas dans les artisans du secteur.

    – Tu comprends Belinda, il faut quand même que ça reste confidentiel.

    Marre.

    Le forage du puits pour l’eau potable, le terrassement et les tonnes de béton, les voisins qui croyaient qu’on se payait une piscine, des milliers d’euros d’équipements, des portes blindées au système ventilation. Une véritable obsession. Sur la fin, il ne me touchait même plus. Obnubilé par son calendrier.

    – Tu me remercieras Belinda, nos efforts seront récompensés. Nous repartirons ensemble dans un monde neuf.

    Mon cul.

    Les conserves, le lyophilisé… Il a entassé de quoi tenir deux ans en complète autonomie. À deux. Tout seul et froussard comme il est, il va faire durer ses rations le plus longtemps possible.

    J’ai fait marche arrière. Au dernier moment. Pas une intuition, non, je n’y ai jamais cru à ses histoires. Pas envie de jouer les taupes, tout simplement. Quand je suis revenue, ça faisait plusieurs heures qu’il s’était terré dans son trou. J’ai failli l’appeler. Lui dire que tout ça, c’était de la blague. Que le grand jeu était terminé, qu’on pouvait tirer un trait sur toutes ces conneries et recommencer à vivre comme avant. Que ça y était, on était le jour d’après et que justement, le jour d’après, il le repassait à la télé, pour rigoler. Et puis la colère est arrivée, petit à petit. Une rage. Ras-le-bol de la bêtise en général et de la sienne en particulier. Plus un gramme de patience et d’empathie pour mes contemporains qui s’endormaient les neurones avec des histoires à dormir debout. Qui s’inventaient des croque-mitaines pour pouvoir vivre en continuant de baisser la tête. Marre de ma lâcheté, marre d’avoir peur. Je ne pouvais pas passer mes nerfs sur tout le monde. Il a payé pour tous les autres.

    Il y a un système d’alarme. Un interphone d’urgence qui peut s’activer de l’extérieur pour communiquer avec l’intérieur du bunker. Je l’ai bousillé. Deux caméras et un périscope. Je les ai bousillés aussi. À grands coups de pelle du jardin. Pareil pour l’antenne de sa radio.

    Le hublot du sas blindé, je l’ai occulté avec ce qu’il restait de peinture. Au fond de son trou, le téléphone portable ne passe pas. Il faut que je pense à acheter un brouilleur. Un truc qui perturbe les ondes. On ne sait jamais. Et puis, si ça ne parvient pas à me calmer, pendant que j’y suis j’utiliserai peut-être les derniers sacs de ciment et les parpaings qui ne lui ont pas servi pour refaire la terrasse, juste au dessus de son gros nez de crétin. Histoire d’être tranquille. J’aime pas gâcher.

    Il n’est pas mort, mais enterré. Ça n’empêchera pas sa pension de retraite de tomber tous les mois. Je vais pouvoir rattraper mon retard.

    Deux ans de vacances. Peut-être plus.


  • Commentaires

    1
    Dimanche 30 Décembre 2012 à 18:34

    En effet, Lza, pas tombée loin ! Quand à Belinda, peut-être nous enverra-t-elle une petite carte postale de vacances...

    2
    Dimanche 30 Décembre 2012 à 21:34

    Quand je pense que Roger va pédaler trois heures par jour pendant deux ou quatre ans, hu hu. Pour produire de la lumière qu'il y a en abondance à l'extérieur, hu hu hu.

    Alors comme ça, la fin du monde c'était Belinda ? La coquine.

    3
    Lza
    Samedi 23 Août 2014 à 18:05

    Ben voilà! J'avais presque deviné: bonne chance à Belinda qans sa nouvelle vie...

    4
    Yvonne Oter
    Samedi 23 Août 2014 à 18:05

    Hi ! Hi ! Elle m'est de plus en plus sympathique, cette Belinda. La vengeance des faibles, j'ai toujours adoré cela.

    5
    Liliane
    Samedi 23 Août 2014 à 18:05

    Purée la Miss Belinda, quand elle s'y met, elle ne fait pas les choses à moitié !!

    Quand c'est trop c'est trop, faut la comprendre aussi...... hi hi hi!  

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :