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    Rayés des cadres

    Castor Tillon

     

     

    — Repasse-moi la betterave, vieille carne ! T’es en train de te noyer, là !

    L’interpellée décolla le goulot de ses lèvres gercées. Cela fit « chtoub », et un clapotement lui inonda le menton. Elle tendit lentement le kil de vin à son compère en jetant un œil résigné sur le niveau du liquide.

    — C’est bon, fais pas cette tête, il y en a une autre. Mais tu ne devrais pas boire autant, tu te détruis, et ça me cause de la peine.

    Dit-il en reprenant sa place sous la bouteille.

    Puis il essuya sa barbe jaunâtre d’un revers de paluche, et émit sentencieusement, dans un graillonnement odorant :

    — C’est pour ce matin. On est le 21 décembre. Va falloir se bouger, ils doivent avoir terminé, là-haut, avec les bombes à micro-ondes. Ça va être à nous de finir le boulot. T’es prête ? T’inquiète pas, c’est du tout cuit, ah, ah. Ils sont presque tous en train de finir de frire, pendant que nous on est à l’abri dans la station de métro la plus profonde de Paris. Les rares veinards rescapés, on va s’en charger !

    — J’ai un peu peur, quand même. Pourquoi les nôtres ne peuvent-ils pas tout exterminer ? Et si les terriens survivants étaient plus nombreux que tu ne crois, et nous repéraient ?

    — Tu rigoles ? C’est ça le plan, justement : ces imbéciles ne nous regardent même pas. On n’est que des excréments à leurs yeux. A leurs nez aussi, d’ailleurs. Nous allons sortir nos puissants tentacules et les massacrer sans même qu’ils nous aient remarqués !

    — N’empêche que j’ai peur. Rosette, elle n’a jamais peur de rien, j’aurais bien aimé qu’elle soit avec nous… ma copine Rosette, tu sais, celle qui chante si bien…

    — Rosette ? Elle chante comme une dinde qui s’est pris les barbillons dans l’escalator.

    — Oh, bien sûr, toi tu es plus fort que tout le monde. A part siffler une boutanche, tu sais faire quoi, comme musique, hein ? D’ailleurs, je préfère pas savoir.

    Le vieux se mit à grommeler comme un orage menaçant dans le lointain :

    — C’est tout toi, ça : on est à peine entrés dans la nouvelle ère que tu commences déjà à me faire chier. Ça promet pour les siècles à venir.

     

    Le débouchage n’ayant depuis longtemps plus de secrets pour eux, ils débouchèrent à l’air libre sans encombre. La bise du petit matin les saisit, et la vieille rabattit sur sa poitrine les pans sans boutons de son manteau crasseux. Dans les rues avoisinantes, nul cadavre calciné, pas de chairs fumantes, aucune trace d’un quelconque combat. Sur la place, de rares piétons se hâtaient vers leurs destinations quotidiennes.

    Quelque chose n’avait pas marché.

    Il ignora le regard désespéré de sa compagne, et dans une ultime bravade, se mit en devoir de déployer ses monstrueux pseudopodes.

     

    Le jeune cadre en costume sombre et à la mallette conquérante vit le couple gesticulant se diriger vers lui. Trop tard pour les éviter. Il fronça le nez de dégoût en les croisant, et pressa le pas : il commençait à être à la bourre pour sa présentation du nouveau produit, et l’ingénieur, qui ne l’aimait pas, était capable de le pendre au tableau interactif par les oreilles. En jetant un dernier regard de côté, il aperçut les deux vieillards qui agitaient leurs bras maigres dans le vent, et s’engouffra en frissonnant dans la station de métro.

     

    La guerre des mondes et ses petits soucis quotidiens…

     


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    Fin du monde

    (pantoum)

    Jean Calbrix

     

     

    Une fin du monde obsédante

    Sort de la bouche des hâbleurs.

    C’est une fin extravagante

    Qui fait rire les étrangleurs.

     

    Sort de la bouche des hâbleurs

    Pour frapper la foule indolente,

    Qui fait rire les étrangleurs

    Et la jeunesse insouciante.

     

    Pour frapper la foule indolente

    Par leurs mots mystificateurs,

    Et la jeunesse insouciante

    Siffle bien haut ces imposteurs.

     

    Par ces mots mystificateurs,

    Sèment la peur communicante.

    Siffle bien haut ces imposteurs

    Avec une case manquante !

                                                   

    Sème la peur communicante

    Chez les crédules visiteurs.

    Avec une case manquante,

    Commentent les téléviseurs.

     

    Chez les crédules visiteurs,

    L’ânerie est bien triomphante.

    Commentent les téléviseurs,

    Une fin du monde obsédante.


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    Planète-musée 238

    Vieufou

     

     

    C’est la journée Portes Ouvertes au Royaume des Souvenirs
    Explique une voix de synthèse dans un haut-parleur métallique
    Le Mémorial des temps anciens, passés présents et à venir
    Est heureux de vous présenter son exposition fantastique

    Planète-Musée 238
    Adultes, entrée gratuite. Enfants, demi-tarif
    Mettez vos masques à oxygène, suivez le sens de la visite
    Surtout n’oubliez pas le CROUIK

    Tous les trésors de l’ère humaine sont rassemblés dans ces couloirs
    De la jeunesse de la Genèse restent les os du premier homme
    Venez admirer les reliques, les bouts de crâne et de mâchoire
    De celui qui croqua Lilith bien avant la première pomme

    Du fer de la première lance aux cimetières militaires
    Passant par le tir aux pigeons, le Sida et l’arme atomique
    Regardez bien les inventions qui ont façonné Morteterre
    Toutes sont exposées ici, dans ces vitrines symboliques

    Planète-Musée 238
    Gardez vos masques à oxygène
    Pendant le temps de la visite
    Surtout n’oubliez pas le CROUIK

    Ne jetez pas votre billet, le voyage n’est pas fini
    Dans un hennissement tremblant, le dernier cheval sans vapeur
    Vous contera la triste histoire de la roue, son ancienne amie
    Qui si longtemps l’avait suivi, et l’a trahi pour un moteur

    Vos pas vous ont mené ici, au fond du jardin botanique
    Dressez l’oreille. Plus un bruit. Entendez-vous l’arbre qui chante
    Pour un squelette aux os blanchis qui aimait moins l’air que le fric
    Une apaisante mélodie, une berceuse lancinante ?

    Voici la dernière attraction de ce sanctuaire stérile
    Assis derrière son guichet, c’est bien un spécimen humain
    Il semble dormir sur sa chaise et sous lui la paille s’empile
    Sous sa casquette de gardien ses yeux de verre veillent au grain

    Planète-Musée 238
    Ainsi s’achève la visite. Otez vos masques à oxygène
    Surtout n’oubliez pas le CROUIK...
    Surtout n’oubliez pas le CROUIK... CROUIK... CROUIK...


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    La vie de Bibi

    Jordy Grosborne

     

     

    C’est d’abord la bouteille de vodka que j’ai regardée en me levant. Enfin, je dis en me levant, je devrais plutôt dire en rampant sans aucune élégance au bas de mon divan modèle 1972, 4 ressorts en ligne, en croute de cuir de Ragondin Polonais. Un truc suréquipé : Accoudoirs fixes latéraux, pieds escamotables ( et en l’occurrence escamoté, en tous cas celui en bas à droite), réserve de biodiversité à Acadiens – si, si ces petites bestioles tromboscopiques toutes moches qui vivent sur le fromage - dont certains modèles n’existent sans doute plus qu’ici, garde-manger pour période de disette avec notamment de multiples variétés de chips à faire pâlir d’envie la succursale d’un groupe de hooligans de Manchester, perruque en devenir eu égard aux nombreux attributs capillaires perdus sur la bête qui ne demandent qu’à être réimplantés avec amour (je déconseille néanmoins la réimplantation de certains dans des zones non couvertes par un chapeau), deux bons mètres de bières de la blanche à la Guiness si je juge aux tâches, matelas en éponge (pour absorber c’est mieux !), coussin auto-adhésif aux Haribos world mix, draps d’origine, cendrier intégré entre les trous, et surtout, surtout, lattes bud not liste, Bibi vautré dessus toute la journée. Bibi c’est moi. 74 kilos de barbaque qu’on la retrouverait dans des lasagnes qu’on ne verrait pas de différence avec un cheval de compèt ! Enfin bref, maintenant que je vous ai fait faire le tour de mon appart, je poursuis. Donc, nous étions le 22 à l’aube quand 11 heures sonnaient à la cloche. Rien à voir avec le SDF qui me sert de coloc, lui était parti en stage d’entreprise comme évideur de carpe à la société de pêcherie de Bar-le-Duc «  A la Carpe Diem ». Fallait voir comme il était tout fier quand il m’a annoncé qu’on lui avait trouvé du boulot… Même Humphrey il avait l’œil vif en le regardant. Humphrey c’est mon chat. Quand on lui parle de carpe, il a l’œil qui s’agite. Faut dire qu’il a perdu l’autre dans un combat épique avec une botte d’aiguilles à tricoter. Attention, hein, c’est pas que je tricote, j’ai ma fierté, mais c’était un cadeau pour ma mère que j’avais trouvé dans le TER sur la ligne Bourg Bruche – Schirmeck la Broque. Non, les aiguilles ! Pas ma mère. Ma mère c’est elle qui m’a trouvé y parait. Moi, j'sais pas, j'y étais pas.

    Enfin bref, il était 11 heures et j’ouvrais l’œil gauche. Non, moi j’ai bien les deux à moi, mais j’en garde toujours un fermé avant midi pour reposer la partie du cerveau haddock comme on dit. Eh, eh, c’est que je ne suis pas sorti de la cuisse de Vénus moi, hein !! Vous vous demandez sans doute pourquoi je m’étais réveillé si tôt ? L’instinct. Quand on vie sur l’ébrèche comme moi, faut toujours être sur le convive. Ça me rappelle ce que disait toujours le père d’un pote quand je mangeais chez lui «  Il faut bien que les cons vivent pour venir manger ». Bref, Humphrey, en magnifique chat d’égouts qu’il est, était venu me lécher la tronche pensant sans doute avoir retrouvé sa tranche de jambon de la semaine d’avant. C’est marrant, moi j’ai d’abord cru que c’était mon coloc qui était rentré avec un sot de carpe. Enfin je dis graisse, je dis graisse… donc, mollement agenouillé sur la moquette, l’œil vif, la langue pendante et l’haleine vierge de toutes substances matinales, j’ai senti que le monde avait changé. Je me suis précipité à la fenêtre et là, surprise, le noir complet. Pris de panique j’ai appelé Humphrey dans un cri prix mâle à faire pâlir le mime Sophie Marceau. Son miaulement rauque m’a fait comprendre ma terrible erreur d’appréciation. C’était l’œil fermé qui était devant la fenêtre, mon œil ouvert était lui collé contre la tapisserie style en pire. Pris de vertige devant le choix cornélien qui se présentait, je suspendis mes gestes pour réfléchir. Que faire ? Faire faux rebonds à mes principes et ouvrir mon œil fermé, ou me décaler de quelques pieds pour placer mon œil ouvert devant la fenêtre ? Finalement, devant l'implacabilité d'un tel raisonnement j’ai compris que mon cerveau était assez reposé et j’ai ouvert les deux yeux et là, stupeur !!! Ô reur, ô des espoirs, neige donc tant d'écus que pour cette un famille ? La rue était vide de plein de monde ! Les voitures étaient arrêtées au milieu, moteur coupé au scalpel, portière béante sur rien. C’était calme comme si j’avais mis des boules « Qui est-ce ? » dans les oreilles. Mais je ne pouvais pas savoir qui c’était bon sang puisque je n’entendais rien ! Avec Humphrey on s’est regardé droit dans le fond de l’œil et on a compris tout de suite ! Enfin, je dis tout de suite… disons qu’on est allé s’étendre sur le canapé, j’ai pris une bière et lui aussi et, vers 13 h, quand on s’est trainé, épuisé, vers la fenêtre, on a su que la fin du monde avait eu lieu et que nous étions irrémédiabla, immédiable, imetdesal, certainement des zélus. J’ai pris Humphrey dans mes bras et je lui ai dit « Humphrey, mon fidèle compagnon de luttes intestinales, un grand festin nous attend !! Nous sommes les zélus qui ont été choisis et c’est à nous qu’il appartient qu’on doit nous incomber qu’en tant qu’zélus de repeupler la planète de la terre Google Maps ». Humphrey a fixé le frigo en miaulant et j’ai su qu’il comprenait la mission qui nous était dévolutionné à nous. C’est là que j’ai su que le chat était intelligent, parce que moi, j’étais pas très certain d’avoir compris la mission qui me dévolutionnait à moi. Alors on est allé sur le canapé et on a réfléchi en ouvrant une boite de concon. On en était à se lécher les babines en tout bien tout donneur – chacun les siennes, attention - quand je me suis rappelé cette phrase que mon grand-père me disait en face de la messe (à moins que cela ne soit l'inverse) le dimanche matin. « Il ne faut pas vendre la peau de l’ours ! » Il est des phrases qui restent en suspens dans l’air jusqu’à ce qu’elles vous retombent dessus comme un crachat quand tu te pousses pas assez vite avant que les lois de la gravité s’appliquent. Et là, la situation était pleine de gravités qui rappliquent. Alors j’ai pris Humphrey avec moi et on est sorti de l’appartement. Pas un bruit dans la cage d’escalier. La porte des voisins de paliers était ouverte, on est rentré, personne. J’en ai profité pour prendre quelques trucs que les zélus ils doivent avoir sur eux : Un rechargeur de batterie Sol/air, des lunettes de soleil bien plus belle que les miennes, une casse couette, des basses couettes, un couteau et des boules de Berlin avec de la framboise dedans !

    Une fois dans la rue, j’ai su que le Père Noël était en avance avec ses reines et ses butins ! Toutes les bagnoles avaient encore leur clef sur le contact ! On a pris une décapotable pour faire une maxi- virée-qui-déchire-sa-race-de-zélus. Fallait voir Humphrey poils au vent, accroché à l’appui-tête de toutes ses griffes qui était heureux comme un pacha, mais presque. Il m’a fait un sourire, pas tibulaire mais presque aussi, et je lui en ai fait un, et je crois qu’après on a passé l’après-midi à se compter les moustiques collés sur nos dents du dedans. Trop de bonheur de ouf cette fin de monde. Car c’était la fin du monde. Forcé, y avait personne à part Humphrey et moi. Les deux derniers et digne représentants de la race humaine. Nous étions fiers, nous étions beaux, nous sentions bon le… Bref, j’ai eu un pincement au cœur en pensant à mon coloc, sans doute mort, les mains couvertes de gants en plastique brun, une carpe morte au ventre ouvert entre les doigts, vidée comme les cerfs, proprement, professionnellement. Du beau boulot le coloc, dis-je à voix haute solennela… sonale, seau à nel, sonnetallemand, solennelléle, sonneannuellement, saunaalement, sot l’ylaissement… super fier quoi.

    Après une longue route genre odyssée du lys, Je me suis finalement arrêté là où j’ai toujours rêvé d’aller… à Berck ! Berck-sur-mer allait devenir le nouveau berceau de l’humanité et ce n’était pas un hasard. Telle des Rémi Naissances – drôle de nom - , je me souviens maintenant de tous ces moments de ma vie qui prennent un sens. A gauche après l’impasse. Les premiers mots de ma mère quand elle m’a vu, celui des proches, des copines qui venaient chez moi, sans forcément être payées, des profs à l’école en voyant mes dessins, mes rédactions… tous n’ont eu que ce mot à la bouche. Berck. Berck, Berck et Berck ! La boucle est attachée ! J’étais prédigéré à être le nouveau messti. Et Humphrey serait mon épautre ! Va vite falloir que je trouve de quoi écrire pour témoigner de la gégène de l’humanité, là où tout a commencé, là où l’homme est devenu homme aux sapins puis homo érectil ! Plutôt que du papier, je vais penser aux dégénérations futures qui vont naitre de ma personne et coucher les mots sur le dictaphone comme disait les poètes. Je l’appellerai… La vie de Bibi, en hommage aux comiques anglais, les « mon p’tis pitons » du Martin Circus ! Je vois qu’Humphrey est admiratif devant mes lettres !! Je vois aussi que l’ivresse de la vitesse l’a fait se soulager négligemment sur le siège arrière de la décapotable. Il est temps de changer de voiture. Il est temps de changer de vie même. Terminé le has been, vive le wall a be de Bibi. Et que ça saute.

    On est arrivés sur la plage de Berck, des panneaux pub y s'y terre annonçaient qu'il devait y avoir une rencontre de cerfs-volants dans quelques semaines. J’étais dubitatif ! Comment des gens arrivaient-ils à faire voler ces énormes bêtes ? Comment un peuple capable de telles prouesses pouvait-il disparaître de son vivant ?

    Avec Humphrey on a quitté la plagedesablefin et on a décidé de s’installer en ville. On a mis du temps avant de trouver un appartement qui convienne, on avait tellement de choix, pas besoin de payer, le luxe était à nous. Au début, ça nous a vraiment plu. On passait nos journées à chercher de quoi manger, boire, et manger et boire, et boire, et boire et le reste du temps on dormait. Et un jour, je me suis réveillé en me disant que la fin du monde n’avait rien changé pour nous et qu’on se devait de vivre autrement. Si nous avions été choisis par les zélus des zélus, cela ne pouvait pas être par hasard. Non ?

    Aujourd’hui, Humphrey est plus obèse qu’une baleine à gosses et moi, je m’ennuie terriblement. Personne pour écouter mon histoire. A quoi bon alors être un zélu si personne ne vous écoute ? Je traine d’appartements en hôtel de luxe, j’ai visité toutes les piscines du coin, nagé nu dans les palaces, dépensé plein de fric pris dans les magasins pour tout acheter, je suis habillé des plus beaux costards. Tout est à moi, le monde m’appartient, mais voilà, il n’y a que moi qui le sait. Et Humphrey, mais je vois bien que lui aussi s’ennuie ferme. Il n’y a plus d’oiseaux, plus de souris, rien, rien de vivant n’existe à part nous, les derniers cerveaux en fonction.

    Le monde est triste à mourir et surtout, surtout, je suis pris d'un grand doute et une question me turlupine – eh, eh ça vous la croupe hein ! – comment je vais bien pouvoir faire Adam, si je n'ai pas Dave ?

    Déjà que j'ai qu'un épeautre, je vois la scène d'ici !

    Alors Humphrey et moi on a repris la route de chez nous, on a retrouvé le canapé, on s'est allongé et on s'est dit qu'on allait attendre la ressucitation du reste monde pour faire les zélus à plusieurs. Après tout, on ne l'a pas demandé nous la fin du monde. Et y a pas de Mayas se faire du bien !

    Humphrey s'endort tout contre moi, il ronronne, il est heureux d'être revenu chez lui. La gloire, les traces et les palettes, c'est vraiment pas pour nous, ça c’est juste bon pour le festival de canes.

    Nous, on est juste des gens comme les autres, même si les autres, ben… y'en a plus.

     


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    Complément d’information.

    Yvonne Oter

     

     

    Suite à ma communication sur la disparition des poux, la revue « Animal Behaviour » m’a demandé de rejoindre de toute urgence une équipe internationale de chercheurs étudiant le comportement des grands singes à Bornéo. Il semblerait qu’ils y rencontrent certains problèmes inédits, depuis le 12 décembre dernier.

    Dès mon arrivée, j’ai pu constater que le mot « problèmes » était un doux euphémisme pour qualifier la situation qui y régnait. « Pagaille », « bordel », « apocalypse » auraient encore été très en dessous de la réalité. Les scientifiques qui m’ont accueillie ne savaient plus à quel saint se vouer, au point de craindre pour leur vie. L’équipe en place depuis de longs mois, qui avait déployé des trésors de patience et d’ingéniosité pour entrer en communication avec une population d’orangs-outans, voyaient leurs efforts réduits à néant par des bouleversements inattendus.

    Les primates hominoïdes qui passaient une grande partie de la journée à se chercher des poux, se retrouvaient brusquement désœuvrés, donc forcément déboussolés. L’épouillage était un rite social incontournable, permettant, par exemple, au petit et à sa mère de former un binôme fortement uni, ou aux femelles de se reconnaître comme compagnes de clan acceptables. La disparition des parasites avait créé un manque de repères difficile à combler. Les jeunes n’en faisaient plus qu’à leur tête, n’obéissaient aux consignes qu’en cas de châtiments corporels. Les mères abusaient des taloches aux petits passant à leur portée, les leurs et ceux des autres, puisqu’elles ne les reconnaissaient plus. Les femelles les plus jeunes tentaient de prendre l’ascendant sur leurs aînées qui n’avaient plus la ressource d’un épouillage un peu brutal pour ramener les fauteuses de trouble à raison.

    Ce qui m’a le plus interpellée, me crevant littéralement le cœur, ce sont les cris désespérés des vieux mâles hurlant leur désarroi de tous les coins de la forêt. Solitaires par essence, on aurait dit qu’ils tenaient à partager leur désespoir en émettant violemment leur détresse par des hurlements qui se répondaient d’un territoire à l’autre.

    J’ai quitté Bornéo le cœur serré. Je sais que la nature est bien faite, que les primates finiront par s’adapter à la nouvelle situation, qu’ils adopteront un autre style de vie. Mais je sais que cette génération que j’ai fréquentée pendant dix jours, ne s’en remettra pas vite. Il faudra du temps. Et beaucoup de souffrances.

     

    Lire ou relire la chronique d’Yvonne Oter : La fin du monde a bien eu lieu


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  • Hamm5.jpg

     

    Nous sommes tous des photographes

    Joël Hamm

     

       Tu parcours le monde en tout sens et tu le découvres en regardant les photos prises la veille et tu te rends compte que tu ne connais ni sa beauté ni le cœur des hommes qui l’habitent et encore moins le tien. Tu pensais tenir le monde dans ta main et c’est lui qui te tient mais tu ignores où il se trouve et son reflet ne t’informe pas de sa densité. Tu côtoies les hommes, tu captures leur image mais elle reste un mystère à tes yeux. Elle est, si tu regardes bien, celle de la mort surprise au travail, l’espace d’un millième de seconde. Tu comprends tardivement que le monde n’est nulle part ailleurs que dans le cœur des hommes et donc aussi dans le tien, que c’est un continent obscur aux gens comme toi qui croient ne pas déranger l’ordre des choses en l’effleurant de leur œil sec et scrutateur.

       Ta fin sera aussi celle de ce monde où tu vis. Il finira quand tu finiras et renaîtra pour d’autres et tu ne laisseras au mieux qu’une trace qui se mêlera à l’histoire des hommes et sera l’infime ligne du grand récit qui se nourrit de toute vie et contient toutes les épopées et les mythes et les contes. A la fin des temps tout aura égale insignifiance et le sol de la planète ne sera pas plus marqué par les tempêtes de sable que par le pas des cohortes humaines.

     

    A lire ou relire quelques points de vue du barman :  

    A perte de vue

    Au delà de ce que surprennent nos yeux

    Photo de vacances

    Sur le vif 

     


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  • Lapoule4.jpg

     

    Le quotidien reprend le dessus

    Une histoire de points... noire

    Jean-Luc Lapoule

     

     

    L'autre jour, je passe au feu orange, tranquillement, et pas de chance, sous le nez de deux zélés policiers.

    Me voilà pris en chasse (carrément) par les deux motards, et au bout de vingt mètres, me gare sur l'accotement.

    Un troisième motard nous rejoint, s'ensuit une discussion d'une banalité extrême.

    D'abord la demande d'usage.

    - j'ai pas de permis,

    j'ai pas de carte grise

    j'ai pas de papiers

    Formule de politesse purement administrative pour une meilleure obtempération.

    - j'ai pas d'identité

    j'ai pas de pays

    j'ai pas de famille

    Là, le rouge monte aux joues du plus gros des fonctionnaires.

    - j'ai pas de haine

    j'ai pas de complices

    j'ai pas de convictions politiques

    Me voilà extirpé violemment de mon cockpit.

    - j'ai pas de sensations

    j'ai pas de plaisir

    j'ai pas d'allergies

    On me tend une paire de bracelet.

    - j'ai pas d'attaches

    Les idées s'entrechoquent dans la tête de ces trois héros d'un jour. Je me retrouve balancé dans les buissons cul par-dessus tête, dépenaillé à tout vent.

    - j'ai pas de complexe

    j'ai pas de mémoire

    j'ai pas de honte

    Plaqué sur le ventre, la tête dans la boue, le taser sur la tempe.

    - j'ai pas d'âme

    j'ai pas de religion

    j'ai pas d'avocat

    L'un d'eux, une femme en fait, retire la sécurité de son arme de service. Je sens que je vais vomir.

    - j'ai pas de bol

    j'ai pas de bile

    j'ai pas de balles

    Une détonation retentit.

    - j'ai pas d'espoir

    j'ai pas de morale

    mais il me reste un peu d'imagination

    Finalement, les agents de la force publique me laissent partir.

    J'ai sauvé mes points.

    Quelle chance de tomber sur des flics sympas !

     

     


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    Le monde

    Rondel de Jean Calbrix             

     

     

    Quand n’existera plus le monde

    Qui donc en sera l’assassin ?

    Sera-ce ce petit poussin

    Qui, sur le fumier, vagabonde ?

     

    Quel animal au noir dessein

    Aura tiré la vile bonde ?

    Quand n’existera plus le monde

    Qui donc en sera l’assassin ?

     

    Faudra-t-il encor à la ronde,

    Serrer ses espoirs sur son sein ?

    Ombre et lumière en ce destin

    Ne seront plus qu’un truc immonde

    Quand n’existera plus le monde.


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  • Lunatik2.jpg

     

    Des chevaux et des hommes

    Lunatik

     

     

    Janvier 2013, Auvergne, France.
    La fin du monde a été longue pour Papa et Maman. Je veux dire : ils ont mis du temps à mourir, même si Papa n'a pas duré autant que Maman. Avec tous ses muscles, j'aurais cru le contraire. Il était costaud, il pouvait porter un veau sous un bras et me traîner par l'oreille de l'autre main. Ça ne mouftait pas à la ferme. Même Jori, notre étalon percheron, un tank d'une tonne et demie, n'en menait pas large. C'était pourtant une sacrée belle carne pleine de dents, qui chargeait et mordait tout ce qui passait à sa portée. Je me demandais parfois s'il était vraiment herbivore, ce cheval. Papa lui avait construit un box en parpaings près de l'étable, style Alcatraz, avec une porte en chêne à loquets autobloquants — surmontée d'une grille en fer forgé depuis qu'il m'avait arraché une joue. Le docteur qui m'avait recousu avait conseillé à Papa de l'abattre et Papa s'était fâché. Jori avait coûté cher et il travaillait dur. Le docteur avait insisté, Papa avait fixé la grille. Maintenant, à l'école, on m'appelle Francky mais ça ne me gêne pas. J'aime bien Mary Shelley, même s'il paraît que c'est pas de mon âge et, de toute façon, j'ai un prénom pourri.
    En été, Jori passait la nuit au pré, mais en hiver, Papa le rentrait au chaud dans son box fortifié, chaque soir après les labours ou le débardage. Maintenant, il reste dans sa pâture, malgré la neige. Il a l'air de s'y habituer. Je lui apporte de l'eau, du foin et de l'orge tous les jours — à l'abri derrière la barrière, hors de portée de ses mâchoires qui claquent au-dessus de ma tête. Un de ces quatre, je prendrai mon courage à deux mains, je viderai son box, je le paillerai de frais et j'oserai lui mettre son licol pour le rentrer à l'écurie.
    Sinon, je sais m'occuper de tous les autres animaux ; je me débrouille parfaitement. Je donne le grain aux poules, je nettoie les clapiers des lapins, je trais les vaches, je nourris les cochons, j'attache la chèvre dans les ronciers. Sibelle me suit partout. Elle a presque oublié ses chiots. Elle en avait mis bas une dizaine, un midi, dans un coin du box de Jori, sous le râtelier. Papa les avait trouvés en rentrant du labour. Exceptionnellement, il avait dételé Jori au pré. Puis il avait enfermé Sibelle dans la remise et commencé à tuer ses petits, en leur frappant la tête contre la mangeoire en béton. Des morceaux de viande poilue se mélangeaient aux restes d'orge. Sibelle hurlait, moi je pleurais et Jori hennissait, comme s'il avait flairé le sang. J'essayais d'arracher les survivants des mains de Papa quand Maman était intervenue. Elle avait râlé que c'était pas chrétien, comme méthode, et que les giclées sanguinolentes salopaient tout. Après avoir retroussé les manches de sa blouse, elle avait noyé les derniers chiots dans l'abreuvoir de Jori. J'avais claqué la porte et couru dans la forêt, couru loin d'eux, couru jusqu'à ne plus pouvoir, jusqu'à la cabane du vieil Albert. Albert n'y vient qu'en été, mais il m'a montré où il cache la clef. Il laisse toujours des provisions de biscuits au chocolat et plein de livres. C'est mon endroit préféré sur Terre. C'est là, en relisant Frankenstein, que j'ai attendu la fin du monde. Mais elle n'a pas voulu de moi.
    Alors je suis revenu à la ferme, et j'ai compris qu'elle ne s'en prenait qu'aux adultes. Papa était déjà presque mort, mais Maman tenait le coup. C'était une coriace, comme disait Papi. Je suis allé délivrer Sibelle ; elle avait fait du gâchis dans la remise, éventré tous les sacs de croquettes. Elle avait un peu soif parce que la bassine sous la chaudière ne se remplit plus beaucoup depuis que le plombier a réparé la fuite. Ensuite, j'ai soigné les bêtes et changé les litières ; ça m'a pris la journée. Quelque temps plus tard, Maman est morte à son tour.

    Ce matin, Matthieu est monté me chercher pour une balade en raquettes. C'est mon meilleur ami, il habite au bourg, dans la vallée ; on est dans la même classe. Il doit faire du sport parce qu'il est devenu trop gros. Quand on est passés devant le box de Jori, il a regardé à travers la grille et il a soufflé tout bas :
    — Merde...
    J'ai dit :
    — C'est à cause de la fin du monde.
    Il a répété, en se pinçant le nez :
    — Ben merde...
    C'est vrai que ça puait. Maman avait fini par sortir les chiots noyés de l'abreuvoir, mais, gorgés d'eau croupie, ils s'étaient putréfiés plus vite que le reste, malgré le froid, et des asticots grouillaient sur la paille. J'ai répondu :
    — Je vais les enterrer et nettoyer, t'en fais pas. Mais j'ose pas encore mettre le licol à Jori pour le rentrer alors ça urge pas.
     Matthieu a hoché la tête. Il ne parle plus beaucoup depuis cet été ; il est devenu somnambule à plein temps. Avant, il était premier de la classe, mais maintenant, il reste juste assis à son pupitre, silencieux, comme un ragondin malade devant une carotte empoisonnée. La maîtresse veut déjà lui faire redoubler son année.
    J'ai enfilé mes raquettes et on est partis se promener, avec Sibelle qui bondissait dans la neige comme un dahu. Vers quatre heures, on s'est arrêtés chez Matthieu pour goûter. Ses parents remplissaient et rangeaient la chambre froide de leur charcuterie. J'ai trouvé qu'ils résistaient drôlement bien, même si son père avait une vilaine toux. Peut-être que les gens trop nourris survivent mieux aux fins du monde. Sa mère l'a embrassé et câliné en le palpant comme un poulpe affamé, elle le pressait contre ses seins globuleux. Il n'a pas bronché, mais il portait tout son gras comme une armure. Elle a tendu le bras pour m'inclure dans leur frotti-frotta, mais je me suis écarté ; elle sentait les rillettes. Puis j'aime pas qu'on me touche. Matthieu non plus, je dirais. Son père lui a collé une calotte et a gueulé après sa femme :
    — Fous-lui la paix à ce môme, on croirait une chatte en chaleur. Aide-moi plutôt à accrocher ce foutu cochon.
    Matthieu en a profité pour battre en retraite. On est restés sur le seuil de la chambre froide, à les regarder se démener avec la carcasse récalcitrante. Matthieu transpirait, mais il claquait des dents et tremblotait des bajoues. C'était pas joli. Je l'ai écarté gentiment, et j'ai poussé la porte. Tout doucement.
    Il a dit :
    — Je pourrais rentrer Jori. Je sais m'y prendre avec les chevaux.
    J'ai enclenché le verrou.

     


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    Chronique de la joncaille

    Jean-Claude Touray

     

     

    Un peu étrange l’atmosphère, mais à peine décalée. On aurait pourtant dépassé depuis deux bonnes semaines la date officielle de la fin du Monde telle que les savants l’avaient déterminée sur la base des manuscrits Mayas… rien. Comme si l’on attendait un enfant Jésus refusant de quitter le ventre de sa mère. Un malin qui aurait compris que dans cette période de crise, fin du monde ou pas, il était préférable de rester planqué au chaud.

    Chutes de neige normales pour la saison, principalement là où on les attendait. Des avalanches et du verglas comme à l’accoutumée. Rien des scenars apocalyptiques avec tempête dans la poudreuse et centaines de villages isolés en montagne.

    Tout s’était déroulé comme si rien d’extraordinaire ne s’était passé. La traditionnelle période des Fêtes avec réveillons, Père Noël et semaine des confiseurs, avait fait son temps sans éclats. Pas plus d’automobiles transformées en feux de joie que d’hab pendant la nuit de la Saint Sylvestre : mêmes incendies, mêmes incidents en dents de scie. Aucun changement qui aurait pu être attribué à la fin de quelque chose. On n’était pas encore parvenu à savoir si une fin du monde nécessairement « light » avait eu lieu ou s’il fallait l’attendre encore longtemps.

    L’annonce de la fin du monde en 2012, LUI avait causé une joie indicible. C’était, pour l’anarchiste égocentré qu’il était, la preuve d’un échec total des différents collectivismes-panurgismes qui avaient confisqué le pouvoir écono-politique tant à Pékin qu’à Paris,Wall Street ou La Havane.

    Les colonnes de la presse des matins blêmes, avaient été ouvertes à l’imagination de lecteurs, pour qui le Monde finissait dans les torrents de sang d’une ambiance tragique illuminée de chandelles romaines.

    Il fallait que par n’importe quel moyen les gouvernements définissent une position claire sur la date de l’évènement et s’y tiennent : l’annonce discrète que la vraie fin du monde n’était pas pour 2013 ni même pour 2014 n’eut de retentissement que pour quelques-uns, mais qui firent part de leur mécontentement.

    Il y eut au premier chef les évêques, pasteurs, rabbins et imams. L’approche supposée de la fin du monde avait décuplé la fréquentation des lieux de culte, le montant des quêtes et le prestige des Églises. Aubaine désormais perdue pour longtemps…

    Le pape en avait profité pour rendre sa soutane.

     

    Cette décision (du jamais vu !) était la conséquence logique de la désaffection de fidèles que n’effrayait plus la perspective d’une éternité en enfer. Ces mauvais sujets considérant que la fin du Monde n’était pas pour demain, refusaient maintenant de financer l’organisation de la catholicité, au grand dam de la banque du Vatican.  Comble d’insolence, ces malotrus ironisaient sur les réticences du successeur de Saint-Pierre au mariage des prêtres pédophiles.

    C’était la goutte d’eau qui avait fait déborder le godet de pastaga du pontife. Il refusait maintenant de porter le Bada pour tous les cardinaux réacs, position qui l’avait conduit à l’abandon de sa charge.

     

    Quant à LUI, la Fin de « fin du monde » en 2012 l’avait désargenté assez sérieusement. Il avait acheté au prix fort en octobre tous les terrains à vendre aux pieds du pic de Bugarach, la montagne soi-disant sacrée dont les occupants échapperaient au sort du commun des mortels. Maintenant, les producteurs de fromage lui proposaient avec un sourire narquois de lui racheter ces pâtures, mais à vingt pour cent du prix payé… à ces mêmes rusés paysans deux mois plus tôt. Joncaille quand tu nous tiens…

     

    Tu ne vas pas te laisser plumer comme un rat ma couille ! On t’a fait perdre du fric, on doit te le rendre avec intérêts. Attaque, attaque ! Au civil pour commencer !

    Attaquer, mais qui ?

    Les gogos qui ont le pognon et une responsabilité dans le délit !

    Quel délit ?

    Propagation de fausses nouvelles pouvant porter tort à autrui. Je te parie ma dernière burne contre ton nez de Cyrano que tu vas trouver dans tes recherches le gouvernement et la banque centrale du Mexique.


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