• Les cent premiers jours après la fin du monde, 04

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    Noël, 4 jours après la fin du monde.

    Dominique Chappey

     

     

    Je comptais quand même dessus pour en finir proprement. Le grand saut collectif m’épargnait les commentaires affligeants. Il permettait un point d’arrêt sans photo dégradante dans les magazines à scandales, sans colonne nécrologique sentencieuse dans les journaux bien pensants. Un truc net et sans bavure. Big Boum badaboum ! Oh ! Oh ! Oh ! Même pas le temps de polémiquer, on n’en parlait plus. C’était rangé, bien plié au fond de la galaxie à droite en sortant. Un petit tas de poussière à glisser sous la moquette. Prochain arrêt à l’humanité suivante, si jamais le phénomène osait réapparaître ailleurs, un jour.

     

    Et puis ça remplaçait le courage qui me manquait pour tout plaquer et les envoyer balader. Au lieu de ça, j’ai endossé de nouveau mon costume et je suis reparti en tournée, le rouge aux joues. Les dents serrées, je continue à me taper ce boulot idiot, ma fierté enfouie bien profond dans ma poche avec mon grand mouchoir à carreaux par-dessus. Et ne croyez pas que c’est pour épargner mes salariés et sauver ma petite entreprise. Il y a longtemps que je ne suis plus mon propre patron et que les salariés ne sont plus les miens. La liquidation totale. Oh ! Oh ! Oh ! Ça ne m’aurait pas gêné.

     

    Le fonds de commerce était déjà plus ou moins américain depuis la création. La délocalisation dans le nord, le folklore scandinave, c’était essentiellement pour des raisons fiscales, et puis aussi beaucoup pour l’image de marque. Mais depuis le rachat en bourse par l’Empire du Milieu, on est reparti de zéro. Plus un gramme de savoir-faire local. Tout fabriqué aux antipodes par des millions de petits esclaves jaunes. Oh ! Oh ! Oh ! Bois de déforestation certifié, plastiques issus de la pétrochimie biologique, usines à effet de serre garanti, que du sérieux à durée de vie très limitée, bradé bon marché, livré conteneur cargo géant. Et là-haut, tout au nord, mes petits lutins, tous désœuvrés, parqués dans des réserves à neige, shootés à l’alcool de renne 24 h sur 24.

     

    Les nouveaux actionnaires n’ont conservé que le décorum et la poudre aux yeux. Un attelage de fonction et moi, un vieux bonhomme qu’ils promènent dessus quand ils ont besoin de booster les ventes. Fin de carrière placardisée en VRP de luxe.

    De quoi je me plains ? Finis les cheminées mal ramonées, les toits glissants, les nez gelés. Basta les gosses restés à l’affût derrière le canapé qui vous filent les jetons alors qu’on est déjà sur les nerfs avec une journée de 30 h d’affilée à prendre les fuseaux horaires de vitesse pour tout boucler en une seule nuit. Plus jamais obligé d’avaler ces tonnes de substances euphorisantes pour garder les yeux ouverts. Oh ! Oh ! Oh !

    Les substances euphorisantes, j’ai conservé l’habitude. Addiction aux méchantes petites pilules qui font rire, après des années de soda caféiné sponsorisé, j’ai vraiment touché le fond. Et évidemment, je n’ai pas pu me débarrasser des effets secondaires. Ce rire idiot et agaçant qui me prend à tout bout de champ. Oh ! Oh ! Oh !

     

    Je ne fais plus grand-chose maintenant, il faut bien se faire à l’idée que l’essentiel du boulot est sous-traité. Rapport à l’explosion du volume de commande. C’est curieux, malgré la crise, les sans-le-sou persistent à offrir des cochonneries à leurs gosses. On se demande comment ils trouvent l’argent. Et puis les plus riches ne lâchent pas l’affaire, de peur de se faire rattraper par la mouise, ils mettent les bouchées doubles. Alors heureusement Internet, les commandes en ligne, les évasions fiscales et les intérimaires précaires, c’est pas fait pour les chiens.

     

    À tout prendre, j’aurai préféré le bruit qui courrait. La grosse explosion pour balayer tout ça. Rudolph, mon renne à nez rouge, celui qui parle, passe son temps à me répéter que je ne suis pas responsable. Mais je n’y peux rien. Quand je regarde ce que je suis devenu. Oh ! Oh ! Oh !

     

    J’ai honte.


  • Commentaires

    1
    Mardi 25 Décembre 2012 à 19:13

    C'est sûr ! Et pis on a beau dire, c'était quand même mieux avant... la fin du monde !

    2
    La Mère Noël
    Samedi 23 Août 2014 à 18:05

    Oh ! Oh ! Oh ! Dis donc, Papa Noël, je t'ai connu plus gai, le lendemain de ta tournée des grands ducs ! Serait-y pas que tu nous couves une légère déprime ? Ou aurais-tu abusé du vin chaud malgré la température si clémente cette année ?

    Je m'en vais m'occuper sérieusement de toi, moi. Et d'abord, rentre donc ranger le bordel que tu as laissé ici en quittant précipitemment la maison ! Non mais, tu ne crois quand même pas que je vais me taper tout le boulot ? Déprime ou pas déprime, tu as intérêt à rentrer fissa...

    3
    Liliane
    Samedi 23 Août 2014 à 18:05

    Je crois que le Père Noël revendique quelque chose, il en a vraiment assez !

    Il faut dire qu'une petite fin du monde aurait fait pas mal d'heureux alors, s'il comptait dessus... Il y a de quoi déprimer en pensant que c'est reparti pour d'autres 24-25 décembre éreintants à souhait!

    Allez ça va aller, le temps de se désintoxiquer!

    4
    Lza
    Samedi 23 Août 2014 à 18:05

    De toutes façon, Père Noël," il n'y a plus d'enfants!". C'est ce que répètent à tout bout de chant les prophètes de malheur. Ce qui fait que bientôt vous et vos lutins connaîtront le chômage technique. Seules les cigognes ne sont pas d'accord.Je ne sais pas pourquoi...

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